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Extraits du rapport d'activité de la direction générale des postes et télécommunications (DGPT) publié en juin 1995.
CHAPITRE 10
Les autoroutes et services de l'information : mettre la régulation au service de l'innovation
1 - Des enjeux de plus en plus clairement perçus
Le thème des autoroutes de l'information, a gagné la plupart des grands pays développés qui ont pris la mesure des enjeux en cause.
Les autoroutes de l'information représentent en réalité une révolution, à la fois technologique et dans les usages, liée à la conjonction de plusieurs progrès techniques dans les télécommunications (numérisation et compression du signal, flexibilité de la commutation et de la transmission). Ces progrès permettent d'envisager, sur des réseaux à haut débit et interactifs, le développement de nouveaux services dans le domaine de l'audiovisuel (télévision à la demande), de la santé (diagnostic à distance), de la formation à distance et des télécommunications (visiophone).
Les enjeux apparaissent considérables au regard des politiques de santé et d'éducation, sur la recherche (mise en réseau des centres de recherches), ainsi que du point de vue culturel (quel contenu pour les nouveaux services), de l'aménagement du territoire (localisation des activités sur le territoire) et de l'emploi.
C'est la raison pour laquelle les pouvoirs publics se sont impliqués au plus haut niveau sur ce thème, tant aux Etats-Unis et au Japon qu'en Europe, où le Conseil européen a commandé un rapport à un groupe de personnalités de haut niveau conduit par le Commissaire Bangemann. En France, le Premier Ministre a demandé à Gérard Théry, ancien directeur général des télécommunications, un rapport qui lui a été remis en septembre 1994.
Notre pays est donc loin d'être en retard dans la réflexion menée sur les autoroutes de l'information, puisqu'ont été remis successivement le rapport de Thierry Breton sur les téléservices - confirmant les fortes potentialités de croissance de ce marché et de créations d'emploi - et le rapport de Gérard Théry au Premier ministre. Ce dernier document propose un plan de déploiement ambitieux de la fibre optique, ainsi qu'un soutien appuyé de l'Etat au développement des services. Il est en revanche plus discret sur les aspects réglementaires et sur la stratégie à mener en Europe.
L'ensemble de ces réflexions reprises en particulier dans le rapport Théry, a conduit à mettre en évidence deux facteurs de succès du développement des autoroutes de l'information :
- la nécessité de s'appuyer sur le marché et les capacités d'investissement de l'ensemble des acteurs économiques, tout en donnant à l'Etat, à travers les applications d'intérêt public (santé, formation), un rôle moteur pour initialiser le développement du marché ;
- l'importance d'un soutien au moins aussi appuyé au développement de services et des applications qu'à celui des infrastructures.
2 - Une ambition
Le comité interministériel du 27 octobre 1994 présidé par le Premier ministre a pris connaissance du rapport Théry et a reconnu la nécessité de doter notre pays d'une stratégie ambitieuse dans ce domaine, afin de répondre aux enjeux technologiques, économiques et de société lié aux autoroutes et services de l'information.
Le Gouvernement a ainsi affiché l'ambition d'une réalisation des autoroutes de l'information - et des services associés - à l'horizon 2015, ambition qui ne se traduit toutefois pas - afin de conserver au marché sa dynamique - par une planification des investissements nécessaires.
De surcroît, un Comité interministériel sur les autoroutes et les services de l'information a été créé, afin de coordonner les travaux du Gouvernement sur les différents aspects de ce dossier.
Ce comité interministériel a aussi décidé le lancement d'un appel à propositions, par le Ministère de l'industrie, des postes et télécommunications et du commerce extérieur, ouvert à l'ensemble des acteurs économiques, afin de mobiliser leur capacité d'investissement et d'innovation en expérimentant, sur le plan technique et commercial, et en grandeur nature, les nouvelles possibilités offertes par la technologie ou les nouveaux services.
En dehors du lancement de cet appel à propositions, les travaux engagés par la DGPT à la suite de ce comité interministériel ont couvert plusieurs volets :
- la préparation du débat au Parlement (qui a eu lieu le 13 décembre 1994), et du colloque avec les acteurs économiques et sociaux programmé une semaine avant et qui a connu un très vif succès ;
- la préparation des échéances internationales : l'Union Européenne devrait - sous Présidence française - adopter un programme d'action et de soutien cohérent, et un G7 spécialisé sur ce sujet a eu lieu les 25 et 26 février 1995 ;
- les évolutions réglementaires destinées à favoriser l'investissement: l'ouverture à la concurrence des infrastructures est largement reconnue comme étant un levier important dans le développement des autoroutes de l'information, dès lors que la régulation du marché permettra d'orienter ces investissements vers les segments les plus créateurs de valeur ajoutée économique. La réflexion réglementaire aura également vocation à porter sur l'évolution du périmètre des missions de service public (aujourd'hui essentiellement limité au service téléphonique), et sur l'articulation avec la réglementation audiovisuelle, dont la vocation est davantage liée au contenu des services qu'à la régulation des supports.
3 - Le G7 sur la société de l'information
La DGPT a été désignée responsable, au sein du gouvernement, pour la préparation du G7 sur la société de l'information. A cet effet, elle a rédigé la contribution française présentée par notre pays en décembre 1994, qui identifie les priorités que la France assignait à ce G7.
trois manifestations distinctes
Cette réunion du G7 sur la société de l'information, organisée par la Commission Européenne les 25 et 26 février 1995 à Bruxelles, sur mandat du sommet de Naples, comprenait trois manifestations distinctes :
- une exposition sur les applications les plus innovantes de la société de l'information, au-cours de laquelle le savoir-faire français a été mis en valeur avec une vingtaine de projets (sur un total de 120 projets environ) émanant d'entreprises, d'administrations (dont les Ministères de la Culture et de l'Education Nationale) et d'organismes de recherche français; la DGPT, qui était chargée de faire émerger des applications françaises pour cette exposition, a assuré la défense des projets français vis-à-vis de la Commission européenne lors de la phase de sélection par la Commission ;
- une table ronde des industriels, présidée par Jacques Delors, a débattu des enjeux de la société de l'information pour le monde économique ; quatre chefs d'entreprise français y ont participé : Marcel Roulet, Président de France Télécom ; Pierre Lescure, PDG de Canal Plus ; Jean-Luc Lagardére, Président de Matra Hachette ; et Jean-Marie Descarpentries, PDG de Bull ;
- la conférence ministérielle elle-même, ouverte par Jacques Santer, président de l'Union européenne et placée sous la présidence du Commissaire Martin Bangemann, a accueilli les Ministres responsables de l'industrie et des télécommunications dans chacun des pays membres du G7 ; cette conférence a été organisée en trois sessions thématiques correspondant aux différents enjeux de la société de l'information :
- la première session, présidée par le Ministre allemand de l'Economie, Gunther Rexrodt, portait sur les questions réglementaires et de concurrence ;
- la deuxième session, présidée par José Rossi, ministre français de l'Industrie, des Postes et Télécommunications et du Commerce Extérieur, était consacrée au développement et à l'accès aux infrastructures, ainsi qu'aux applications ;
- la dernière session, animée par Martin Bangemann, a permis d'aborder les enjeux de sociétés liés à ces évolutions technologiques et réglementaires.
le lancement de 11 projets-pilotes à l'échelle internationale
La DGPT a également représenté la France lors des négociations préparatoires qui ont conduit au lancement de onze projets pilotes à l'échelle internationale, notamment dans les domaines d'intérêt public (éducation, environnement, recherche, santé, ...). Cette démarche a permis, pour chacun de ces onze projets, de faire prendre en compte les intérêts des acteurs français et les priorités de notre pays, ainsi que d'assurer un rôle pilote à la France pour les projets liés à l'éducation, à la culture, et à la santé.
Ces onze projets seront lancés dans un cadre décentralisé, et ouverts aux acteurs publics et privés concernés, aux pays non membres du G7, ainsi qu'aux organisations internationales. La France a obtenu ce résultat en faisant des propositions précises de méthode pour la mise en oeuvre de ces projets.
La politique communautaire dans le domaine des réseaux transeuropéens de télécommunications
Le 1er novembre 1993 est entré en vigueur le Traité sur l'Union Européenne, signé à Maastricht. Pour le monde des télécommunications, cette nouvelle étape marque un tournant dans la construction européenne puisque, pour la première fois, une référence explicite aux télécommunications apparaît dans le texte fondateur.
Cette référence prend la forme de l'insertion d'un Titre nouveau (Titre XII: "Réseaux transeuropéens"), qui traite, à côté des télécommunications, des transports et de l'énergie.
De nouveaux moyens au service d'une nouvelle politique commune
La logique consiste à promouvoir le développement de grands réseaux, à une échelle pan-européenne, afin d'une part de contribuer à la réalisation d'un marché intérieur sans frontières, et d'autre part de permettre à tous les acteurs communautaires (citoyens de l'Union, entreprises, collectivités territoriales) de tirer le meilleur parti de ce vaste espace sans frontières. La politique des réseaux se voit ainsi reconnue dans son rôle géographiquement et économiquement structurant.
Le caractère volontariste de l'action communautaire doit bien entendu s'exercer dans le cadre d'un système de marchés ouverts et concurrentiels, cette action visant à favoriser l'interconnexion des différents réseaux de communications et l'interopérabilité des services offerts sur ces mêmes réseaux.
Un début de mise en oeuvre encore encore hésitant en dépit de l'urgence
L'appel du Titre XII à mettre en place une politique globale n'a donné lieu jusqu'à présent qu'à une avancée dans deux domaines certes importants mais d'envergure limitée: le Réseau Numérique à Intégration de Services (RNIS) et les réseaux inter-administrations.
Dans le premier cas, le Conseil, sur proposition de la Commission, a adopté le 22 décembre 1994 une position commune sur une série d'orientations pour le développement d'un RNIS harmonisé (Euro-RNIS) à l'échelle de l'Union. Ces orientations, conformément à ce que prévoit le Titre XII, identifient plusieurs projets et domaines dont la réalisation revêtirait un intérêt communautaire certain: accès des PME aux services télématiques européens par l'intermédiaire de l'Euro-RNIS, accès à des bases de données images, recours au RNIS pour promouvoir le télétravail, utilisation dans le développement d'applications appartenant aux secteurs de la santé, de l'éducation, de la culture...
Concernant les réseaux d'échanges de données entre administrations, le fait qu'une position commune du Conseil ait été acquise sur une autre base juridique que celle offerte par le Titre XII ne remet pas en cause leur appartenance à la mouvance des réseaux transeuropéens. Il s'agit bien en effet de faciliter l'interconnexion de réseaux existants, au bénéfice d'une administration plus efficace, au service de la libre circulation des personnes, des biens et des capitaux.
Réseaux transeuropéens et société de l'information: un nouvel horizon
Cette amorce de mise en oeuvre doit désormais être confortée par une politique plus volontariste et plus méthodique, reposant sur l'identification systématique des besoins, souvent mal connus, des utilisateurs potentiels de tels réseaux. Le dossier des réseaux transeuropéens devrait retrouver une vigueur et une dimension nouvelles, suite aux débats très riches intervenus au cours de l'année 1994, en matière d'"autoroutes" et de société de l'information.
Les réseaux transeuropéens du Titre XII du Traité fournissent les premiers éléments sur lesquels une stratégie communautaire peut être bâtie. L'approche consistant à élaborer des schémas directeurs doit désormais s'étendre à l'ensemble du domaine des télécommunications, en recherchant des débouchés économiques et commerciaux pour des applications utilisant les énormes potentialités des futurs réseaux interactifs à très hauts débits.
l'élaboration de principes communs formant le socle de la société de l'information future
La DGPT a contribué à la négociation du projet de conclusions de la conférence, qui a notamment conduit à l'élaboration de principes communs sur lesquels devra reposer sur le développement de la société de l'information. Ces principes forment un ensemble équilibré, correspondant largement à l'approche française dans ce domaine, notamment d'équilibre entre l'ouverture à la concurrence et les mesures de régulation des marchés (service universel, politique des contenus, sécurité). La contribution déposée par la France en décembre 1994 avait permis de faire comprendre à nos partenaires nos objectifs essentiels et a grandement facilité la prise en compte de ces objectifs dans les conclusions finales de la conférence.
Au total, cette manifestation a été un incontestable succès, et une source de satisfaction pour notre pays, puisqu'elle a permis de donner une assise internationale à la stratégie arrêtée par le gouvernement français dans ce domaine, et de consolider, tant au travers des principes adoptés que des projets retenus par le G7, la démarche d'expérimentations engagée par la France.
4 - Le dépouillement de l'appel à propositions
La DGPT a participé au dépouillement, organisé par la Direction Générale des Stratégies Industrielles (DGSI), de l'appel à propositions lancé par le Ministère le 23 novembre 1994. Cette participation s'est effectuée à tous les niveaux du dépouillement et de l'analyse des propositions :
- Bruno Lasserre était membre de la commission des "cinq sages" présidée par Gérard Théry qui a arrêté les résultats de l'appel à propositions;
- une participation permanente de la DGPT aux travaux de dépouillement, conjointement avec la DGSI, a été organisée, notamment au sein du Comité de lecture qui a ventilé les propositions et désigné les rapporteurs compétents ainsi que les autres ministères à saisir ; cette participation a mobilisé, pendant un mois, six agents de la DGPT à plein temps;
- la DGPT a fait part à la Commission d'évaluation de son analyse sur les différents dossiers, notamment sur les aspects juridiques, techniques, réglementaires, tarifaires et internationaux ; cette analyse a été reprise dans le cadre du rapport au comité interministériel.
L'appel à propositions a connu un grand succès, puisque 635 réponses sont parvenues au Ministère, recouvrant des projets de natures très différentes et dans des secteurs divers.
Le comité interministériel du 28 février 1995 a décidé de retenir 49 projets pouvant être mis en oeuvre sans délai, 218 autres étant destinés à être labellisés lorsque leur financement sera complété ou lorsqu'ils seront conformes à la réglementation.
5 - Les aspects réglementaires et juridiques liés aux autoroutes et services de l'information
Parallèlement au dépouillement de l'appel à propositions, la DGPT a analysé les aspects réglementaires et juridiques liés à la mise en oeuvre des autoroutes et services de l'information, analyse qui n'avait été qu'ébauchée par le rapport Théry.
la nécessité d'adapter le cadre juridique actuel
Comme le reconnaît le rapport Théry et le relevé de conclusions du comité interministériel du 27 octobre 1994, la création d'un environnement favorable sur le plan réglementaire et juridique constitue une condition essentielle au développement des autoroutes et services de l'information.
Des adaptations au cadre juridique actuel sont donc nécessaires et doivent répondre à trois objectifs:
- permettre la mise en oeuvre des expérimentations entrant dans le champ de l'appel à propositions et soulevant des questions de compatibilité avec la réglementation actuelle ;
- encourager l'investissement dans ces nouvelles infrastructures et ces nouveaux services, et ce aussi rapidement que possible afin d'atteindre l'objectif de développement fixé par le gouvernement (couverture du territoire en 2015) ;
- adapter les législations existantes (propriété intellectuelle, protection de la vie privée, sécurité des réseaux,..) aux problèmes soulevés par ces nouveaux services.
aménager la réglementation des télécommunications
Les principaux aménagements nécessaires concernent la réglementation des télécommunications, pour laquelle des contraintes doivent être rapidement levées : d'une part, les autoroutes de l'information doivent pouvoir bénéficier de l'ensemble des investissements susceptibles d'être réalisés par des acteurs économiques; d'autre part, l'équité et le dynamisme de la concurrence supposent de reconnaître aux différents opérateurs des possibilités équivalentes et étendues. Par ailleurs, l'élargissement du périmètre du service public, qui devra être décidé en fonction de l'évolution des besoins de la société, ne devra pas être prohibé par la réglementation, même s'il apparaît difficile de prévoir la nature exacte de ces nouveaux besoins.
Réglementation des télécommunications : les aménagements nécessaires
Pour permettre la mise en oeuvre des propositions reçues les plus intéressantes mais incompatibles avec le cadre réglementaire actuel (classées en catégorie 2), la DGPT a proposé d'aménager la loi sur la réglementation des télécommunications, en créant un régime d'autorisation expérimentale applicable avant 1998 aux domaines encore couverts par le monopole.
Ce régime permettrait notamment d'autoriser :
- l'expérimentation du téléphone fixe sur les réseaux câblés ;
- la réalisation de téléports ;
- une utilisation plus large des grands réseaux alternatifs (SNCF, RATP, EDF, ...).
Au-delà de la réalisation rapide d'expérimentations, nombre de proposants ont souligné la nécessité de clarifier les règles du jeu applicables après 1998, et donc de savoir dans quelles conditions ils pourront, en cas de succès, prolonger ou généraliser les expérimentations mises en oeuvre.
L'encouragement au développement des autoroutes et services de l'information passe donc aussi par une concurrence bien préparée et bien régulée.
rapprocher les réglementations des télécommunications et de l'audiovisuel en distinguant la régulation des contenus et la régulation des supports
Le rapprochement progressif des secteurs des télécommunications et de l'audiovisuel, la convergence des technologies et des supports associés, et l'imbrication de plus en plus forte des métiers, augurent des difficultés croissantes à maintenir l'étanchéité actuelle des deux réglementations. Aussi une meilleure articulation devra-t-elle être recherchée, autour d'une séparation plus nette entre régulation des contenus et régulation des supports.
adapter les législations horizontales
Enfin, la DGPT a identifié, en coordonnant un travail interministériel sur ce sujet, les adaptations éventuelles à apporter aux différentes législations horizontales.
Certaines devront surtout être appliqués de manière plus effective aux nouveaux réseaux et services : celle sur le droit d'auteur, en développant des mécanismes de gestion automatisée de ces droits ; celle sur la protection du consommateur, en préservant leur libre choix et en réglementant la vente à distance.
D'autres domaines devront sans doute faire l'objet d'adaptations : le régime de diffusion des données publiques ; la loi "informatique et libertés", dont la révision sera imposée par la directive européenne en cours d'adoption ; peut-être également la législation sur le droit d'auteur et la réglementation sur la sécurité des réseaux, à plus long terme, et au vu des problèmes concrets soulevés par le développement des nouveaux services.
Chapitre XI
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