J.O. Numéro 279 du 1er Décembre 2001       J.O. disponibles       Alerte par mail       Lois,décrets       codes       AdmiNet

Texte paru au JORF/LD page 19122

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Saisine du Conseil constitutionnel en date du 7 novembre 2001 présentée par plus de soixante députés, en application de l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, et visée dans la décision no 2001-451 DC


NOR : CSCL0104968X



LOI PORTANT AMELIORATION DE LA COUVERTURE DES NON-SALARIES AGRICOLES CONTRE LES ACCIDENTS DU TRAVAIL ET LES MALADIES PROFESSIONNELLES



Conformément à l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, les députés soussignés défèrent au Conseil constitutionnel la loi portant amélioration de la couverture des non-salariés agricoles contre les accidents du travail et les maladies professionnelles, et lui demandent de la déclarer non conforme à la Constitution, notamment pour les motifs suivants :
I. - En ne prévoyant pas d'indemnisation des organismes assureurs concernés, la loi déférée porte une double atteinte à des droits constitutionnellement protégés

A. - La loi déférée limite le droit de propriété d'une façon
telle qu'elle dénature le sens et la portée de ce droit

Le texte de la loi portant amélioration de la couverture des non-salariés agricoles contre les accidents du travail et les maladies professionnelles entraîne une limitation du droit de propriété d'une gravité telle qu'elle dénature le sens et la portée de ce droit dans la mesure où il ne prévoit pas d'indemnisation juste et préalable des entrepreneurs.
En effet, la loi déférée instaure un système collectivisé d'assurance accidents du travail et maladies professionnelles pour les non-salariés agricoles, là où existait auparavant un système privé où s'exerçait la liberté concurrentielle. Ainsi, elle prive les entreprises et intermédiaires d'assurance concernés d'une part importante de leur clientèle, laquelle représente, par nature, un élément essentiel du fonds de commerce. A ce titre, les entrepreneurs concernés voient le droit de propriété qu'ils détenaient sur une partie du fonds de commerce qu'ils se sont constitué largement dénaturé.
Or, aux termes de l'article 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, « la propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n'est lorsque la nécessité publique, également constatée, l'exige évidemment, et sous la condition d'une juste et préalable indemnité ». Le texte déféré ne prévoyant aucune indemnisation des entreprises et intermédiaires d'assurance qui opéraient jusqu'ici sur le marché de l'assurance accidents du travail et maladies professionnelles, il y a ici une forme de dépossession sans indemnisation « préalable » constitutive d'une violation du droit de propriété, comme a pu le consacrer la jurisprudence constitutionnelle dans ses décisions des 16 janvier et 11 février 1982 relatives à la loi de nationalisation (DC nos 132 et 139).
Ainsi, l'ensemble de la loi portant amélioration de la couverture des non-salariés agricoles contre les accidents du travail et les maladies professionnelles devrait être censuré dans la mesure où, en ne prévoyant aucune indemnisation juste et préalable, elle apporte au droit de propriété une limitation d'un caractère de gravité tel qu'elle en dénature le sens et la portée.

B. - La loi déférée entraîne également une rupture caractérisée
de l'égalité devant les charges publiques

En ne prévoyant pas d'indemnisation du préjudice subi par les entreprises et intermédiaires d'assurance, la loi déférée entraîne par ailleurs une rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques. En effet, la suppression sans compensation de la liberté d'accès à un marché jusqu'à présent exploité par diverses entreprises d'assurance crée à leur égard un préjudice important et certain. En effet, l'apparente pluralité de gestionnaires ne doit pas masquer l'importance de la restriction d'accès au marché de l'assurance sociale des non-salariés agricoles. Ce préjudice présentant un caractère « anormal et spécial », pour emprunter à la jurisprudence du Conseil d'Etat sur la responsabilité sans faute de l'administration, il y a bien une rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques, comme le Conseil constitutionnel l'a déjà implicitement jugé dans sa décision du 18 janvier 1985 (no 84-182 DC) en examinant au fond les mérites d'un grief selon lequel « si le législateur supprime une profession légalement organisée, il ne peut faire peser sur ses seuls membres les conséquences financières de son choix ».
En l'espèce, et contrairement au contexte de la décision précitée, le préjudice allégué a bien un caractère certain, ce qui conduit, en l'absence d'indemnisation, à une rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques. Le texte déféré devrait à ce titre être censuré.

II. - Deux dispositions
du texte déféré violent la Constitution

A. - L'article L. 752-14 nouveau du code rural apporte une restriction arbitraire et abusive à la liberté d'entreprendre mais également au droit de propriété
Selon le nouvel article L. 752-14 du code rural tel qu'il vient d'être adopté par la loi déférée, « les organismes assureurs autres que les caisses de mutualité sociale agricole doivent être autorisés par le ministre chargé de l'agriculture à garantir les risques régis par le présent chapitre ». Cette disposition, qui impose une autorisation administrative pour exercer une activité assurantielle que de nombreux acteurs pratiquaient déjà auparavant, apporte une restriction arbitraire et abusive à la liberté d'entreprendre en en dénaturant manifestement la portée.
En effet, selon la décision précitée du 16 janvier 1982 (no 132 DC), « la liberté qui, aux termes de l'article 4 de la Déclaration, consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui, ne saurait elle-même être préservée si des restrictions arbitraires ou abusives étaient apportées à la liberté d'entreprendre ». La nécessité de l'autorisation du ministre chargé de l'agriculture pour exercer une activité par ailleurs fortement encadrée réduit de manière manifestement arbitraire et abusive l'exercice de la liberté d'entreprendre, de façon similaire à la jurisprudence constitutionnelle du 7 décembre 2000 (loi SRU no 436 DC) où il a été jugé que portait une atteinte inconstitutionnelle tant au droit de propriété qu'à la liberté d'entreprendre la décision imposant une autorisation administrative pour tout changement de destination d'un local commercial ou artisanal entraînant un changement d'activité.
En outre, les dispositions de l'article L. 752-14 précité du code rural portent au droit de propriété et, de façon corollaire, à la liberté d'entreprendre, une atteinte d'une gravité telle qu'elle en dénature le sens et la portée. En effet, la loi déférée ne prévoit pas que le ministre chargé de l'agriculture soit dans l'obligation de motiver sa décision d'autoriser ou non un organisme assureur à garantir les risques régis par la présente loi. Or, comme l'avait a contrario jugé le Conseil constitutionnel dans sa décision no 89-254 du 4 juillet 1989, les atteintes à la liberté d'entreprendre et au droit de propriété n'étaient pas avérées parce que « le ministre chargé de l'économie ne peut s'opposer à l'opération que par arrêté motivé, c'est-à-dire par une décision qui, à peine de nullité, doit exposer les raisons de droit et de fait qui lui servent de fondement ».
En l'espèce, en l'absence de motivation légalement prévue des arrêtés du ministre chargé de l'agriculture, il y a bien atteinte à la liberté d'entreprendre et au droit de propriété.
Ainsi, les obligations résultant du premier alinéa de l'article L. 752-14 du code rural sont contraires à la Constitution dans la mesure où elles portent une atteinte disproportionnée à la liberté d'entreprendre et au droit de propriété. Elles devraient à ce titre être censurées.


B. - Les dispositions de l'article 13 de la loi déférée portent à l'économie des contrats une atteinte d'une gravité telle qu'elle méconnaît manifestement la liberté découlant de l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen
Les dispositions de la loi déférée portent à l'économie des contrats légalement conclus une atteinte d'une gravité telle qu'elle méconnaît manifestement la liberté découlant de l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. En effet, l'article 13 de la loi portant amélioration de la couverture des non-salariés agricoles contre les accidents du travail et les maladies professionnelles prévoit que « les contrats d'assurance souscrits en application des articles L. 752-1 et L. 752-22 du code rural, dans leur rédaction applicable avant l'entrée en vigueur de la présente loi, sont résiliés de plein droit à compter du 1er avril 2002 ». La date de résiliation des contrats fixée par la loi déférée apparaît beaucoup trop proche dans la mesure où elle ne laisse aux entreprises concernées qu'un délai de quatre à cinq mois pour s'adapter aux nouvelles dispositions législatives.
Or, « s'il est loisible au législateur d'apporter, pour des motifs d'intérêt général, des modifications à des contrats en cours d'exécution, il ne saurait porter à l'économie des contrats légalement conclus une atteinte d'une gravité telle qu'elle méconnaisse manifestement la liberté découlant de l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen » (décision du 7 décembre 2000 no 436 DC, notamment).
Les atteintes à l'économie des contrats doivent donc respecter certaines limites et, notamment, un délai d'adaptation peut être nécessaire, comme cela a notamment été souligné dans la décision du 13 janvier 2000 (no 423 DC) relative à la loi sur les 35 heures. Un délai suffisant n'étant pas respecté dans le texte déféré, la loi porte à l'économie des contrats légalement conclus une atteinte d'une gravité telle qu'elle méconnaît manifestement la liberté découlant de l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.
A ce titre, l'article 13 du texte déféré doit être déclaré contraire à la Constitution.
Pour l'ensemble de ces motifs, et pour tout autre qu'il plairait au juge constitutionnel de soulever d'office, les auteurs de la présente saisine demandent au Conseil de déclarer non conforme à la Constitution la loi portant amélioration de la couverture des non-salariés agricoles contre les accidents du travail et les maladies professionnelles.
(Liste des signataires : voir décision no 2001-451 DC.)