3 EDF en 1998

L'actualité en 1998 a été riche, voire perturbante. En effet, si la sûreté des populations n'a jamais été mise en danger et si le nombre global d'incidents a même décru de 1997 à 1998, de nombreuses affaires ont connu des développements médiatiques et/ou techniques importants. Elles ont contribué à mettre en évidence des dysfonctionnements:

- la négligence est clairement à l'origine de l'affaire de la contamination surfacique des convois de combustibles irradiés. Parce que la contamination des convois était très faible, les techniciens (et pas seulement ceux d'EDF) ont systématiquement passé outre le respect de la réglementation sur la propreté des convois;

- l'endormissement a contribué aux problèmes rencontrés sur les enceintes de la centrale de Belleville. En effet. dès l'origine, c'est-à-dire dès la construction des deux réacteurs, il était apparu que le bétonnage des enceintes n'avait pas été réussi. Si la sûreté des populations en cas d'accident était garantie, la qualité de la construction restait, en dépit des réparations effectuées, inférieure à celle sur laquelle s'était engagée EDF

Sachant que l'état des enceintes se dégraderait au cours du temps, EDF devait être capable de mettre en œuvre une méthode de réparation efficace au plus tard lors des travaux d'entretien prévus au bout de 10 ans de fonctionnement. L'année 1998 a montré qu'EDF n'était pas prêt à quelques mois de cette échéance, et que les injonctions de la DSIN avaient été insuffisantes, ce qui a entraîné un arrêt de ces deux réacteurs pendant plusieurs mois;

- le laisser-faire est une des causes qui a conduit à la défaillance du circuit de refroidissement à l'arrêt (RRA) survenue le 12 mai 1998 à Civaux

Centrale de Civaux

En application de l'arrêté " qualité " du 10 août 1984, EDF devait vérifier les études menées par Framatome pour la conception et la réalisation du circuit RRA. Mais une insuffisance des moyens et de la politique de surveillance d'EDF dans ce domaine, ainsi que le recours à des " guides techniques de surveillance " élaborés par EDF sans prendre en compte les limites connues du code de conception et le retour d'expérience disponible, n'ont pas permis un contrôle satisfaisant ;

- l'oubli de choses très simples a été observé à au moins deux reprises au cours de l'incident de Golfech du 27 novembre 1998 qui a entraîné une contamination, heureusement peu importante, d'une dizaine de prestataires:

- Alerté à la suite du déclenchement d'une balise d'alarme mobile qui venait de déceler un niveau de radioactivité anormal, le service de radioprotection de la centrale a décidé de vérifier les informations données par la balise avant de faire évacuer la trentaine de sous-traitants qui travaillait à ce niveau du bâtiment, ce qui a retardé leur évacuation de plus d'une heure. Il eût évidemment fallu faire l'inverse.

- La contamination était due à l'emploi, sur l'un des chantiers, d'un ventilateur-filtreur local équipé d'un mauvais filtre. Après enquête, il s'avère que ce système de filtration n'avait pas fait l'objet d'un contrôle de sa bonne efficacité lors de sa mise en place.

Si, encore une fois, l'année 1998 n'a donné lieu à aucun événement grave, les problèmes de fond soulevés par ces incidents montrent qu'EDF devra poursuivre en 1999 ses efforts en matière de sûreté.

Le souci global d'une plus grande efficacité a récemment conduit EDF à décider de passer d'un management très centralisé à un management plus moderne où des responsabilités accrues sont confiées aux entités proches du terrain, c'est-à-dire, dans le cas de l'exploitation du parc nucléaire, aux sites. Cela a entraîné, ou révélé, des difficultés de coordination entre les sites et les services centraux qui ont attiré l'attention de la DSIN en 1998. En effet, sans remettre en question le choix d'EDF de confier aux sites des responsabilités accrues, encore faut-il s'assurer notamment que:

1) les responsabilités respectives soient clairement définies. Par exemple, des discussions sont en cours depuis plus d'une année entre la DSIN et EDF pour que soient précisés les rôles des sites et des services centraux dans le traitement des " indications " (présomptions de défauts détectées lors des contrôles non destructifs des circuits) ;

2) des consignes claires soient données par les services centraux aux sites. Ainsi, dans le domaine de la prévention du risque d'incendie, la rédaction des " fiches d'action incendie " a été largement déléguée au niveau local, sans que des instructions précises soient données ni que la formation des agents de conduite chargés de rédiger ces fiches soit prévue. L'expérience prouve qu'une proportion importante des fiches rédigées ne sont pas opérationnelles ;

3) chaque entité d'EDF se sente globalement responsable du respect des prescriptions de sûreté, même si leur mise en œuvre implique également d'autres entités. C'est le cas par exemple d'une modification du contrôle-commande des réacteurs de 1300 MWe, décidée au niveau national pour mieux suivre l'endommagement par fatigue de la chaudière, qui ne sera efficace que lorsque les sites auront mis en œuvre une modification complémentaire (analogue à un branchement) de leur responsabilité ;

4) le retour d'expérience permis par la standardisation du parc français fonctionne bien. Ainsi, à Fessenheim, une démonstration de sûreté sur l'acceptabilité d'un défaut a été présentée sur la base de l'hypothèse que la température du circuit concerné ne pouvait dépasser 60°C, alors que 200°C avaient été mesurés sur le même circuit au Blayais

Ces quelques exemples sont révélateurs d'un problème, complexe, d'articulation entre les services centraux et les sites que l'Autorité de sûreté continuera d'examiner en 1999.

L'Autorité de sûreté est favorable à la politique de déconcentration d'EDF, mais celle-ci doit être conduite de façon ordonnée et extrêmement rigoureuse. Les demandes de l'Autorité de sûreté ont un caractère prescriptif national, qui vient de la standardisation du parc : ni la sûreté, ni l'économie ne sortiraient renforcées d'une déconcentration insuffisamment encadrée.