PARIS, le 28 janvier 1999

L'année 1998 marquera un tournant dans le contrôle de la sûreté nucléaire en France : juste après la célébration du vingt-cinquième anniversaire de l'Autorité de sûreté, le Gouvernement a décidé, à l'issue d'une réunion des ministres intéressés, de confier désormais le contrôle des installations nucléaires à une Autorité administrative indépendante instituée par la loi, tout en renforçant le contrôle de la radioprotection et en améliorant l'expertise et l'information du public. La mise en œuvre de ces décisions de principe représentera un grand chantier, ambitieux et motivant, pour l'année 1999.

Outre ces grandes décisions, l'année 1998 a apporté son lot de péripéties et d'alarmes. Elle a été agitée aussi bien techniquement que médiatiquement, avec des épisodes marquants qui ont concerné en particulier EDF Avec le recul du temps, on peut dire que la sûreté n'a jamais été mise en défaut, et qu'il n'y a pas eu de risques immédiats pour les travailleurs ni pour la population ; cependant, des installations ou des activités ont dû être arrêtées à titre de précaution pendant plusieurs semaines ou plusieurs mois, et ce dans des proportions inhabituelles.

Le cas le plus spectaculaire a sans doute été celui du transport des combustibles irradiés : il a été révélé que, dans cette activité dont l'Autorité de sûreté assurait le contrôle depuis quelques mois, les prescriptions réglementaires concernant la propreté radiologique des convois étaient régulièrement transgressées depuis plusieurs années. Un arrêt total de ce type de transports, suivi d'un redémarrage site par site avec un contrôle amélioré de la part de l'expéditeur et une inspection systématique de l'Autorité de sûreté, a été nécessaire pour retrouver des conditions normales d'exercice de cette activité. Il est à noter que le même laisser-aller touchait les pays voisins de la France; les Autorités des pays concernés ont élaboré conjointement un rapport sur les causes des contaminations et les mesures préventives à prendre.

Ce problème a été le plus visible de ceux du secteur des transports. Il ne doit cependant pas masquer le fait que l'ensemble des transports de matières radioactives est un secteur sensible : 1998 a connu également quelques accidents routiers, quelques tamponnements ferroviaires, quelques brutalités de manutention dans les ports ou les aéroports, qui se sont révélés sans conséquence importante, mais qui doivent nous inciter à une vigilance permanente

Dans les installations d'EDF, les incidents les plus redoutés sont évidemment les incidents génériques, qui touchent l'ensemble des centrales ou l'ensemble d'un palier. De ce point de vue, la fuite importante survenue en mai sur le circuit de refroidissement à l'arrêt du réacteur Civaux 1, appartenant au dernier palier en date, le palier N4 (réacteurs de 1450 MWe), est particulièrement préoccupante : une telle fuite survenant sur un réacteur presque neuf a remis en cause la qualité de la conception de ce circuit, remise en cause encore soulignée par la découverte six mois plus tard de fissures sur une autre partie du même circuit. La conséquence en a été l'arrêt de tous les réacteurs du palier N4 pendant la deuxième moitié de l'année 1998, le redémarrage n'en étant possible que dans des conditions strictes de fonctionnement et de contrôle. J'ajouterai que l'incident de Civaux a également soulevé des questions quant à l'adéquation de la réaction d'EDF à une telle situation de crise.

D'une autre nature, mais également préoccupante, a été la question de la dégradation de l'étanchéité des enceintes de confinement des réacteurs du palier 1300 MWe. Il a en effet été constaté un vieillissement du béton de ces enceintes plus rapide que ce qui était escompté. ce qui a amené à se poser des questions sur les réacteurs dont on savait que le béton avait été réalisé de façon médiocre à l'origine : ceux de Belleville : ces réacteurs satisfaisaient-ils encore aux prescriptions de leur décret d'autorisation, et, dans la négative, pouvait-on les laisser fonctionner ainsi, même si du fait des marges prises dans ce décret on était certain qu'il n'y avait aucun risque ? L'arrêt des réacteurs en cause a été imposé pour attendre la réponse à ces questions, qui a été finalement un redémarrage assorti d'une mise en demeure, adressée à l'exploitant, d'avoir à réparer ces enceintes d'ici la fin 1999.

L'année 1998 a également confirmé, sur les sites exploités par EDF, des problèmes de propreté radiologique, déjà connus au travers de contaminations détectées hors zones contrôlées. J'ai déjà signalé le problème de la propreté des transports de combustibles irradiés, dont I'origine se trouve largement dans les conditions de chargement des convois dans les centrales. Dans le même temps se sont révélés des problèmes de contaminations ponctuelles de matériels sortant des sites, et même de contaminations vestimentaires du personnel, qui touchent un certain nombre de centrales. Il est indispensable qu'EDF mette en œuvre un " plan propreté " qui couvre l'ensemble de ces problèmes, et qui par ailleurs améliorera sur ce point les conditions de travail de ses salariés et de ses prestataires.

Toujours en ce qui concerne EDF, l'année 1998 a vu l'aboutissement des discussions techniques en vue de rénover la réglementation de l'exploitation des chaudières nucléaires, qui se sont conclues par des présentations d'un projet de texte devant les groupes d'experts compétents. Il reste en 1999 à faire entrer en vigueur ce nouveau texte, après avoir résolu les difficultés juridiques résiduelles.

L'aval du cycle du combustible nucléaire reste un sujet de préoccupations et d'études; des rapports parlementaires y ont été consacrés. L'usine COGEMA de La Hague, qui constitue le premier maillon de cet aval du cycle, a été à nouveau sous les feux de l'actualité pendant une bonne partie de l'année 1998, que ce soit à cause de ses rejets gazeux de krypton 85 ou de carbone 14, de son chantier de modification du profil et de couverture de la canalisation maritime de rejet (arrêté à la suite de la découverte d'une contamination mineure des sols), ou de son chantier de nettoyage de l'extrémité de la canalisation maritime de rejet (finalement reporté pour cause de mauvaises conditions météorologiques). Pour l'Autorité de sûreté, au-delà de tous ces sujets, ce qui est important, c'est que COGEMA n'ait pas pu en 1998 déposer un dossier satisfaisant pour la demande de modification des décrets d'autorisation de ses installations de La Hague : cela reportera en 1999 les procédures de modification de ces décrets et la modification concomitante des arrêtés d'autorisation de rejets, pour prendre en compte les diminutions de rejets déjà intervenues et imposer des progrès supplémentaires.

Le devenir des déchets de haute activité, résultant du retraitement des combustibles irradiés dans l'usine de La Hague, reste un problème posé, aucune solution définitive n'étant actuellement disponible. La loi de décembre 1991 a défini trois voies de recherche dans ce domaine. L'année 1998 marque un pas significatif en la matière, puisque le Gouvernement a décidé la création d'un laboratoire souterrain dans l'argile de la Meuse (qui devrait être suivi d'un autre laboratoire dans le granit) pour l'étude du stockage en profondeur de ces déchets -deuxième axe de la loi de 1991 - et l'engagement de recherches pour un entreposage en subsurface dans le Gard - troisième axe de la loi de 1991. Quant au premier axe, qui concerne la séparation et la transmutation des radionucléides à vie longue, les expériences nécessaires pourraient être menées, après l'arrêt de Superphénix dont le décret de mise à l'arrêt définitif a été signé à la fin de l'année, dans le réacteur à neutrons rapides Phénix, dont le redémarrage en puissance été autorisé en avril. L'arrêt de Phénix en novembre, dû à une fuite de sodium sur un échangeur intermédiaire, ne fait qu'anticiper de quelques mois l'arrêt décennal prévu en 1999 et les gros travaux, notamment de contrôle des structures et de renforcement de la tenue au séisme, qui étaient planifiés à cette occasion, sans remettre en cause le programme d'expériences nécessaire à l'application de la loi de 1991.

Le problème fondamental des déchets de haute activité ne doit pas faire oublier celui des autres déchets radioactifs. En 1998, la DSIN a poursuivi son action pour explorer et préciser les voies de gestion des autres grandes catégories de déchets actuellement sans exutoire final tels que les déchets de graphite provenant des réacteurs maintenant arrêtés de la filière UNGG, les déchets radifères, les déchets tritiés ou encore les déchets de très faible radioactivité. Concernant cette dernière catégorie, ce travail aboutira, en 1999, au dépôt d'un dossier par PANDRA et France-Déchets visant à la création d'un stockage dédié.

L'importance aux yeux du public de l'impact sur l'environnement des rejets et des déchets produits par les installations nucléaires a été soulignée en 1998 par deux épisodes médiatiques : la découverte de traces de produits de fission dans les mâchefers de l'usine d'incinération de Villejust, pour lesquels le Centre de Saclay du CEA a pu être mis hors de cause, les investigations de la justice se poursuivant sur l'Institut de physique nucléaire d'Orsay, et le rappel, à l'occasion d'une enquête publique sur l'extension d'un laboratoire du CEA, de la contamination historique en plutonium des étangs de Saclay

Au-delà de ces épisodes, les installations du CEA ont également retenu l'attention de l'Autorité de sûreté en 1998 sur des questions de fond. La DSIN a ainsi suivi étroitement l'action d'inventaire " point zéro " lancée par le CEA à la suite des incidents de 1997 concernant la gestion des matières nucléaires, et préparé l'évaluation pour 1999 par les Groupes permanents d'experts chargés des usines et des réacteurs de l'organisation du CEA en matière de qualité et de sûreté.

Tels sont quelques-uns des principaux sujets d'actualité qui ont occupé l'Autorité de sûreté en 1998. Ils ne doivent pas faire oublier pour autant des questions de fond, qui n'ont pas évolué spectaculairement durant l'année mais dont la résolution est nécessaire pour préparer l"avenir. C'est le cas du réacteur du futur EPR, développé dans un cadre franco-allemand, pour lequel l'année 1998 a été consacrée essentiellement à une optimisation économique de l'avant-projet sommaire par ses concepteurs. La poursuite de la participation de l'Autorité de sûreté allemande à l'examen des options de sûreté du réacteur EPR est remise en cause à la suite de la renonciation de l'Allemagne au nucléaire pour le futur, mais l'engagement des industriels allemands dans le projet est confirmé. L'enjeu de l'examen de la sûreté de ce futur réacteur reste important pour la France, puisque c'est selon ce modèle que devraient, le cas échéant, être remplacés les réacteurs nucléaires français quand leur fonctionnement viendra à expiration.

Un autre problème de longue haleine est celui de la sûreté nucléaire dans les pays d'Europe de l'Est, qui reste très préoccupante. A travers les diverses formules d'aide existantes, l'Autorité de sûreté française essaie de transférer dans la mesure du possible son savoir-faire à ses homologues des pays en cause. Le problème de la sûreté dans ces pays s'est posé en 1998 avec une acuité particulière du fait qu'un certain nombre d'entre eux ont posé leur candidature pour entrer dans l'Union Européenne. Les Autorités de sûreté des Etats faisant déjà partie de l'Union ont décidé de porter collectivement un jugement sur la sûreté nucléaire dans ces pays candidats, du point de vue à la fois de l'état de leur Autorité de sûreté et de la sûreté de leurs installations. Les travaux correspondants ont été l'occasion de poser les premières fondations d'une Association des Autorités de sûreté d'Europe de l'Ouest.

Enfin, l'Autorité de sûreté, sans préjuger des modifications importantes qui pourront être induites par les décisions gouvernementales évoquées au début de la présente introduction, a continué à améliorer son propre fonctionnement dans le sens d'une meilleure qualité de travail et d'une meilleure assurance de cette qualité : c'est ainsi que des responsabilités élargies ont été confiées aux DIN dans le contrôle des laboratoires et usines, que le processus rigoureux de qualification des inspecteurs a été poursuivi et développé, que la révision et la formalisation des principales procédures de fonctionnement interne ont été entreprises, et que les bases ont été jetées pour la construction d'un système d'information partagée commun à toute l'Autorité de sûreté.

je ne voudrais pas terminer cette introduction sans rendre hommage au travail quotidien de tous les membres de l'Autorité de sûreté. I'année a été particulièrement riche en événements qui ont demandé la mobilisation de tous pour des actions et réactions rapides. A travers la DSIN, le BCCN et les DIN des DRIRE, j'ai toujours senti une grande capacité de mobilisation et un enthousiasme intact. Nous avons réuni tous ces enthousiasmes pour la célébration commune du vingt-cinquième anniversaire de l'Autorité de sûreté. Que ceci constitue également un point de départ pour la construction d'une Autorité de sûreté renouvelée!



André-Claude Lacoste

Directeur de la sûreté des installations nucléaires