(Last updated : Sun, 18 May 1997)
[ industrie | cgm | 1997-98 |

RAPPORT SUR L'ACTIVITÉ
DU CONSEIL GÉNÉRAL DES MINES
EN 1997-98

J.M. YOLIN

Mission sur les sociétés de conversion

____________

La restructuration des industries de défense a conduit le gouvernement à s’interroger sur l’efficacité des outils et des méthodes élaborées dans les décennies passées pour faire face aux crises sidérurgiques et minières.

Il a chargé le Conseil Général des Mines et l’Inspection Générale des Finances, fin 1996, d’évaluer les actions passées et de proposer les évolutions souhaitables.

La mission a audité les 6 principales sociétés de conversion, elle a rencontré les élus, les responsables administratifs, les banques et les investisseurs tant au niveau national que dans les régions les plus significatives. Elle a visité plus de 50 entreprises.

Il en ressort que les sociétés de conversion sont bien gérées sur le plan comptable, mais que si certaines ont développé de réelles compétences, le système souffrait de nombreuses inadaptations structurelles dues à la confusion entre la restructuration d’une entreprise et la reconversion d’une région.

Certes l’organisation actuelle offre apparemment de nombreux avantages : facilité budgétaires de mise en place (il est plus facile de faire une dotation en capital de 500 MF que de financer une action de 10 MF par an), rapidité de mise en oeuvre (il n’est pas nécessaire comme pour un contrat de préciser les objectifs), économie (on utilise les cadres des entreprises à reconvertir), ancrage local.

En fait, l’analyse des résultats sur le terrain met en évidence un nombre considérable d’effets pervers, qui se traduisent in fine par des surcoûts très notables pour le budget de l’État.

* l’absence d’objectifs clairs au départ rend les sociétés de conversion incontrôlables en dehors de l’aspect comptable :

- l’objectif général «créer des emplois» conduit à les «acheter»en mettant l’argent du contribuable là où il n’est pas nécessaire,

- l’objectif «comprimer les frais de gestion» amène à réduire la seule véritable valeur ajoutée (prospection, montage et expertises des projets) et se traduit par un fonctionnement de type «guichet»,

- l’objectif «financez vos frais de gestion sur votre trésorerie» conduit à la dépense maximum (l’Etat prélève des impôts... Pour les placer en SICAV court terme afin de financer des frais de fonctionnement !) en immobilisant une trésorerie pléthorique,

- l’objectif «investissez en fonds propres» et «augmentez la liquidité de vos placements» conduit à des apports en capital fictifs à des filiales de grands groupes ;

* l’absence de pouvoir réel de l’État : la tutelle peut changer de président dans les cas extrêmes ou intervenir sur les détails, mais elle n’a pas le pouvoir du client qui, lui, dispose de la capacité de changer de fournisseurs ;

* les cadres sont gratuits mais peu aptes au métier de développeur de projet en PMI (une société était même surnommée «le mouroir») ;

* on ne sait pas arrêter car pour cela il faut un acte positif, toujours mal ressenti ;

* l’«effet de levier», souvent affiché, conduit parfois à ce qu’une dépense publique en entraîne une autre en comptant deux fois (voire trois) le même emploi (dans la Loire par exemple) ;

* le blocage culturel sur les emplois industriels conduit à ignorer que l’essentiel des emplois sont créés par le tertiaire et que c’est autant lui qui induit l’activité industrielle que l’inverse (informatique, VPC, back-office des banques et assurances, R&D, ...) ;

* enfin l’action de ces sociétés inhibe le développement des structures de financement (notamment des investisseurs en fonds propres) locaux, au lieu de les conforter.

Quant aux pouvoirs publics, victimes eux aussi de l’approche par secteur industriel d’un problème, lié en fait à l’aménagement du territoire, ils manquent d’une capacité d’approche globale qui seule permet d’accumuler l’expérience, d’évaluer les actions, de

faire évoluer en conséquence les outils d’intervention, de redéployer les moyens lorsque cela est nécessaire. Aujourd’hui la tutelle technique est éclatée entre la DIGEC, la DARPMI et la Défense. Au niveau des finances la même logique conduit à un éclatement entre quatre bureaux du trésor et un suivi quasi inexistant au Budget : à Saint-Étienne trois sociétés de reconversion dépendant de trois tutelles différentes opèrent simultanément.

L’analyse des opérations de conversion a montré que celles-ci devaient faire appel à sept métiers différents : la prospection à l’étranger, l’accueil d’usines nouvelles, la prospection de «projets dormants» régionaux suivis de l’aide au montage et l’expertise de ceux-ci, la gestion des aides publiques, le financement (prêts et fonds propres), la reconversion du personnel, les études stratégiques et l’évaluation des résultats.

Ces sept missions diffèrent profondément par les compétences exigées, les clients, la durée, les critères d’évaluation (et certaines sont déontologiquement incompatibles) : le mélange des métiers, associé à une absence d’objectifs faisant l’objet d’un minimum de consensus entre pouvoirs État et acteurs locaux, explique bien des déconvenues.

A partir de l’analyse de ces dysfonctionnements ainsi que des réussites qui ont pu être constatées sur le terrain la mission a fait un certain nombre de propositions :

- pour la prospection à l’étranger, renforcer l’action de la DATAR en mettant à sa disposition des cadres seniors, et arrêter de la doublonner par les sociétés de conversion, ce qui nous ridiculise au prix fort. Interdire l’intervention financière de ces sociétés sur ce type de projets : l’«achat» des emplois par un prêt sans garanties à 5 % représente un équivalent-subvention quasi nul pour Mercédès mais un coût très lourd pour le budget de l’Etat.

- supprimer les aides de l’Etat (FIL et FIBM) dont la gestion apparaît très critiquable (absence d’instruction des dossiers, surenchères entre régions, manque de règles d’emploi...). Diligenter une enquête sur l’emploi de ces fonds pour l’immobilier d’entreprises dans le Nord-Pas-de-Calais.

- redéfinir la mission et les règles d’emploi des sociétés de reconversion : le développement des PMI régionales nécessite :

1 - la prospection des projets potentiels, le conseil aux chefs d’entreprises pour leur mise en forme, l’expertise technique, commerciale, financière pour en évaluer la viabilité ;

2 - le financement du risque ;

3 - éventuellement une subvention pour en augmenter la rentabilité ;

4 - la trésorerie nécessaire (en fonds propres comme en prêts).

Seuls les trois premiers justifient un financement public exprimant la solidarité nationale : celui-ci doit permettre la concrétisation de projets plus modestes, moins avancés, et plus risqués qu’ailleurs. L’intervention des pouvoirs publics via les sociétés de conversion sur la 4ème est à la fois très onéreux et contre-productif.

Aussi la mission propose :

1 - De cibler l’action des sociétés de conversion sur le premier objectif : choisies après appel à la concurrence, pour une durée déterminée, elles devront être rémunérées comme des consultants avec intéressement aux résultats. Le tertiaire devra être une cible privilégiée. Elles ne bénéficieront bien entendu plus de dotation en capital, ce qui évitera aux pouvoirs publics d’en être les clients captifs.

2 - D’assurer le financement du risque par un fonds de garantie national (capacité de redéploiement) compartimenté (nécessité d’affichage) créé auprès de la Sofaris (nécessité d’un back office professionnel). Ce fonds devant être mobilisé par la société de conversion après avis d’un comité d’engagement présidé par le Préfet.

4 - Conforter dans leur rôle de financeurs les banques et les investisseurs, qui bénéficieront de l’apport de projets préalablement expertisés, dont les risques sont largement couverts, et la rentabilité améliorée par des subventions ou un cofinancement CEPME. Un renforcement des investisseurs régionaux, en étroite coopération avec la Caisse des Dépôts pourrait être utilement envisagé.

- l’Etat devra organiser son administration de façon à être capable de conduire efficacement son action dans ce domaine.

Bien entendu les modalités transitoires devront être étudiées pour les sociétés de conversion actuelles en prenant en comptes des facteurs qui ne sauraient être uniquement techniques ou économiques.