| SYNTHÈSE |
1 - Les télécommunications : un secteur majeur pour la France
La France a su conquérir, dans le domaine des télécommunications, une place très nettement supérieure à son poids économique mondial. Cette position exceptionnelle s'est organisée autour d'un opérateur monopolistique fort, menant une politique industrielle et de recherche avancée. Cette politique a permis le développement en France d'un tissu industriel particulièrement performant, tant sur le marché national qu'à l'exportation. 200 milliards de francs de chiffre d'affaires au total (équipements et services de télécommunications), dont 16 milliards de francs d'exportations de matériels en 1995, 230 000 salariés, ces quelques chiffres permettent d'apprécier les enjeux de ce secteur stratégique pour la France.
Le graphique ci-dessous présente les poids relatifs dans le domaine des télécommunications de huit pays de l'OCDE qui sont les acteurs majeurs du secteur (ils regroupent les dix premiers opérateurs et équipementiers mondiaux). Ainsi, le chiffre d'affaires d'Alcatel Sel en Allemagne est compris dans le pourcentage afférent à la France alors que l'activité de Barphone, filiale de Lucent Technologies, en France est comprise dans le pourcentage afférent aux Etats-Unis.
On peut y constater que le poids des entreprises françaises de télécommunications (18,4 %) est très substantiellement supérieur au poids économique de la France parmi ces huit pays, mesuré par sa part dans le PIB (7,7 %).
Le graphique suivant rapporte la part de chaque pays dans le secteur des télécommunications à sa contribution au PIB des huit pays considérés : la France se classe en troisième position derrière la Suède (dont le cas doit être relativisé du fait du poids d'Ericsson dans l'économie suédoise) et le Canada, le poids de la France dans le secteur des télécommunications étant supérieur d'un facteur 2,4 à son poids économique, alors que celui de la Suède est plus de sept fois supérieur à son poids économique et celui du Canada près de trois fois.
2 - La clé du succès : l'innovation et la R&D
Le graphique ci-dessous présente la répartition des dépenses en R&D des industriels et des opérateurs dans les huit pays considérés. On y constate un effort très important de la France, qui réalise à elle seule 10,5 % de la R&D en télécommunications de ces huit pays, alors que son PIB ne représente que 7,7 % du PIB total.
Le rapprochement des deux présents graphiques avec celui figurant à la fin du premier paragraphe montre qu'il y a une corrélation forte entre les efforts de R&D en télécommunications consentis par un Etat et la place de ses industriels dans le paysage mondial des télécommunications : si l'on excepte le Japon, le peloton de tête des quatre pays qui font le plus de R&D en télécommunications, que celle-ci soit rapportée au PIB, au CA Télécom national ou à la R&D nationale, se compose toujours de la Suède, du Canada, de la France et de l'Allemagne. Ces quatre pays sont aussi les quatre premiers pour leur part industrielle dans le secteur des télécommunications, rapportée à leur contribution au PIB des huit pays considérés.
L'exemple de la Suède, dont le poids dans le secteur des télécommunications est plus de sept fois supérieur à son poids économique pour un effort de R&D 2,3 fois supérieur est à cet égard particulièrement éloquent. Ceux du Royaume-Uni et de l'Italie le sont également, en sens inverse. La position, à première vue surprenante, du Japon, qui réalise énormément de R&D en télécommunications s'explique par le fait que les efforts de rattrapage consentis en R&D ces dernières années par les opérateurs NTT et KDD ne porteront leurs fruits qu'avec un décalage dans le temps en terme de chiffre d'affaires des équipementiers.
Sur le long terme, cela signifie que si les efforts consentis par un Etat en R&D ne sont pas poursuivis, permettant l'innovation indispensable pour demeurer dans la course technologique, le risque est grand de perdre rapidement ses parts de marché et de régresser dans la compétition internationale.
r la scène internationale. La France, avec les acteurs de premier rang dont elle dispose, peut prétendre compter demain parmi le petit nombre de pays maîtrisant les technologies des télécommunications.
3 - Tous les Etats industrialisés soutiennent la R&D en télécommunications
La plupart des Etats industrialisés considèrent le secteur des télécommunications comme fondamental pour leur économie et reconnaissent l'importance majeure de la recherche dans son développement. Le tableau ci-après présente les diverses mesures, directes et indirectes, prises en 1995 par les pouvoirs publics des principaux pays de l'OCDE, afin de soutenir les efforts de R&D dans leur pays.
On constate que ces aides peuvent prendre des formes variées mais que l'intervention des Etats est généralisée. Face à une baisse des financements directs, les pouvoirs publics ont orienté leur intervention vers une forme plus adaptée à leurs finances publiques, à savoir l'aide à la structuration de la coopération entre acteurs, en utilisant en particulier le levier des obligations de recherche au titre des licences, neutre économiquement, car supporté équitablement par l'ensemble des acteurs.
4 - Un secteur en pleine évolution
Les schémas ci-après montrent les places diverses qu'occupaient au début de la décennie 90 et qu'occuperont sans doute à la fin du siècle, les laboratoires de R&D chez les acteurs (opérateurs et équipementiers) du secteur dans quelques pays caractéristiques de l'OCDE. On constate que l'intégration verticale est de moins en moins de mise (il reste les exemples de BCE et GTE en Amérique du Nord) et que la dynamique globale fait passer bon nombre de laboratoires des opérateurs aux équipementiers.
La structuration de la recherche et développement dans le secteur des télécommunications a en effet connu de fortes évolutions au cours des dernières années dans les principaux pays de l'OCDE, tant en ce qui concerne sa nature que sa répartition entre opérateurs et équipementiers.
Le diagramme ci-dessous compare l'évolution des dépenses de R&D des opérateurs (ronds) et équipementiers (carrés) publics de télécommunications entre 1990 et 1995 en Europe (en bleu), en Amérique du Nord (en jaune) et au Japon (en rouge). On constate que les efforts de R&D des équipementiers sont incontestablement plus importants, en pourcentage du chiffre d'affaires, que ceux des opérateurs et que globalement entre 1990 et 1995 la très grande majorité des acteurs a vu leur R&D croître, parfois de manière très spectaculaire (Ericsson a quadruplé son effort de R&D de 1990 à 1995).
Ce diagramme permet également de souligner les évolutions suivantes :
- en Amérique du Nord : la décroissance de la R&D des opérateurs a été relayée par les industriels et notamment ceux travaillant dans les domaines porteurs des mobiles (Motorola) ou des réseaux (Cisco Systems, 3 COM...) ;
- au Japon : la stagnation de la R&D des opérateurs et la décroissance de celle des quatre principaux représentants de la NTT Family ont conduit à une implication récente des pouvoirs publics ;
- en Europe : on observe la croissance importante de la recherche de Deutsche Telekom, partant d'un niveau très bas, et la situation dramatique de la R&D au Royaume-Uni.
5 - Le modèle français : les acteurs de la recherche en télécommunications
Les forces françaises de recherche en télécommunications sont composées :
- du CNET qui réalise une grande part de la recherche française (en optoélectronique, micro- électronique, propagation, systèmes optiques...) ;
- d'un ensemble de compétences diffuses, disponibles au sein des laboratoires traitant déjà de sujets de télécommunications (l'INRIA, certaines écoles et universités) et de certains laboratoires du CNRS. Le CNRS dispose en outre de nombreux experts sur des disciplines de base intéressant le domaine des télécommunications. La direction du CNRS évalue leur nombre à 2000. Le CNET contribue à développer ces laboratoires et ces compétences grâce à la procédure des Consultations Thématiques Informelles (CTI) ;
- des laboratoires de recherche d'entreprises (Thomson, Alcatel...) plus particulièrement orientés vers la recherche appliquée.
La répartition géographique des forces françaises se concentre sur quatre sites. Outre la région parisienne et le pôle grenoblois de micro-électronique, deux pôles régionaux majeurs se sont développés dans le domaine des télécommunications. Ils procèdent chacun d'une démarche pratiquement inverse :
- le pôle de télécommunications breton s'est développé autour des organismes de recherche publique (CNET, CCETT, IRISA et CELAR...) et des entités d'enseignement supérieur (Télécom Bretagne, Supélec...).
- la technopole de Sophia Antipolis s'est construite par les implantations successives de sociétés internationales, principalement actives dans le domaine des réseaux d'entreprises ; les entités de recherche et d'enseignement supérieur s'y implantent peu à peu.
6 - Le modèle français doit s'adapter
La France doit pouvoir capitaliser sur son acquis industriel exceptionnel dans le domaine des télécommunications, quelle que soit l'évolution concurrentielle des opérateurs en France. Aucun signe ne laisse présager que le niveau d'innovation dans les télécommunications va aller en décroissant dans les années à venir.
a) La recherche amont
L'accès des industriels et des opérateurs à une ou plusieurs sources de recherche fondamentale reste une condition indispensable de leur compétitivité future.
Une force évidente du CNET réside dans sa capacité d'interaction entre l'amont et l'aval : anticiper les ruptures, orienter les recherches fondamentales, préparer les futurs marchés. Il va de soi que les activités amont du CNET devront désormais s'intégrer dans ses autres missions, coopératives avec d'autres opérateurs et industriels ou totalement privatives pour France Télécom.
Mais le CNET, dépendant dorénavant d'un opérateur soumis à la concurrence, ne va plus effectuer une partie des tâches de recherche publique amont qui lui étaient dévolues. Ce vide doit être comblé, car il en va de la compétitivité des acteurs économiques français des télécommunications et du développement de la société de l'information. Le CNET et France Télécom ont mené depuis plusieurs années une politique d'irrigation du monde de la recherche académique française (CNRS, écoles, universités...) qui a porté ses fruits et permis la création ou le développement d'équipes performantes, dont il convient d'assurer la pérennité. Nous pensons donc qu'il faut renforcer de façon coordonnée les équipes existantes, en les incitant à accroître leurs efforts dans l'ensemble des secteurs des télécommunications.
Une telle restructuration de la recherche-développement en France dans le secteur des télécommunications, fondée sur le renforcement et l'action coordonnée, devra être conduite à un rythme raisonnable pour assurer son succès. Des mesures claires devront cependant être rapidement adoptées dans la période transitoire, afin de conserver et de développer le potentiel humain de recherche amont et de normalisation.
b) La recherche appliquée
La recherche appliquée en télécommunications était jusqu'à présent organisée autour des actions de transfert menées principalement par le CNET vers les services opérationnels de France Télécom et les industriels. Il est nécessaire de poursuivre l'incitation aux coopérations entre acteurs économiques et laboratoires dans le domaine de la recherche industrielle, et de favoriser le lancement de grands projets, aux enjeux importants pour la société française, à fort contenu technologique en matière de télécommunications.
7 - Propositions
· créer un réseau de centres d'excellence : le réseau national de recherche en télécommunications
Il est proposé de fédérer les différents pôles de compétences de la recherche fondamentale française au sein d'un réseau national de recherche en télécommunications. La mise en réseau de ces centres d'excellence, auquel devrait s'intégrer la partie "amont" du CNET, permettrait de mobiliser toutes les énergies au service de quelques priorités nationales clairement définies.
· définir les priorités de la recherche publique nationale au sein d'un Comité d'orientation
Le programme de recherche du réseau national de recherche en télécommunications devra être défini de façon pragmatique par un Comité d'orientation regroupant l'ensemble des acteurs économiques du secteur autour des ministères chargés des télécommunications et de la recherche, afin d'éviter les duplications d'efforts et d'assurer l'adéquation des recherches au marché.
· mettre en oeuvre des mesures incitatives de financement
Pour être efficace, la réorientation des axes de recherche des laboratoires du réseau national de recherche en télécommunications devra être accompagnée par des mesures incitatives de financement. Par ailleurs, il faudra accroître la charge de travail, dans un domaine où les investissements matériels sont importants. Les projets du réseau seront financés par des apports directs de l'Etat (personnels, investissements), par les obligations de recherche des opérateurs (dont le comité d'orientation aura en charge l'examen par délégation du Ministre chargé des télécommunications), et par un abondement de crédits des ministères chargés des télécommunications et de la recherche.
· structurer le CNET à l'image des grands laboratoires mondiaux du domaine
Le CNET sera confirmé dans son rôle de grand centre de recherche au service de l'opérateur. Une partie des études du CNET restera réservée à l'usage exclusif de France Télécom, une deuxième partie sera conduite en coopération avec des partenaires (autres opérateurs, utilisateurs ou équipementiers), et une dernière partie sera ouverte sur le monde de la recherche scientifique.
Le maintien des activités des centres de Meylan et de Bagneux dans le domaine des composants présente un double intérêt : un intérêt général, au plan national, et un intérêt propre à l'opérateur, pour lequel les composants restent stratégiques. Ces activités de recherche doivent cependant être couplées fortement à une activité de production, afin d'assurer le transfert des technologies dans les produits.
· poursuivre et renforcer le programme européen ACTS
Le renforcement des actions communautaires de recherche et développement est un complément indispensable aux interventions nationales, pour favoriser les économies d'échelle et faciliter l'adhésion des industriels et des organismes de recherche à la réalisation de projets avec des moyens financiers partagés. Ce type de démarche peut grandement contribuer à l'élaboration de standards communs, voire de normes.
· promouvoir des grands projets à forts enjeux de société
Certains projets de R&D à forts enjeux de société ne pourront être financés totalement par les acteurs économiques privés du fait de la faiblesse du marché ou de l'absence de ressources identifiées. C'est le cas de la santé, de l'éducation ou de l'aménagement du territoire. Or ces grands projets impliquent des développements technologiques majeurs. Il appartient à l'Etat de les promouvoir par les moyens appropriés.
· favoriser les partenariats entre opérateurs, équipementiers et recherche publique au travers de projets cofinancés
Durant la période de restructuration du secteur, il nous semble opportun de mettre en place une procédure permettant au ministère chargé de la recherche, pour les aspects de recherche amont, et au ministère chargé des télécommunications, pour les aspects de recherche appliquée, d'aider financièrement des projets coopératifs qui seraient présentés par les acteurs du secteur.
8 - Gérer la transition
Cette transition devra être conduite dans la plus grande transparence afin de dissiper les sentiments d'incertitude et d'inquiétude qui en sont inévitablement la conséquence. Il sera notamment nécessaire de prévoir :
- l'organisation rapide de la définition des priorités nationales de recherche en télécommunications,
- la mise en place d'un cadre clair de travail pour les chercheurs du CNET et la possibilité pour les laboratoires du réseau national de recherche de s'attacher les services de chercheurs du CNET, dans des conditions de mobilité à définir par France Télécom et les pouvoirs publics,
- le maintien, à titre provisoire, de la participation de personnels du CNET ou de France Télécom comme représentants de l'Etat au sein de certaines instances internationales de normalisation,
- la poursuite et l'extension de la procédure des CTI menée par France Télécom : maintenue pendant une période transitoire, estimée à 5 ans, elle permettra de renforcer le réseau national de recherche en télécommunications.
- le développement du rôle et des compétences en recherche appliquée de l'INRIA et des écoles : l'institut et les écoles devront se renforcer dans ce domaine en mettant en place une politique de recherche de partenariats avec les acteurs industriels du secteur.