FORUM
Développer le commerce électronique : dans quelles conditions ?
7 janvier 1998- 20 février 1998
Develop electronic commerce : in what conditions ?
7 January 1998 - 20 February 1998
Den elektronischen Handel entwickeln : unter welchen Bedingungen ?
7. Januar 1998 - 20. Februar 1998
 


  Synthèse globale de l'ensemble des interventions (du 7 janvier au 20 février 1998)

Compte-rendu d'une expérience

Il n'est pas évident de la part d'une administration de se soumettre aux règles d'un forum ouvert, non filtré, sur des sujets qui n'ont rien de théorique puisqu'il s'agissait de préparer les mesures concrètes que le ministre annoncera pendant le mois de mars. Ces six semaines nous ont prouvé que nous avions eu raison d'oser.

Nous avons reçu 115 interventions provenant de 98 auteurs, personnes privées ou représentants d'entreprises et d'associations. 6 interventions nous venaient des États-Unis, deux de Belgique, le reste de France. Alors que le forum était trilingue, nous n'avons reçu que deux interventions en Anglais et aucune en Allemand.

Nous remercions l'ensemble des participants de la qualité de leurs contributions, qui nous ont beaucoup apporté et ont permis d'alimenter un débat très dense. N'ayant pas installé de filtre en amont de la publication des interventions, nous n'avons eu à supprimer aucune intervention fantaisiste ou insultante, ce qui nous parait révélateur de la qualité du débat qui s'installe en France.

Nous remercions également (en espérant n'en avoir oubliée aucune) les associations et organisations professionnelles qui se sont exprimées en tant que telles sur le forum :

  • Association des Directeurs Commerciaux de France
  • Association des Villes Numériques (AVN)
  • Association Française de la Télématique Multimédias AFTEL)
  • Carte Bleue
  • Chambre de Commerce de Nantes-St Nazaire
  • Club des Artisans, Petites et Moyennes Entreprises Informatisées de la Gironde (CAPME.IG)
  • Comité IALTA
  • Comité National Français de la Chambre de Commerce Internationale
  • Congrès des Notaires
  • Development of Electronic Commerce using LILLE Innovation Center (DECLIC)
  • EDI Agro
  • Edifrance
  • Fédération des Industries Electriques, Electroniques et de Communication (FIEEC)
  • GOTA
  • Groupement des Cartes Bancaires
  • Internet Pour la France (IPF)
  • Kalimedia
  • Observatoire des Usages de l'Internet (OUI)
  • URSSAF de la Gironde

Cette première expérience (qui n'est pas unique : le Plan gouvernemental sur la société de l'information est également ouvert à la discussion sur le site du Premier Ministre, http://www.premier-ministre.gouv.fr/) nous a également beaucoup appris sur le fonctionnement d'un forum :

  • Certains auront constaté que le format de restitution des interventions (sauts de paragraphes notamment) s'était amélioré la dernière semaine. La facilité de lecture nécessitera à l'avenir d'offrir plus de possibilités de mise en page aux auteurs (transmission de fichiers html, liens html actifs...)
  • Un forum doit être annoncé et promu sans cesse. Les annonces initiales dans divers forums et listes de discussion ont donné de bons résultats, mais le rythme des contributions a baissé avant que nous ne faisions part urbi et orbi de l'existence de synthèses et de premières réponses de la part de Francis Lorentz, ce qui a relancé le débat.
  • Les synthèses et les réponses hebdomadaires semblent avoir été unanimement appréciées. Un forum n'est pas une simple boîte aux lettres dans laquelle les citoyens déposent des contributions sans pouvoir être assurés qu'elles seront lues. Il est de la responsabilité du promoteur du forum d'intervenir régulièrement et de s'engager dans le débat. Au delà, il semble également nécessaire de faciliter le débat entre les participants en introduisant la possibilité pour tous de répondre à une intervention particulière et de suivre le fil des réponses successives à une contribution.

Nous ferons mieux la prochaine fois. Mais nous avons, modestement, le sentiment d'avoir contribué à explorer des formes nouvelles du débat public – avec l'espoir que cette expérience en préfigure d'autres.

 

Le commerce électronique en France : une dynamique qui ne demande qu'à se renforcer

Si tout le monde n'est pas d'accord sur le niveau du "retard français" sur l'Internet et le commerce électronique, il existe un consensus sur les conséquences qu'aurait, à terme, un tel retard. Outre une marginalisation de la France dans les activités liées aux technologies de communication, un trop grand attentisme pénaliserait l'ensemble des entreprises françaises, à commencer bien sûr par les entreprises commerciales. Moins productives, moins efficaces dans leur relation avec leurs clients, nos entreprises se trouveraient également écartées de nouveaux courants d'échange et d'un certain nombre de marchés qui s'électronisent rapidement. Les conséquences en termes de balance commerciale et d'emploi, invisibles à court terme, finiraient par se faire sentir.

Mais ce qui frappe dans beaucoup interventions (comme dans la multitude d'entretiens et d'auditions qu'a conduit la Mission Lorentz depuis le début de ses travaux en octobre 1997), c'est qu'il existe aujourd'hui, en France, un potentiel et un dynamisme qui ne demandent qu'à s'exprimer. Le savoir-faire, en matière de technologie comme de services, existe et se matérialise dans une multitude d'initiatives, de nouvelles entreprises, d'innovations. La mobilisation est forte dans beaucoup d'entreprises, d'associations professionnelles, de collectivités territoriales. Même nos handicaps peuvent se révéler des atouts. Un intervenant soulignait par exemple que la croissance américaine est aujourd'hui freinée par une pénurie de main d'œuvre qualifiée, tandis que la France dispose, malheureusement, d'une force de travail qualifiée disponible sur le marché du travail. Un autre rappelait que la combinaison Internet - Euro - An 2000 fournit aux entreprises une occasion rêvée de moderniser en une fois leurs outils informatiques souvent obsolètes.

Du potentiel au réel, il y a tout de même quelques pas. Ce dynamisme bien réel coexiste avec une inertie non moins réelle de nombreux acteurs (pas seulement publics). L'offre française de technologies et de services peine à rencontrer une demande susceptible de la faire vivre : le marché intérieur est insuffisant et croît encore trop lentement, et les marchés mondiaux semblent trop souvent hors de portée de nos entrepreneurs.

Tout concourt à dire que la France a besoin d'un "coup de pouce" pour, enfin, prendre toute sa place dans le commerce électronique.

A la recherche d'un catalyseur

Les interventions ont montré l'existence d'un vif débat entre, d'une part, ceux qui pensent que la France est empêchée de s'engager dans le commerce électronique par un carcan réglementaire et l'insuffisance de la demande, et d'autre part, ceux qui estiment que la plupart des conditions du décollage sont réunies et qu'il ne s'agit que d'une question de volonté et de courage. Sur le forum, la discussion a clairement tourné à l'avantage des seconds – ce qui ne signifie pas que les premiers aient tout à fait tort.

La priorité semble donc être à la mobilisation des énergies en faveur d'actions d'information et de sensibilisation. Il s'agit, notamment en direction des entrepreneurs et des PME, de vaincre les craintes, de montrer les enjeux, d'apporter des réponses pratiques à des questions concrètes, de fournir des exemples.

Ces actions peuvent être en partie impulsées par l'État, mais elles doivent être menées au plus près du terrain. Sur le forum, nous avons recueilli des exemples et des propositions venant d'associations, de collectivités territoriales, d'établissements de formation, d'organismes consulaires, d'organismes sociaux ou encore du réseau, très proche des petites entreprises, des centres de gestion agréés. Il y a là un formidable potentiel à exploiter. A l'inverse, quelques exemples venus des régions montrent qu'en l'absence d'une telle mobilisation du tissu local, les volontés entrepreneuriales ont du mal à émerger : il en va donc de la responsabilité de ceux qui représentent les citoyens, les consommateurs, les professionnels, de se mobiliser.

Nous avons bien entendu cet appel. Plusieurs des propositions que nous formulerons à l'issue de ce débat viseront à impulser et soutenir cette mobilisation.

Il reste que dans certains domaines, les conditions de développement du marché français ne sont pas aussi favorables qu'elles le devraient.

La faiblesse de la population des internautes est très souvent évoquée. La proposition bien connue visant à baisser la TVA sur les terminaux Internet est formulée par plusieurs intervenants. On sait qu'une telle décision nécessite l'aval de nos partenaires de l'Union européenne : mais un intervenant souligne que tous les pays européens pourraient trouver avantage à adopter la même mesure.

Le coût jugé excessif des communications Internet en France est aussi montré du doigt pour expliquer la réticence des particuliers à se connecter. Pourtant, diverses études semblent montrer que les communications locales coûtent moins cher en France que dans la plupart des pays développés, en dehors des États-Unis (par contre, les liaisons spécialisées qu'utilisent les entreprises et les fournisseurs d'accès pour se connecter sont beaucoup trop chères en France. Dans la plupart des États américains, les communications locales sont inclues dans le forfait d'abonnement. Comme le soulignent certains intervenants à propos des accès à l'Internet par le câble, c'est sans doute dans la forfaitisation des accès que réside la vraie révolution des usages de l'Internet. Il y a là une piste encore trop peu explorée en France.

La qualité du réseau Internet lui-même est souvent jugée insuffisante et susceptible de dissuader un consommateur "normal" d'utiliser le réseau pour s'informer sur des produits et effectuer ses achats. Il y a là un enjeu à ne pas négliger (une mission dans ce sens a d'ailleurs été confiée par le Premier ministre à M. Jean-François Abramatic), tout en gardant à l'esprit que l'État n'est plus directement responsable des infrastructures de télécommunications.

Le développement du commerce nécessite la mise en place d'un "environnement de confiance" permettant aux acheteurs et aux vendeurs de contracter d'une manière simple et sûre. Cet environnement se met rapidement en place au niveau du paiement. Il paraît aujourd'hui moins solidement établi dans d'autres domaines, qu'il s'agisse de la sécurisation des échanges ou de l'information et la protection des consommateurs : nous reviendrons sur ces deux points.

L'environnement réglementaire, notamment au niveau fiscal, semble encore opaque ou incertain à de nombreux intervenants. Certains dénoncent, exemples à l'appui, le manque de neutralité de la taxation (notamment de la TVA) vis à vis de certaines activités en ligne. D'autres, plus nombreux et (comme la quasi-totalité de la population) moins experts du sujets, expriment tout simplement leur difficulté à trouver des réponses claires à leurs questions dans le domaine, surtout lorsqu'ils travaillent à l'exportation.

Du concret !

Il se publie beaucoup de rapports sur l'Internet. Des décisions sont annoncées, des lois sont même votées. Mais force est de constater que les choses changent lentement du côté de l'administration.

Beaucoup d'interventions expriment avec vigueur l'attente d'actions concrètes de la part des pouvoirs publics.

Certains s'étonnent tout d'abord, à juste titre, que les articles relatifs à la cryptographie dans la loi du 1er juillet 1996 n'aient toujours par reçu leurs décrets d'application. Cette attente engendre une incertitude chez les développeurs de produits de sécurité et un attentisme chez beaucoup d'entreprises, qui ne savent pas dans quel environnement réglementaire elles travailleront demain.

L'Etat a également la responsabilité de rendre intelligibles les règles qu'il a lui-même édicté. Les interventions sur le forum montrent une demande forte dans trois domaines :

  • La cryptographie : il demeure trop difficile aux citoyens et aux acteurs économiques de comprendre quels usages sont libres et lesquels sont contrôlés ou exigent un dépôt de clés, quels logiciels sont agréés, quels sont les critères et procédures d'agrément....
  • La fiscalité : il ne suffit pas de dire (même si c'est important) que la plupart des principes fiscaux français s'appliquent sans difficulté au commerce électronique et qu'il n'y a pas d'incertitude juridique dans ce domaine. Encore faut-il que l'administration fiscale explique de manière claire et pratique, en direction des chefs d'entreprise, des experts comptables et des agents des impôts eux-mêmes, la façon dont les principes existants doivent s'appliquer à ces activités nouvelles. Trop d'intervenants font en effet état de leur grande confusion dès qu'il s'agit, par exemple, d'exporter des logiciels livrés en ligne.
  • Les procédures d'aide : les aides existantes et les nouveaux dispositifs annoncés suscitent une attente importante de la part des entreprises. Elles demandent à être rapidement informées de la manière d'accéder à l'ensemble des dispositifs. Les PME en particulier, qui (sauf exception) ne disposent ni du temps, ni du tissu relationnel pour s'y retrouver dans le maquis des dispositifs d'aide, expriment souvent le sentiment que ceux-ci ne profitent qu'aux grandes entreprises et à certains spécialistes de la subvention.

Enfin, il va de soi que l'État doit s'appliquer à lui-même ce qu'il recommande aux acteurs économiques. Les réflexions engagées depuis des années sur la dématérialisation des procédures et des achats publics doivent désormais entrer rapidement en application. Outre les économies que cela procurera aux entreprises (et aux administrations), il a plusieurs fois été souligné sur le forum que le développement des échanges électroniques entre les administrations (ainsi que les organismes sociaux) et les entreprises aura un effet d'entraînement majeur sur le développement des échanges entre les entreprises.

Plutôt que d'attendre en vain un vaste "schéma directeur", il est possible de se focaliser au départ sur quelques échanges qui représentent des flux (et donc des bénéfices potentiels) importants ; de se concentrer sur certaines procédures simples (par exemple, l'exécution des marchés publics plutôt que la passation des marchés) ; et d'identifier quelques administrations pilotes. Outre le Ministère de l'économie, des finances et de l'industrie (commanditaire du rapport Lorentz), le forum a donné l'occasion à quelques administrations de se porter (de manière certes informelle) candidates : le Ministère de la défense et l'URSSAF semblent particulièrement avancés dans ce domaine.

Il s'agit dans tous les cas d'un changement significatif qui a des conséquences sur l'organisation des entreprises comme des administrations. La définition des modalités de développement des téléprocédures ne doit pas se faire en circuit fermé, mais en concertation avec les entreprises.

Quoi qu'il en soit, plusieurs exemples français et étrangers mentionnés sur le forum montrent que des progrès significatifs sont aujourd'hui possibles. La lenteur des progrès de la dématérialisation n'a plus de justification sérieuse : c'est désormais une affaire de volonté politique.

Le développement d'une offre de contenus de qualité provenant du secteur public contribuera également à l'amélioration du service aux usagers et à l'accroissement de l'usage de l'Internet. Une partie de cette offre correspond à des services à valeur ajoutée et nécessitera la mise en place de moyens de paiement respectant les standards du marché. On ne s'est pas privé de nous faire remarquer que la version imprimée du rapport Lorentz ne pouvait pas être réglée en ligne (rappelons que la version téléchargeable est gratuite). Ce qui demeure pour nous de l'ordre de l'anecdote devient grave pour des organismes tels que Météo France, qui tirent leurs ressources de la vente de leurs prestations. La comptabilité publique doit rapidement s'adapter à l'émergence du commerce électronique, sous peine de condamner certains services publics à rester cantonnés au Minitel.

Globalement, l'État (comme les entreprises) doit changer d'attitude vis à vis de la dépense informatique : d'une dépense de fonctionnement, toujours sujette à arbitrage et réductions, celle-ci doit désormais être considérée comme une dépense d'investissement d'importance stratégique.

La sécurité des échanges : un enjeu...à décrypter !

On ne sortira pas avant longtemps du débat sur la réglementation de la cryptographie. Mais il est déjà utile de le clarifier, comme le montre la progression qualitative des échanges sur ce sujet au sein du forum. La distinction entre l'usage à des fins d'authentification et de signature (libre) et le chiffrement du corps d'un message (confidentialité, usage contrôlé), est apparue de manière plus claire aux participants. Des questions demeurent toutefois, sur l'agrément des algorithmes et des produits de sécurité, sur le rôle des tiers de confiance... Tout cela démontre la nécessité d'un travail d'explication de la part des pouvoirs publics.

Une fois ce travail réalisé (ce qui suppose, bien sûr, que les fameux décrets d'application soient publiés), il reste beaucoup à faire :

  • Mettre en place les infrastructures de clés publiques et soutenir le développement des "tiers de séquestre". Les intervenants ne comprendraient pas qu'après avoir tant attendu pour mettre en œuvre la loi votée, les pouvoirs publics n'adoptent pas une attitude volontariste pour permettre à ces tiers d'émerger. Les notaires sont candidats, sans réclamer l'exclusivité. Le Groupement des Cartes Bancaires aussi. Un "comité IALTA" se propose d'organiser la profession (plus large) de "tiers de confiance" et d'en définir un code de déontologie. Les procédures d'agrément doivent vite se mettre en place. Plusieurs intervenants demandent également à l'administration de donner l'exemple en mettant en place un tiers de séquestre pour l'ensemble des échanges avec les usagers.
  • Reconnaître la validité juridique des signatures électroniques. A ce titre, plusieurs spécialistes rappellent que la signature au bas d'un contrat sert à la fois à identifier le contractant et à manifester son consentement : la question de la signature électronique doit donc recouvrir ces deux éléments. Là encore, les notaires rappellent leurs compétences dans ce domaine, ainsi que dans celui, non moins important, de la conservation des actes : il s'agit en effet de pouvoir retrouver un acte électronique quelque temps après sa signature, en s'assurant que celui-ci n'a pas été modifié dans l'intervalle.

De nombreuses interventions insistent sur la nécessité pour la France d'être active dans la définition de ses propres systèmes de sécurisation.

D'une part, l'avance française en matière de carte à mémoire – un outil qui deviendra de plus en plus indispensable à la sécurisation des échanges –, constitue un atout qu'il convient d'exploiter en France et de faire valoir à l'étranger. Cela ne signifie pas qu'il faille s'éloigner, au nom de notre technologie, des standards mondiaux : il s'agit de combiner l'utilisation de ces standards avec l'expérimentation de standards de qualité supérieure, susceptibles de s'imposer à terme sur les marchés mondiaux. Ce qui signifie que la France doit être plus présente dans les forums où se définissent les standards.

D'autre part, les outils de sécurisation venus d'autres pays (majoritairement des États-Unis) sont parfois limités du fait de restrictions à l'exportation, ou intègrent des systèmes de "récupération de clés" (key recovery) auxquels seuls les services du pays d'origine possèdent l'accès. Une intervention signale que ces systèmes de "récupération de clés" (le dépôt d'une seule clé liée au logiciel, auprès d'une autorité publique, suffit pour autoriser un chiffrement "fort" du contenu des échanges tout en permettant aux autorités d'accéder de manière simple et peu coûteuse au contenu des messages) remplirait la même fonction que celle qui est confiée aux "tiers de séquestre" à un coût significativement inférieur. Mais quels que soient les systèmes sécuritaires retenus, le développement de solutions techniques françaises est aujourd'hui un enjeu qui concerne la souveraineté nationale.

Le thème de la cryptographie a été, comme à l'accoutumée, l'un des plus discutés du forum. La législation sur la cryptographie pose bien sûr le problème de l'équilibre entre la protection de la vie privée et la défense de l'ordre public : mais ceci n'entre pas dans les attributions de notre mission. En ce qui concerne les usages commerciaux de la cryptographie, qui nous concernent ici, nous attendions des exemples à l'appui des interventions qui dénoncent la législation française comme une entrave au commerce. Mais malgré l'intensité et l'intérêt des échanges, nous n'avons toujours pas obtenu d'exemple d'une entreprise (en dehors, bien sûr, des fournisseurs de produits de sécurisation) qui ait été empêchée de vendre à cause de la législation française sur la cryptographie.

La nécessité d'un soutien aux entreprises françaises

Si de nombreuses entreprises investissent aujourd'hui les places de marché électroniques, un trop grand nombre demeure encore dans l'attentisme, tandis que des innovateurs et des entrepreneurs peinent à trouver les moyens de démarrer des activités nouvelles.

L'émergence d'une offre française en commerce électronique

Il s'agit tout d'abord de permettre à de nouvelles activités industrielles et de services, spécialisées dans le commerce électronique, d'émerger et de se lancer sur le marché mondial.

A ce titre, il convient de ne pas oublier que le commerce électronique ne se fait pas seulement sur l'Internet. Les français sont aujourd'hui en pointe en matière de télévision interactive, tant du point de vue technique que des applications, notamment commerciales. Certains estiment sur le forum que, s'il ne fait pas de doute que le commerce sur l'Internet explosera dans les années à venir, la télévision sera le principal média du commerce interactif auprès des particuliers. N'oublions pas enfin que si le Minitel apparaît aujourd'hui dépassé, il représente aujourd'hui plusieurs milliards de francs de chiffres d'affaires en vente par correspondance et en billetterie.

Comment soutenir l'offre française, qui émerge le plus souvent d'entreprises nouvelles et fragiles ?

Les intervenants au forum semblent avoir intégré le message du rapport Lorentz, selon lequel tout ne se règle pas avec de nouvelles aides. Ils demandent surtout que les aides à l'innovation ne couvrent pas seulement l'innovation technique et s'étendent à l'innovation marketing et commerciale. Ils demandent également que les frais de commercialisation de l'innovation soient intégrés dans le périmètre des investissements de recherche-développement.

Mais ces entreprises ont besoin de fonds propres encore plus que d'aides publiques. Elles ont besoin de partenaires capables de les soutenir et de les guider tout au long de leur développement. C'est pourquoi plusieurs intervenants insistent sur l'insuffisance du capital-risque en France et la nécessité de développer des "fonds d'amorçage" (seed money) à l'américaine, pour permettre le démarrage de projets d'entreprises.

Ce capital ne proviendra pas seulement des organismes publics : il convient de mobiliser les entreprises installées, les banques et bien sûr les professionnels du capital-risque.

De leur côté, ces investisseurs auront besoin de projets. Une intervention propose la mise en place de "concours" destinés à faire émerger des projets innovants dans toute la France.

Aider les PME à s'engager dans le commerce électronique

Il est sans doute plus important encore d'inciter les entreprises "traditionnelles" à tirer parti du développement du commerce et des échanges électroniques. Les intervenants au forum s'accordent à donner la priorité aux PME, quel que soit leur secteur d'activité, dans les actions de soutien à engager.

L'information, la formation, la mise à disposition d'outils méthodologiques, de guides et d'exemples, constituent le premier et sans doute le principal moyen d'incitation. Nous avons rappelé plus haut l'attente commune aux participants vis à vis d'actions de terrain en direction des PME.

Les entreprises ont besoin d'information pour décider. Plusieurs intervenants soulignent la nécessité de disposer d'une base commune d'informations sur laquelle les entrepreneurs pourront fonder leurs projections. Le recueil et le partage d'expériences, réussies ou non, et d'informations sur les usages, s'avérera également précieux pour les entreprises. Voici quelques missions pour cet "observatoire du commerce électronique" que le rapport Lorentz appelait de ses vœux.

Dans ce domaine également, les intervenants ne demandent pas plus d'aides publiques, mais plutôt un changement de critères. Les "crédits d'impôt recherche" doivent pouvoir s'étendre à la recherche-développement de type mercatique ou commerciale. Certains proposent même un crédit d'impôts associé à la "mise en réseau" de l'entreprise, arguant du fait que la perte fiscale qu'entraînerait une telle disposition sera plus que compensée par l'avantage concurrentiel que l'entreprise concernée en retirera.

Renforcer la capacité exportatrice des entreprises françaises

Plusieurs propositions visent à faire usage de l'Internet pour favoriser le développement international des entreprises françaises.

Il s'agit en premier lieu de faciliter l'accès des entreprises, en particulier des PME, aux informations sur les marchés étrangers que collectent nos ambassades et des organismes tels que le CFCE.

En retour, un serveur pourrait, comme cela se passe avec succès au Canada, faciliter l'accès à l'offre des entreprises exportatrices françaises.

Un intervenant suggère également qu'une exploitation intelligente de la Toile pourrait permettre, sans même nécessiter une refonte des procédures existantes, de créer une sorte de "guichet unique" permettant aux entreprises d'effectuer en une fois, d'une manière partiellement automatisée et dématérialisée, la totalité des multiples démarches associées à l'exportation.

Exporter nécessite un effort d'adaptation aux marchés visés, lequel commence sur l'Internet par la traduction des sites. Un effort collectif des entreprises et des pouvoirs publics pourrait accélérer l'émergence des dictionnaires, des outils techniques et des services nécessaires pour faciliter, voire automatiser pour partie ce travail. Il y a là un enjeu d'importance, notamment pour les PME.

Protéger le consommateur sur une place de marché mondiale

Certaines contributions incitent les français à renoncer aux réglementations nationales protectrices (protectionnistes, diront d'autres) pour tenir compte de la dimension globale du commerce électronique sur l'Internet. D'autres insistent plus sur la nécessité d'une coordination internationale, par définition difficile et longue à obtenir.

Plusieurs exemples viennent toutefois nous rappeler l'utilité d'un cadre minimal destiné à protéger les consommateurs sur les places de marché électroniques. L'abondance du spam (courrier non sollicité) fait perdre du temps aux internautes et ne contribue pas à l'établissement d'un environnement de confiance. La possibilité technique, dont se servent quelques publicitaires, de capturer ou croiser des données personnelles à l'insu de l'utilisateur d'un site, peut s'apparenter à une violation de la vie privée.

Ces abus pénalisent en définitive l'ensemble des acteurs du commerce électronique. Ils peuvent être limités au travers d'actions d'auto-contrôle de la profession tels que le Conseil national de la consommation (en France) ou la Chambre de commerce internationale en impulsent. Le développement, appelé par plusieurs participants, de "tiers de confiance" chargés à la fois de certifier l'identité d'un commerçant et de lui attribuer un "label" qualitatif, irait dans le même sens.

Il reste qu'à l'inverse des États-Unis, où le droit repose avant tout sur le contrat entre deux parties supposées égales, l'Europe s'est dotée de législations destinées à protéger le consommateur des abus venant de professionnels. Il n'y a pas plus de raison d'imposer nos principes aux américains, que de voir ceux-ci imposer les leurs sur notre continent.

Une France plus présente dans les enceintes internationales

Qu'il s'agisse d'adapter sa législation intérieure aux contraintes du commerce électronique mondial ou, à l'inverse, de faire adopter par nos partenaires certains principes ou standards français, de très nombreuses voix se sont élevées sur le forum pour réclamer une plus grande présence française dans les forums où se discutent les enjeux du commerce électronique.

La France doit rechercher une position commune des Européens, puis de l'ensemble des pays développés, sur des sujets tels que la protection du consommateur ou la fiscalité.

Elle doit renforcer sa présence dans les instances de standardisation technique, à la fois pour pousser ses solutions (par exemple en matière de sécurité), pour influer sur la définition des standards et pour informer plus en amont ses industriels des tendances de l'industrie.

La défense des standards ouverts représente un enjeu particulièrement fort pour l'Europe face à la puissance des industriels et des éditeurs de logiciels américains. Dans le domaine des EDI par exemple, le soutien à l'utilisation d'un langage "neutre" et intersectoriel tel qu'EDIFACT est seul susceptible de garantir que ce ne seront pas les grands fournisseurs de technologie qui définiront seuls la syntaxe des échanges électroniques de demain.

Au fur et à mesure que la France s'ouvrira aux échanges électroniques, elle devra également s'assurer que les niveaux d'avancement différents d'autres pays ne constituent pas des barrières non tarifaires aux échanges internationaux. Ainsi, si la France publie en ligne ses appels d'offres et permet à tout ressortissant de l'UE de soumissionner de manière électronique, il deviendra vite gênant que d'autres pays de l'Union ne fassent pas le même effort pour faciliter l'accès à leurs marchés publics.

A quoi sert l'État ?

Au fil des interventions, se dessine le rôle d'un État "catalyseur réfléchi" (le terme est de Christophe Berg) qui fixe le cadre et contribue à donner des impulsions, par opposition à un État dirigiste chargé de distribuer des aides et de définir des politiques industrielles.

Les actions suggérées sur le forum font souvent appel à une collaboration entre l'État, les collectivités territoriales, les associations professionnelles et le secteur privé.

L'Etat est d'abord prié d'agir sur lui-même, de se mettre en ligne pour gagner en efficacité, faire réaliser des économies aux entreprises et les inciter à échanger de manière électronique entre elles. Mais il doit le faire en coordination avec ses interlocuteurs auxquels il ne saurait imposer de manière unilatérale sa façon de faire.

Dans les autres domaines, l'État doit jouer un rôle d'impulsion ou de soutien d'initiatives dont il n'a pas la maîtrise, en particulier de projets associatifs ou régionaux. Il peut mettre en relation, faire savoir, coordonner, mais il ne doit pas agir seul.

L'un des lieux de coordination où l'État et les professionnels doivent travailler ensemble semble être, selon plusieurs contributeurs, l' "observatoire" du commerce électronique. La première fonction de l'observatoire serait de permettre aux acteurs de tomber d'accord sur un ensemble de définitions et d'indicateurs, mesurés de manière régulière. La seconde consisterait à fournir un lieu de recueil et d'échanges d'expériences. Une démarche systématique d'observation et de benchmarking (évaluation comparative), tirant parti à la fois du réseau des ambassades et d'une mise en réseau des expertises, gagnerait aussi à se mettre en place. Enfin, on retrouve sur le forum la proposition récurrente d'une étude sur l'emploi et l'Internet : quels nouveaux métiers, quels impacts sur les métiers d'aujourd'hui, quel potentiel de création et de destruction d'emplois, quels besoins de formation ?..

Le rôle de l'État demeure aussi, bien évidemment, de fixer le cadre réglementaire et fiscal d'exercice de l'activité économique. De ce point de vue, la plupart des participants exhortent l'État, non pas à abdiquer ses prérogatives, mais à changer de méthode.

Il faut avant tout se garder de légiférer trop tôt. Le commerce électronique est un phénomène jeune et immature. Toute législation prématurée risquerait d'en figer le développement, ou d'être rendue inadaptée par une mutation imprévue. Dans beaucoup de domaines, un toilettage, voire un simple éclaircissement du cadre juridique existant semble aujourd'hui suffisant pour intégrer les spécificités du commerce électronique.

L'histoire de l'Internet montre également qu'il est préférable de donner sa chance à l'autorégulation, à la mise en place de règles définies par les professionnels et les consommateurs eux-mêmes, plutôt que de réglementer a priori. Ce n'est qu'en cas d'échec de cette démarche que l'État doit prendre ses responsabilités.

L'Etat est enfin l'entité légitime pour représenter les intérêts des entreprises et des citoyens français à l'étranger. Chacun semble conscient que cette fonction prendra une importance majeure dans les années à venir.

En conclusion : amorcer la pompe

La richesse des contributions au forum, dont cette synthèse ne rend compte que de manière très partielle, nous semble révélatrice des attentes des citoyens et des entreprises.

Si le forum est apprécié, ce n'est pas pour le simple plaisir d'échanger : ce qui est en jeu maintenant, c'est d'engager l'action commune. Les acteurs du commerce électronique attendent des pouvoirs publics l'impulsion nécessaire pour que la dynamique actuelle ne retombe pas et ne se heurte pas à des obstacles techniques ou réglementaires. Ils demandent que les annonces soient rapidement suivies d'effets et que les projets des administrations ne tombent pas aux oubliettes.

Les acteurs du commerce électronique demandent également à l'État de seconder, voire de fédérer leurs efforts pour valoriser les positions et les produits français à l'international.

Le dialogue est engagé. Ce forum, comme les multiples réunions qui l'ont précédé, inaugure une forme prometteuse de collaboration intensive entre le secteur public (national et local), les associations et les entreprises. Mais la collaboration ne se poursuivra que si chacun fait sa partie. L'Etat ne peut ni ne doit tout faire et attend beaucoup des entreprises, sur lesquelles repose en définitive toute la dynamique du commerce électronique. Mais l'administration doit aussi prendre ses responsabilités. Les interventions sur le forum contribuent à dessiner le champ de son intervention et à identifier quelques unes de ses priorités. Il est maintenant temps d'agir.



 



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