Discours de François Fillon,
ministre délégué
à la Poste, aux Télécommunications et à l'Espace
à l'université d'été d'Hourtin
(29 août
1996)
Introduction
1. Satellite et numérique : un foisonnement
d'initiatives
a) 96 : l'année du lancement du
numérique
b) Les trois initiatives françaises
c) L'unification des décodeurs pour le numérique :
une nécessité pour répondre à l'attente des
consommateurs
2. Le Câble : un support adapté à la révolution
du numérique
a) Un support adapté aux
nouvelles applications multimédias
b) La LRT a
par ailleurs créé les conditions d'une rentabilisation accrue du câble
et des opportunités nouvelles de développement économique
3. La TV hertzienne numérique : des incertitudes qui
exigent que la réflexion soit poursuivie
a)
Il y a un intérêt stratégique réel à s'intéresser
à la TV hertzienne numérique
b) Mais il
apparaît que les solutions technologiques et les acteurs économiques
ne sont pas prêts
c) Il est dès lors prématuré
que les pouvoirs publics prennent une décision sur ce sujet et la réflexion
doit être poursuivie
4. Les expérimentations d'autres technologies (MMDS,
DAB)
Conclusion
l'université d'été d'Hourtin est, en écho aux
multiples annonces et initiatives qui ont ponctué les premiers mois de
l'année 96, l'occasion de prendre le pouls d'un marché de
l'audiovisuel dont le cur bat désormais au rythme des progrès
du numérique.
La révolution du numérique, enjeu économique et
culturel majeur pour notre pays, est riche d'opportunités nouvelles pour
les acteurs de l'audiovisuel français.
1996 aura aussi été une année déterminante pour
l'avenir du secteur des télécoms : l'adoption de la LRT et de la
loi prévoyant le changement de statut de France Télécom
sont autant d'avancées essentielles pour préparer notre pays à
l'avènement de la société de l'information et pour donner à
France Télécom les moyens d'en être un des grands acteurs.
Une année qui a été aussi celle du développement
foudroyant de l'Internet dans notre pays, celle du déploiement de
multiples expérimentations de technologies innovantes...
Nous ne pouvons plus en douter : « l'invention de la Cité numérique
» est déjà largement engagée, et il s'agit d'un des
grands chantiers de cette fin de XX· siècle.
Si le progrès des télécommunications est un élément
moteur de la construction de la « société de l'information »,
il appartient aussi aux nouvelles technologies de l'audiovisuel de la faire
entrer dans les foyers de nos concitoyens. Ce sont les perspectives de développement
de ces technologies - en particulier dans les trois grands secteurs que sont la
TV numérique par satellite, le câble et la TV numérique
hertzienne - que je souhaite évoquer devant vous aujourd'hui.
Face au défi qui nous est lancé, ma conviction est que la
France dispose de tous les atouts nécessaires pour devenir un des fers de
lance de cette révolution du numérique, qu'il s'agisse de sa maîtrise
des technologies en présence ou de sa capacité à développer
des contenus attractifs et de qualité.
1. Satellite et numérique : un foisonnement
d'initiatives
Nous assistons désormais à une véritable effervescence,
à l'échelle mondiale, dans un domaine dont les acteurs du marché
audiovisuel français ont perçu toutes les promesses et qu'ils ont
su aborder avec dynamisme et efficacité.
En témoigne notamment le succès de Thomson Multimédia,
qui a su, rappelons-le, jouer un rôle important dans le lancement du numérique
aux Etats-Unis, dès 1994, en remportant un contrat d'exclusivité
pour la fourniture des terminaux d'accès au système Direct TV.
Ce n'est pas d'ailleurs pas seulement outre Atlantique que les initiatives
foisonnent : nous savons tous que l'audiovisuel français s'apprête
activement à vivre lui aussi à l'heure du numérique. Car la
télévision numérique par satellite n'est plus dans notre
pays, en 1996, seulement une affaire de visionnaires et de pionniers : elle était
une réalité technique, elle devient désormais une réalité
commerciale avec, et je m'en réjouis, la présence prochaine de
trois bouquets satellitaires numériques dans notre ciel.
Le lancement du bouquet de services numériques par satellite de Canal
+ le 27 avril dernier et le succès qu'il connaît déjà
sont une démonstration concrète de cette évolution.
Il sera prochainement suivi par un second bouquet d'une trentaine de chaînes
que prépare activement AB productions, en partenariat avec France Télécom.
Enfin , il convient également de saluer la mobilisation des autres
grands acteurs français du secteur - TF1, la Lyonnaise des Eaux, M6, la
CLT, France Télévision et France Télécom - qui ont
choisi de se lancer ensemble dans l'aventure du numérique en créant
la société TPS qui a fait le choix de lancer ce bouquet sur
Eutelsat, en retenant le système d'accès conditionnel Viaccess, développé
par France Télécom.
En décidant de s'engager dans la voie du développement et de
la diversification hors du domaine des télécoms, France Télécom,
forte de son excellence technologique et de son savoir-faire commercial, opère
un choix stratégique essentiel pour son avenir. Le MPTE ne peut
qu'apporter son soutien à une initiative qui répond à son
souci de donner à l'opérateur les moyens de ses ambitions ; souci
qui nous a conduit à le doter d'un statut d'entreprise commerciale avec
l'impératif de lui permettre d'aborder tous les marchés
prometteurs avec la capacité d'innovation et le dynamisme nécessaires,
et avec les mêmes armes que ses concurrents mondiaux ... qui,
rappelons-le, n'ont pas hésité à investir ce secteur
partout où il se développe.
c) L'unification des décodeurs pour le numérique
: une nécessité pour répondre à l'attente des
consommateurs
Le foisonnement d'initiatives que je viens d'évoquer démontre
qu'un marché de la télévision numérique est en train
de se dessiner en France. Sur ce marché émergent dont les enjeux économiques
ne peuvent que stimuler une vive compétition, il est inévitable
que se livre une bataille pour séduire les consommateurs.
Bataille d'autant plus rude que les investissements à consentir pour
élaborer et diffuser des bouquets numériques restent très
importants, que le coût des terminaux reste élevé et que les
ressources publicitaires devraient rester modiques dans un premier temps. Il
est, dans ces conditions, tout à fait normal que ceux qui ont investi
dans la mise en place d'un parc cherchent à se rémunérer
sur ces investissements, par exemple en faisant payer un « droit d'entrée
» pour l'accès aux terminaux loués.
La coexistence de systèmes concurrents, si elle est le gage d'une
saine émulation, présente néanmoins un risque que les
acteurs du secteur connaissent et doivent chercher à éviter : il
ne faudrait pas en effet que les consommateurs finaux se trouvent enfermés
dans un système et n'aient accès qu'à un nombre réduit
de programmes, qu'ils aient à accumuler les boîtiers sur leurs téléviseurs,
ou encore qu'ils soient contraints de changer leurs équipements pour
recevoir de nouveaux programmes.
Chacun sait que l'incompatibilité des différents décodeurs,
notamment, risque de désorienter et de décourager durablement le
consommateur. Une concurrence qui prendrait la forme d'une « bataille des
standards » au lieu de porter sur les contenus n'aurait pour conséquence
que de détourner du numérique des téléspectateurs
peu enclins à accepter une surenchère technologique s'ils
l'estimaient stérile. Une telle situation se révélerait
dommageable pour tous les acteurs du secteur.
Face à ce risque, la volonté des pouvoirs publics, qui ont par
ailleurs entrepris de favoriser les investissements et les innovations dans la télévision
numérique, est claire : leur souci est d'encourager une unification, ou
tout au moins une compatibilité, des décodeurs qui permettra, dès
lors que les standards techniques resteront transparents pour l'utilisateur, de
faire en sorte que la télévision numérique soit à la
fois une réalité technique et un succès commercial. C'est
d'ailleurs ce que nos voisins allemands ont compris en cherchant à mettre
à fin à la guerre des décodeurs qui s'annonçait chez
eux.
L'une de nos ambitions doit en effet être que les contenus puissent
toucher potentiellement le maximum de consommateurs. Et c'est pour cela que les
pouvoirs publics veilleront :
- à ce que l'accès aux parcs s'effectue dans des conditions équitables
et non discriminatoires,
- et à ce que la reprise des programmes sur les réseaux câblés
soit aisée et puisse s'effectuer dans des conditions économiques
raisonnables.
2. Le Câble : un support adapté à la révolution
du numérique
a) Un support adapté aux nouvelles applications
multimédias
Loin d'annoncer le déclin du câble, la numérisation va
d'ailleurs lui donner un nouveau souffle. Par les hauts débits et
l'interactivité qu'il autorise, il s'agit en effet d'un support particulièrement
bien adapté aux nouvelles applications multimédias.
La liste des services accessibles sur les réseaux câblés
ne cesse ainsi de s'allonger, démontrant que ce support conserve
aujourd'hui toute son actualité : au delà de chaînes
toujours plus nombreuses, le câble va donner accès à des
services multimédias particulièrement attractifs et permettre la
consultation d'Internet dans des conditions de confort sans comparaison. Ces
possibilités sont d'ores et déjà exploitées dans le
cadre d'expérimentations soutenues par les pouvoirs publics, comme celles
de Multicâble dans le 7ème arrondissement de Paris, de Riviera à
Nice et de Connexion 92 dans les Hauts-de-Seine.
b) La LRT a par ailleurs créé les
conditions d'une rentabilisation accrue du câble et des opportunités
nouvelles de développement économique
Enfin, la LRT a créé les conditions d'une
rentabilisation accrue du câble et des opportunités nouvelles de développement
économique, en permettant une exploitation du service téléphonique
vocal sur ce support - exploitation qui sera bientôt une réalité,
à titre expérimental, grâce à la loi sur les expérimentations
adoptée en avril dernier.
3. La TV hertzienne numérique : des incertitudes
qui exigent que la réflexion soit poursuivie
L'avenir de l'hertzien numérique terrestre suscite, face aux
bouleversements que connaissent le marché et les technologies de
l'audiovisuel, bien des interrogations. J'ai souhaité que les pouvoirs
publics disposent rapidement d'éléments d'appréciation plus
précis sur ses perspectives de développement.
C'est dans cette optique que j'ai confié au début de l'année
une mission à M. Philippe Lévrier, ancien Directeur Général
de TDF, avec pour objectif d'éclairer les pouvoirs publics sur les enjeux
techniques, économiques et juridiques de la diffusion numérique
terrestre. Ce sont les principales conclusions de ce rapport que je voudrais évoquer
devant vous aujourd'hui.
a) Il y a un intérêt stratégique réel
à s'intéresser à la TV hertzienne numérique
Le rapport confirme tout d'abord qu'il y a un intérêt stratégique
réel à s'intéresser au développement de la télévision
hertzienne numérique. En effet, l'hertzien est de loin le support de
diffusion le plus répandu en France : la vitesse et l'ampleur de la pénétration
de la télévision numérique dans les foyers français
dépendent donc pour une large part de la généralisation de
ce nouveau mode de diffusion.
D'autre part, la numérisation de l'hertzien - technologie qui permet
notamment , on le sait, de diffuser plusieurs programmes sur un même
canal - peut entraîner à terme des gains de fréquence non négligeables.
Or, la possibilité de disposer d'une plage de fréquences plus
large est précieuse à l'heure où émergent simultanément
des technologies de télécommunications, en particulier mobiles,
toujours plus consommatrices de spectre...
Si le rapport insiste sur ces opportunités, il ne manque pas
cependant de rappeler les obstacles à un déploiement rapide de
l'hertzien numérique terrestre dans notre pays.
b) Mais il apparaît que les solutions
technologiques et les acteurs économiques ne sont pas prêts
Le premier obstacle est d'ordre technique : la faisabilité du scénario
de conversion des normes avec passage au tout numérique n'est pas démontrée.
D'une part, les performances des spécifications techniques retenues par
la norme européenne DVB récemment adoptée méritent
d'être validées, d'autre part, les possibilités françaises
en termes de planification des fréquences doivent être étudiées.
En outre, il apparaît que, face à ces incertitudes
technologiques, les acteurs français n'ont pas à ce jour décidé
d'engager les investissements nécessaires et ne sont pas prêts pour
l'instant à arrêter des stratégies claires dans le domaine
de l'hertzien numérique terrestre.
c) Il est dès lors prématuré que les
pouvoirs publics prennent une décision sur ce sujet et la réflexion
doit être poursuivie
Dans ces conditions, il est prématuré pour les pouvoirs
publics de prendre position sur cette question. Il est en revanche indispensable
d'engager dès aujourd'hui les travaux nécessaires pour que des
choix adéquats soient effectués le jour où les techniques
et le marché seront prêts.
C'est pourquoi j'ai demandé à M. Lévrier de bien
vouloir mettre en place un programme de travail, dont la présidence lui
sera confiée et qui rassemblera l'ensemble des partenaires concernés
: pouvoirs publics, CSA, Agence des fréquences dès qu'elle sera créée,
opérateurs, diffuseurs, industriels. Ce groupe aura pour mission de
poursuivre les études dans trois directions :
- sa première tâche sera de vérifier la faisabilité
de la numérisation des réseaux : un gros travail de qualification
de la norme et de planification prévisionnelle des fréquences doit
être accompli sous l'égide la future Agence des Fréquences
- il s'agira ensuite de définir en liaison avec les industriels et
les diffuseurs les caractéristiques techniques et commerciales des
futurs récepteurs et des nouveaux services qui pourraient être
introduits
- enfin, il conviendra de déterminer les adaptations juridiques nécessaires
à la numérisation de l'hertzien et de nature à favoriser la
transition.
Les conclusions des travaux de ces différents groupes devront être
remises aux pouvoirs publics sous 18 mois, afin que ceux-ci puissent prendre les
décisions qui s'imposent.
4. Les expérimentations d'autres technologies
(MMDS, DAB)
Le choix de poursuivre la réflexion sur l'hertzien numérique
terrestre ne signifie pas que les pouvoirs publics ont renoncé à
explorer l'ensemble des autres possibilités offertes par le numérique,
ni à tester dès aujourd'hui les technologies de demain. Bien au
contraire, libérer les initiatives et favoriser l'innovation, dans le
domaine de l'audiovisuel comme dans celui des télécommunications,
reste l'ambition première du MPTE.
Les expérimentations déployées partout dans notre pays
dans le sillage de l'appel à propositions sur les autoroutes de
l'information - expérimentations qui bénéficient pour
nombre d'entre elles d'un soutien financier du MPTE - sont ainsi l'occasion de
tester en grandeur réelle un certain nombre de technologies
audiovisuelles innovantes.
J'ai en particulier veillé à ce que la « loi sur les expérimentations
», adoptée le 10 avril dernier, rende possible l'expérimentation
du MMDS. Ainsi, le CSA peut désormais, à titre dérogatoire,
autoriser sans recourir à un appel à candidatures, le déploiement
d'un système de diffusion MMDS pour un site géographique limité
et en dehors des zones desservies par un réseau de distribution par câble.
Cette disposition répond à la vocation naturelle du MMDS qui réside
dans sa complémentarité avec les autres supports, et en
particulier avec le câble. Des licences expérimentales vont ainsi être
attribuées à quelques expérimentations MMDS en numérique,
telles que le projet de TDF dans la Vienne, conçu en liaison avec la
plateforme du Futuroscope.
Par ailleurs, j'ai tenu à ce que les conditions d'un développement
rapide de la radiodiffusion numérique soient réunies, en veillant à
ce qu'un soutien financier soit apporté au développement du DAB
dans le cadre des expérimentations en cours et à ce que la loi sur
les expérimentations permette d'autoriser l'exploitation de services
audionumériques. Je me réjouis en outre du récent appel à
candidatures lancé par le CSA qui a déjà suscité
plusieurs réponses intéressantes d'acteurs du secteur. Le Mondial
de l'Automobile sera d'ailleurs l'occasion de découvrir, en octobre
prochain, l'intérêt des technologies développées par
le Club DAB.
La mobilisation des acteurs de l'audiovisuel français et le
foisonnement d'initiatives auxquels nous assistons aujourd'hui le confirment :
notre pays a l'ambition et les moyens de jouer un rôle de premier plan
dans la révolution du numérique, d'assurer la place qu'elles méritent
à sa créativité et sa culture sur « l'autoroute des
images » de demain.