DISCOURS DE FRANCOIS FILLON
Assemblée
Nationale / Mardi 26 novembre
Discussion des propositions de résolution
(GAILLARD, PANDRAUD, GAYSSOT, GUYARD) sur la proposition de directive concernant
les services postaux communautaires.
DISCOURS / DIRECTIVE POSTALE
Monsieur le Président, Monsieur le rapporteur,
Mesdames et messieurs les députés,
La plupart de nos services publics ont été conçus et se
sont développés dans le cadre d'un marché longtemps protégé.
Ils sont aujourd'hui placés dans un environnement, notamment européen,
très largement marqué par une économie ouverte et
concurrentielle. Face à cette nouvelle réalité, le débat
sur leur avenir est plus que jamais d'actualité et révèle
des approches différentes.
D'un côté, certains sont tentés de figer un modèle
d'organisation publique dont ils jugent l'exemplarité davantage au regard
des services autrefois rendus qu'à l'aune de leur efficacité présente.
Mon sentiment est que cette exemplarité ne se décrète pas,
elle doit être quotidiennement prouvée ce qui implique un effort
constant d'adaptation et de modernisation.
D'autres, au contraire, dénoncent sans nuances ce qu'ils jugent être
des «archaïsmes dépassés» et opposent aux principes
du service public ceux d'une concurrence qu'il pare de toutes les vertus.
A mon sens, il faut écarter ces deux positions extrêmes et
adopter sur le sujet une attitude pragmatique, constructive et offensive.
Pragmatique, parce que tous les services publics ne se ressemblent pas ; ils
ne présentent pas tous les mêmes caractéristiques économiques
et sociales. Dès lors, leur évolution n'appelle pas une réponse
unique, pour ne pas dire idéologique. C'est ce pragmatisme qui m'a
conduit à distinguer la politique engagée dans le secteur des télécommunications
de celle menée pour le secteur postal.
Ce sont deux mondes différents. Celui des télécommunications
est marqué par un rythme d'innovations technologiques très élevé
et l'ouverture à la concurrence est le gage d'une baisse des coûts
et d'une diversification des services qui seront profitables à l'ensemble
de nos concitoyens. Ici, la prééminence des enjeux économiques
et des mutations technologiques, réclamait une révision de nos schémas
anciens.
Le secteur postal, lui, n'est pas confronté aux mêmes défis.
Il se caractérise par une activité plus traditionnelle de main
d'oeuvre.
Une libéralisation précipitée et incontrôlée
saperait la fonction sociale de la Poste, sans contribuer - par ailleurs - à
une baisse des prix et à une diversification de l'offre. Bref, la
concurrence ne pourrait ici se substituer à la politique publique.
C'est ce pragmatisme qui nous permet d'adopter une attitude constructive et
offensive dans le cadre des négociations européennes. L'Europe ne
doit pas être systématiquement considérée comme la
cause de tous nos maux ; elle ne doit pas être non plus béatement
idéalisée : elle est un lieu politique où la France doit
marquer sa spécificité et proposer sa vision des choses.
S'il est vrai que la construction européenne privilégie une
logique d'inspiration libérale (logique conforme à l'objectif légitime
d'un marché ouvert), j'estime cependant que la concurrence doit être
soumise à des règles d'équilibre correspondant aux
traditions et aux intérêts des Etats membres.
Telle est l'approche générale qui m'a guidé dans le
traitement du dossier des télécommunications et qui, aujourd'hui,
inspire la démarche du gouvernement dans le cadre des négociations
européennes consacrées au projet de directive sur les services
postaux.
Jeudi se tiendra un Conseil européen des postes qui peut être décisif.
Les conséquences de l'accord que nous réussirons, je l'espère,
à finaliser, vont conditionner pour une large part l'avenir de La Poste.
Dans cette négociation difficile, le débat de ce soir est
opportun et prend une signification particulière. La proposition de résolution
présentée par votre rapporteur Claude Gaillard constitue un point
d'ancrage fort qui confirme le bien fondé de notre position. J'y souscris
donc pleinement.
Je constate qu'elle intègre, pour l'essentiel, les recommandations
pertinentes énoncées dans les deux propositions de résolution
du Président Pandraud et de votre collègue Jacques Guyard, ainsi
que certaines des craintes exprimées dans la proposition Gayssot.
En définitive, je crois - quelle que soit les sensibilités
politiques - que le Gouvernement et le Parlement poursuivent un objectif
identique dont vous me permettrez de vous rappeler les termes.
La position française est tout d'abord fondée sur un constat.
La Poste, est une entreprise de main d'oeuvre, c'est 300.000 agents, c'est
17.000 bureaux dont 60% sont situés en milieu rural ou dans des zones
urbaines difficiles. Plus que tout autre, La Poste constitue bien un service
public essentiel au maintien du lien social. Elle est le symbole d'une volonté
politique qui n'abdique pas devant les phénomènes de la désertification
rurale ou du «mal des banlieues». Cette mission très large, et à
certains égards «désintéressée» sur le
plan du strict bénéfice financier, place cet établissement
dans une situation fragile qui doit être protégée.
Comme l'écrit très justement Claude Gaillard dans son rapport «on
ne peut comparer la situation de la France à celle du Royaume-Uni, de
l'Allemagne ou des pays d'Europe du Nord....nous sommes donc en droit d'invoquer
une spécificité française en matière postale».
C'est sur les bases de ce constat, que nous voulons élaborer cette
première directive postale. Celle-ci se doit d'être protectrice et
non déstabilisatrice, conformément à l'esprit de la résolution
du Conseil européen du 7 février 1994 adoptée à
l'unanimité, et conformément aux recommandations de votre assemblée
dans sa résolution du 30 novembre 1995.
La Poste a besoin d'un cadre juridique clair pour exercer son activité
en faisant respecter un monopole que la jurisprudence, au gré de plaintes
et de contentieux, bat peu à peu en brèche. Ce cadre protecteur
doit également permettre à la Poste - j'insiste là dessus -
de se moderniser dans la sérénité. Il ne doit pas être
un prétexte à l'immobilisme. Sans renoncer à ses missions
de service public, La Poste doit rechercher et explorer les voies d'un nouveau
dynamisme et d'une meilleure compétitivité. Nous devrons y réfléchir
lors de l'élaboration du prochain contrat de plan.
L'objectif de ce projet de directive doit donc être, selon nous, d'une
part, de définir un standard européen de qualité en matière
de service public postal, et, d'autre part, de garantir à notre opérateur
- grâce à la définition d'un domaine réservé
suffisamment étendu - les moyens financiers pour assurer sa mission.
Dans cet esprit, la France est fermement opposée à toute
disposition qui viserait à sortir du monopole le publipostage, qui représente
un enjeu significatif (15% du trafic et 12% en CA), et le courrier
transfrontalier ce qui induirait un risque réel à travers le développement
du repostage.
Une libéralisation du publipostage pourrait avoir des effets pervers,
car le secret de la correspondance rend impossible toute vérification sur
le contenu publicitaire ou non d'un courrier. C'est particulièrement vrai
pour le courrier des entreprises. Derrière cette mesure, que certains
pourraient juger d'importance relative, le danger serait que l'ensemble du
courrier soit, in fine, libéralisé.
J'ajoute enfin que nous refusons que le calendrier et les modalités
de l'éventuelle révision de la directive revêtent les
allures d'une échéance couperet. Dans cet esprit, je ne pouvais
accepter lors du Conseil européen du 27 juin le schéma qui nous était
proposé consistant à libéraliser totalement, à
partir de 2001, le publipostage et le courrier transfrontalier en préjugeant,
en outre, du bilan qui devra être réalisé sur cette première
étape d'harmonisation européenne.
Enfin il nous parait légitime - au regard des enjeux - que les décisions
futures aient l'aval du Conseil et du Parlement européen, afin de
respecter l'esprit démocratique des institutions et le principe de la
subsidiarité. Il ne serait pas raisonnable que la Commission, sur le
fondement de ses pouvoirs en matière de surveillance du jeu de la
concurrence ou par habilitation de la directive, puisse modifier unilatéralement
les dispositions de cette directive.
Depuis Juin, notre philosophie en la matière n'a pas varié :
la France demeure hostile à une logique de libéralisation précipitée
dans laquelle plusieurs Etats européens souhaitent s'engager ; logique
dont je vous rappelle qu'elle ne recueille pas l'adhésion du Parlement
européen.
Notre position - vous le voyez - est claire ; elle fut de nouveau réaffirmée
lors du Conseil des télécommunications du 27 septembre dernier,
mais elle demeurait il y a quelques semaines encore, mal comprise et
minoritaire.
J'ai donc entrepris de porter et d'expliquer notre message auprès de
la plupart de mes collègues européens. Je me suis rendu à
Dublin, Bonn, Rome, Madrid, Londres, Bruxelles, et ai eu plusieurs contacts avec
mes collègues luxembourgeois, grecs et portugais.
Je me suis efforcé de leur démontrer l'importance politique
que revêt à nos yeux ce dossier, et la nécessité de
trouver un consensus sur ce sujet que nous jugeons symbolique. Ce consensus -
qui doit être fondé sur l'unanimité des membres de l'Union -
ne saurait reposer sur les thèses les plus extrêmes au risque de
conduire à ce que j'ai qualifié de «conflit politique»
potentiel entre européens.
L'intervention du Président de la République lors du Conseil
des Ministres du 2 octobre, et le courrier du Premier Ministre adressé au
président de la commission, Jaques Santer, ont souligné avec force
les termes politiques qui animent la position française.
Notre persévérance a été récompensée
et nos arguments sont, je le crois, désormais pris en compte. Le 5
novembre dernier, à l'issue d'une réunion franche et constructive,
nous sommes parvenus avec mon homologue allemand, Wolfgang Boetsch, à un
accord qui satisfait nos demandes.
Celui-ci prévoit : - que le publipostage et le courrier
transfrontalier demeureront sous monopole ; - que toute décision sur une éventuelle
ouverture de ces secteurs est renvoyée à une future révision
de la directive, prévue dans cinq ans, soit en 2001 ; qu'elle nécessitera
une nouvelle décision de la part du Conseil et du Parlement européen
et qu'en tout état de cause une telle ouverture ne pourrait intervenir
avant 2003.
Par rapport au texte présenté jusqu'ici, qui - je vous le
rappelle - prévoyait une libéralisation immédiate en 2001
après une révision de la directive par la seule commission, cet
accord nous donne donc doublement satisfaction : la révision de la
directive donnera lieu à un nouveau débat politique, et en toute
hypothèse nous gagnons deux années.
La position franco-allemande répond donc très largement -
mesdames et messieurs les députés - à la proposition de résolution
examinée ce soir par votre assemblée.
Dans son premier alinéa, cette proposition - à la demande du
Président Pandraud - marque son soutien à l'action du Parlement
européen. Le gouvernement entend, à son instar, qu'il soit associé
à l'évolution du dossier postal.
Dans son second alinéa, elle rappelle le rôle majeur de la
Poste en matière de cohésion sociale et d'aménagement du
territoire. Ce constat - très largement partagé dans les
propositions de résolution Pandraud, Guyard, et Gayssot - fonde - je l'ai
dit - la position française.
Dans son troisième et quatrième alinéa, elle met
l'accent sur la nécessité de prévoir un périmètre
des services réservés suffisamment étendu pour assurer le
financement du service public. Notre souci est identique : le publipostage et le
courrier transfrontalier ne doivent pas être libéralisés.
Dans son cinquième alinéa, votre assemblée s'inquiète
sur les modalités politiques et le calendrier de l'éventuelle révision
de la directive. Le gouvernement est sensible aux arguments de la représentation
nationale. Je vous l'ai déjà précisé, l'accord
franco- allemand prévoit : 1/ que cette révision ne pourrait être
envisagée avant cinq ans, soit en 2001, et ne pourrait entrer en
application avant 2003 ; 2/ elle nécessitera une nouvelle décision
du Conseil et du Parlement européen et ne sera donc pas laissée à
la seule appréciation de la commission.
L'alinéa six réfute l'esprit de l'actuel projet de
communication de la commission. La France, soutenue par la majorité des
Etats membres, a demandé que cette communication ne paraisse qu'après
l'adoption définitive de la directive et que son contenu soit harmonisé
avec cette dernière.
L'alinéa sept juge indispensable que toute modification de la
directive soit précédée d'une étude d'impact
approfondie. Le compromis franco-allemand précise que toute décision
en la matière devra, je cite, «tenir compte des développements
économiques, sociaux et technologiques intervenus...et de l'équilibre
financier des prestataires du service universel». Dois-je vous préciser
que la France sera attentive aux arguments qui seront alors avancés...
Mesdames et messieurs les députés, je souhaite que l'accord
franco-allemand - que nous avons fait connaître et expliqué à
l'ensemble de nos partenaires - puisse constituer la base de l'accord du Conseil
européen.
A quelques heures de cette rencontre, je me félicite de voir votre
assemblée contribuer et soutenir, avec le sens de l'intérêt
général, notre démarche. J'adresse tout particulièrement
mes remerciements à votre rapporteur Claude Gaillard et au Président
Pandraud, qui ont, avec rigueur, constance et exigence, animé et conduit
la réflexion de la représentation nationale.
En définitive, que ce soit avec le dossier des télécommunications
ou celui du secteur postal, nous nous efforçons - chacun à notre
manière - de rechercher des voies nouvelles permettant au concept de
service public de devenir un principe reconnu et complémentaire de la
concurrence. C'est un sujet vaste et complexe, car tous les pays européens
ne partagent pas nécessairement notre conception des services publics.
C'est un débat, que nous Français, devons mener en conjuguant
notre attachement à un héritage spécifique en la matière,
avec une pensée tournée vers le XXIème siècle.
François Fillon