12/03/97
Assemblée Générale du GESTE
(Groupement des éditeurs des services télématiques)
Discours de M. François Fillon
Ministre délégué à la Poste, aux Télécommunications et à l'Espace
Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs,
C'est un plaisir pour le Ministre en charge des technologies de
l'information que de participer aujourd'hui à l'Assemblée Générale
du GESTE.
Votre association est en effet de celles qui préparent l'édition
télématique française à réussir son
rendez-vous avec l'avenir : un avenir qui doit passer - et je partage avec vous
cette ambition - par une présence forte des éditeurs français
de contenus sur les réseaux de communication de demain.
Par son dynamisme et son efficacité, votre association a su fédérer
largement les acteurs de l'édition télématique française
et leur offrir un lieu d'échange et de réflexion particulièrement
utile à l'heure où les éditeurs sont confrontés,
avec la croissance exponentielle de l'Internet et des services en ligne, à
un nouveau défi.
1. L'édition télématique française face au défi
du multimédia et de l'Internet : des atouts exceptionnels pour réussir
les mutations nécessaires.
Ce défi, ma conviction est que l'édition télématique
française dispose d'atouts exceptionnels pour le relever: grâce au
succès du Minitel que nombre de pays nous envient, le marché de la
télématique de masse existe déjà dans notre pays et
une fraction importante de la population a l'habitude de consulter des services
en lignes. En témoigne un développement du commerce électronique
qui place la France loin devant les Etats-Unis en ce domaine. Vous disposez en
outre d'un savoir-faire précieux, et sans doute unique dans le monde,
dans le domaine de la conception et de la gestion des services télématiques.
Il vous appartient maintenant de mettre à profit cette expérience
et cette compétence pour développer une offre attractive de
services multimédias francophones, qui - dans un avenir proche -
trouveront sur l'Internet (et sur les nouveaux supports « hors ligne »
tels que le DVD) un nouveau et très vaste public. Face à ce défi,
les éditeurs télématiques français doivent conserver
l'énergie et l'optimisme des pionniers qu'ils ont été au
moment du lancement du Minitel.
En ce qui concerne les éditeurs de la presse écrite, qui sont
nombreux parmi les adhérents du GESTE, j'avais récemment confié
une mission à M. Jean Charles BOURDIER, Directeur de la Rédaction
du Républicain Lorrain, sur l'impact des nouvelles technologies de
l'information dans le secteur de la presse. M. BOURDIER vient de me remettre son
rapport. Parmi les mesures proposées, qui sont aujourd'hui examinées
par mes services le rapport préconise le lancement de projets
structurants en partenariat avec les industriels du Multimédia.
La presse a déjà répondu à l'Appel à
Propositions « Autoroutes de l'Information », une quinzaine de projets
de secteur ayant déjà été labellisés.
J'exhorte donc la presse mais plus largement l'ensemble des acteurs du secteur à
poursuivre l'effort de mobilisation nécessaire en faisant appel au
guichet permanent « Autouroutes de l'Information » mis en place par
mon Ministère.
2. Tirer parti d'une offre technologique française au meilleur
niveau mondial.
Nous disposons dans la recherche et dans l'industrie de compétences
technologiques fortes dans plusieurs domaines clés pour vos métiers
:
- au niveau de la recherche, deux exemples :
- le consortium international du World Wide Web est piloté
conjointement par le MIT, l'INRIA et l'Université de Keio au Japon. Ses équipes
travaillent sur des technologies essentielles pour le réseau INTERNET
comme le son et l'image animée en ligne, le commerce électronique,
ou la sélection de contenu (PICS).
- c'est une équipe française de l'Ecole des Mines qui développe
une nouvelle technologie très prometteuse de recherche d'informations sur
INTERNET et la société développant le principal moteur de
recherche mondial (ALTA VISTA) a acheté une licence de cette technologie.
- au niveau du logiciel, on trouve des grandes SSII qui ont développé
grâce à la télématique, une très grande compétence
sur les logiciels de serveur à haute performance, on trouve aussi des
sociétés très pointues maîtrisant des technologies clés
: GCTECH pour le commerce électronique, ILOG pour les boîtes à
outil logicielles (catalogues électroniques) NET GEM pour l'accès à
INTERNET sur un poste de télévision etc.
- au niveau des opérateurs enfin, l'appel à propositions «
Autoroutes de l'Information » nous a permis de maîtriser de nouvelles
technologies en matière d'accès au réseau : je citerai par
exemple l'accès à INTERNET par les réseaux câblés.
La France est en pointe sur ces techniques avec le lancement de services qui
comptent parmi les tous premiers services de ce type au niveau mondial (Annecy,
Le Mans, Nice etc).
Vous disposez donc d'un potentiel considérable dans les technologies
clés pour l'avenir des services en ligne.
3. Inventer de nouveaux modèles économiques.
Le succès de la télématique française a été
en partie basé sur le modèle économique du MINITEL qui
repose sur trois principes :
- facturation par le fournisseur d'accès (France Télécom)
de l'ensemble des contenus pour le compte des éditeurs,
- facturation à la durée des contenus,
- financement des terminaux par l'opérateur qui les prête ou
les loue aux abonnés.
Ce modèle n'est pas transposable tel quel dans le monde d'INTERNET :
- la multiplication du nombre des fournisseurs d'accès et des éditeurs
de contenu rend difficile la facturation par le fournisseur d'accès des
contenus,
- la facturation à la durée des contenus est, en général,
peu compatible avec le protocole TCP/IP où la notion même de
connexion n'a pas de sens. Les facturations à l'acte devraient donc se généraliser.
On peut imaginer toutefois des exceptions à cette règle comme par
exemple pour le son ou la vidéo à la demande.
- le financement des terminaux par les fournisseurs d'accès est, en
revanche, une piste qui pourrait s'appliquer au cas d'INTERNET (comme pour le
GSM et je sais que certains industriels y réfléchissent) dans le
cadre de la fourniture de terminaux bon marché.
Je souhaiterais aborder un dernier point sur ces aspects de tarification .
L'accès aux fournisseurs d'accès est, en général,
facturé par France Télécom au prix d'une communication téléphonique
locale, ce qui correspond à une demande que j'avais formulée l'année
dernière, pour accélérer le développement d'INTERNET
en France. La restructuration tarifaire préannoncée récemment
par France Télécom aurait cependant pour effet, dans certains cas,
d'alourdir le coût pour les abonnés à INTERNET. De nombreux
internautes m'ont saisi du problème (par courrier électronique ou
sur les forums http://www.telecom.gouv.fr).
J'ai demandé au Président de France Télécom
d'examiner les moyens d'éviter cette situation. Il est clair pour moi
qu'un coût trop élevé de l'accès est un frein
important à l'usage d'INTERNET : les expérimentations menées
sur les réseaux câblés dont je parlais tout à
l'heure, où la facturation est forfaitaire, font apparaître une durée
quotidienne de consultation qui représente plus du double de celle observée
par les opérateurs utilisant l'accès téléphonique.
Comme vous le voyez, les pistes de réflexion et d'expérimentation
tant sur les aspects technologiques qu'économiques sont nombreuses. Je
sais que vous ne manquez ni de l'imagination ni du talent nécessaires
pour faire de cette période de transition l'occasion de donner un nouveau
souffle à l'édition télématique française.
Je sais aussi que vous êtes nombreux ici à avoir déjà
franchi le pas du multimédia ou à vous être d'emblée
positionnés avec beaucoup de dynamisme sur le marché en pleine
croissance de l'Internet et des services en ligne, et je m'en félicite :
c'est une des raisons qui me portent à croire que, d'ici quelques mois,
le « retard français » en termes de présence sur le réseau
Internet - que certains ont voulu trop vite juger irrémédiable -
sera très largement résorbé.
Sachez que mon appui total vous est acquis dans cette démarche. La
nouvelle procédure de « guichet permanent » Autoroutes de
l'Information que j'ai mise en place, a précisément pour objectif
de pouvoir instruire « au fil des l'eau » les projets d'expérimentation
que vous pourrez proposer. L'annonce lundi par le Président de la République
d'une baisse au taux de TVA sur les produits et services multimédia
contribuera à dynamiser ces marchés.
4. Tirer les conséquences du développement de l'Internet :
un défi éthique autant que technologique (la mission confiée
à Antoine Beaussant).
En tant qu'acteurs de l'ancrage de notre pays dans la société
de l'information, je suis certain que vous êtes conscients que le développement
exponentiel de l'Internet et des services en ligne, à l'échelle de
la planète, ne nous lance pas seulement un défi technologique.
C'est pourquoi je voudrais également évoquer devant vous les
raisons qui m'ont poussé à confier, le 28 octobre dernier, à
votre Président, M. Beaussant, la mission de réfléchir à
un « code de bonne conduite » à l'usage des acteurs français
de l'Internet.
La démarche que mon ministère a voulu conduire, s'agissant des
questions déontologiques posées par l'Internet, repose sur une
conviction, qui est désormais largement partagée : la conviction
que nous ne saurions nous contenter d'aborder et d'accompagner la révolution
du numérique sous un angle exclusivement technique, tant il est vrai
qu'elle ne peut se réduire à cette seule dimension. Car ce sont
aussi toutes nos pratiques économiques et sociales - notre façon
de communiquer, d'apprendre, de travailler, de consommer - qui sont en train d'évoluer.
Ainsi, l 'Internet aura relié plus de 50 millions de personnes dans
le monde, sera devenu la principale plateforme de commerce électronique
et se sera imposé comme la préfiguration la plus probable des
futures autoroutes de l'information avant de susciter une véritable réflexion
sur les problèmes éthiques liés à son développement.
Ma conviction était cependant que nous ne pouvions faire l'économie
de cette réflexion. Il est en effet évident que l'absence quasi
totale de règles qui a longtemps prévalu sur le réseau peut
devenir la source de divers abus, à l'heure où le grand public
s'approprie cet outil et où un nombre considérable de nouvelles
applications, notamment commerciales, font leur apparition sur le réseau,
et où nous nous préparons à lancer un vaste plan de
raccordement des écoles.
C'est pourquoi j'étais convaincu qu'il était indispensable de
définir de nouvelles règles déontologiques, tant pour protéger
les utilisateurs que pour clarifier les responsabilités des acteurs
professionnels de l'Internet.
Ne nous méprenons pas : ce dont il s'agit, ce n'est ni de «
mettre au pas » l'Internet, ni de brider la liberté d'expression qui
y règne depuis sa création, mais de s'assurer que ce nouveau média
restera fidèle à sa vocation première.
5. La charte des acteurs de l'Internet : une base solide pour une déontologie
de l'Internet.
Ce Code m'a été remis il y a quelques jours, et je tiens
aujourd'hui à rendre hommage au travail accompli par Antoine Beaussant.
D'abord parce que ce travail témoigne d'une réflexion
particulièrement approfondie, qui n'a négligé aucune des
questions juridiques et éthiques soulevées par le développement
de l'Internet dans notre pays. Mais aussi parce que ce travail est le fruit
d'une concertation permanente et très large, au cours de ces derniers
mois, avec les professionnels - éditeurs, fournisseurs d'accès, opérateurs,
chercheurs, un grand nombre d'experts, juristes et consultants - aussi bien
qu'avec les utilisateurs et l'ensemble des associations sensibles au devenir de
l'Internet (GESTE, AFPI, AFTEL, AUI, AFUI, le chapitre français de
l'Internet Society).
Je suis heureux de constater qu'un premier consensus a pu se dégager
ainsi autour des propositions formulées par M. Beaussant, malgré
les inévitables réserves que ce travail a pu susciter ici ou là.
Je tiens à dire que ce travail me paraît devoir constituer une base
solide pour la mise en uvre d'un dispositif d'autorégulation.
6. Poursuite de la démarche : la réflexion sur la déontologie
à l'échelle internationale.
Si les travaux conduits par le groupe de M. Beaussant auront permis de
rappeler à leur tour que l'existence d'un vide juridique - s'agissant de
l'Internet - relève plus du mythe que de la réalité, le
problème de l'application des textes existant au niveau national à
un réseau par nature transnational reste en revanche complexe à résoudre.
Dans l'immédiat, il reste donc à réfléchir la
mise en place d'un cadre déontologique au niveau international.
L'étape importante que les travaux menés par M. Beaussant
permettent aujourd'hui de franchir va conforter la démarche française
proposée à l'OCDE, que cette institution vient d'accueillir
favorablement et d'inscrire à son programme. Les travaux préparatoires
à l'élaboration d'une charte de coopération internationale
sur Internet au sein de l'OCDE seront animés, en liaison avec le secrétariat
de l'organisation, par Madame Isabelle Falque-Pierrotin, qui avait rendu au
printemps dernier un rapport au Gouvernement sur les questions soulevées
par le développement d'Internet.
* * * * *
Conclusion :
Les défis qui se posent à vous, face au développement
d'INTERNET et des services en ligne sont nombreux et de toute nature :
technologiques, économiques, éthiques. Je suis convaincu que l'édition
télématique française dispose d'atouts de tout premier
ordre pour les relever. Je voudrais donc, pour conclure, souhaiter aux membres
du GESTE de continuer à être les acteurs à la fois
dynamiques et responsables de cette révolution, dont ils ont - comme
toutes nos entreprises et tous nos concitoyens - tant à attendre.