DISCOURS
DE FRANÇOIS FILLON
Clôture de la table-ronde sur la
future loi de réglementation des télécommunications
1) Garantir le service public
2)
Garantir les droits des utilisateurs par un accès simple à plus
de services de télécommunications ;
3) Créer
un environnement favorable au développement de la compétitivité
du secteur ;
4) Développer la compétitivité
de l'opérateur en charge du service public France Télécom.
5) Assurer un jeu loyal de la concurrence par l'instauration d'une
régulation efficace.
Il m'appartient donc de conclure - provisoirement - ce débat au cours
duquel la diversité des points de vue exprimés montre, si cela était
nécessaire, que l'ouverture à la concurrence du secteur des télécommunications
constitue un enjeu politique, économique majeur pour notre pays, mais
est aussi un objet de réglementation difficile qui nécessite de
trouver un juste équilibre entre les intérêts des divers
acteurs en présence.
Je voudrais tout d'abord vous remercier pour avoir participé nombreux à
ce débat et ainsi aider le Gouvernement dans les choix qu'il a à
faire. Ces remerciements me donnent l'occasion de revenir sur LA METHODE que
j'ai choisie pour élaborer ce projet de loi sur la réglementation
des télécommunications.
Face à l'ampleur du sujet, il m'avait paru intéressant et nécessaire
de consulter publiquement l'ensemble des personnes intéressées
par le devenir du secteur des télécommunications afin d'éclairer
et, si nécessaire, de corriger certains des choix que s'apprête à
faire le Gouvernement.
Grâce à votre participation, cette méthode de large
consultation publique est un SUCCES : nous avons reçu près d'une
centaine de contributions écrites de la part d'opérateurs de télécommunications,
d'industriels, de syndicats professionnels, de consultants, de syndicats et
d'associations de personnels de France Télécom, de l'étranger
aussi... Cela représente plus de 1000 pages d'idées, de
suggestions que nous exploitons pour préparer le texte de loi lui-même.
Dans un souci de transparence et sans craindre l'exploitation des avis
contraires aux options que retiendra le Gouvernement, j'ai décidé
que l'ensemble de ces contributions serait rendu public aujourd'hui.
Cette méthode de concertation sera poursuivie tout au long des
discussions sur le texte de loi lui-même dont je rappelle que le
Gouvernement souhaite qu'il soit adopté au cours de ce premier semestre,
mais aussi et surtout sur les textes d'application qui doivent être adoptés
avant la fin 1996 pour que les licences puissent être délivrées
en 1997 pour application à partir du 1/1/98 : des consultations seront
prévues sur les textes d'application concernant les catégories de
licences, le service universel, l'interconnexion.
Cette participation importante est également à mes yeux la preuve
de la mobilisation du monde économique que suscite la préparation
de l'échéance de plus en plus proche de l'ouverture à la
concurrence des services et infrastructures de télécommunications.
Je me félicite tout particulièrement de cette mobilisation car
nous devons effectivement nous préparer, et non subir, cette mutation du
secteur des télécommunications pour que notre pays en retire les
retombées positives en termes de développement, d'innovation, de
croissance et d'emploi que nous en attendons.
C'est pourquoi j'ai proposé une ambition et 5 objectifs dont j'ai pu
constater qu'ils étaient largement partagés.
Mon ambition est de montrer que la concurrence n'est pas l'ennemi du service
public, qu'il est possible de concilier ouverture à la concurrence et développement
d'un service public de qualité.
Je rappelle mes objectifs - et je reviendrai sur chacun d'eux -
1 Garantir à tous un service public de qualité ;
2 Garantir les droits des utilisateurs par un accès simple à
plus de services de télécommunications ;
3 Créer un environnement favorable au développement
de la compétitivité du secteur ;
4 Développer la compétitivité de l'opérateur
en charge du service public France Télécom.
5 Assurer un jeu loyal de la concurrence par l'instauration
d'une régulation efficace.
1) Garantir le service public
La consultation a largement démontré l'attachement des acteurs
français au service public. Plusieurs points ont donné lieu à
débat : son contenu, sa fourniture, son financement notamment. Je
souhaite profiter de cette occasion pour clarifier mes orientations et mes
choix, ayant entendu ici ou là que c'est un service public minimal que
consacrerait ce texte alors que cela est tout le contraire de mon ambition.
Le service public des télécommunications, c'est quoi ?
C'est d'abord la fourniture du service universel de téléphonie
vocale, je reviendrai sur cette notion importante
C'est aussi des services obligatoires, c'est-à-dire des services dont la
disponibilité sur l'ensemble du territoire doit être assurée
: le télex, les liaisons louées, mais aussi l'accès au
RNIS.
C'est enfin des missions d'intérêt général dans le
domaine des télécommunications : la sécurité et la
défense, la recherche, l'enseignement supérieur.
Et tout cela dans le respect des principes d'égalité, de
continuité, d'universalité, d'adaptabilité.
Le service public aujourd'hui en France, c'est tout cela. Ni plus, ni moins !
Et c'est tout cela que j'entends faire inscrire pour la première fois
dans la loi.
Revenons sur chacun de ces points
Le service universel de téléphonie vocale tout d'abord :
C'est la fourniture à tous à un prix abordable du téléphone
tel que nous le connaissons ainsi que l'acheminement gratuit des appels
d'urgence, la fourniture d'un service de renseignements et d'un annuaire
d'abonnés sous forme imprimée et électronique, la desserte
du territoire en cabines téléphoniques.
Le débat tourne autour de cette notion de "prix abordable".
Je le dis et je le répète : je refuse le service universel du
pauvre, c'est-à-dire que ceux qui souhaitent voir limitée la
notion de prix abordable à des tarifs spéciaux pour les catégories
défavorisées se trompent.
Ces tarifs doivent bien sûr être mis en place et développés.
Mais le service public dans notre pays, c'est aussi et surtout l'égalité
d'accès des citoyens au téléphone qui se traduit par une péréquation
tarifaire. Voilà comment nous traduisons "prix abordable" : par
péréquation tarifaire. Nous la préserverons. Cette péréquation
tarifaire, elle est d'abord géographique : un même client qu'il
soit à Lyon ou à Brives paie ses communications avec Paris au même
tarif. Il s'agit là d'une solidarité essentielle qui sera préservée.
Elle est essentielle pour l'aménagement du territoire.
Cette péréquation elle est aussi sociale puisque certaines catégories
d'usagers, ceux qui utilisent les longues distances, c'est à dire les
entreprises, paient pour les autres. Sur ce point, nous avons indiqué
qu'il faudrait progressivement mettre en oeuvre un rééquilibrage
des tarifs pour permettre à France Telecom de faire face à la
concurrence. Mais j'ai aussi indiqué à la Commission de Bruxelles
qu'il était irréaliste que ce rééquilibrage soit
effectif au 1/1/98 et que la France entendait agir avec progressivité en
tenant compte des préoccupations sociales.
Le service universel du téléphone, c'est donc bien le service
public du téléphone tel que nous le connaissons et il le restera.
Un mot ensuite du RNIS. J'ai dit qu'il s'agissait aujourd'hui d'un service
obligatoire de France Télécom et que cela le resterait. Ainsi
sera assuré - ce qui est le cas - sa disponibilité sur tout le
territoire. Certains souhaiteraient que nous allions plus loin en incluant l'accès
RNIS dans le service universel à l'image de ce que ferait l'Allemagne.
Une précision tout d'abord. L'Allemagne, que certains se plaisent à
citer en exemple, n'a pas inclu le RNIS en tant que service de transmission de
données dans le service universel. Elle a simplement inclus dans le
service universel la technologie du réseau numérique en tant que
support de la voix.
Nous ne voyons pas l'intérêt de désigner une technologie
support de la téléphonie vocale. Après tout pourquoi la
technologie DECT ne pourrait-elle demain servir de support au service universel
du téléphone ? Quant au service de traitement de données -
les services disponibles sur le RNIS sont trop peu développés
pour que nous puissions l'inscrire aujourd'hui dans le service universel.
Mais pourquoi pas dans 5 ans ? Car j'en viens là à un point qui
fait l'objet d'un consensus dans la consultation. Le service public est une
notion évolutive.
Il faut que tous les Français puissent bénéficier des
progrès technologiques sur l'ensemble du territoire avec un même
niveau de qualité et de prix. Il faudra donc prévoir dans la loi
la possibilité d'une révision régulière du contenu
du service public, par exemple tous les 5 ans.
J'en viens aux conditions de fourniture du service public. J'ai bien noté
les arguments avancés par les uns et les autres qui souhaiteraient que
la fourniture du service universel du téléphone puisse être
partagée entre plusieurs opérateurs correspondant à
plusieurs zones géographiques. Je n'y suis pas, à ce stade,
favorable.
Le service public est fondé sur l'idée d'égalité
entre tous les Français. Comment assurer cette égalité -
et notamment l'égalité de prix au travers de la péréquation
- si l'opérateur qui le fournit sur l'ouest de la France ne se préoccupe
pas du nord ? En administrant les prix ? Cela n'est pas souhaitable Un opérateur
qui souhaite être opérateur de service public de téléphone
devra donc offrir ce service public sur l'ensemble du territoire national. Seul
France Télécom en sera capable me direz-vous - oui cela est vrai.
Il est vrai que seul France Télécom est effectivement capable
d'assurer ces obligations sur l'ensemble du territoire national et de répondre
à cette notion d'égalité. Cela n'interdit pas la
concurrence. Il y aura bien sûr des opérateurs locaux et régionaux
de téléphone qui concurrenceront France Telecom. Mais ils auront
l'obligation de participer au financement des obligations de service public
incombant à France Telecom.
Car tous les nouveaux opérateurs doivent participer à cette
mission. Certains souhaitent un seuil d'exemption sous forme de part de marché
ou de durée ou de chiffre d'affaires. Je n'y suis a priori pas favorable
: chacun doit contribuer au service public.
2) Garantir les droits des utilisateurs : un accès
simple
Cet objectif doit être à mes yeux un souci constant de la réforme
: il ne faut pas que les télécommunications deviennent la jungle
pour l'utilisateur. Cet objectif a fait l'objet d'un large consensus y compris
dans ses modalités. Il faut donc travailler sur les mécanismes qui
permettent une meilleure concurrence, favorable aux utilisateurs.
- la numérotation : vous souhaitez pour la plupart qu'un principe d'accès
égal à la numérotation soit inscrit dans les textes, c'est
à dire que le nombre de chiffres à faire pour utiliser un service
de France Telecom ou d'un concurrent soit le même. J'y suis favorable et
au-delà des textes, j'ai demandé à la DGPT de veiller à
ce que le nouveau plan de numérotation qui sera en place le 18 octobre
prochain le permette. J'ai également noté la très forte
demande pour développer rapidement la portabilité des numéros
de façon à ce qu'un utilisateur puisse changer d'opérateur
en conservant son numéro. Certains souhaitent qu'un objectif soit fixé
dans la loi : 2000 ou 2003... Pourquoi pas ? Cela nécessite sans doute
que soient examinées les difficultés techniques, mais aussi que
soient précisées les modalités de financement d'une telle
opération.
- l'annuaire universel : notre proposition de constitution d'un annuaire qui réunisse
l'ensemble des abonnés aux divers opérateurs a reçu un bon
accueil. Ce sera indiscutablement un progrès alors qu'aujourd'hui
l'absence d'annuaires des abonnés au radiotéléphone est sûrement
un frein au développement du trafic. Cependant pour tenir compte là
encore des résultats de la consultation, nous prévoierons que
l'entité gestionnaire du fichier universel sera indépendante d'un
opérateur et que l'édition de l'annuaire universel sera libre.
- la normalisation : les industriels et les utilisateurs ont notamment fait
part de leur souhait que soit assurée la portabilité des
terminaux et que soient standardisées les divers interfaces techniques
du réseau. Cet objectif devra effectivement être prise en compte.
- j'ajouterai une proposition en réponse à une revendication des
associations des consommateurs : que le régime de responsabilité
pour faute lourde qui régissait les activités de France Telecom
sous monopole soit aboli et que le droit commun en la matière s'applique
désormais à l'ensemble des opérateurs.
3 et 4) Créer un environnement
favorable au développement de la compétitivité et de
France Telecom
- Cela signifie pour moi une compétition qui s'appuie sur des règles,
équitables, transparentes, non discriminatoires tant pour France Telecom
que pour les nouveaux opérateurs.
Je suis favorable à ce que le cadre réglementaire mis en place
favorise les investisseurs avec des engagements pérennes à long
terme, capable de mettre en oeuvre des projets ambitieux.
J'ai bien noté les demandes de clarification sur nos propositions en
matière de catégories de licences, par exemple sur les notions de
réseaux ouverts au public ou non ouverts au public autour desquelles
s'organisent les licences.
J'ai bien noté également, qu'en matière d'accès aux
ressources publiques, que ce soient les fréquences, les droits de
passage sur le domaine public, la numérotation, les règles du jeu
doivent être les mêmes pour France Telecom et ses concurrents. Cette
demande me paraît justifiée. (j'en profite pour indiquer que je
souhaite que soient également prises en compte les préoccupations
des collectivités locales en matière de droit de passage : d'une
part, en prévoyant des redevances d'occupation du domaine public,
d'autre part, en favorisant par la réglementation l'enfouissement des
lignes.
Enfin, dans certains domaines-clés, comme l'interconnexion, il est clair
que France Télécom qui maîtrise par son réseau l'accès
à la clientèle aura des obligations particulières d'une
offre d'interconnexion qu'elle devra d'ailleurs appliquer dans les mêmes
conditions à ses propres services en concurrence.
5) Assurer un jeu loyal de la concurrence par l'instauration
d'une régulation efficace
Ce sujet a fait l'objet de nombreux avis qui sont d'ailleurs convergents sur la
nécessité de mettre en place une instance de régulation
qui puisse agir efficacement. J'ai lu attentivement les contributions sur ce
point et j'en ai retiré les convictions suivantes :
- pour que notre pays retire les bénéfices de l'ouverture à
la concurrence, il faut que le système de régulation mise en
place ne soit pas un obstacle pour les investisseurs.
- les acteurs économiques redoutent que l'Etat soit juge et partie.
- l'Etat est durablement actionnaire majoritaire de France Telecom .
- la réglementation, c'est à dire la définition des règles
du jeu, est de la compétence du Gouvernement et du Parlement pour la
loi.
Je serais donc tenté de faire au Premier Ministre la proposition
suivante :
- que le ministre chargé des télécommunications fixe les règles
du jeu générales et individuelles.
- que soit créée une instance de régulation des télécommunications
dont les conditions de nomination assurent une indépendance et qui fait
appliquer les règles du jeu et contrôle leur application,
sanctionne et arbitre au besoin.
Je serais également favorable qu'en matière de service public et
de service universel, la Commission Supérieure du Service Public,
renforcé dans son rôle, éventuellement rénovée
dans sa composition, participe, au côté de l'instance de régulation,
à la définition, à la mise en place et au contrôle
des mécanismes qui assureront le bon fonctionnement du service public.
J'ai bien noté le souhait que la grande majorité des acteurs, si
elle éprouve la nécessité d'une autorité
sectorielle étant donné la spécificité des questions
en jeu, et notamment l'interconnexion, ne souhaite pas que soit créée
une réglementation sectorielle de la concurrence. Je fais mienne cette
orientation : le droit de la concurrence ne doit pas faire l'objet d'interprétations
diffférentes selon les secteurs d'activité. C'est pourquoi il sera
nécessaire que l'instance de régulation des télécommunications
soit bien articulée avec le Conseil de la Concurrence.
Un dernier mot sur ces questions institutionnelles : la proposition de création
d'une agence des fréquences recueille un soutien quasi unanime de la
part des professionnels que vous êtes : cela prouve sans aucun doute que
cet outil est nécessaire. Je proposerai que sa création figure
dans la loi de réglementation.
Voilà donc quelques unes des orientations que je compte proposer au
Premier ministre et aux autres ministres intéressés dans le cadre
de la préparation d'un texte de loi. Elles sont pour une large part le
fruit de vos réflexions. Elles constituent, je pense, un bon équilibre
qui permettra de faire en sorte que cette ouverture à la concurrence
soit une réussite pour notre pays, c'est à dire que des nouveaux
services à des prix plus bas se développent, que des emplois
soient créés, que le service public des télécommunications
auquel nous sommes attachés soit préservé et se développe.
Sous l'effet des évolutions de la technologie, une véritable révolution
est à l'oeuvre dans le secteur des télécommunications. Je
ne propose pas l'option du statu-quo irréaliste car nous ne résisterons
pas longtemps aux nouvelles technologies ; je ne propose pas non plus l'option
de la fuite en avant qui ignorerait nos spécificités nationales,
notamment notre attachement au service public et à l'opérateur
public. Je propose une évolution maîtrisée qui respecte le
meilleur du modèle actuel et s'ouvre sur les potentialités de
l'avenir.