Avis de la Commission Nationale Consultative des Droits de l'Homme.


A V I S

PORTANT SUR LE RESEAU INTERNET ET LES DROITS DE L'HOMME

( adopté le 14 novembre 1996 )

Considérants :

1 - Rappelant qu'en vertu de l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, "La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'homme ; tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement : sauf à répondre de l'abus de cette liberté, dans les cas déterminés par la loi".

2 - Ayant à l'esprit les engagements internationaux de la France en ce domaine, notamment l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme qui consacre "la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu'il puisse y avoir ingérence d'autorités publiques et sans considération de frontière", et l'article 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques ;

Selon les mêmes dispositions, l'exercice de ces libertés comporte "des devoirs et des responsabilités" qu'il appartient au législateur de définir dans le strict respect des principes constitutionnels et des engagements internationaux précités ;

3 - Estimant que les moyens informatiques et télématiques, et particulièrement le réseau Internet, sont des nouveaux outils pour la diffusion de l'information, le progrès de la connaissance et la promotion de la démocratie dans le monde entier ; et que la place qu'y occupe la France doit être développée et affermie; avec le souci de faciliter son accès à tous.

4 - Constatant que l'Internet peut, comme tout autre mode de communication, permettre la diffusion de textes contraires à la loi et notamment aux droits de l'Homme;

Constatant que les différents modes d'expression publique sur l'Internet (WEB, Forums) peuvent véhiculer des messages, bien que minoritaires, qui tombent sous le coup de la législation française, notamment en matière d'appel direct à la violence, de haine raciale, de pédophilie, etc...;

Constatant que les différents acteurs du réseau (opérateurs, serveurs, usagers...) sont de plus en plus conscients de ces problèmes;

Considérant que le courrier électronique (EMail), étant un mode de communication où l'émetteur et le récepteur sont clairement identifiées, son régime doit être assimilé à celui de la correspondance privée;

5 - Constatant que le réseau Internet est transnational, décentralisé, évolutif dans ses techniques et ses pratiques avec une très grande volatilité des contenus et des acteurs, ce qui contribue à rendre plus difficiles les conditions d'application du droit interne ;

6 - Considérant néanmoins que la législation et la réglementation françaises de droit commun doivent s'appliquer, de préférence à des régimes sectoriels spécifiques comme ceux de la télévision, ou de la télématique.

7 - Considérant que le filtrage n'est juridiquement possible que dans les cas suivants :

- par le fournisseur d'accès si le contrat avec l'abonné le prévoit

- après une décision judiciaire

- suite à un avis d'une instance indépendante à créer;

8 - Après avoir auditionné des représentants des professions de l'informatique et de la communication et d'usagers, des praticiens, des juristes spécialisés et pris connaissance de messages issus du réseau Internet pronant la haine raciale, la pédophilie etc...


La Commission nationale consultative des droits de l'homme recommande :

1 - a) que soit appliqué le droit commun avec les adaptations nécessaires pour lui donner un plein effet concernant l'Internet.

Ces adaptations devraient en particulier concerner la qualification juridique des modes d'expression publique, c'est-à-dire :

- l'assimilation générale d'un serveur WEB à une publication, avec les obligations qui en découlent;

- l'assimilation des propos échangés dans le cadre des Forums à un propos public;

b) que soient engagées des poursuites contre les auteurs de publications illicites au regard de la loi;

c) aux pouvoirs publics de préciser, par voie législative ou réglementaire, le champ des responsabilités éditoriales en France de l'information de la chaîne complète, c'est à dire des éditeurs, fournisseurs d'accès, transporteurs, utilisateurs....

2 - Au Gouvernement français de favoriser la coopération internationale, en premier lieu européenne, dans les domaines judicaire et policier, afin notamment de trouver une solution permettant de faciliter les recours et actions judiciares à l'encontre des personnes diffusant des messages contraires à la loi, et de favoriser un rapprochement des réglementations applicables;

3 - Aux pouvoirs publics de mettre en place un Observatoire national.

Cet organisme aurait un rôle d'information, de proposition et de médiation pour les professionnels et les utilisateurs. Il participerait à la définition de catégories dans lesquelles seraient classés les sites, afin de permettre l'orientation de l'utilisateur.

Sa composition associerait les représentants des pouvois publics, des professionnels du réseau et des associations d'utilisateurs.

4 - Aux pouvoirs publics de favoriser la protection des documents et études pouvant bénéficier de la protection de la propriété intellectuelle et du droit d'auteur, ceci au moyen de labellisation, procédé du tachisme et de codification, soumis à déclaration auprès de l'organisme accrédité (accès pour le secret défense) ; et, dans le même esprit, elle encourage l'utilisation de la cryptologie par l'intermédiaire de "tiers de confiance" pour la protection des données personnelles ou confidentielles, de telle sorte que la justice puisse connaître la teneur des propos, dans le cas d'une procédure judiciaire.

5 - Que les professionnels du réseau adoptent un code de déontologie sur la base de la "Netiquette", en concertation avec les associations d'utilisateurs.

Aux pouvoirs publics de confier à l'Observatoire pré-cité le soin de veiller à l'application de cette déontologie et de leur faire toutes recommandations;

6 - La mise en place de pages d'informations et d'avertissements, adressées à l'utilisateur du réseau, et dont la consultation resterait volontaire, reprenant des extraits de ce code de déontologie, afin d'informer celui-ci sur ses droits et obligations;

7 - Que les fournisseurs d'accès prennent l'initiative de toute mesure technique d'auto-contrôle afin de filtrer l'accès aux messages, permettant ainsi aux utilisateurs d'exercer leur liberté de choix (particulièrement la possibilité d'un contrôle parental).

Qu'obligation soit faite aux fournisseurs d'accès de proposer systématiquement à leurs abonnés des logiciels de contrôle, en langue française, pouvant être activés par l'utilisateur grâce à la classification des sites évoquée en 3.

8 - Aux associations oeuvrant dans le domaine des droits de l'homme d'affirmer leur présence sur le réseau Internet afin de promouvoir et de diffuser les valeurs fondamentales des droits de l'homme et de veiller à leur effectivité.