La loi Evin vue par des nains, ça ne veut plus rien dire : on supprime la pipe, et il faudrait tout avaler !
Après la clope à Sartre et le mégot à Malraux, c’est la pipe à Tati qui passe à la gomme. La RATP et la SNCF ont décidé de supprimer la bouffarde de Monsieur Hulot sur les affiches qui vont annoncer, sur le cul des bus et dans les stations de métro, l’exposition consacrée à cet artiste à l’humour ravageur.
Bon, on savait que la direction de la SNCF nous roulait (et même nous enfumait, avec ses tarifs TGV à géométrie variable et tendance haussière), on n’ignorait pas que celle de la RATP était souvent plus bas que terre, mais pour le coup, on ne les savait pas si cons. Je suis désolé de rompre avec l’habituelle élégance classique de mon style, mais après avoir feuilleté mes cinq dictionnaires, je n’ai pas trouvé de terme plus précis pour exprimer efficacement le jugement que doit susciter cette initiative chez toute personne ayant un jeu de neurones en état de fonctionnement. Je me demande même si, s’agissant de Tati, il est possible de faire plus con : dans toute l’œuvre de ce réalisateur, sa pipe reste éteinte [1]… D’autre part, il eût été injuste de traiter de « blaireaux » les professionnels de la communication ferroviaire qui ont eu cette idée : le blaireau, quoi qu’on en dise, est bien moins con que les vrais cons.
Mais il ne faut surtout pas s’arrêter là. L’ivresse de la censure, c’est, pour les petits staliniens et les gros nuls de la communication bien-pensante, une dope essentielle à leur créativité. Pas de clope, pas de pipe parce que ça encourage l’usage du tabac ? Eh bien, à vous ciseaux, à vos gommes, à votre photoshop, messieurs les censeurs ! Il sera désormais interdit de représenter :
 des trains, parce que ça incite à faire la grève
 des métros, parce que ça incite à creuser des trous
 des robinets, parce que ça incite à pisser à l’arrêt en gare
 des essuie-glace, parce que ça incite à faire des allers-retours
 le Pape, parce que ça incite au sida
 des femmes, parce que ça incite à faire crac-crac
 des hommes, parce que ça incite au machisme
 des enfants, parce que ça incite à la pédophilie
 Louis XIV, parce que ça incite à se déguiser avec les rideaux du salon
 des opéras de Wagner, parce que ça incite à envahir la Pologne
 des noirs, parce que ça incite à devenir Président à la place du Président
 des matches de foot, parce que ça incite à boire des bières devant la télé
 des journaux, parce que ça incite à  ne pas regarder la télé
 des livres, parce que ça incite à abattre des arbres bien portants
 des talibans, parce que ça incite à traiter sa femme comme un sac-poubelle
 Dieu, parce que ça incite à faire des guerres de religion
 Sarkozy, parce que ça incite à faire des fautes de français
 des Suisses, parce que ça incite à freiner dans le montées
 des prisons, parce que ça incite à se suicider
 le Tour de France, parce que ça incite à se doper
 des cochons, parce que ça incite à manger gras
 des lapins, parce que ça incite à la fornication
 des prairies, parce que ça incite à fumer de l’herbe
 des facteurs, parce que ça incite à aimer le gros rouge
 des hérissons, parce que ça incite à se piquer
 des autos, parce que ça incite à polluer
 des banquiers, parce que ça incite à demander des sous à l’État
 des économistes, parce que ça incite à dire des conneries
 Fillon, parce que ça incite à ne pas exister
 des pompiers, parce que ça incite à la pyromanie
 des vaches, parce que ça incite à faire son beurre
 des oies, parce que ça incite à se gaver
 des cimetières, parce que ça incite à souhaiter la mort de la mémé
 des poissons, parce que ça incite à pécher
 Bakchich, parce que ça incite à avoir mauvais esprit.
Bon, à vous de jouer, chers lecteurs, et rallongez la liste !
[1] voir le témoignage de Macha Makeïeff, rapporté par Pierre Assouline dans son papier « Censurer tue », in Le Monde 2 du samedi 11 avril
