This newsletter was sent to 1143 subscribers. --------------------- Notre collaborateur J-P. Duquette nous transmet cette éclairante anecdote sur la justice canadienne. Extrait du journal "Le Devoir". Prochaines nouvelles dans une semaine ______________________________________ Autres nouveautés : http://www.msh-paris.fr/red&s/news/biblio/rep000.htm ___ Document soumis aux dispositions du droit d'auteur. Tous droits réservés. Le Devoir Idées Samedi 6 décembre 1997 A11 Projet de lettre au ministre de la Justice: Une justice mesquine envers ses témoins À force de s'enliser dans une mesquinerie systémique, l'État dévalorise le témoin, la pierre angulaire du système judiciaire Duquette, Jean-Paul TYPE: Opinion LONGUEUR: Long CENTRE D'INTÉRÊT: Cours et administration de la justice CENTRE GÉOGRAPHIQUE: Laurentides Docteur en sociologie du droit et avocat À mon corps défendant, j'ai été l'observateur d'une altercation survenue en pleine sortie d'audience au Palais de justice de Saint-Jérôme. Un justiciable se faisait encore pressant de plaider à sa façon en poursuivant l'avocat de la partie adverse qui, fort d'avoir obtenu un jugement favorable, le fuyait allègrement. Appelés d'urgence par la greffière, les agents de sécurité eurent alors tôt fait de maîtriser la situation. Cela fit plus de boucan que de mal. J'avais oublié cet incident, mais la justice a le bras long. J'en conviens aisément avec vous: Un palais de justice n'est pas un forum approprié aux coups de poing et aux claques, même symboliques. À l'époque, comme il y avait enquête policière, j'ai volontiers décliné mon identité à l'enquêteur. Eut-il mieux valu, comme l'idée en vient à tous et chacun, de faire du slalom judiciaire, de répondre que je n'avais rien vu... ou si peu ? Non, l'occasion était trop belle de me faire confirmer sur le terrain, avec plus de 25 ans de pratique, l'opinion du commun des mortels : "un témoin de la Couronne est traité comme le dernier des venus". Je n'allais pas être déçu par la suite des événements, bien que ce fut tardivement. À preuve ! Une perte de temps aussi totale que courte En ce beau jeudi d'automne, près de deux ans après l'événement et après une douzième remise, j'arrive tout juste du Palais de justice de Saint-Jérôme avec la jolie somme de 7,04 $ en compensation du transport, du stationnement et de ma perte de temps tout aussi totale que de courte durée. Le report de l'affaire s'est promptement bâclé. Fort heureusement, d'ailleurs... L'appareil de ventilation étant, par économie, mis en veille pendant la nuit au palais de justice de Saint-Jérôme, l'air de cette salle du sous-sol devient rapidement irrespirable comme dans toutes les autres salles de notre beau palais. Il y a eu remise, faute d'acteur principal. Ce dernier et son procureur ne s'étant pas entendus sur la date où l'accusé aurait été averti, il choisit donc de vaquer à ses occupations coutumières... des cours en droit à l'Université de Montréal, pendant que son procureur demandait une remise pour cause d'absence de l'acteur principal... Fataliste, un brin exaspéré, le juge, le neuvième à suivre cette affaire, remit la cause à une semaine. Péremptoirement ! En vertu des Chartes des droits et des tutti quanti, l'accusé a tout de même des droits et, en juste contrepartie, les témoins, eux, bien sûr, des obligations. Nous étions pourtant cinq témoins, tous prêts à en finir avec cette histoire. Témoin ou mendiant Bien que j'en fusse à ma première visite au palais pour cette affaire, je décidai d'éprouver le système et me rendis au comptoir du Service d'indemnisation des témoins pour obtenir le remboursement des frais de cette bien petite journée. Le préposé du greffe s'empressa d'un premier trait de stylo de réduire de six kilomètres la distance parcourue entre mon bureau de Sainte-Thérèse et le palais de justice de Saint-Jérôme, soit 42 kilomètres et non 48. Ça commençait bien! Le kilométrage indiqué par ma voiture ne correspondait pas à une grille dressée par un de ces fonctionnaires lunatiques à Québec. La version amaigrissante du kilométrage l'emporta aisément sur mon évidence. Pourquoi donc me faire témoigner si l'on juge que j'ai si peu de crédibilité, que j'en suis réduit à tricher sur le nombre de kilomètres pour me rendre à la cour ? Il y avait encore mieux : le taux payé est de 12 ¢ du kilomètre. Je fis observer que la norme couramment admise était du double, même du triple de ce montant. "C'est le règlement." Encore une autre aberration... Enfin, il reste encore, me suis-je dis, le per diem traditionnel : 10 $ par demi-journée. "Il n'y en a plus. Ç'a été aboli." La citation à comparaître mentionne pourtant, à l'endos, indemnité pour "perte de temps $"... La formule serait-elle périmée? Quel ignorant je suis et... aurais souhaité rester! Bon, bon, d'accord! Je suis un témoin et non un mendiant. Je devrais comprendre. Au moins le coût du stationnement! C'est une dépense tangible, indiscutable. Un dépôt de 7 $ m'a d'ailleurs été exigé à mon arrivée au palais de justice. Exhiber le reçu ne suffit pas, encore faut-il y ajouter le certificat d'immatriculation. Décidément, la confiance règne! On ne sait jamais: je pourrais trafiquer des voitures volées. Le préposé m'a alors généreusement alloué 2 $. Je me suis alors malicieusement interrogé sur le remboursement du coût des repas, qui doit être tout aussi aléatoire puisqu'un témoin me précédant au comptoir avait apporté son lunch. Et pour cause: étant à l'emploi du Palais de justice de Montréal depuis plusieurs années, il a déjà sans doute goûté à la mesquinerie bureaucratique des fonctionnaires du ministère de la Justice. Il m'a même chuchoté que l'allocation était de moins de 5 $. Trêve de considérations grognonnes! Une indemnité à l'injuste mesure Me rendant à l'autre extrémité du palais, je présentai le formulaire d'approbation de dépenses au comptoir de la trésorerie. Bravo! Je fus payé rubis sur l'ongle... 7,04 $. À ma courte honte, je ne mesurais pas la durée de toutes ces formalités. La responsable du stationnement adjacent au palais de justice y veillait cependant avec une remarquable parcimonie. Elle majora, les yeux pleins de plaisir, le coût du stationnement d'un dollar, sous prétexte que j'avais dépassé de deux minutes le temps alloué pour quitter. Au fond, je n'avais qu'à quitter le palais au pas de course, d'autant que je me plaignais de la perte de temps encourue! Un battement de 15 minutes, m'a-t-elle fait reproche, triomphante, m'avait déjà été accordé. Quel abuseur je suis! Me prenant cette fois pour un parfait imbécile, elle me proposa de faire demi-tour avec ma voiture, de retourner à la trésorerie pour obtenir un crédit additionnel de 1 $. Grr, grr... Suave, elle ajouta effrontément: "Je peux vous donner un numéro de téléphone pour vous plaindre... " "Non merci, lui ai-je répliqué, j'en ai assez! Je vais plutôt écrire... au ministre!" À la réflexion, je n'en ferai rien. Le traitement que j'ai subi est celui de n'importe quel témoin assigné devant une cour de justice criminelle. Même mieux! Une enquête administrative révélerait la parfaite conformité du traitement à la réglementation actuellement en vigueur. C'est ainsi qu'à force de s'enliser dans une mesquinerie systémique, l'État dévalorise le témoin, la pierre angulaire du système judiciaire. Ce rôle est, par sa nature, un maillon déjà bien fragile de la chaîne judiciaire. Il n'est certes pas nécessaire, en plus, d'en alourdir l'exercice pour le citoyen qui assume une responsabilité collective sans égard à son propre intérêt. DOC. #:971206LE044 ---- You can unsubscribe from this newsletter at http://www.eurofreebies.com/maillist/unsubscribe.mv?reds-infos