Le Melon (extrait) Quelle odeur sens-je en cette chambre? Quel doux parfum de musc et d'ambre Me vient le cerveau réjouir Et le coeur épanouir? Ha! bon Dieu! J'en tombe en extase: Ces belles fleurs qui dans ce vase Parent le haut de ce buffet Feraient-elles bien cet effet? A-t-on brûlé de la pastille? N'est-ce point ce vin qui pétille Dans le cristal, que l'art humain A fait pour couronner la main, Et d'où sort, quand on veut le boire, Un air de framboise à la gloire Du bon terroir qui l'a porté Pour notre excellente santé? Non, ce n'est rien d'entre ces choses, Mon penser, que tu me proposes. Qu'est-ce donc? Je l'ai découvert Dans ce panier rempli de vert: C'est un melon ou` la nature, Par une admirable structure, A voulu graver à l'entour Mille plaisants chiffres d'amour, Pour claire marque à tout le monde Que d'une amitié sans seconde Elle chérit ce doux manger Et que, d'un souci ménager, Travaillant aux biens de la terre Dans ce beau fruit seul elle enserre Toutes les aimables vertus Dont les autres sont revêtus. [...] Ni le cher abricot que j'aime, Ni la fraise avecque la crème, Ni la manne qui vient du ciel, Ni le pur aliment du miel, Ni la poire de Tours sacrée, Ni la verte figue sucrée, Ni la prune au jus délicat, Ni même le raisin muscat, (Parole pour moi bien étrange!) Ne sont qu'amertume et que fange Au prix de ce melon divin, Honneur du climat angevin. Que dis-je d'Anjou? Je m'abuse : C'est un fruit du cru de ma Muse, Un fruit en Parnasse élevé, De l'eau d'Hippocrène abreuvé, Mont qui, pour les dieux seuls, rapporte D'excellents fruits de cette sorte, Pour être proche du soleil D'où leur vient leur goût non pareil: Car il ne serait pas croyable Qu'un lieu commun, quoique agréable, Eût pu produire ainsi pour nous Rien de si bon ni de si doux. O vive source de lumière! Toi dont la route coutumière Illumine tout l'univers, Phoebus, dieu des fruits et des vers, Qui tout vois et qui tout embrasses, Ici je te rends humbles grâces, D'un coeur d'ingratitude exempt, De nous avoir fait ce présent. [...] Poème de Saint-Amant paru en 1649.