JORF n°0048 du 26 février 2008    J.O. disponibles

Observations du Gouvernement sur les recours dirigés contre la loi relative à la rétention de sûreté et à la déclaration d'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental

NOR: CSCL0811277X

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Le Conseil constitutionnel a été saisi, par plus de soixante députés et plus de soixante sénateurs, de deux recours dirigés contre la loi relative à la rétention de sûreté et à la déclaration d'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental, adoptée le 7 février 2008.

Les recours mettent en cause les articles 1er, 3, 4, 12 et 13 de la loi. Ils appellent, de la part du Gouvernement, les observations suivantes.

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I. ― Sur l'article 1er :

A. ― L'article 1er de la loi déférée insère dans le code de procédure pénale des dispositions instituant un régime de rétention de sûreté et de surveillance de sûreté. La rétention de sûreté est susceptible de s'appliquer, à titre exceptionnel, aux personnes condamnées à plus de quinze ans de réclusion par une cour d'assises pour les crimes les plus graves, lorsque la cour d'assises a expressément prévu cette possibilité et si, au terme de leur peine, à l'issue d'un réexamen de leur situation, il est établi qu'elles présentent une particulière dangerosité caractérisée par une probabilité très élevée de récidive parce qu'elles souffrent d'un trouble grave de la personnalité.

Un condamné auquel ce régime est susceptible de s'appliquer suit un parcours individualisé d'exécution de sa peine défini à l'issue d'une évaluation intervenant un an après que la condamnation est devenue définitive et que la libération conditionnelle peut interrompre à tout moment. Deux ans avant la date prévue de sa libération, il justifie des suites qu'il a données aux propositions de suivi médical et psychologique qui lui ont été faites. Au moins un an avant la date prévue de sa libération, sa situation est examinée par la commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté afin d'évaluer sa dangerosité. Il est placé pendant au moins six semaines dans un service spécialisé pour les besoins de cette évaluation qui est assortie d'une expertise.

A titre exceptionnel, lorsque aucune autre mesure n'est de nature à prévenir le renouvellement d'infractions graves, et si la commission conclut à la particulière dangerosité du condamné, elle peut proposer par avis motivé qu'il fasse l'objet d'une rétention de sûreté dans des cas exceptionnels. Cette rétention consiste dans le placement de la personne intéressée en centre socio-médico-judiciaire de sûreté dans lequel lui est proposée, de façon permanente, une prise en charge médicale, sociale et psychologique destinée à permettre la fin de cette mesure. La décision de rétention de sûreté est prise par la juridiction régionale de rétention de sûreté. Elle est susceptible de recours et est valable pour une durée d'un an qui peut être prolongée, si les conditions sont remplies, après avis favorable de la commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté.

Si la rétention de sûreté n'est pas prolongée ou s'il y est mis fin, la juridiction régionale de la rétention de sûreté peut placer la personne sous surveillance de sûreté pendant une durée d'un an. Ce placement est susceptible de recours et renouvelable selon les mêmes modalités que la rétention de sûreté. La surveillance de sûreté comprend des obligations identiques à celles prévues dans le cadre de la surveillance judiciaire.

Les députés et sénateurs auteurs des saisines soutiennent, à titre principal, que la mesure de rétention de sûreté aurait le caractère d'une peine. Ils en déduisent que, faute pour elle de réprimer une infraction, cette mesure contreviendrait aux principes de légalité des délits et des peines, de nécessité des peines et méconnaîtrait l'article 66 de la Constitution qui prohibe la détention arbitraire. Les sénateurs requérants ajoutent que la loi déférée serait, sur ce point, contraire au principe « non bis in idem » et méconnaîtrait l'autorité de la chose jugée par le juge pénal. Les saisissants font valoir, à titre subsidiaire, pour le cas où la rétention de sûreté n'aurait pas la nature d'une peine, que les dispositions de l'article 1er de la loi déférée seraient contraires aux exigences de l'article 9 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et porterait une atteinte disproportionnée au principe constitutionnel de sauvegarde de la dignité de la personne humaine.

B. ― La loi n'encourt aucune des critiques qui lui sont adressées.

1. Le Gouvernement tient à rappeler, à titre liminaire, que la loi déférée vise à compléter un ensemble de mesures destinées à assurer le suivi et la surveillance des personnes les plus dangereuses, condamnées pour des faits très graves et qui présentent un risque élevé de récidive. Ces mesures ont pour seule fin de prévenir le renouvellement d'infractions. Elles se sont, malheureusement, révélées insuffisantes pour prévenir le renouvellement de très graves crimes.

Sur la période récente, la volonté du législateur de faire échec à la récidive par l'institution de mécanismes appropriés apparaît avec la loi n° 98-468 du 17 juin 1998 relative à la prévention et à la répression des infractions sexuelles ainsi qu'à la protection des mineurs. Elle a institué le suivi socio-judiciaire, prévu par l'article 131-36-1 du code pénal, qui consiste principalement en une obligation de se soumettre, sous le contrôle du juge de l'application des peines, pendant une durée déterminée, à des mesures de surveillance et d'assistance destinées à prévenir la récidive. Il peut comprendre une injonction de soins dans les conditions prévues par l'article 131-36-4 du code pénal.

La loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, jugée conforme à la Constitution (voir décision n° 2004-492 DC du 2 mars 2004), a pour sa part créé le fichier judiciaire national automatisé des auteurs d'infractions sexuelles ou violentes. L'inscription sur ce fichier oblige les personnes concernées à justifier régulièrement de leur résidence après leur condamnation.

La loi n° 2005-1549 du 12 décembre 2005, jugée conforme à la Constitution (voir décision n° 2005-527 DC du 8 décembre 2005), a institué deux autres mesures : la surveillance judiciaire et le placement sous surveillance électronique mobile. Le condamné placé sous surveillance judiciaire est astreint à une série d'obligations dont, notamment, les mesures de contrôle visées à l'article 132-44 du code pénal et, le cas échéant, une injonction de soins. Le placement sous surveillance électronique mobile permet de contrôler à distance les déplacements d'une personne dont la dangerosité a été établie à partir de sa libération.

Cependant, dans des cas très exceptionnels mais dramatiques, ces différentes mesures ont été insuffisantes pour prévenir la récidive de personnes extrêmement dangereuses qui présentent encore, à l'issue de leur peine, des risques très élevés de réitération. Ce sont notamment celles qui ont refusé les soins.

C'est pourquoi la loi déférée organise, pour les auteurs des crimes les plus graves, un parcours spécifique d'exécution de la peine au terme duquel, après des évaluations successives effectuées à différentes étapes antérieures à leur libération, leur situation est réexaminée. La loi prévoit que, si ces personnes souffrent d'un trouble grave de la personnalité et si la probabilité qu'elles commettent à nouveau les crimes les plus graves est très élevée, une mesure de rétention de sûreté pourra être décidée à leur encontre, selon une procédure strictement définie et encadrée par le législateur.

Le régime créé par la loi déférée est conçu pour ne s'appliquer, dans un champ très étroitement défini, qu'aux seules personnes dont la particulière dangerosité est établie, à l'issue de leur peine, en dépit du suivi adapté et personnalisé qui leur a été proposé, et pour lesquelles aucune des mesures déjà instituées par le législateur n'est à même de contenir le risque élevé de réitération.

L'objectif qui a été poursuivi par le législateur en adoptant ces dispositions nouvelles tient à la préservation de l'ordre public et à la garantie de la sécurité des personnes. Au vu de cet objectif éminent et compte tenu des garanties soigneusement déterminées par le législateur, le Gouvernement considère que les différentes critiques adressées à la loi déférée ne sont pas fondées.

2. Le Gouvernement est fermement d'avis que, contrairement à ce que soutiennent les parlementaires saisissants, la mesure de rétention de sûreté ne revêt pas le caractère d'une peine.

D'une part, la rétention de sûreté poursuit un but exclusivement préventif. Une telle mesure n'est, d'autre part, pas décidée par une juridiction de jugement. On peut, en outre, observer que des mesures comparables instituées dans différents pays étrangers n'ont pas été reconnues comme présentant la nature d'une peine.

a) La rétention de sûreté a un but exclusivement préventif.

Le Gouvernement considère que c'est essentiellement par le but poursuivi que se distinguent peine et mesure de sûreté. Il s'agit du critère déterminant pour différencier ces deux notions, ainsi qu'il ressort de la jurisprudence du Conseil constitutionnel (voir décision n° 86-215 DC du 3 septembre 1986 ; décision n° 93-334 DC du 20 janvier 1994 ; décision n° 2005-527 précitée).

A la différence, en effet, de la peine qui, même si elle peut également avoir une fonction dissuasive, regarde d'abord vers le passé et inflige une punition à raison de l'infraction qui a été commise, la mesure de sûreté est exclusivement orientée vers l'avenir et ne vise qu'à prévenir la commission d'une infraction. La peine poursuit un but punitif, la mesure de sûreté n'a qu'un but préventif visant à neutraliser un état dangereux susceptible de conduire à un comportement répréhensible. La mesure de sûreté est conçue pour recevoir application avant la commission d'une nouvelle infraction, qu'elle vise précisément à prévenir par des moyens adaptés. Elle ne présente pas une nature différente des mesures de police.

Au cas présent, la finalité de la mesure ne fait pas de doute : elle a pour seul objet de prévenir le renouvellement d'infractions de la part de personnes condamnées pour des faits extrêmement graves et dont il est établi qu'elles présentent toujours, à l'issue de leur peine, une dangerosité laissant fortement craindre la récidive.

Cette finalité ressort clairement de l'ensemble des travaux parlementaires ayant conduit à l'adoption de la loi.

Elle est précisément traduite par les termes mêmes du nouvel article 706-53-13 du code de procédure pénale, créé par l'article 1er de la loi déférée, qui énonce que la rétention de sûreté ne peut s'appliquer qu'aux personnes dont il est établi qu'elles présentent une particulière dangerosité caractérisée par une probabilité très élevée de récidive.

En vertu du nouvel article 706-53-14 du code de procédure pénale, la situation des personnes qui entrent dans le champ d'application du régime créé par la loi déférée est examinée, au moins un an avant la date prévue pour leur libération, par la commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté prévue par l'article 763-10, « afin d'évaluer leur dangerosité ». La personne fait l'objet d'une « évaluation pluridisciplinaire de dangerosité » ; la rétention de sûreté n'est proposée par la commission que si elle conclut à sa « particulière dangerosité », si aucune des autres obligations susceptibles de lui être imposées (inscription au fichier judiciaire national des auteurs d'infractions sexuelles ou violentes, injonction de soins, placement sous surveillance électronique mobile) n'apparaît suffisante « pour prévenir la commission des crimes mentionnés à l'article 706-53-13 » et si cette rétention constitue « l'unique moyen de prévenir la commission, dont la probabilité est très élevée, de ces infractions ». Au vu de cet avis, une décision sur la rétention de sûreté est prise par la juridiction régionale de la rétention de sûreté.

Ainsi, ni la commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté, dans son avis, ni, le cas échéant, la juridiction régionale de la rétention de sûreté, dans sa décision, ne prennent en compte, dans leur appréciation, un acte qu'il s'agirait de réprimer. Elles recherchent à mesurer le degré de dangerosité de la personne concernée et apprécient s'il laisse craindre la reproduction dans le futur de crimes d'une particulière gravité.

La durée et les modalités de renouvellement de la rétention de sûreté témoignent également de la visée préventive et non punitive du mécanisme. Valable un an en application des dispositions du nouvel article 706-53-16, elle peut être renouvelée, après avis favorable de la commission, si les conditions prévues par l'article 706-53-14 sont remplies, c'est-à-dire si la dangerosité de l'intéressé persiste à cette date. Lorsque tel n'est pas le cas, la juridiction régionale de la rétention de sûreté ordonne d'office qu'il soit mis fin à la mesure sur le fondement de l'article 706-53-18. La personne peut alors être placée sous le régime de la surveillance de sûreté. Si une méconnaissance de sa part des obligations qui lui sont alors imposées fait apparaître qu'elle présente de nouveau une particulière dangerosité, elle peut être placée en urgence dans un centre de rétention de sûreté en application du dernier alinéa de l'article 706-53-19.

Autrement dit, à tout moment, le maintien ou le terme de la rétention de sûreté est fonction de l'appréciation de la seule dangerosité de la personne concernée. La contrainte à laquelle elle est assujettie est réduite ou cesse en fonction de l'évolution de son état de dangerosité et de la probabilité corrélative de récidive. Les mesures ont un caractère révisable et dépendent de l'évolution de l'état de dangerosité.

Aussi bien, la rétention de sûreté est détachée de toute idée de punition : il s'agit d'une mesure d'extrême précaution contre l'état particulièrement dangereux de personnes déjà condamnées pour des infractions très graves et pour lesquelles aucun autre dispositif ne permet de garantir le risque de réitération, à l'avenir, d'un crime particulièrement grave.

b) La rétention de sûreté n'est pas décidée par une juridiction de jugement.

Au-delà du critère essentiel tiré de la finalité des mesures décidées par le législateur, certaines décisions du Conseil constitutionnel laissent, en outre, apparaître un critère organique pour distinguer les peines des mesures de sûreté, qui tiendrait à ce que les secondes, si elles peuvent être ordonnées par un juge, ne le sont pas par une juridiction de jugement.

Sans doute, au cas présent, le législateur a-t-il prévu, au nouvel article 706-53-13 du code de procédure pénale, que la rétention de sûreté ne pourrait être prononcée que si la cour d'assises a expressément prévu dans sa décision de condamnation que la personne pourra faire l'objet à la fin de sa peine d'un réexamen de sa situation en vue d'une éventuelle rétention de sûreté.

Pour autant, on doit souligner que la mesure de sûreté qu'est la rétention de sûreté n'est aucunement ordonnée par la cour d'assises et qu'elle n'est pas décidée par une juridiction de jugement.

Il résulte, en effet, des termes mêmes de la loi déférée que la cour d'assises ne prononce pas la rétention de sûreté : elle se borne, eu égard à la personne du condamné, à prévoir une possibilité de réexamen de sa situation en vue d'une éventuelle rétention de sûreté. La portée de l'intervention de la cour d'assises se réduit ainsi à prévoir une simple faculté de faire entrer l'intéressé dans un processus qui peut éventuellement conduire à ce que soit ultérieurement décidée une rétention de sûreté.

L'intervention préalable de la cour d'assises a un double objet. La rétention de sûreté étant, d'une part, constitutive d'une privation de liberté, il est normal, même si ce n'est pas une peine, que la possibilité de cette grave restriction apportée à la liberté individuelle de la personne soit autorisée par la juridiction qui est la mieux éclairée sur la nature et les circonstances du crime. Il s'agit, d'autre part, de permettre à cette personne d'être avertie, dès le début de l'exécution de sa peine, de la possibilité pour elle d'être soumise, si des conditions très spécifiques sont satisfaites, à une rétention de sûreté. Un tel avertissement est de nature à inciter l'intéressé à suivre le parcours individualisé qui lui sera proposé.

On doit aussi insister sur le fait que la décision de rétention de sûreté n'est pas prise par une juridiction de jugement mais par une juridiction ad hoc dont le nouvel article 706-53-15 du code de procédure pénale organise notamment la composition, les conditions de saisine et les voies de recours. Composée de trois conseillers de la cour d'appel, elle dispose de la même autonomie de jugement par rapport notamment aux juridictions de l'application des peines que le juge de la détention et des libertés à l'égard de la juridiction d'instruction. Et, ainsi qu'il a été dit, cette juridiction ne se fonde aucunement sur la culpabilité de l'intéressé, mais exclusivement sur sa dangerosité appréciée à l'issue de la peine.

Dans ces conditions, les critères cumulatifs d'identification d'une peine, par opposition à une mesure de sûreté, tels qu'ils ressortent de la jurisprudence du Conseil constitutionnel ne sont pas remplis, au cas particulier, s'agissant de la rétention de sûreté.

Le Gouvernement tient, en outre, à faire remarquer que l'idée selon laquelle toute mesure constitutive d'une privation de liberté présenterait, de ce fait même, la nature d'une peine, ne correspond nullement au droit positif. On sait en effet que la détention provisoire ou l'hospitalisation d'office, par exemple, n'ont pas la nature de peines. L'éventail des peines et des mesures de sûreté que comporte le droit français démontre suffisamment que les restrictions apportées aux libertés des personnes concernées par ces dispositifs peuvent être similaires. Mais la nature ou l'ampleur de limitation ou de la privation des droits des intéressés n'est pas un critère pertinent pour distinguer entre les deux notions. C'est la finalité de la mesure qui est déterminante.

c) On peut enfin observer que la rétention de sûreté instituée par la loi déférée est très voisine de mesures adoptées par des législations étrangères et qui ne sont pas regardées comme des peines.

Le dispositif de la rétention de sûreté organisé par la loi déférée est très proche de ce qui existe dans plusieurs Etats, tels que le Canada, la Belgique, les Pays-Bas et l'Allemagne dont les législations permettent, souvent depuis longtemps, que des mesures de sûreté privatives de liberté soient prononcées à l'encontre des criminels les plus dangereux et qu'elles continuent de produire effet tant que la dangerosité de ces personnes le justifie.

A cet égard, on peut en particulier mentionner le cas de la TBS (Terbeschikkingstelling, littéralement « mise sous tutelle judiciaire ») qui est appliquée aux Pays-Bas et qui, dans les cas les plus graves, consiste en un internement de ces personnes dans des « centres TBS » pour y recevoir un traitement spécifique fondé à la fois sur le trouble dont elles souffrent et sur la nature de l'infraction commise. La TBS n'est pas une peine. Elle peut être décidée à la place de la peine dans le cas où la juridiction estime que la personne souffre d'un trouble mental qui a aboli son discernement, ce qui correspond en France à l'irresponsabilité pénale prévue par le premier alinéa de l'article 122-1 du code pénal. Dans les autres cas, la TBS est prononcée en plus de la peine, et elle s'exécute à la suite de celle-ci. Pour les infractions les plus graves, elle est alors possible pour une durée illimitée, en étant prolongée tous les deux ans par le tribunal de la détention. On doit observer que la Cour européenne des droits de l'homme a expressément jugé, dans sa décision Morsink du 11 mai 2004, que la TBS revêt un caractère non punitif, à la différence de la peine d'emprisonnement qui présente un caractère punitif.

La détention sûreté (Sicherungsverwahrung), en Allemagne, s'exécute également après la peine. S'agissant des crimes les plus graves, elle peut, depuis 1998, se prolonger pendant une durée indéfinie, avec une prolongation intervenant tous les deux ans, alors qu'elle était auparavant limitée à dix ans. Depuis 2004, une telle mesure peut être prononcée après la condamnation même dans les cas où la juridiction de jugement n'en a pas prévu la possibilité dans sa condamnation initiale. Il doit être souligné, s'agissant de cette mesure, que la Cour constitutionnelle allemande, saisie par une personne condamnée avant la réforme de 1998 puis placée en détention-sûreté et qui estimait que la suppression de la limitation de durée ne devait pas la concerner, a clairement jugé, par une décision du 5 février 2004, qu'il s'agissait d'une mesure de sûreté et non d'une peine.

Ces éléments de droit comparé, qui inspirent en partie le mécanisme de la rétention de sûreté tel qu'il est organisé par la loi déférée, montrent que, dans des Etats voisins dont le système juridique est proche du système français, des mesures équivalentes ont été jugées comme constitutives de mesures de sûreté et non de peines. C'est parce que, comme pour le dispositif institué par la loi déférée, la finalité de la mesure n'est pas d'ordre punitif mais préventif.

Pour l'ensemble de ces raisons, le Gouvernement considère, contrairement à l'argumentation développée par les saisines, que la rétention de sûreté n'est pas constitutive d'une peine.

3. Il s'en déduit que l'essentiel de la thèse des députés et sénateurs auteurs des recours est dépourvue de portée.

Dès lors, en effet, que la rétention de sûreté n'a pas la nature d'une peine, les moyens tirés par les requérants des principes qui trouvent leur source dans l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, et en particulier ceux de la légalité et de la nécessité des peines, sont inopérants pour critiquer l'article 1er de la loi déférée.

De même, la critique tirée, sur le terrain de l'autorité de la chose jugée, de ce que la juridiction régionale de la rétention de sûreté serait susceptible de remettre en cause la décision de la cour d'assises apparaît tout à fait vaine. La juridiction régionale de la rétention de sûreté ne prononce, en aucun cas, un prolongement de la peine infligée par la cour d'assises : elle statue sur une tout autre question, qui n'a pas trait à la condamnation prononcée par la cour d'assises à raison de l'infraction initialement commise, mais qui porte sur la particulière dangerosité de la personne concernée et du degré de probabilité de la récidive qu'elle présente à l'issue de sa peine.

Quant à l'invocation du principe « non bis in idem », elle ne peut, en tout état de cause, qu'être écartée : le législateur n'a nullement prévu qu'une personne entrant dans le champ d'application de la loi déférée serait susceptible d'être soumise à deux peines qui sanctionneraient la même infraction. Ainsi qu'il a été dit, il a institué un mécanisme permettant de prononcer une mesure préventive qui n'a ni pour objet ni pour effet de punir une nouvelle fois le comportement passé du condamné, mais d'empêcher, afin de préserver l'ordre public et la sécurité des personnes, qu'une nouvelle infraction très grave ne soit commise.

4. Le Gouvernement considère que la contrainte à laquelle peut être soumise la personne concernée en application de l'article 1er de la loi déférée n'entraîne aucune rigueur qui ne serait pas nécessaire au regard des exigences constitutionnelles issues des articles 4 et 9 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, ne porte pas une atteinte excessive au principe constitutionnel de sauvegarde de la dignité de la personne humaine et ne méconnaît nullement les dispositions de l'article 66 de la Constitution.

Sur ce point, il faut redire les raisons éminentes qui ont justifié, aux yeux du législateur, l'institution de la rétention de sûreté. Il s'agit de garantir, dans des hypothèses exceptionnelles, et selon des modalités strictement encadrées, la sécurité des personnes contre la particulière dangerosité de condamnés dont la probabilité de récidive est très forte, en prévenant un risque élevé de réitération d'infractions graves.

Il faut aussi souligner le caractère étroitement circonscrit du champ d'application de la mesure qui ne couvre que les personnes condamnées pour les actes les plus graves : la personne doit avoir été condamnée à plus de quinze ans de réclusion par une cour d'assises pour un ou plusieurs des crimes mentionnés à l'article 706-53-13 (assassinat ou meurtre, torture ou actes de barbarie, viol, enlèvement ou séquestration) commis sur un mineur ou sur un majeur mais avec une circonstance aggravante.

Il faut encore relever que le prononcé éventuel d'une rétention de sûreté n'est susceptible d'intervenir qu'au terme d'un processus spécifique soigneusement organisé.

Ainsi, dès le début de l'exécution de la peine, dans l'année qui suit sa condamnation définitive, la personne est placée, pour une durée d'au moins six semaines, dans un service spécialisé permettant de déterminer les modalités de la prise en charge sociale et sanitaire au cours de l'exécution de sa peine. Au vu de cette évaluation, le juge de l'application des peines définit un parcours individualisé d'exécution de la peine.

Tout au long de son incarcération, la personne est incitée à suivre des soins, en application des dispositions du troisième alinéa de l'article 721 du code de procédure pénale et aux dispositions du deuxième alinéa de l'article 721-1, dans leur rédaction résultant de l'article 2 de la loi, permettant un retrait du crédit de réduction de peine ou prévoyant une limitation des réductions supplémentaires de peine si elle refuse les soins qui lui sont proposés.

Il convient de souligner que si une libération conditionnelle est accordée, du fait des dispositions de l'article 706-53-20, aucune rétention de sûreté ne peut être prononcée.

Progressivement, ensuite, à l'approche de la date prévue de la libération du condamné qui entre dans les prévisions du régime organisé par la loi déférée, sa situation est examinée à plusieurs échéances successives pour déterminer les obligations auxquelles il pourrait éventuellement être assujetti. Ainsi, deux ans avant la date prévue pour sa libération, le condamné est convoqué par le juge de l'application des peines auprès duquel il justifie des suites données au suivi médical et psychologique adapté qui a pu lui être proposé, sur le fondement du nouvel article 717-1 du code de procédure pénale. Au vu de ce bilan, le juge de l'application des peines peut lui proposer de suivre un traitement dans un établissement pénitentiaire spécialisé si cela n'a pas déjà été fait. Cette convocation a pour objet, le cas échéant, de convaincre le condamné de suivre un traitement en lui rappelant la possibilité d'une rétention de sûreté.

Puis, ainsi que le prévoient les dispositions de l'article 706-53-14 du code de procédure pénale, au moins un an avant la date prévue pour sa libération, la situation du condamné est examinée par la commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté afin d'évaluer sa dangerosité.

A cette fin, la commission demande le placement de la personne, pour une durée d'au moins six semaines, dans un service spécialisé chargé de l'observation des personnes détenues aux fins d'une évaluation pluridisciplinaire de dangerosité assortie d'une expertise médicale réalisée par deux experts.

Cette évaluation de la dangerosité sera multidisciplinaire et s'appuiera sur un faisceau d'éléments : analyse clinique, analyse diagnostic, recherche des facteurs de risques, éléments environnementaux et enquêtes.

En particulier, l'analyse diagnostic permettra d'évaluer les troubles de la personnalité et les troubles du comportement ; cette évaluation s'appuie sur des critères validés au plan international qui ont permis d'établir une classification internationale des troubles de la personnalité. La psychopathie peut se caractériser par trois types de défaillance : défaillance narcissique, défaut de maîtrise comportementale et défaillance du contrôle émotionnel ; les psychopathes n'ont pas tous le même profil et ne présentent pas la même dangerosité. Il convient, enfin, de prendre en considération des facteurs particuliers de risques de personnalité ou sociaux ainsi que les facteurs environnementaux, qui feront l'objet d'une analyse multidisciplinaire et d'enquêtes complémentaires destinées à éclairer l'évaluation de la dangerosité.

C'est au vu de l'ensemble de ces éléments, et seulement si elle estime qu'aucune autre mesure n'est suffisante compte tenu de la particulière dangerosité du condamné, que la commission peut proposer, par un avis motivé, que celui-ci fasse l'objet d'une rétention de sûreté dans les cas exceptionnels et subsidiaires prévus par les 1° et 2° de l'article 706-53-14 et dans les conditions prévues par l'article 706-53-13.

Si, à l'inverse, la commission estime que les conditions de la rétention de sûreté ne sont pas remplies mais que le condamné paraît néanmoins dangereux, elle renvoie le dossier au juge de l'application des peines pour qu'il apprécie l'éventualité d'un placement sous surveillance judiciaire.

Subordonnée à l'avis favorable de cette commission, qui intervient ainsi au terme d'un parcours individualisé conçu pour assurer la réadaptation de la personne condamnée et la réduction de sa dangerosité, la décision de rétention de sûreté est, en outre, entourée de garanties procédurales.

En application de l'article 706-53-15, la juridiction régionale de la rétention de sûreté est saisie au moins trois mois avant la fin de la peine par le procureur général sur proposition de la commission. Elle statue après un débat contradictoire et, si le condamné le demande, public, au cours duquel le condamné est assisté par un avocat choisi ou commis d'office, par une décision motivée. La contre-expertise sollicitée par le condamné est de droit. Un recours contre la décision de la juridiction régionale est organisé ainsi qu'un pourvoi en cassation.

Si la juridiction décide la rétention de sûreté, celle-ci est valable pour une année et s'applique dans un centre socio-médico-judiciaire dans lequel les droits des personnes concernées sont protégés.

La personne est placée pour un an en centre socio-médico-judiciaire de sûreté dans lequel lui est proposée, de façon permanente, une prise en charge médicale, sociale et psychologique destinée à permettre la fin de cette mesure (art. 706-53-13, al. 3).

En pratique, il s'agira d'un centre dépendant du ministère de la justice et de la santé intégré au sein de l'établissement public de santé de Fresnes (article 7 de la loi modifiant l'article L. 6112-1 du code de la santé publique).

La personne peut y exercer des droits précisés par décret en matière notamment d'emploi, d'éducation et de formation, de visites, de correspondances, d'exercice du culte et de permissions de sortie sous escorte ou sous surveillance électronique mobile. Il ne peut être apporté à l'exercice de ces droits que les restrictions strictement nécessaires aux exigences de l'ordre public (art. 706-53-21).

La prise en charge en centre socio-médico-judiciaire de sûreté comporte un volet socio-éducatif majeur, visant notamment à corriger les effets d'éventuelles carences affectives, ainsi que des actions qui doivent permettre aux personnes retenues qui le nécessitent de retrouver des repères et de recouvrer des habitudes sociales dans un but de réinsertion.

La mesure de rétention de sûreté est constamment révisable en fonction de l'évolution de la dangerosité de la personne concernée.

Ainsi, la personne peut former une demande de fin de mesure devant la juridiction régionale après un délai de trois mois à compter de la décision définitive de rétention de sûreté. La juridiction doit statuer dans les trois mois ; à défaut la mesure est levée. Les recours devant la juridiction nationale et la Cour de cassation sont possibles (art. 706-53-17). A tout moment, la juridiction régionale de la rétention de sûreté peut ordonner d'office qu'il soit immédiatement mis fin à la rétention de sûreté dès lors que les conditions n'en sont plus remplies (art. 706-53-18).

Par ailleurs, en vertu de l'article 706-53-16, la commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté doit réexaminer la situation de la personne avant une éventuelle prolongation de la mesure. La juridiction peut renouveler la rétention de sûreté pour un an, mais uniquement après avis favorable de la commission, à la suite d'un débat public et contradictoire et avec un avocat, comme pour le placement ; les mêmes recours sont prévus.

Si la mesure n'est pas prolongée ou s'il y est mis fin, la juridiction régionale peut décider, en cas de risque de commission des crimes, d'une surveillance de sûreté pour un an, après débat contradictoire au cours duquel la personne est assistée par un avocat choisi ou commis d'office. La surveillance de sûreté comprend des obligations identiques à celles prévues dans le cadre de la surveillance judiciaire, en particulier une injonction de soins et le placement sous surveillance électronique mobile. Les recours devant la juridiction nationale et devant la Cour de cassation sont possibles (art. 706-53-19).

Dans ces conditions, le Gouvernement estime qu'eu égard aux motifs éminents qui justifient son institution, à l'adéquation de la mesure aux objectifs poursuivis, à son champ d'application étroitement circonscrit, au parcours individualisé prévu pour chaque personne concernée et conçu pour créer les conditions d'une libération avec des risques limités de récidive, aux contrôles successifs mis en place par le législateur et aux garanties procédurales instituées, que la rétention de sûreté, qui ne revêt pas le caractère d'une peine, ne méconnaît pas les articles 4 et 9 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, ni ne porte une atteinte disproportionnée au principe constitutionnel de sauvegarde de la dignité de la personne humaine ou aux dispositions de l'article 66 de la Constitution.

5. Par ailleurs, les critiques tirées de l'objectif constitutionnel d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi et de l'incompétence négative ne sont pas fondées.

Les sénateurs saisissants dénoncent, à cet égard, l'imprécision qui entourerait la notion de « dangerosité », qui est essentielle dans le dispositif institué par la loi déférée.

On doit pourtant relever, d'une part, en droit, que le code pénal et le code de procédure pénale ont déjà recours à cette notion. Ainsi, en vertu de l'article 131-36-10 du code pénal, le placement sous surveillance électronique mobile ne peut être ordonné qu'à l'encontre d'une personne majeure condamnée à une peine privative de liberté d'une durée égale ou supérieure à sept ans et dont une expertise médicale a constaté la dangerosité, lorsque cette mesure apparaît indispensable pour prévenir la récidive à compter du jour où la privation de liberté prend fin. De même, l'article 723-31 du code de procédure pénale ne permet la surveillance judiciaire qu'à l'égard des condamnés dont la dangerosité est établie. Ces dispositions sont issues de la loi du 12 décembre 2005 qui a été jugée conforme à la Constitution (décision n° 2005-527 DC précitée).

D'autre part, en fait, si elle n'est pas toujours catégorique, l'expertise pluridisciplinaire en matière d'appréciation de la dangerosité peut s'appuyer sur différents éléments qui permettent une approche scientifique de cette notion. Il en va ainsi notamment de la conjonction de certains facteurs de risques (environnement familial, habitat, parcours de la personne, alcoolo-dépendance...).

Dans ces conditions, il ne saurait être reproché au législateur de n'avoir pas exercé sa compétence en ayant recours à une notion déjà présente dans le droit positif et dont la mise en œuvre appelle, sans difficulté de principe, des appréciations particulières dans chaque cas d'espèce.

Pour le Gouvernement, les critiques adressées à l'emploi par l'article 1er de la loi déférée des termes « trouble grave de la personnalité » et « probabilité de récidive » doivent aussi être écartées. Ces termes contribuent à encadrer plus étroitement la notion de dangerosité et ils pouvaient être utilisés par le législateur sans incompétence négative.

Si le plein exercice de sa compétence par le législateur, ainsi que l'objectif de valeur constitutionnelle d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi, qui découle des articles 4, 5, 6 et 16 de la Déclaration de 1789, lui imposent d'adopter des dispositions suffisamment précises et des formules non équivoques, tel est bien le cas en l'espèce.

Dans ces conditions, pour les raisons qui précèdent, le Gouvernement considère que l'ensemble des griefs adressés à l'article 1er de la loi déférée devront être écartés par le Conseil constitutionnel.

II. - Sur l'article 13 :

A. ― Le I de l'article 13 de la loi déférée prévoit que les personnes exécutant, à la date du 1er septembre 2008, une peine de réclusion criminelle d'une durée égale ou supérieure à quinze ans à la suite soit de plusieurs condamnations, dont la dernière à une telle peine, pour les crimes mentionnés à l'article 706-53-13 du code de procédure pénale, soit d'une condamnation unique à une telle peine pour plusieurs de ces crimes commis sur des victimes différentes, peuvent être soumises, dans le cadre d'une surveillance judiciaire, d'un suivi socio-judiciaire ou d'une surveillance de sûreté, à une obligation d'assignation à domicile sous le régime du placement sous surveillance électronique mobile. A titre exceptionnel, si cette obligation apparaît insuffisante pour prévenir la récidive, ces personnes peuvent être soumises à un placement en rétention de sûreté. La mise en œuvre de la procédure n'est possible qu'à la suite d'une décision de la chambre de l'instruction avertissant la personne condamnée qu'elle pourra faire l'objet d'un réexamen de sa situation.

Les auteurs des recours font valoir que les dispositions nouvelles relatives à la rétention de sûreté étant applicables à des personnes qui ont été condamnées avant l'entrée en vigueur de la loi, le législateur aurait méconnu l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen qui prohibe la rétroactivité de la loi pénale plus sévère. Ils soutiennent également que les dispositions critiquées méconnaîtraient le principe constitutionnel d'égalité.

B. ― De telles critiques ne pourront qu'être écartées.

Le Gouvernement doit d'abord souligner que, dès lors que la rétention de sûreté a, ainsi qu'il a été dit précédemment, la nature d'une mesure de sûreté, le grief tiré de la violation du principe de non-rétroactivité de la loi pénale plus sévère est inopérant (voir décision n° 2005-527 DC précitée).

La loi déférée n'institue pas des dispositions qui prévoiraient rétroactivement de sanctionner des faits passés plus sévèrement que ne le prévoyait la loi pénale applicable à la date de leur commission. Ainsi qu'il a été dit, la rétention de sûreté n'est pas une peine et ne vise pas à sanctionner l'infraction qui a déjà justifié la condamnation de la personne concernée.

Les dispositions de l'article 13 de la loi déférée conduisent à appliquer la rétention de sûreté pour l'avenir, les décisions qui seront prises à cet égard étant fonction de l'appréciation qui sera portée, au vu de la situation contemporaine, sur la dangerosité des personnes concernées.

Il est certain que, s'agissant de la peine subie par les personnes concernées, leur situation s'est cristallisée à la date de l'infraction, et une loi qui modifierait de façon défavorable le régime de cette peine ne pourrait s'appliquer s'agissant de crimes déjà commis. En revanche, s'agissant de la rétention de sûreté, la situation de la personne est examinée du seul point de vue de sa dangerosité à l'approche de la date prévue pour sa libération. Autrement dit, la rétention de sûreté ne régit pas des actes accomplis avant l'entrée en vigueur de la loi déférée, mais des situations en cours et évolutives qui sont soumises, quant à leurs effets futurs, à l'effet immédiat de la loi nouvelle, sous réserve des aménagements décidés par le législateur dans le cadre de son pouvoir d'appréciation.

De ce point de vue, eu égard aux graves restrictions susceptibles d'être apportées à la liberté individuelle des personnes éventuellement concernées par la rétention de sûreté, le législateur a décidé de restreindre le champ d'application de cette mesure aux personnes qui, à la date du 1er septembre 2008, exécutent une peine de réclusion criminelle et ont été l'objet soit de plusieurs condamnations, dont la dernière à une telle peine, pour les crimes mentionnés à l'article 706-53-13 du code de procédure pénale, soit d'une condamnation unique à une telle peine pour plusieurs crimes commis sur des victimes différentes. Il s'agira donc nécessairement d'auteurs de crimes en série. Le champ d'application des personnes concernées par l'effet immédiat de la loi déférée est ainsi plus réduit que celui prévu par le législateur pour l'application de l'article 1er.

Par ailleurs, l'article 13 de la loi déférée prévoit que les personnes en cause peuvent être soumises à une obligation d'assignation à domicile sous le régime du placement sous surveillance électronique mobile, dans le cadre d'une surveillance judiciaire, d'un suivi socio-judiciaire ou d'une surveillance de sûreté. En clair, il s'agit d'une restriction géographique dans l'application de ce placement sous surveillance électronique mobile.

Ce n'est que dans le cas où cette contrainte apparaîtrait insuffisante pour prévenir la récidive, et à titre exceptionnel, que la rétention de sûreté pourrait être décidée.

Dans ce cas, toutefois, la mise en œuvre de la procédure est subordonnée à une décision de la chambre de l'instruction avertissant la personne condamnée qu'elle pourra faire l'objet d'un réexamen de sa situation dans des conditions précisées par le législateur : saisine par le procureur après avis du juge de l'application des peines ; décision de la chambre de l'instruction en chambre du conseil après avoir fait comparaître la personne condamnée assistée par un avocat ; s'il résulte de la ou les condamnations prononcées une particulière dangerosité caractérisée par une probabilité très élevée de récidive en raison d'un trouble grave de la personnalité, la chambre de l'instruction avertit la personne qu'elle pourra faire l'objet d'un examen de dangerosité pouvant entraîner son placement en rétention de sûreté. En pareil cas, la rétention peut être décidée suivant la procédure prévue aux articles 706-53-14 et 706-53-15 du code de procédure pénale nonobstant, le cas échéant, les délais prévus par ces dispositions.

Le législateur a ainsi prévu, pour les personnes qui exécutent, au 1er septembre 2008, une peine pour les crimes visés, qu'elles bénéficieront d'un avertissement de la part de la chambre de l'instruction, avant tout déclenchement du processus susceptible d'aboutir à la décision de rétention de sûreté. Si, par construction, la décision de la cour d'assises les condamnant n'aura pas mentionné que l'intéressé pourra faire l'objet d'un réexamen de sa situation, le législateur a organisé un autre mode d'avertissement. Selon la date prévue pour leur libération, les personnes concernées ne disposeront pas, dans certains cas et pour une fraction plus ou moins grande, du bénéfice des délais prévus par le code de procédure pénale pour l'application du régime de rétention de sûreté.

Dans ces conditions, en maintenant de telles garanties au bénéfice des personnes susceptibles d'entrer dans le champ d'application des dispositions du I de l'article 13 de la loi déférée, le législateur n'a pas apporté de restrictions arbitraires ou disproportionnées à la liberté individuelle. Il a aménagé le dispositif applicable pour tenir compte de la date à laquelle est prévue la date de libération des différents condamnés.

En procédant à de tels aménagements, le législateur n'a pas méconnu le principe constitutionnel d'égalité. Par principe, l'application d'un nouveau système à compter d'une date déterminée ne peut être regardée comme une violation du principe d'égalité. Le choix de la date du 1er septembre 2008 est lié au délai de mise en place du centre socio-médico-judiciaire de sûreté, structure dont l'ouverture est prévue à cette date au sein de l'établissement public de santé national de Fresnes. La date retenue par le législateur est donc un critère rationnel au regard du but poursuivi par la loi déférée.

Dans ces conditions, le Gouvernement estime que les griefs articulés par les saisines à l'encontre de l'article 13 de la loi déférée devront être écartés.

III. - Sur l'article 3 :

A. ― L'article 3 de la loi déférée insère dans le code de procédure pénale les articles 706-119 à 706-140 définissant les conditions dans lesquelles les juridictions d'instruction ou de jugement pourront désormais faire application des dispositions du premier alinéa de l'article 122-1 du code pénal prévoyant l'irresponsabilité pénale d'une personne qui était atteinte au moment des faits d'un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes. Elles prévoient en particulier que dans un tel cas ne seront plus rendues des décisions de non-lieu, de relaxe ou d'acquittement, mais des décisions constatant l'irresponsabilité pénale de la personne pour cause de trouble mental, et qu'au cours de l'instruction, à la demande de la partie civile ou du parquet, cette décision émanera de la chambre de l'instruction, à l'issue d'un débat public. Ces dispositions remplacent celles actuellement prévues, notamment, par l'article 199-1 du code de procédure pénale, qui prévoit, en cas d'appel par la partie civile d'une ordonnance de non-lieu fondée sur les dispositions du premier alinéa de l'article 122-1 du code pénal, une audience publique devant la chambre de l'instruction en présence du mis en examen si l'état de ce dernier le permet.

Les auteurs des recours soutiennent que les dispositions de l'article 3 de la loi déférée méconnaîtraient les droits de la défense, le droit à un procès équitable et le principe de nécessité des peines. Ils font valoir que les dispositions critiquées confient à la chambre de l'instruction un double rôle de juridiction d'instruction et de juridiction de jugement. Les sénateurs ajoutent que l'article 3 méconnaîtrait la présomption d'innocence s'agissant des coauteurs, que l'article 3 contreviendrait au droit de toute personne de se défendre elle-même et enfin que le législateur ne pouvait prévoir, à l'article 706-139, un délit en cas d'irrespect d'une mesure de sûreté s'agissant d'une personne irresponsable pénalement.

B. ― Aucun de ces griefs ne peut être accueilli.

a) Contrairement à ce qui est indiqué par les requérants, la procédure prévue par l'article 3 de la loi déférée ne méconnaît nullement la présomption d'innocence ni la séparation des fonctions d'instruction ou de jugement.

En effet, si la chambre de l'instruction examinera, de façon contradictoire, les charges pesant sur la personne mise en examen, elle n'aura pas pour mission de déclarer, à l'issue de l'audience, s'il est établi ou non que la personne a matériellement commis les faits reprochés.

Dans le cas où elle estimera qu'il existe un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli le discernement ou le contrôle des actes de la personne au moment des faits, elle devra seulement, en application du 1° de l'article 706-125, déclarer qu'il existe des « charges suffisantes » contre celle-ci d'avoir matériellement commis les faits.

Une telle appréciation des charges correspond à la fonction traditionnelle des juridictions d'instruction. Elle est d'ailleurs déjà prévue dans cette même hypothèse par le deuxième alinéa de l'article 177 du code de procédure pénale, qui précise que le juge d'instruction ne peut prononcer un non-lieu motivé par l'existence d'une cause d'irresponsabilité, telle que le trouble mental, qu'après avoir précisé qu'il existe des charges suffisantes établissant que la personne a commis les faits qui lui sont reprochés. Ces dispositions sont applicables en cas d'appel du non-lieu devant la chambre de l'instruction s'il est fait application des dispositions de l'actuel article 199-1.

Dans le cas où la chambre de l'instruction estimera que les dispositions du premier alinéa de l'article 122-1 du code pénal ne sont pas applicables, elle ordonnera le renvoi de la personne devant la juridiction de jugement si elle considère qu'il existe contre elle des charges suffisantes d'avoir commis les faits reprochés, conformément aux dispositions du nouvel article 706-124, ce qui est le rôle classiquement dévolu aux juridictions d'instruction. On ne peut donc soutenir que cette appréciation des charges porterait atteinte à la séparation des fonctions d'instruction ou de jugement, ni à la présomption d'innocence de la personne puisqu'en cas de renvoi la juridiction de jugement conservera son entière liberté pour apprécier la culpabilité ou l'innocence de la personne poursuivie, la décision de la chambre n'ayant à cet égard aucune autorité de la chose jugée.

S'agissant des coauteurs ou des complices, aucune atteinte à la présomption d'innocence ne pourra non plus résulter de l'audience tenue par la chambre de l'instruction et de la décision qu'elle rendra.

S'il est vrai que le rôle des éventuels coauteurs ou complices pourra être évoqué lors de cette audience, il n'en résultera aucun effet juridique sur le sens de la décision qui pourra être prise à leur encontre lorsqu'ils comparaîtront ultérieurement devant la juridiction de jugement. La décision rendue par la chambre de l'instruction n'aura non plus aucun effet juridique sur la situation des éventuels coauteurs ou complices.

Cette situation est, du reste, fréquente en procédure pénale. Ainsi, en cas de poursuites correctionnelles concernant à la fois des mineurs et des majeurs, la situation des mineurs est nécessairement évoquée lors de l'audience devant le tribunal correctionnel concernant les majeurs, ce qui ne porte pas pour autant atteinte à la présomption d'innocence des mineurs s'ils sont jugés ultérieurement par le tribunal pour enfants. Il en est de même, de façon plus générale, à chaque fois qu'une même affaire fait l'objet d'une disjonction, et que certains auteurs sont jugés séparément des autres auteurs, notamment parce que ces derniers étaient en fuite lors du premier procès. De même encore, l'examen public devant la chambre de l'instruction d'une demande de mise en liberté formée par une personne peut donner lieu à des appréciations sur le rôle de ses coauteurs ou complices, sans pour autant porter atteinte à leur présomption d'innocence.

b) Par ailleurs, les dispositions de la loi déférée ne portent pas davantage atteinte au respect des droits de la défense ou règles du procès équitable en prévoyant que la personne sera nécessairement représentée par un avocat. Le principe posé par l'article 706-121 est en effet que la personne devra comparaître devant la chambre de l'instruction, à chaque fois que son état le permet, à la suite d'une décision du président de la juridiction prise soit d'office, soit à la demande de la partie civile, du ministère public ou de l'intéressé lui-même. Cette comparution, mais dans le seul cas où la partie civile le demande, est du reste déjà prévue par l'article 199-1 du code de procédure pénale. Les nouvelles dispositions sont donc plus protectrices en prévoyant cette comparution dans d'autres hypothèses et en exigeant par ailleurs dans tous les cas, que la personne comparaisse ou non, la présence d'un avocat choisi ou commis d'office.

c) Les requérants soutiennent enfin que le principe de nécessité des peines serait méconnu par l'article 706-139, qui punit de deux ans d'emprisonnement et 30 000 euros d'amende la méconnaissance par la personne des interdictions que la juridiction d'instruction ou de jugement ayant constaté son irresponsabilité pénale aura pu prononcer à son encontre en application des dispositions de l'article 706-136, telles que l'interdiction de porter une arme ou de rencontrer la victime. Ils estiment qu'il est incohérent que punir ainsi une personne déclarée pénalement irresponsable.

Mais une telle critique n'est pas fondée. L'irresponsabilité pénale de la personne a en effet été constatée en raison d'un trouble mental apprécié « au moment des faits », comme l'indique le premier alinéa de l'article 122-1 du code pénal. Pour autant, cela n'implique pas que cette personne devrait être regardée comme privée de tout discernement pour le reste de son existence. Le délit visé n'a vocation à s'appliquer qu'à l'égard de personnes qui, après avoir été déclarées pénalement irresponsables et avoir, le cas échéant, fait l'objet d'une hospitalisation d'office, ne souffrent plus d'un trouble mental aliénant. Du reste, il est expressément précisé dans l'article 706-139 que ce délit n'est prévu que « sous réserve des dispositions du premier alinéa de l'article 122-1 du code pénal ».

Dans ces conditions, les critiques adressées à l'article 3 de la loi déférée devront, selon le Gouvernement, être écartées.

IV. ― Sur l'article 4 :

A. ― L'article 4 de la loi déférée prévoit notamment, à son VIII, en modifiant l'article 768 du code pénal, que le casier judiciaire national automatisé reçoit les décisions d'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental. Le X du même article, qui modifie l'article 775 du code pénal, dispose que ces décisions ne figurent pas au bulletin n° 2 à moins qu'elles n'aient été assorties des interdictions prises au titre des mesures de sûreté visées par l'article 706-135 nouveau tant que ces interdictions n'ont pas cessé leurs effets.

Les auteurs des recours font valoir que ces dispositions méconnaîtraient le droit à la vie privée, les dispositions de la loi du 6 janvier 1978 relative à l'informatique et aux libertés ainsi que le principe d'égalité.

B. ― Ces griefs seront écartés.

On observera que, se fondant sur le 2° de l'article 6 de la loi du 6 janvier 1978, les requérants font valoir que seules peuvent être traitées les données à caractère personnel qui ont un lien avec la finalité du traitement, et que tel ne serait pas le cas en l'espèce car l'objet du casier judiciaire serait seulement de recenser certaines condamnations pénales, ou des données à caractère personnel en lien avec des infractions ou des mesures de sûreté, ce qui ne serait pas le cas des déclarations d'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental.

Une telle critique, qui au demeurant ne se prévaut pas d'une règle ou d'un principe de valeur constitutionnelle, n'est, en tout état de cause, pas fondée.

D'une part, l'objet principal du casier judiciaire vise, en effet, à informer les juridictions répressives sur les antécédents des personnes poursuivies. Ainsi, il ne contient pas que des condamnations, dont la mention peut permettre l'application des règles de la récidive, mais conserve également, en application des 3°, 4°, 5°, 6°, 7° et 8° de l'article 768 du code de procédure pénale, d'autres informations jugées utiles par le législateur pour éclairer les décisions des juges, comme les mesures éducatives prononcées en application de l'ordonnance du 2 février 1945 relative à l'enfance délinquante ou les compositions pénales (qui ne peuvent donner lieu à application des règles sur la récidive), les décisions disciplinaires incapacitantes prononcées par l'autorité administrative, les jugements de liquidation judiciaire, les jugements prononçant la déchéance de l'autorité parentale, ou les arrêtés d'expulsions.

D'autre part, les décisions de constatation de l'irresponsabilité pénale ne sont pas sans lien avec une infraction, puisqu'elles impliquent qu'il a été constaté soit qu'il existait des charges suffisantes contre la personne d'avoir matériellement commis une infraction (si la décision émane d'une juridiction d'instruction), soit que la commission matérielle de l'infraction était établie (si la décision émane d'une juridiction de jugement). Il paraît, dès lors, légitime que l'autorité judiciaire puisse savoir, à l'occasion par exemple d'une procédure concernant un viol ou un meurtre, que la personne poursuivie a dans le passé été déclarée irresponsable en raison d'un trouble mental à la suite de faits similaires.

Par ailleurs, on doit observer que ces décisions ne figureront qu'au seul bulletin n° 1 du casier judiciaire, lequel n'est accessible qu'aux seules autorités judiciaires. Elles ne figureront dans le bulletin n° 2 du casier, accessible à certaines administrations, que dans le cas où une des mesures de sûreté prévue par l'article 706-136 aura été prononcée et n'aura pas cessé ses effets.

Enfin, aucune rupture d'égalité ne procède de ces dispositions, entre les personnes déclarées pénalement responsables et condamnées de ce fait, d'une part, et celles qui auront bénéficié d'une décision d'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental, d'autre part. Il convient évidemment de considérer que les dispositions de l'article 775-1 du code de procédure pénale, qui permettent au tribunal d'exclure expressément la mention d'une condamnation dans le bulletin n° 2 d'une personne, seront a fortiori applicables aux décisions d'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental. Cette possibilité pourra du reste être expressément précisée dans le décret d'application des nouvelles dispositions qui est prévu par l'article 706-140 du code de procédure pénale.

Les critiques adressées à l'article 4 de la loi déférée devront, dans ces conditions, être écartées.

V. ― Sur l'article 12 :

A. ― L'article 12 de la loi déférée, issu d'un amendement parlementaire, complète par une phrase le dernier alinéa de l'article 729 du code pénal en prévoyant que la personne condamnée à la réclusion criminelle à perpétuité ne peut bénéficier d'une libération conditionnelle qu'après avis favorable de la commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté dans les conditions prévues par le deuxième alinéa de l'article 706-53-14.

Les députés requérants font valoir que cette disposition méconnaîtrait le principe de l'indépendance des juridictions judiciaires résultant de l'article 66 de la Constitution.

B. ― Une telle argumentation appelle les observations suivantes.

Cette disposition a pour objet de traiter du cas des personnes condamnées à la réclusion criminelle à perpétuité. Elle vise à permettre à la commission pluridisciplinaire de sûreté de donner un avis lorsqu'il est envisagé de leur accorder une libération conditionnelle.

L'intervention de la commission pluridisciplinaire de sûreté apparaît utile pour éclairer la décision qu'il appartient à la juridiction de l'application des peines de prendre, compte tenu de la gravité des situations en cause et des importants risques de récidive. C'est dans cet esprit que cette intervention a été prévue par le législateur.

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Pour ces raisons, le Gouvernement considère qu'aucun des griefs articulés par les députés et sénateurs requérants n'est de nature à conduire à la censure des dispositions de la loi relative à la rétention de sûreté et à la déclaration d'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental. Aussi estime-t-il que le Conseil constitutionnel devra rejeter les recours dont il est saisi.