J.O. 284 du 8 décembre 2006       J.O. disponibles       Alerte par mail       Lois,décrets       codes       AdmiNet
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Observations du Gouvernement sur les recours dirigés contre la loi relative au secteur de l'énergie


NOR : CSCL0609726X



Le Conseil constitutionnel a été saisi, par plus de soixante députés et plus de soixante sénateurs, de deux recours dirigés contre la loi relative au secteur de l'énergie, adoptée le 8 novembre 2006.

Les auteurs des saisines adressent différents griefs à l'article 39 de la loi. Ces recours appellent, de la part du Gouvernement, les observations suivantes.


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L'article 39 de la loi déférée modifie l'article 24 de la loi no 2004-803 du 9 août 2004 relative au service public de l'électricité et du gaz et aux entreprises électriques et gazières.

Le I de cet article précise que Gaz de France (GDF) est une société anonyme et réduit le minimum de la participation de l'Etat dans son capital à un tiers.

Son II prévoit, d'une part, qu'en vue de préserver les intérêts essentiels de la France dans le secteur de l'énergie, et notamment la continuité et la sécurité d'approvisionnement en énergie, un décret prononce la transformation d'une action ordinaire de l'Etat au capital de GDF en une action spécifique régie par les dispositions de l'article 10 de la loi no 86-912 du 6 août 1986 relative aux modalités des privatisations. Le II de l'article 39 de la loi déférée dispose, d'autre part, que le ministre chargé de l'énergie désigne auprès de GDF ou de toute entité venant aux droits et obligations de GDF et des sociétés issues de la séparation juridique imposée à GDF par les articles 5 et 13 de la loi un commissaire du Gouvernement qui assiste, avec voix consultative, aux séances du conseil d'administration ou du conseil de surveillance de la société, et de ses comités, et peut présenter des observations à toute assemblée générale.

Le III de l'article 39 de la loi déférée inscrit GDF sur la liste annexée à la loi no 93-923 du 19 juillet 1993 de privatisation.

Les parlementaires requérants formulent trois séries de critiques à l'encontre de ces dispositions. Ils font valoir, en premier lieu, qu'elles ne seraient pas conformes au neuvième alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946. Ils dénoncent, en deuxième lieu, l'atteinte excessive que ces dispositions porteraient à la liberté contractuelle et à la libre administration des collectivités locales. Les auteurs des recours leur reprochent, en dernier lieu, d'être contraires au principe constitutionnel de continuité du service public.

Le Gouvernement considère qu'aucun de ces griefs n'est de nature à conduire à la censure de l'article 39 de la loi déférée.


I. - Sur la méconnaissance du neuvième alinéa

du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946


A. - Les auteurs des recours soutiennent que l'article 39 de la loi déférée méconnaîtrait le neuvième alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 aux termes duquel : « Tout bien, toute entreprise, dont l'exploitation a ou acquiert les caractères d'un service public national ou d'un monopole de fait, doit devenir la propriété de la collectivité ».

Ils font valoir, d'une part, que GDF serait un monopole de fait, au sens de ces dispositions, dans les secteurs du transport et de la distribution de gaz et affirment, d'autre part, que GDF constituerait un service public national au sens de ces mêmes dispositions.

Ces deux critiques ne sont pas fondées.

B. - En premier lieu, GDF n'exploite pas un monopole de fait au sens des dispositions du neuvième alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946.

Le Conseil constitutionnel a jugé, dans sa décision no 86-207 DC des 25 et 26 juin 1986, que la notion de monopole de fait au sens du neuvième alinéa du préambule de la Constitution de 1946 « doit s'entendre compte tenu de l'ensemble du marché à l'intérieur duquel s'exercent les activités des entreprises ainsi que de la concurrence qu'elles affrontent dans ce marché de la part des autres entreprises ; qu'on ne saurait prendre en compte les positions privilégiées que telle ou telle entreprise détient momentanément ou à l'égard d'une production qui ne représente qu'une partie de ses activités ».

Contrairement à ce que font valoir les requérants, GDF ne peut être regardé comme exploitant un monopole de fait sur le marché du gaz naturel. L'analyse, en droit et en fait, des principales activités exercées par GDF démontre en effet que l'ensemble du marché du gaz naturel ne présente aucunement un caractère monopolistique.

De manière liminaire, on doit souligner que le gaz naturel, contrairement à l'électricité, est une énergie substituable. Elle n'est pas accessible sur une large partie du territoire et est susceptible d'être concurrencée, pour tous ses usages, par d'autres sources d'énergie, comme l'électricité, le fioul ou la chaleur pour le chauffage.

S'agissant, en premier lieu, de l'activité de transport, elle est exclue de la nationalisation, en vertu de l'article 8 de la loi du 8 avril 1946 sur la nationalisation de l'électricité et du gaz, depuis la loi du 2 août 1949. Le réseau est exploité par deux opérateurs : GRTgaz, filiale de GDF, qui en exploite 86,4 %, et Total Infrastructures Gaz France (TIGF, filiale du groupe Total), à hauteur de 13,6 %. Sur son réseau, TIGF transporte environ 20 % du gaz naturel consommé en France.

En ce qui concerne, en deuxième lieu, l'activité de distribution du gaz naturel, GDF ne dispose pas davantage d'un monopole sur l'ensemble du territoire national. Il est exact qu'il résulte des dispositions combinées des articles 1er et 3 de la loi du 8 avril 1946 ainsi que, a contrario, de l'article 25-1 de la loi no 2003-8 du 3 janvier 2003 et du III de l'article L. 2224-31 du code général des collectivités territoriales que les concessions de distribution publique de gaz ne peuvent être confiées qu'à GDF dans sa zone de desserte historique ou aux distributeurs non nationalisés (DNN) là où s'exerce leur activité. Cependant, d'une part, l'existence des DNN a précisément été maintenue depuis 1946. D'autre part, l'article 25-1 de la loi du 3 janvier 2003 a ouvert aux communes, ou à leurs établissements publics de coopération, qui ne disposent pas d'un réseau public de distribution de gaz naturel ou dont les travaux de desserte ne sont pas en cours de réalisation au 14 juillet 2005, la possibilité de concéder la distribution publique de gaz à toute entreprise agréée à cet effet, à une régie agréée, à un établissement public existant ou à une société d'économie mixte existante. Dans cette hypothèse, les communes ou leurs groupements ont le libre choix de leur concessionnaire, dans les conditions fixées par la loi no 93-122 du 29 janvier 1993, sous réserve que l'entreprise retenue ait été agréée par le ministre chargé de l'énergie. Le rythme actuel d'extension de ces réseaux entraîne plusieurs dizaines de procédures de mise en concurrence par an pour de nouvelles concessions. Cinq nouvelles entreprises locales, régies ou sociétés d'économie mixte et cinq entreprises privées disposent à ce jour de l'agrément nécessaire et ont été choisies par plusieurs communes comme nouveau concessionnaire.

S'agissant, en troisième lieu, de l'activité de fourniture, il résulte de l'article 3 de la loi du 3 janvier 2003 que tous les utilisateurs de gaz, à l'exception des clients non éligibles, peuvent s'adresser au fournisseur de gaz de leur choix. Depuis le 1er juillet 2004, tous les clients professionnels peuvent choisir librement leur fournisseur, ce qui représente 73 % du marché total en volume. Au 1er juillet 2006, sur les 676 000 sites éligibles, 76 636 avaient exercé leur éligibilité. Ces sites représentent 50,4 % de la consommation éligible en volume. La consommation des clients ayant changé de fournisseurs représentait 20 % de la consommation des clients ayant exercé leur éligibilité. La loi déférée rend tout client éligible et supprime, en conséquence, toute exclusivité sur la fourniture de gaz à compter du 1er juillet 2007, de telle sorte qu'à cette date le marché, dans sa totalité, sera ouvert à la concurrence.

Dans ces conditions, le Gouvernement considère que GDF ne saurait être regardé comme exploitant un monopole de fait au sens du neuvième alinéa du préambule de la Constitution de 1946.

C. - En second lieu, le Gouvernement estime que GDF ne présente plus le caractère d'un service public national visé par le neuvième alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946.

Le Conseil constitutionnel, dans sa décision no 86-207 DC des 25 et 26 juin 1986, a jugé que, « si la nécessité de certains services publics nationaux découle de principes ou de règles de valeur constitutionnelle, la détermination des autres activités qui doivent être érigées en service public national est laissée à l'appréciation du législateur ou de l'autorité réglementaire selon les cas ; qu'il suit de là que le fait qu'une activité ait été érigée en service public par le législateur sans que la Constitution l'ait exigé ne fait pas obstacle à ce que cette activité fasse, comme l'entreprise qui en est chargée, l'objet d'un transfert au secteur privé ».

Cette décision et les décisions ultérieurement rendues par le Conseil constitutionnel ont conduit à interpréter la notion de service public national, au sens du neuvième alinéa du préambule de la Constitution de 1946, comme s'appliquant non seulement aux services publics dont la nécessité découle de principes ou de règles de valeur constitutionnelle mais aussi à des services publics nationaux qui ont été organisés comme tels par le législateur.

Au cas particulier, aucun principe ni aucune règle constitutionnelle ne confère, en soi, au service public du gaz le caractère d'un service public national. Est donc seule en cause la question de savoir si GDF est au nombre des services publics nationaux constitués comme tels par le législateur.

En 2004, saisi de la loi relative au service public de l'électricité et du gaz et aux entreprises électriques et gazières, le Conseil constitutionnel a jugé qu'en maintenant aux sociétés nouvellement créées les missions de service public antérieurement dévolues aux personnes morales de droit public Electricité de France et Gaz de France dans les conditions prévues par les lois du 8 avril 1946, du 10 février 2000 et du 3 janvier 2003, le législateur avait confirmé leur qualité de services publics nationaux et garanti, conformément au neuvième alinéa du préambule de la Constitution de 1946, la participation majoritaire de l'Etat ou d'autres entreprises ou organismes appartenant au secteur public dans le capital de ces sociétés. Le Conseil constitutionnel a ajouté que l'abandon de cette participation majoritaire ne pourrait résulter que d'une loi ultérieure (décision no 2004-502 DC du 5 août 2004).

La loi déférée procède à cette modification du statut de GDF. Le Gouvernement considère que la renonciation à la participation majoritaire de l'Etat dans GDF ne méconnaît pas le neuvième alinéa du préambule de la Constitution de 1946, parce que deux évolutions ont concouru à retirer à GDF les dernières spécificités qui pouvaient conduire à lui reconnaître le caractère d'un service public national. On peut relever, d'une part, qu'avant même l'intervention de la loi déférée l'évolution du marché du gaz en France et la redéfinition des obligations de service public avaient très largement réduit les particularités de GDF depuis 2004. On doit souligner, d'autre part, que la loi déférée supprime les ultimes spécificités qui étaient susceptibles de conduire à qualifier l'activité de GDF de service public national.

1. On doit observer, en premier lieu, que dès avant l'intervention de la loi déférée l'activité de distribution du gaz naturel ne pouvait être regardée comme constitutive d'un service public national.

Cette activité présente, en effet, par application des dispositions combinées de l'article 36 de la loi du 8 avril 1946, des articles 1er et 15 de la loi du 3 janvier 2003 et de l'article L. 2224-31 du code général des collectivités territoriales, le caractère d'un service public local.

Le mécanisme de péréquation, régi par l'article 7 de la loi du 3 janvier 2003, porte sur les tarifs d'utilisation des réseaux publics de distribution. Il ne saurait conduire à conférer à la collection de différents services publics locaux le caractère d'un service public national qui aurait été celui de GDF. Il n'est pas propre à GDF : les DNN y sont également soumis. Il permet de lisser dans le temps les charges d'investissement entre les communes et d'équilibrer les tarifs entre celles dont la desserte est aisée et les autres.

Les modifications limitées apportées par la loi déférée à ce mécanisme ne sont pas de nature à remettre en cause cette conclusion. Bien au contraire, le législateur a suivi les recommandations contenues dans l'avis de l'assemblée générale du Conseil d'Etat en date du 11 mai 2006. L'article 32 de la loi déférée abroge les dispositions relatives au fonds de péréquation du gaz qui figuraient à l'article 33 de la loi du 8 avril 1946 ; son article 29 précise que les tarifs d'utilisation des réseaux publics de distribution du gaz naturel autres que ceux concédés en application de l'article 25-1 de la loi du 3 janvier 2003 sont péréqués à l'intérieur de la zone de desserte de chaque gestionnaire. Ces modifications conduisent à retirer les dernières caractéristiques encore susceptibles de rattacher GDF à un service public national en ce qui concerne la distribution du gaz naturel.

On doit noter, en deuxième lieu, pour ce qui concerne la fourniture de gaz naturel, qu'avant même l'intervention de la loi déférée la libéralisation et l'ouverture progressive du marché du gaz, associées à la nouvelle définition des obligations de service public, ont fait perdre au service public confié à Gaz de France l'essentiel des éléments caractérisant un service public national.

L'ouverture progressive du marché du gaz à la concurrence a contribué à retirer à GDF ses spécificités historiques. Ce mouvement a été défini par deux directives européennes : la directive no 98/30 du 22 juin 1998, transposée par la loi no 2003-8 du 3 janvier 2003 relative aux marchés du gaz et de l'électricité et au service public de l'énergie, et la directive no 2003/55 du 26 juin 2003, transposée par la loi no 2004-803 du 9 août 2004 relative au service public de l'électricité et du gaz et aux entreprises électriques et gazières.

La libéralisation engagée par ces textes prend notamment appui sur la segmentation, comptable puis juridique, des activités intégrées verticalement au sein des opérateurs existants, afin de faciliter l'accès de nouveaux opérateurs aux différents segments du marché et d'éviter les subventions croisées entre segments ouverts à la concurrence et segments encore réglementés. La catégorie des clients éligibles, autorisés à se fournir librement en gaz auprès d'autres fournisseurs que les opérateurs historiques, a ainsi été progressivement élargie. L'article 3 de la loi du 3 janvier 2003 et le décret no 2003-302 du 1er avril 2003, transposant l'article 18 de la directive de 1998, ont prévu que, jusqu'au 1er juillet 2004, les clients éligibles seraient les seuls clients non résidentiels consommant par site et par an plus de 83 GWh. Cette éligibilité a été étendue, conformément à la directive de 2003, à la totalité des clients non résidentiels à compter du 1er juillet 2004 par le décret no 2004-420 du 20 mai 2004.

Cette ouverture, conçue pour permettre la fourniture de gaz par de nouveaux opérateurs, a produit ses effets. Au 1er juillet 2006, 65 fournisseurs avaient obtenu l'autorisation de fourniture du ministre chargé de l'industrie, nécessaire en vertu de la loi du 3 janvier 2003 pour fournir du gaz en France. Depuis le 1er juillet 2005, le rythme de l'exercice de l'éligibilité s'est accéléré, passant de 2 500 à 4 500 exercices par mois. L'arrivée de nouveaux entrants sur le marché de masse du gaz naturel explique cette évolution. Depuis le début de l'année 2005, en particulier, l'apparition de fournisseurs visant la clientèle professionnelle raccordée aux réseaux de distribution a engendré l'augmentation du nombre de clients qui ont exercé leur éligibilité. Au 1er juillet 2006, 11,3 % des sites éligibles, soit 76 636 sites, achètent leur gaz à des prix de marché.

Ces éléments illustrent la mutation profonde du marché de la fourniture du gaz alors même que son ouverture est récente. Ils montrent également la réduction progressive du poids occupé par GDF qui perd des parts du marché constitué par les consommateurs éligibles. La situation économique de GDF, fournisseur de gaz soumis à une concurrence effective et croissante d'autres acteurs, ne permet donc plus de considérer que cette entreprise serait en charge d'un service public national à cet égard.

On doit relever, en troisième lieu, que les obligations de service public s'appliquent indistinctement à l'ensemble des opérateurs.

Contrairement au secteur de l'électricité, les opérateurs historiques gaziers n'ont pas été désignés par le législateur comme les seuls à pouvoir assumer certaines de leurs missions. Cette différence essentielle s'explique par le fait que le gaz naturel est une énergie substituable, concurrencée, et qui n'est pas disponible pour l'ensemble des consommateurs sur le territoire.

Les personnes soumises à ces obligations, prévues par l'article 16 de la loi du 3 janvier 2003 ainsi que par le décret du 21 mars 2004 relatif aux obligations de service public dans le secteur du gaz, sont, en particulier, les opérateurs de réseaux, les titulaires de concessions de stockage et les fournisseurs. GDF, pour chacune des activités qu'il exerce, est soumis aux obligations déterminées par ces textes au même titre que l'ensemble des autres opérateurs. Le groupe Total (TIGF) est ainsi soumis à des obligations de service public à raison de ses activités de stockage et de transport. De même, les titulaires des nouvelles délégations de service public en matière de distribution sont soumis à des obligations spécifiques liées à leurs contrats. En matière de fourniture, tous les opérateurs doivent, pour obtenir leur agrément, offrir des garanties sur leur capacité à assurer la sécurité d'approvisionnement de leurs clients.

Ces obligations de service public prévues par le législateur sont imposées dans chaque segment du marché du gaz à l'ensemble des opérateurs. Il est vrai qu'en vertu de l'article 1er de la loi du 11 août 2004 les objectifs et les modalités de mise en oeuvre des missions de service public assignées à GDF doivent en outre faire l'objet d'un contrat avec l'Etat. Cette obligation s'explique par la place prépondérante et liée à l'histoire qu'occupe aujourd'hui GDF dans le secteur du gaz. L'Etat a également, en vertu du même article , la faculté de passer contrat avec les autres entreprises du secteur, en tenant compte, dans la ligne de la décision du Conseil constitutionnel no 2004-501 DC du 5 août 2004 précitée, de l'importance de ces entreprises.

2. Par ailleurs, le législateur a supprimé, par la loi déférée, les ultimes spécificités susceptibles de conférer à GDF le caractère de service public national.

Sur ce point, on ne peut que souligner la novation majeure que constitue l'ouverture à la concurrence de l'activité de fourniture de gaz aux clients non éligibles à laquelle procède la loi déférée. Cette ouverture à la concurrence prolonge le processus précédemment décrit ; elle prive GDF, à titre définitif, de l'élément essentiel qui aurait pu constituer un indice pour lui conférer le caractère de service public national.

La combinaison des dispositions du I de l'article 3 et de l'article 44 de la loi déférée met, en effet, un terme à la dernière exclusivité dont disposait GDF sur le marché gazier français, la fourniture de gaz aux particuliers, à compter du 1er juillet 2007. Tous les consommateurs pourront, à cette date, choisir leur fournisseur et la concurrence pourra donc s'exercer librement sur l'ensemble du marché de la fourniture de gaz, ainsi que le prévoit la directive de 2003.

Cette ouverture complète du marché de la fourniture au 1er juillet 2007 inscrit GDF dans une situation de marché analogue à celle des autres opérateurs du secteur. Les missions de service public du secteur gazier sont imposées à l'ensemble des opérateurs susceptibles d'intervenir sur ce marché. Leur exercice sera, par suite, assuré par toutes ces entreprises désormais placées dans une situation comparable et soumises à un régime juridique équivalent.

3. La seule circonstance que la loi déférée comporte des dispositions en matière de tarifs réglementés ne peut être regardée comme ayant pour effet de maintenir à GDF le caractère d'un service public national.

En vertu du I de l'article 7 de la loi du 3 janvier 2003, les dispositions du deuxième alinéa de l'article L. 410-2 du code de commerce s'appliquent aux tarifs de vente du gaz naturel aux clients non éligibles. Les décisions sur ces tarifs sont prises par les ministres chargés de l'économie et de l'énergie sur avis de la Commission de régulation de l'énergie (CRE). Les tarifs réglementés de vente du gaz naturel sont définis en fonction des caractéristiques intrinsèques des fournitures et des coûts liés à ces fournitures. Ils couvrent l'ensemble de ces coûts. Tout opérateur du secteur peut déposer des propositions de barèmes auprès des pouvoirs publics couvrant ses coûts spécifiques.

Les tarifs réglementés constituent donc des prix régulés déterminés par les ministres intéressés après avis de la CRE. Ils sont conçus, dans le respect des termes de la directive 2003/55 , pour offrir aux consommateurs une alternative à l'exercice de leur éligibilité et leur permettre ainsi de conserver leurs contrats en cours avec des tarifs de fourniture de gaz naturel inchangés. Tous les opérateurs du secteur peuvent proposer une offre commerciale à un prix au niveau des tarifs réglementés, de même que déposer des barèmes en vue de proposer des tarifs aux consommateurs en application de la procédure précédemment décrite.

Il résulte des dispositions du III de l'article 66-1 de la loi du 13 juillet 2005 créé par l'article 17 de la loi déférée que, dans leur zone de desserte, GDF et les DNN sont tenus de proposer aux consommateurs domestiques et aux consommateurs non domestiques consommant moins de 30 000 kilowattheures de gaz naturel par an une fourniture de gaz naturel au tarif réglementé de vente prévu par les dispositions de l'article 7 de la loi du 3 janvier 2003 lorsque ces consommateurs n'ont pas exercé leur éligibilité.

Une telle obligation ne saurait néanmoins caractériser, par elle-même, la subsistance d'un service public national. Il n'y a pas, en effet, de lien direct entre le choix des pouvoirs publics de réglementer les prix de certains biens et services dans des secteurs déterminés et l'existence d'un service public national chargé d'assurer leur fourniture. Le fait que cette réglementation ne pèse que sur certaines entreprises du secteur n'est pas non plus déterminant, compte tenu de son objet.

A cet égard, il faut souligner que la réglementation se distingue de l'obligation de fournir le service à un tarif spécial pour les personnes en difficulté. Cette dernière obligation, qui impose la mise en oeuvre d'une activité déficitaire pour les entreprises, relève assurément d'une activité de service public. Mais elle pèse sur toutes les entreprises du secteur. L'article 14 de la loi déférée, créant un V à l'article 7 de la loi du 3 janvier 2003, met ainsi à la charge de l'ensemble des fournisseurs de gaz naturel l'obligation de faire bénéficier les clients domestiques, sous certaines conditions de ressources, d'un tarif spécial de solidarité.

La réglementation tarifaire prévue par l'article 66-1 procède d'une autre logique, qui est une logique de régulation du marché. Il s'agit de tenir compte de la situation particulière de GDF sur le marché de la fourniture du gaz, au moment de l'intervention du législateur.

Il faut souligner, à cet égard, que le mode de fixation des tarifs réglementés, prévu par les dispositions du III de l'article 7 de la loi du 3 janvier 2003, n'est pas assimilable à quelque « tarif social » mais implique une répercussion des coûts et un contrôle de la marge. Or, dans le secteur du gaz naturel, à la différence de celui de l'électricité, la ressource n'est pas produite mais est importée dans son intégralité. Il en résulte, par construction, que les tarifs réglementés reflètent l'évolution des prix moyens à l'importation qui sont du même ordre de grandeur pour l'ensemble des opérateurs. Compte tenu de leurs conditions de détermination, les tarifs réglementés se maintiennent donc à des niveaux voisins des prix de marché pratiqués par les autres opérateurs. Les principales différences, sur ce point, entre les tarifs réglementés et les prix de marché sont, d'une part, le lissage dans le temps des premiers, ce qui permet d'amortir, pour le consommateur, l'impact des évolutions brusques des coûts d'importation et, d'autre part, le contrôle de la marge commerciale faite par l'entreprise considérée.

En réalité, le dispositif mis en place par le législateur vise à concilier trois préoccupations. Il s'agit, en premier lieu, de donner au consommateur la faculté de ne pas être brutalement exposé aux risques inhérents à la constitution initiale d'un marché concurrentiel dans un secteur où les aléas apparaissent particulièrement importants. Il vise, en deuxième lieu, à éviter que le processus de détermination des prix sur le marché soit altéré par le poids prépondérant des opérateurs historiques. Il entend pour autant, en troisième lieu, permettre la constitution progressive d'un marché dans lequel les différents opérateurs pourront proposer les mêmes types de contrats. La garantie d'ouverture effective du marché du gaz naturel réside ainsi non pas dans la suppression de tout mécanisme de régulation des prix pratiqués par GDF mais dans le maintien d'un dispositif permettant, compte tenu des parts de marché constatées aujourd'hui, une transition protectrice du consommateur vers un marché concurrentiel du gaz naturel.

En résumé, le Gouvernement considère qu'aucune des activités exercées par GDF ne relève d'un service public national à compter du 1er juillet 2007. L'activité de distribution de gaz naturel est constitutive d'un service public local. Son activité de transport est comparable à celle d'autres opérateurs qui disposent de parts de marché significatives. L'activité de fourniture sera, par l'effet de la loi déférée, ouverte à la concurrence, pour l'ensemble des consommateurs, à compter du 1er juillet 2007.

Certes, le maintien d'obligations à la charge de GDF et des DNN en matière de tarifs réglementés laisse subsister des exigences spécifiques qui pèsent sur les opérateurs historiques prépondérants sur leur zone de desserte.

Mais cette seule particularité n'est pas de nature à identifier pour GDF un service public national. Une réglementation des tarifs ou des prix ne suffit pas, par elle-même, à caractériser un service public. Importent, en revanche, la nature de l'activité et les contraintes imposées par les pouvoirs publics quant à l'offre de service. Or, de ce point de vue, il faut souligner que GDF n'est pas soumis à des obligations de service public particulières auxquelles ne seraient pas assujettis les opérateurs privés qui lui font concurrence, à la différence, par exemple, de la situation prévalant en matière audiovisuelle. Il faut souligner, également, que GDF n'est pas davantage tenu de garantir l'exécution d'un service universel de base sur l'ensemble du territoire pour la totalité des consommateurs.

Le dispositif des tarifs réglementés décrit plus haut a pour seul objet de prendre acte de la situation de fait prévalant au jour de l'intervention du législateur et d'accompagner la transition du marché de la fourniture de gaz naturel vers l'ouverture complète à la concurrence. Ce dispositif, dont les autres opérateurs ne sont pas exclus, vise à permettre une évolution progressive du marché vers la constitution d'un marché concurrentiel au bénéfice des consommateurs.

Pour ces différents motifs, le Gouvernement estime donc que l'article 39 de la loi déférée, qui met fin au caractère majoritaire de la participation de l'Etat dans le capital de GDF, ne méconnaît pas les dispositions du neuvième alinéa du préambule de la Constitution de 1946.

D. - Les parlementaires requérants font toutefois valoir, à titre subsidiaire, que le renoncement de l'Etat à sa participation majoritaire dans le capital de GDF ne peut, sauf à créer une situation transitoire inconstitutionnelle, être opéré avant le 1er juillet 2007, date de l'ouverture complète à la concurrence du marché.

Cette argumentation doit être écartée.

Il faut souligner, d'abord, que le texte de la loi déférée ne fixe pas la date à laquelle l'Etat renoncera à sa participation majoritaire dans le capital de GDF. Le I de son article 39 indique seulement que le seuil minimum de détention de son capital par l'Etat est d'un tiers.

Certes, la loi n'exclut pas que la privatisation de GDF intervienne avant le 1er juillet 2007.

Il en résulte que GDF pourrait, le cas échéant, être une entreprise privée alors même que subsisterait, pour quelques mois, son exclusivité de la fourniture de gaz aux clients non éligibles.

La thèse des auteurs des recours n'est néanmoins pas fondée pour deux raisons.

En premier lieu, cette situation serait transitoire et le Conseil constitutionnel a déjà précisé, s'agissant de la notion de monopole de fait, qu'il n'y a pas lieu de prendre en compte les « positions privilégiées que telle ou telle entreprise détient momentanément » (décision no 86-207 DC des 25 et 26 juin 1986 précitée).

En deuxième lieu, cette situation transitoire est très limitée dans le temps. Sa durée, quelques mois, est brève et son terme est déterminé par la loi elle-même.

II. - Sur l'atteinte portée à la liberté contractuelle et au principe de la libre administration des collectivités territoriales

A. - Les auteurs des recours soutiennent que l'article 39 de la loi déférée porte atteinte à la liberté contractuelle et au principe de libre administration des collectivités territoriales.

Ils font valoir que le maintien de droits exclusifs au bénéfice de GDF en matière de concessions de réseaux de distribution dans sa zone de desserte historique méconnaît la liberté contractuelle des collectivités locales et que la contrainte excessive qu'il leur impose ainsi sans justification appropriée porte atteinte au principe de leur libre administration.

B. - De telles critiques ne peuvent être retenues.

Ainsi qu'il a été dit précédemment, il est exact que là où GDF gère un réseau de distribution qui lui a été concédé avant 2005, le renouvellement de la concession ne peut avoir lieu qu'à son profit.

Le Gouvernement estime cependant que la limitation apportée à la liberté des collectivités territoriales de contracter n'est pas contraire à la Constitution, alors même que l'Etat ne détient plus de participation majoritaire dans le capital de GDF, dès lors que cette limitation est justifiée par des considérations d'intérêt général appropriées.

D'une part, en effet, le réseau actuellement confié à GDF est constitué de plus de 6 000 concessions distinctes. La cohérence de ce réseau serait mise en péril si, dans la zone de desserte de GDF, au fur et à mesure du renouvellement des concessions, les collectivités territoriales concernées, usant de leur liberté de choix, contractaient avec des opérateurs différents. La nécessité de maintenir cette cohérence entre les réseaux de distribution constitue un premier motif d'intérêt général justifiant que le législateur ait pu maintenir la restriction apportée à la liberté contractuelle des collectivités territoriales.

La péréquation des tarifs de distribution dans l'ensemble de la zone de desserte de l'entreprise justifie, d'autre part, que la loi déférée impose aux collectivités territoriales de continuer à contracter avec GDF ou sa future filiale de distribution ainsi qu'avec les DNN sur leur zone de desserte, même après que l'Etat aura renoncé à sa participation majoritaire dans le capital de GDF. Cette péréquation contribue, par ailleurs, à un développement équilibré du territoire et est facteur de cohésion sociale, ainsi que le rappelle l'article 1er de la loi du 9 août 2004.


III. - Sur la méconnaissance du principe constitutionnel

de continuité du service public


A. - Les parlementaires requérants soutiennent que les garanties instituées par l'article 39 de la loi déférée sont insuffisantes pour garantir le respect du principe constitutionnel de la continuité du service. Ils font valoir en particulier que le mécanisme de l'« action spécifique » prévu par le nouvel article 24-1 de la loi du 9 août 2004, créé par la loi déférée, n'assure pas que les exigences attachées à ce principe seront satisfaites.

B. - Ce grief sera écarté.

Le législateur a précisé à l'article 16 de la loi du 3 janvier 2003 l'ensemble des missions de service public auxquelles GDF sera soumis, au même titre que les autres opérateurs qui assurent le service public du gaz et ce quelle que soit la nature du capital de ces opérateurs. Ces obligations portent notamment sur la sécurité des personnes et des installations, la continuité de la fourniture du gaz, la sécurité d'approvisionnement et le développement équilibré du territoire. En imposant ces exigences à l'ensemble des opérateurs qui participent à l'exécution du service public du gaz naturel, le législateur a garanti la continuité du service.

La loi déférée rend, en outre, obligatoire la création d'une « action spécifique » qui serait, sans cette disposition expresse, une simple faculté ouverte par l'article 10 de la loi no 86-912 du 6 août 1986 relative aux modalités des privatisations. Un décret, qui interviendra avant l'abandon de la participation majoritaire de l'Etat dans le capital de GDF, prononcera ainsi la transformation d'une action ordinaire de l'Etat à ce capital en une action spécifique. Celle-ci donnera à l'Etat le pouvoir de s'opposer à toute décision des organes dirigeants de GDF ou de ses filiales qui porterait atteinte aux intérêts essentiels de la France dans le secteur de l'énergie, et notamment la continuité et la sécurité d'approvisionnement en énergie.

Ce décret devrait s'appliquer aux décisions relatives aux canalisations de transport de gaz naturel, aux actifs liés à la distribution de gaz naturel, aux stockages souterrains de gaz naturel ainsi qu'aux installations de gaz naturel liquéfié. Son texte encadrera par ailleurs l'exercice du droit d'opposition de l'Etat par des délais brefs.

Dans ces conditions, eu égard aux garanties précises instituées par le législateur, on ne peut soutenir que l'article 39 de la loi déférée méconnaîtrait les exigences constitutionnelles liées à la continuité du service public.

Les auteurs de la saisine soutiennent, certes, que le décret prononçant la transformation d'une action ordinaire de l'Etat au capital de GDF en une action spécifique serait susceptible d'être contesté sur le terrain du droit communautaire et, en particulier, du principe de la libre circulation des capitaux. En soi, une mesure telle que la création d'une action spécifique n'est cependant pas contraire au droit communautaire, ainsi que l'admettent les parlementaires requérants eux-mêmes, compte tenu de la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes (cf. not. CJCE 4 juin 2002 aff. C-483/99 Commission c/Royaume de Belgique). La Cour prend, il est vrai, soin d'indiquer qu'une mesure nationale maintenant des prérogatives d'intervention dans les décisions d'entreprises privatisées, telle qu'une action privilégiée, doit être justifiée par des raisons impérieuses d'intérêt général et doit être propre à garantir la réalisation de l'objectif qu'elle poursuit, sans aller au-delà de ce qui est nécessaire pour qu'il soit atteint.

Ce contrôle du motif, qui sera au cas particulier, notamment, la nécessité d'assurer l'approvisionnement en énergie, et du respect du critère de proportionnalité ne pourra être opéré qu'après l'intervention du décret prévu par les dispositions de la loi déférée. L'illégalité éventuelle et future d'un tel décret, alléguée par les députés et sénateurs requérants, ne saurait néanmoins, et en tout état de cause, rendre l'article 39 de la loi déférée contraire au principe constitutionnel de continuité du service public. Au demeurant, il peut être signalé que la Commission européenne a indiqué par lettre en date du 6 septembre 2006, en réponse au projet de dispositif présenté par les autorités françaises, que « le projet de décret ne contient pas d'élément contentieux qui mènerait la Commission à ouvrir une procédure d'infraction contre la France ».

Le Gouvernement estime, ainsi, que le reproche adressé à l'article 39 de la loi déférée par les auteurs du recours fondé sur les exigences constitutionnelles liées à la continuité du service public ne saurait être retenu.


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Pour ces raisons, le Gouvernement est d'avis qu'aucun des griefs articulés par les députés et sénateurs requérants n'est de nature à conduire à la censure des dispositions de l'article 39 de la loi relative au secteur de l'énergie. Aussi estime-t-il que le Conseil constitutionnel devra rejeter les recours dont il est saisi.