J.O. 71 du 24 mars 2006       J.O. disponibles       Alerte par mail       Lois,décrets       codes       AdmiNet
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Saisine du Conseil constitutionnel en date du 23 février 2006 présentée par plus de soixante députés, en application de l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, et visée dans la décision n° 2006-534 DC


NOR : CSCL0609112X




LOI POUR LE RETOUR À L'EMPLOI ET SUR LES DROITS

ET LES DEVOIRS DES BÉNÉFICIAIRES DE MINIMA SOCIAUX




Monsieur le président du Conseil constitutionnel, mesdames et messieurs les membres du Conseil constitutionnel, nous avons l'honneur de vous déférer, conformément au deuxième alinéa de l'article 61 de la Constitution, l'article 32 du projet de loi pour le retour à l'emploi et sur les droits et devoirs des bénéficiaires de minima sociaux, tel qu'adopté par le Parlement.

Cet article habilite le Gouvernement à légiférer par ordonnance pour instituer à titre expérimental un contrat de transition professionnelle pour des personnes dont le licenciement pour motif économique est envisagé, en lieu et place de la convention de reclassement personnalisé prévue à l'article L. 321-4-2 du code du travail.

Cet article résulte d'un amendement no 96 déposé par le Gouvernement au Sénat. Il a été adopté par le Sénat le 26 janvier 2006, lors de l'examen en première lecture du projet de loi adopté précédemment par l'Assemblée nationale le 6 décembre 2005, et dont le titre était à ce stade de la procédure « projet de loi relatif au retour à l'emploi et au développement de l'emploi ».

Il a ensuite été adopté par la commission mixte paritaire qui s'est réunie le 7 février 2006 pour élaborer un texte commun sur les dispositions restant en discussion.

Cet amendement a été adopté dans des conditions qui méconnaissent les dispositions combinées des articles 24, 34, 38, 44 et 45 de la Constitution.

La procédure permettant au Gouvernement de légiférer par ordonnance pendant un délai limité est strictement encadrée par l'article 38 de la Constitution et par votre jurisprudence en la matière. Vous avez considéré à de multiples reprises que les dispositions d'une loi d'habilitation ne sauraient avoir pour effet de dispenser le Gouvernement, dans l'exercice des pouvoirs issus de cet article , de respecter les règles et principes constitutionnels (décision no 2003-473 DC du 26 juin 2003, considérant 10).

Il appartient donc au Gouvernement de respecter l'ensemble des principes constitutionnels, et notamment le principe de clarté et de sincérité des débats parlementaires ainsi que le droit d'amendement.

L'article 38 de la Constitution fait ainsi obligation au Gouvernement d'indiquer avec précision au Parlement, dans le but de justifier l'autorisation de légiférer par ordonnance qu'il lui demande, la finalité des mesures qu'il prendra en application de cette procédure et leur domaine d'intervention. Ces précisions sont indispensables pour permettre au Parlement d'amender et de se prononcer en toute connaissance de cause sur le champ du domaine de la loi sur lequel il accepte de se dessaisir de son pouvoir de législateur.

Ces précisions sont d'autant plus indispensables que l'article 38 de la Constitution n'impose pas au Gouvernement de faire connaître au Parlement la teneur des futures ordonnances qu'il prendra (décision no 2005-521 DC du 21 juillet 2005, considérant 5). De même, l'urgence peut être invoquée par le Gouvernement pour recourir à cette procédure (décision no 2003-473 DC du 26 juin 2003, considérant 5).

Le Parlement comprend, en application de l'article 24 de la Constitution, l'Assemblée nationale et le Sénat. En l'occurrence, compte tenu de la procédure d'urgence, seul les membres du Sénat ont pu exercer leur droit d'amendement sur la finalité et le domaine d'intervention de l'habilitation. L'Assemblée nationale n'a pas été saisie de cet amendement additionnel en première lecture. Elle n'a donc pas pu en débattre et encore moins l'amender.

Le choix de la procédure d'urgence ainsi que l'accord intervenu dans le cadre de la commission mixte paritaire chargée de présenter un texte sur les dispositions restant en discussion ont de fait interdit le dépôt d'amendement par les députés. Autrement dit, une des deux assemblées du Parlement n'a pas été en mesure de se prononcer sur son propre dessaisissement.

En agissant ainsi, le Gouvernement n'a pas respecté le droit d'amendement des membres du Parlement prévu à l'article 44 de la Constitution. Les conditions irrégulières d'adoption de l'article 32 du projet de loi sont renforcées par le fait qu'en agissant de la sorte le Gouvernement s'est exonéré de délibérer en conseil des ministres d'un projet de loi d'habilitation se dispensant ainsi de l'avis du Conseil d'Etat pour définir la finalité et le domaine d'intervention de l'habilitation.

La procédure retenue par le Gouvernement pour l'adoption de cet article (dépôt d'un amendement au Sénat après la lecture faite par l'Assemblée nationale et avant la réunion de la commission paritaire, recours à la procédure d'urgence) est d'autant plus contestable que l'objet de la disposition contestée est de dessaisir le Parlement de son pouvoir.

L'article 32 du projet de loi a donc été adopté dans des conditions irrégulières et doit être déclaré non conforme à la Constitution.

(Liste des signataires : voir la décision no 2006-534 DC.)