J.O. 20 du 24 janvier 2006       J.O. disponibles       Alerte par mail       Lois,décrets       codes       AdmiNet
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Observations du Gouvernement sur le recours dirigé contre la loi relative à la lutte contre le terrorisme et portant dispositions diverses relatives à la sécurité et aux contrôles frontaliers


NOR : CSCL0609016X



La loi relative à la lutte contre le terrorisme et portant dispositions diverses relatives à la sécurité et aux contrôles frontaliers, adoptée le 22 décembre 2005, a été déférée au Conseil constitutionnel par plus de 60 sénateurs qui critiquent, en particulier, ses articles 6 et 8.

Ce recours appelle, de la part du Gouvernement, les observations suivantes.


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I. - Sur l'article 6


A. - L'article 6 de la loi déférée, modifiant le code des postes et des communications électroniques et la loi no 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique, prévoit, à fin de prévenir et de réprimer des actes de terrorisme, que des agents habilités des services de police et de gendarmerie peuvent requérir la communication de certaines données conservées et traitées par les opérateurs de communications électroniques, les fournisseurs d'accès à des services de communication en ligne et les opérateurs qui assurent le stockage de signaux, d'écrits, d'images, de sons ou de messages de toute nature fournis par des destinataires de ces services.

Les sénateurs requérants soutiennent que ces dispositions méconnaîtraient l'article 66 de la Constitution ainsi que les termes des articles 2, 4 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.

B. - Le Gouvernement considère que de telles critiques ne sont pas fondées.

Les dispositions critiquées de l'article 6 de la loi déférée visent à renforcer les moyens juridiques d'action des services engagés dans la lutte antiterroriste, en prévoyant la possibilité pour ces services d'obtenir, en amont des procédures judiciaires, certaines informations qui peuvent s'avérer décisives pour la prévention d'actes de terrorisme.

En effet, les réseaux terroristes utilisent de manière intensive les procédés de communication modernes, qui leur permettent d'échanger des informations de façon rapide, discrète et furtive. L'identification des membres de ces réseaux et des menaces terroristes peut être grandement facilitée par l'exploitation de données se rapportant à l'usage de ces procédés de communication, comme les données d'abonnement ou de connexion ou celles permettant de localiser les terminaux utilisés.

C'est dans ce contexte que le législateur a décidé d'adopter l'article 6, qui complète la législation en vigueur afin d'instituer une procédure de réquisition administrative permettant aux services de police et de gendarmerie spécialisés dans la lutte contre le terrorisme de se faire communiquer certaines des données techniques conservées et traitées par des opérateurs et prestataires mentionnés au I de l'article L. 34-1 du code des postes et des communications électroniques ainsi que par des prestataires mentionnés aux 1 et 2 du I de l'article 6 de la loi no 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique. Cette nouvelle procédure, destinée à la prévention des actes de terrorisme, s'inscrit dans un cadre de police administrative, en amont de toute procédure judiciaire.

L'article 6 institue ainsi, dans un cadre administratif préventif, un dispositif de réquisition analogue au dispositif de réquisition judiciaire de ces mêmes données techniques, déjà organisé par les articles 60-1 et 99-3 du code de procédure pénale et par l'article L. 34-1 du code des postes des communications électroniques. A ces possibilités de réquisitions relevant de la police judiciaire, ordonnées dans le cadre des procédures judiciaires ouvertes en vue de réprimer des infractions déterminées, l'article 6 ajoute une possibilité de réquisition administrative en amont susceptible d'être mise en oeuvre par les services spécialisés dans la lutte antiterroriste avant que ne soient engagées des procédures judiciaires.

1. Ces dispositions de l'article 6 de la loi déférée ne sauraient être jugées contraires à l'article 66 de la Constitution.

a) A cet égard, on se doit de remarquer que les auteurs du recours se méprennent sur la portée de la notion de liberté individuelle, au sens où l'entendent l'article 66 de la Constitution et la jurisprudence du Conseil constitutionnel.

L'article 66 de la Constitution dispose que « nul ne peut être arbitrairement détenu » et que « l'autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle, assure le respect de ce principe dans les conditions prévues par la loi ». Ces dispositions confient un rôle éminent à l'autorité judiciaire pour la protection de la liberté individuelle et elles ont pour effet d'imposer au législateur de soumettre à l'intervention ou au contrôle du juge judiciaire les mesures mettant en cause cette liberté.

Mais la liberté individuelle, au sens de l'article 66 de la Constitution, n'inclut pas tous les aspects des différentes libertés de la personne qui sont garanties par les textes et principes de valeur constitutionnelle. Elle vise, dans la ligne du premier alinéa de l'article 66, la liberté de ne pas être arbitrairement détenu ; elle concerne, en conséquence, les mesures qui conduisent à s'assurer physiquement des personnes. Mais elle n'englobe pas d'autres libertés de la personne, comme la liberté d'aller et venir ou le respect de la vie privée ou encore la liberté de se marier : si ces libertés bénéficient évidemment d'une protection constitutionnelle, elles n'ont pas pour fondement constitutionnel l'article 66 de la Constitution, mais d'autres dispositions constitutionnelles, en particulier les articles 2 et 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.

La jurisprudence du Conseil constitutionnel est aujourd'hui fermement engagée en ce sens (décision no 99-411 DC du 16 juin 1999 ; décision no 99-416 DC du 23 juillet 1999 ; décision no 2002-461 DC du 29 août 2002 ; décision no 2003-467 DC du 13 mars 2003 ; décision no 2003-484 DC du 20 novembre 2003 ; décision no 2004-492 DC du 2 mars 2004 ; décision no 2004-499 DC du 29 juillet 2004). Il s'ensuit que les exigences constitutionnelles tenant à la protection de ces libertés n'imposent pas l'intervention du juge judiciaire, alors que l'article 66 de la Constitution l'impose pour ce qui concerne la liberté individuelle.

Au cas présent, l'obtention par certains services de police ou de gendarmerie de données techniques se rapportant à des communications électroniques ne traduit aucune contrainte sur des personnes ; cette mesure ne saurait, en conséquence, être regardée comme portant atteinte à la liberté individuelle au sens de l'article 66 de la Constitution. Sans doute l'obtention de ces informations peut-elle être de nature à affecter le respect de la vie privée ; mais les exigences résultant de l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen n'impliquent pas que l'obtention de ces données soit subordonnée à l'intervention ou au contrôle de l'autorité judiciaire. On ne peut, par suite, soutenir que l'article 6 de la loi déférée serait contraire à l'article 66 de la Constitution parce qu'il ne prévoirait pas l'intervention du juge judiciaire dans cette procédure administrative visant à l'obtention de certaines données de connexion.

b) Par ailleurs, le Gouvernement considère que la circonstance que le législateur ait antérieurement institué un dispositif de réquisition judiciaire aux articles 60-1 et 99-3 du code de procédure pénale ne s'oppose pas à ce qu'il puisse décider, dans le cadre de son pouvoir d'appréciation, de mettre en place un dispositif parallèle de réquisition administrative, dès lors que ces deux dispositifs répondent à des finalités distinctes. De fait, le dispositif de réquisition judiciaire vise la poursuite et la répression d'infractions dans le cadre d'opérations de police judiciaire placées sous le contrôle ou la direction de l'autorité judiciaire ; le dispositif administratif institué par la loi déférée vise, en amont de toute procédure judiciaire, la prévention des atteintes à l'ordre public, notamment des atteintes à la sécurité des personnes et des biens, qui relève de l'autorité administrative.

Il est vrai, comme le relève la saisine, que l'article 6 mentionne que ce dispositif est institué « afin de prévenir et de réprimer les actes de terrorisme ». Cette rédaction, qui comporte par rapport à la rédaction initiale du projet de loi un ajout mentionnant la « répression » des actes de terrorisme, résulte des travaux parlementaires.

Mais cet ajout, aux yeux du Gouvernement, ne saurait avoir pour effet de modifier la nature administrative de la mesure instituée par l'article 6. En particulier, le Gouvernement considère que l'ajout des termes « et réprimer » n'a ni pour objet ni pour effet de permettre d'utiliser la procédure de l'article 6 lorsqu'une procédure judiciaire est ouverte et qu'est applicable la procédure de réquisition judiciaire organisée par le code de procédure pénale ; dans ce cas, la procédure judiciaire est seule susceptible d'être mise en oeuvre.

Le souci du Parlement a été de manifester que le dispositif de l'article 6 s'inscrit dans une démarche globale de lutte contre le terrorisme intégrant une dimension de prévention et une dimension de répression et de souligner l'importance d'une correcte articulation entre les différents dispositifs. Les travaux parlementaires ont souligné la nécessité, dans le cadre de la lutte antiterroriste, de disposer d'un outil administratif adapté, permettant de prévenir des atteintes à la sécurité des personnes alors même qu'aucune infraction n'a encore été commise. Il a aussi été souligné qu'il importait que l'autorité judiciaire soit avisée par l'autorité administrative chaque fois que les opérations de police administrative conduisent à identifier une infraction et qu'elle soit rendue destinataire des éléments qui s'y rapportent et qui ont été obtenus dans le cadre préalable de la police administrative. De ce point de vue, la mention introduite à l'article 6 se borne à faire référence aux situations dans lesquelles les agents des services spécialisés peuvent saisir l'autorité judiciaire des éléments qu'ils ont obtenus dans l'exercice de leurs missions de police administrative, permettant de constater ou d'identifier des situations susceptibles de constituer des infractions dont la poursuite et la sanction relèvent de la seule compétence de l'autorité judiciaire.

2. Compte tenu de l'objectif poursuivi par le législateur et des différentes garanties qu'il a précisément instituées, les dispositions de l'article 6 de la loi déférée ne portent pas d'atteinte excessive au droit au respect de la vie privée résultant de l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.

On doit, d'une part, relever que le dispositif institué par l'article 6 n'est susceptible d'être mis en oeuvre que dans le cadre de la lutte contre les actes de terrorisme, à l'exclusion de toute autre finalité, c'est-à-dire à l'égard d'actes constituant une menace d'une particulière gravité pour la sauvegarde de l'ordre public.

Il faut, d'autre part, souligner que l'atteinte susceptible d'être portée à la vie privée en vertu de l'article 6 de la loi déférée demeure limitée. En effet, seules peuvent être obtenues, dans ce cadre de police administrative, des données techniques relatives à l'utilisation de procédés de communications électroniques, comme des numéros d'abonnement ou de connexions, la date ou la durée des communications, la localisation des dispositifs utilisés. En revanche, le dispositif de l'article 6 ne permet, en aucun cas, aux services de police et de gendarmerie de connaître le contenu des messages échangés. Il n'a, ainsi, pas du tout la même portée que les interceptions de sécurité régies par la loi no 91-646 du 10 juillet 1991.

En outre, le législateur a veillé à instituer des garanties appropriées pour encadrer la mise en oeuvre de ce dispositif de réquisition administrative.

Ainsi, le droit de réquisition n'est ouvert qu'à certains agents limitativement énumérés. Ces agents devront appartenir aux services de police et de gendarmerie spécialement chargés des missions de lutte contre le terrorisme ; la liste des services de police et de gendarmerie nationales spécialement chargés de ces missions sera, conformément à l'article 33 de la loi déférée, fixée par arrêté interministériel. Ces agents devront, en outre, être individuellement désignés et habilités dans des conditions prévues par des actes réglementaires qui seront pris après avis de la Commission nationale de l'Informatique et des Libertés (CNIL) en application de la loi du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés.

On peut indiquer, à cet égard, que les agents désignés relèveront des unités ou services directement affectés à la lutte antiterroriste de la direction de la surveillance du territoire, de la direction centrale des renseignements généraux, de la direction centrale de la police judiciaire, de l'unité de coordination de la lutte antiterroriste, de la direction générale de la gendarmerie nationale ainsi que, à Paris, de la direction régionale des renseignements généraux de la préfecture de police et de la direction régionale de la police judiciaire de la préfecture de police.

De plus, les données techniques susceptibles d'être obtenues sont limitativement énumérées par la loi. Il s'agit des données permettant l'identification des numéros d'abonnement ou de connexion d'une personne désignée, des données de localisation des équipements terminaux, des données techniques relatives aux destinataires, à la durée et à la date des communications d'un abonné. La loi exclut que puissent être communiquées des données qui seraient relatives au contenu des communications.

En outre, la loi précise les modalités de mise en oeuvre du dispositif. Les demandes de communication doivent être motivées et soumises à la décision d'une personne qualifiée, placée auprès du ministre de l'intérieur, désignée par la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité, autorité administrative indépendante instituée par la loi no 91-646 du 10 juillet 1991. Cette instance peut, à tout moment, procéder à des contrôles et, lorsqu'elle constate un manquement aux règles définies ou une atteinte aux droits et libertés, elle saisit le ministre d'une recommandation.

A cet égard, on ne saurait tirer argument, pour contester la conformité à la Constitution de la loi déférée, de ce que des modalités de contrôle différentes ont été instituées par le législateur pour ce qui concerne les interceptions de sécurité. On doit rappeler, à cet égard, que le dispositif de l'article 6 n'a pas la même portée que les interceptions de sécurité, en ce qu'il ne permet pas d'obtenir d'informations sur le contenu des messages échangés. S'agissant de la communication de données techniques relatives aux communications téléphoniques ou électroniques, les dispositions édictées au cas présent par le législateur sont adaptées et apportent des garanties suffisantes. Le mécanisme protecteur institué par le législateur prévoit ainsi l'intervention préalable d'une personnalité qualifiée et le contrôle de la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité. Pour sa part, l'article 3 de la loi du 10 juillet 1991 précise que les autorisations d'interception de sécurité sont données par décision du Premier ministre, que leur nombre peut être contingenté, que la Commission nationale de contrôle veille au respect de la réglementation applicable et peut, lorsqu'elle estime qu'une interception a été autorisée en méconnaissance de la loi, adresser une recommandation tendant à ce que cette interception soit interrompue.

On doit observer que la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité est appelée à assurer un contrôle réel du dispositif. La commission dispose d'un véritable pouvoir de désignation de la personnalité qualifiée chargée de décider des réquisitions, sur la base d'une liste d'au moins trois noms proposée par le ministre de l'intérieur. La commission est investie, en outre, d'un pouvoir de contrôle qu'elle pourra mettre en oeuvre de sa propre initiative ou sur la base d'une réclamation d'une personne y ayant un intérêt direct et personnel. Ces contrôles seront d'ailleurs facilités par le fait que les demandes de communication de données, accompagnées de leurs motifs, font l'objet d'un enregistrement et sont communiquées à la commission.

Sans doute le législateur n'a-t-il pas confié à la commission un pouvoir de décision lorsqu'elle constate un manquement à la réglementation. Elle n'en dispose d'ailleurs pas davantage à l'égard des interceptions de sécurité. Mais ce pouvoir de recommandation n'est pas limité par la loi et il implique, pour le ministre de l'intérieur, de prendre position et de faire connaître à la commission, dans un délai de quinze jours, les mesures prises suite à une recommandation. Un tel mode de contrôle exercé par une autorité administrative indépendante apparaît adapté aux particularités de la matière.


II. - Sur l'article 8


A. - L'article 8 de la loi déférée, modifiant l'article 26 de la loi no 2003-239 du 18 mars 2003, détermine les conditions de mise en oeuvre de dispositifs fixes ou mobiles de contrôle automatisé des données signalétiques des véhicules prenant la photographie de leurs occupants, aux fins de prévenir et de réprimer le terrorisme et de faciliter la constatation de certaines infractions criminelles.

Les sénateurs auteurs de la saisine invoquent les termes de l'article 66 de la Constitution et de l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen pour soutenir que les dispositions de l'article 8 porteraient une atteinte excessive à la liberté d'aller et venir et au respect de la vie privée. Ils font valoir, en outre, que les dispositions critiquées seraient entachées d'incompétence négative et méconnaîtraient l'article 34 de la Constitution.

B. - De tels griefs ne pourront qu'être écartés.

L'article 8 a pour objet de compléter les dispositions relatives au contrôle automatisé des données signalétiques des véhicules, résultant de l'article 26 de la loi du 18 mars 2003, en vue de rendre ce dispositif plus opérationnel et de l'adapter aux nécessités de la lutte contre le terrorisme et certaines formes de délinquance et de criminalité organisée. L'article 8 détermine, de façon précise, les garanties qui s'attachent à la mise en oeuvre de ce dispositif.

L'article 26 de la loi du 18 mars 2003, dans sa rédaction initiale, autorisait déjà la mise en place, en tout point approprié du territoire, de dispositifs fixes ou mobiles de contrôle automatisé des données signalétiques des véhicules permettant une consultation systématique du fichier des véhicules volés. Il prévoyait aussi que ces dispositifs pourraient être mis en place, de manière temporaire, pour la préservation de l'ordre public à l'occasion d'événements particuliers ou de grands rassemblements de personnes.

L'article 8 de la loi déférée complète ces dispositions sur trois points. En premier lieu, il précise et élargit les finalités de ce dispositif de contrôle : la loi énonce qu'il vise à permettre la constatation des infractions de vol et de recel des véhicules volés, la prévention et la répression d'actes de terrorisme, la constatation des infractions criminelles ou liées à la criminalité organisée mentionnées à l'article 706-73 du code de procédure pénale, la constatation d'infractions commises en bande organisée prévues par l'article 414 du code des douanes ainsi que de certaines infractions prévues par l'article 415 du même code ; en outre, la loi conserve les finalités de police administrative prévues au deuxième alinéa de l'article 26. En deuxième lieu, l'article 8 prévoit que la prise de vue des occupants du véhicule est autorisée. Il précise, en troisième lieu, les modalités de traitement, de consultation et de conservation des données.

1. Comme précédemment, le grief tiré de l'article 66 de la Constitution ne pourra qu'être écarté. Pas davantage que pour l'article 6, la mise en oeuvre du dispositif de contrôle automatisé des données signalétiques des véhicules régi par l'article 8 ne se traduit par des mesures de contrainte conduisant à s'assurer physiquement de personnes. Ainsi, elle ne met pas en cause la liberté individuelle au sens de l'article 66 de la Constitution. On ne peut, par suite, se référer à cet article 66 pour soutenir que la mise en place de ce dispositif de contrôle devrait être subordonnée à l'intervention ou au contrôle de l'autorité judiciaire.

Par ailleurs, aucune autre règle constitutionnelle n'impose, que ce dispositif de contrôle automatisé soit, à raison de sa nature même, placé sous le contrôle du juge judiciaire.

On doit insister, à cet égard, sur les différentes finalités qui sont assignées par la loi à cet instrument de contrôle particulier. Ces finalités peuvent être, selon les cas et les informations recueillies, soit de nature administrative et viser à la prévention des troubles de l'ordre public, sous le contrôle de la juridiction administrative (prévention du terrorisme, préservation de l'ordre public à l'occasion de certains événements particuliers), soit de nature judiciaire et viser à la constatation et à la répression de certaines infractions énumérées, sous le contrôle exclusif de l'autorité judiciaire et dans le respect des principes de la procédure pénale.

Aucun principe de valeur constitutionnelle ne s'oppose à ce qu'un instrument unique soit mis en place afin de répondre à différentes finalités d'ordre administratif ou judiciaire. Le droit français connaît déjà des exemples de dispositifs automatisés qui peuvent avoir à la fois une finalité judiciaire et une finalité administrative : il en va ainsi pour certains fichiers, comme le système de traitement des infractions constatées (STIC) ou le fichier judiciaire automatisé des auteurs d'infractions sexuelles (FIJAIS). Le STIC a une double finalité, inscrite dans la loi, et peut être consulté à des fins de police administrative en application de l'article 25 de la loi no 2003-239 du 18 mars 2003 et en matière de police judiciaire en vertu de l'article 21 de la même loi. Le Conseil constitutionnel a admis la conformité à la Constitution de ces dispositions de la loi du 18 mars 2003 (décision no 2003-467 DC du 13 mars 2003). De même, le FIJAIS, qui a été institué par la loi du 9 mars 2004, peut être interrogé par les autorités judiciaires et les officiers de police judiciaire dans le cadre de certaines procédures judiciaires et être consulté par les préfets et certaines administrations pour l'exercice de missions relevant de sa compétence. Ces dispositions ont été jugées conformes à la Constitution (décision no 2004-492 DC du 2 mars 2004).

Il en va encore de même pour les systèmes de vidéosurveillance assurant la transmission et l'enregistrement d'images prises sur la voie publique, qui peuvent être mis en oeuvre à des fins administratives, comme celle d'assurer la protection des bâtiments et installations publiques, et des fins judiciaires, comme celles de constater des infractions aux règles de circulation (V. la décision no 94-352 DC du 18 janvier 1995).

2. Les dispositions de l'article 8 de la loi déférée ne portent pas d'atteinte excessive aux droits et libertés constitutionnellement garantis.

a) D'une part, on observera que, contrairement à ce qui est soutenu, la liberté d'aller et venir n'est nullement affectée par les dispositions critiquées, puisque le dispositif passif de contrôle automatisé n'a ni pour objet ni pour effet d'entraver les déplacements des personnes et de limiter la liberté de circuler. Le grief tiré de l'atteinte à la liberté d'aller et de venir ne pourra, en conséquence, qu'être écarté comme manquant en fait.

b) D'autre part, il faut souligner que l'atteinte portée au droit au respect de la vie privée demeure limitée et qu'elle est justifiée par les impératifs de sauvegarde de l'ordre public. Il faut aussi relever que le dispositif adopté par le législateur comporte de nombreuses garanties.

Il faut rappeler, en particulier, que les données à caractère personnel qui seront collectées seront soumises aux dispositions de la loi no 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés. Les garanties de la loi de 1978 seront pleinement applicables.

On peut observer, en outre, que la loi détermine des modalités précises de consultation, de traitement et de conservation des données recueillies. Elle détermine de façon limitative avec quels fichiers les informations recueillies pourront être comparées : il s'agit exclusivement du traitement automatisé des données relatives aux véhicules volés ou signalés et des données du système d'information Schengen (SIS) relatives aux véhicules volés ou signalés. La loi précise aussi que l'accès aux traitements est réservé, lorsqu'il s'agit de prévention et de répression de terrorisme, à des agents individuellement désignés et dûment habilités des services de police et de gendarmerie spécialement chargés de ces missions. De plus et de façon générale, les actes réglementaires d'application préciseront, conformément à la loi du 6 janvier 1978, les modalités d'habilitation des personnels ayant accès aux traitements : l'accès sera subordonné à des habilitations individuelles et respectera les conditions posées par la loi du 6 janvier 1978.

La loi a, par ailleurs, déterminé la durée de conservation des données collectées, en la limitant à huit jours, durée au-delà de laquelle les données seront effacées. Pendant cette période, la loi interdit la consultation des données n'ayant pas fait l'objet d'un rapprochement positif avec le fichier des véhicules volés et le système d'information Schengen, sauf nécessité pour les besoins d'une procédure pénale. Ce n'est que dans le cas où les données auraient fait l'objet d'un rapprochement positif qu'elles seront conservées pour une durée d'un mois, à l'expiration de laquelle elles seront effacées, sauf nécessité de leur conservation pour les besoins d'une procédure pénale.

Il faut, enfin, souligner que le traitement de ces données sera effectué exclusivement à partir des données signalétiques de la plaque d'immatriculation du véhicule. Les photographies prises à cette occasion ne pourront être exploitées que si le traitement du numéro d'immatriculation fait apparaître un rapprochement positif, auquel cas la photographie pourra être utilisée en vue de faciliter l'identification de l'auteur de l'infraction en cause ou au contraire afin de disculper le conducteur du véhicule.

Dans ces conditions, le Gouvernement estime que le dispositif institué par le législateur, compte tenu des finalités auxquelles il obéit et de ses modalités de mise en oeuvre, ne porte pas une atteinte excessive au droit au respect de la vie privée protégé par l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.

3. Les dispositions adoptées par le législateur ne sont, enfin, pas entachées d'incompétence négative. Elles ne sont pas imprécises et ne manquent pas au principe de clarté de la loi résultant de l'article 34 de la Constitution.

Les buts dans lesquels peuvent être mis en oeuvre ces contrôles, en application du premier alinéa de l'article 26 modifié par la loi déférée, sont précisément énumérés ; ils recouvrent des infractions d'une particulière gravité et correspondant précisément à des situations dans lesquelles le contrôle automatisé prévu est adapté et pertinent.

Les buts dans lesquels ces contrôles peuvent être mis en place à des fins administratives en vertu du second alinéa de l'article 26 sont également prévus de manière limitative, d'une part, dans le temps « à titre temporaire », d'autre part, dans des circonstances particulières, lorsque est en cause la préservation de l'ordre public à l'occasion d' « événements particuliers ou de grands rassemblements de personnes ». Ces notions, qui renvoient à des concepts utilisés de manière habituelle par l'autorité administrative dans l'exercice de ses missions de police administrative, ont été illustrées lors des travaux parlementaires. Il peut s'agir de rencontres ou de compétitions sportives de haut niveau, de voyages de personnalités ou de sommets internationaux, ou encore de manifestations à risque par leur ampleur ou leur nature. Ces notions ne sont pas imprécises ; elles peuvent d'ailleurs trouver leur origine dans des textes anciens toujours en vigueur : ainsi, par exemple, de la notion de « grands rassemblements d'hommes » figurant aujourd'hui à l'article L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales relatif à la police municipale.


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Pour ces raisons, le Gouvernement considère que les critiques adressées par les auteurs du recours ne sont pas de nature à justifier la censure de la loi déférée. C'est pourquoi il estime que le Conseil constitutionnel devra rejeter le recours dont il est saisi.