J.O. 304 du 31 décembre 2005       J.O. disponibles       Alerte par mail       Lois,décrets       codes       AdmiNet
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Saisine du Conseil constitutionnel en date du 21 décembre 2005 présentée par plus de soixante députés, en application de l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, et visée dans la décision n° 2005-530 DC


NOR : CSCL0508953X




LOI DE FINANCES POUR 2006


Monsieur le président du Conseil constitutionnel, mesdames et messieurs les membres du Conseil constitutionnel, nous avons l'honneur de vous déférer, conformément au deuxième alinéa de l'article 61 de la Constitution, l'ensemble de la loi de finances pour 2006.


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Sur le respect des principes de la loi organique

relative aux lois de finances


A titre liminaire, il convient de rappeler que la loi de finances pour 2006 est la première présentée et examinée par le Parlement selon la totalité des modalités définies par la loi organique no 2001-692 relative aux lois de finances du 1er août 2001.

Cette loi organique répond à plusieurs objectifs majeurs : l'amélioration de la gestion publique par la responsabilisation des gestionnaires, l'extension du pouvoir de contrôle et d'initiative budgétaire du Parlement et en définitive une meilleure lisibilité des enjeux, des choix et des débats budgétaires.

La loi organique constitue un instrument qui permet de passer d'une logique de moyens à une logique de résultats. Les lois de finances, conformément à l'article 1er de la loi organique, déterminent « pour un exercice, la nature, le montant et l'affectation des ressources et des charges de l'Etat, ainsi que l'équilibre budgétaire et financier qui en résulte ».

L'article 6 de la loi organique précise explicitement que les lois de finances décrivent « pour une année, l'ensemble des recettes et des dépenses budgétaires de l'Etat ». Les lois de finances ne sont que le moyen de mise en oeuvre d'une politique. Par conséquent, il appartient au législateur de respecter les règles issues de la loi organique et de ne pas les détourner, de ne pas les utiliser pour justifier telle ou telle disposition de la loi de finances.

Force est de constater que plusieurs dispositions contenues dans la loi de finances pour 2006 ne respectent pas les règles issues de la loi organique. De ce point de vue, plusieurs exemples méritent d'être signalés.


1. La mission « enseignement scolaire » et les postes

mis à disposition par le ministère de l'éducation nationale


L'article 7 de la loi organique prévoit que les crédits de l'Etat sont regroupés par mission, qu'une mission comprend un ensemble de programmes concourant à une politique publique définie et qu'un programme regroupe les crédits destinés à mettre en oeuvre une action ou un ensemble cohérent d'actions relevant d'un même ministère et auxquels sont associés des objectifs précis. Cet article pose clairement le principe de la spécialisation des crédits par programme ou par dotation, à côté de l'unité de vote qui est celle de la mission.

Par ailleurs, les dépenses de personnel doivent être clairement identifiées au sein de chaque programme. L'objectif d'amélioration de la gestion publique et de responsabilisation des gestionnaires a conduit à ce choix particulier concernant les emplois publics.

Le Gouvernement a procédé, dans le cadre du projet de loi de finances pour 2006, à la suppression de 800 postes d'enseignants mis à disposition dans les associations participant au système éducatif et a prévu pour les associations concernées le versement d'une subvention équivalente. Une dotation au titre des dépenses en personnel a ainsi été remplacée par une dépense d'intervention. Le ministre de l'éducation nationale a notamment justifié ce choix par la nécessité d'adaptation aux exigences de la loi organique relative aux lois de finances.

Lors de son audition par la commission des affaires culturelles, familiales et sociales de l'Assemblée nationale le 26 octobre 2005, le ministre s'est, d'une certaine façon, retranché derrière les dispositions de la loi organique pour justifier les décisions du Gouvernement de supprimer un nombre important d'emplois budgétaires. Il s'agit d'un détournement de procédure, qui consiste à utiliser la loi organique comme un élément justifiant une décision de caractère politique.

Au sein de la mission « enseignement scolaire », l'action 01 « pilotage et mise en oeuvre des politiques éducatives et de recherche » du programme 214 « soutien de la politique de l'éducation nationale » regroupe les crédits de personnel d'administration centrale et des services déconcentrés concourant à cette action et les crédits d'intervention sous forme de subventions à ces associations.

Rien n'interdit au Gouvernement d'inscrire au sein de ce programme les dépenses de personnel correspondant aux postes mis à disposition. Le Gouvernement n'a pas fait un tel choix pour répondre à son souci de voir réduit le nombre d'emplois budgétaires, et non pour respecter les principes de la loi organique.

Les emplois mis à disposition peuvent tout à fait être maintenus au sein des dépenses de personnel du programme 214. Au contraire, en agissant ainsi le Gouvernement aurait davantage respecté l'esprit de la loi organique selon lequel les emplois doivent être clairement identifiés pour mesurer la réalité du concours qu'ils apportent à la réalisation des politiques publiques, en l'occurrence les actions de soutien et de réinsertion scolaires. Ces postes mis à disposition concourent effectivement à la mise en oeuvre de ce programme au sens de l'article 7 de la loi organique.

C'est d'ailleurs dans cet esprit que les crédits de personnel correspondant à des « opérateurs » tels que l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME) sont présentés dans le cadre des documents budgétaires relatifs aux missions à l'exercice desquelles ces opérateurs concourent.


2. La mission « écologie et développement durable »


Les règles de spécialisation des crédits prévues par l'article 7 de la loi organique ne sont pas respectées pour la mission « écologie et développement durable ».

De nombreux crédits permettant la mise en oeuvre des objectifs de la mission, qui regroupe les politiques en faveur de la protection de l'environnement et de la prévention des risques naturels, se trouvent dispersés dans d'autres missions : « agriculture, pêche, forêt et affaires rurales », « politique des territoires » et « transport ». Ces crédits sont présentés dans les documents budgétaires comme destinés à financer des actions menées en soutien du ministère chargé de l'environnement pour la mise en oeuvre de certaines de ses politiques. Cette pratique est contraire à l'esprit de la loi organique relative aux lois de finances.

Au sein du programme 154 « gestion durable de l'agriculture, de la pêche et du développement durable » de la mission « agriculture, pêche, forêt et développement durable », on recense 67 762 856 euros et 1 000 emplois équivalent temps plein qui concourent à l'application d'actions relevant directement des objectifs assignés à la mission « écologie et développement durable » et du domaine de compétences du ministère chargé de l'environnement.

A titre d'exemple, on peut citer des crédits de l'action 04 « soutien aux territoires et aux acteurs ruraux » qui contribuent au plan de prévention des risques naturels, des crédits de l'action 04 « modernisation des exploitations et maîtrise des pollutions » qui viennent financer le programme de maîtrise des pollutions d'origine agricole, des crédits de l'action 07 qui permettent aux directions départementales de l'agriculture et de la forêt de mener des missions de contrôle et d'instruction administrative dans le domaine de l'eau et des milieux naturels pour le compte du ministère chargé de l'environnement.

En application du principe de spécialisation des crédits par missions et par programmes, ces crédits relevant du ministère chargé de l'environnement devraient figurer dans la mission « écologie et développement durable ».

Le principe de spécialisation implique en effet qu'un programme comprend les crédits destinés à mettre en oeuvre des actions relevant d'un même ministère. Il apparaît à la lecture des documents budgétaires qu'une même action regroupe des crédits destinés au fonctionnement de directions d'administration centrale et de services déconcentrés qui effectuent des missions pour le compte de plusieurs ministères.

Le non-respect du principe de spécialisation remet en cause le principe de responsabilisation des gestionnaires publics. En effet, la logique de la loi organique implique qu'un responsable de gestion soit désigné pour chaque programme.

Compte tenu des règles de fongibilité entre les actions d'un même programme, ce non-respect du principe de spécialisation peut conduire le gestionnaire concerné à privilégier le respect des actions correspondant à la politique de la mission à laquelle ce programme appartient, plutôt que le respect d'actions regroupant des crédits pour la réalisation d'objectifs de la politique d'une autre mission.

Un gestionnaire public y est d'autant plus incité que les objectifs et indicateurs associés au programme, qui permettront au Parlement de juger de la qualité de sa gestion, ne font référence qu'aux finalités du programme et de la mission à laquelle appartient directement l'action en cause, et non pas à d'autres programmes contenus dans la mission « écologie et développement durable ».

Les mêmes observations peuvent être formulées pour des crédits figurant au sein de la mission « politique des territoires » et de la mission « transport », dont l'application relève de la mission « écologie et développement durable ».

Ainsi, l'action 3 du programme 113 de la mission « politique des territoires » vise à apporter un soutien opérationnel au ministère chargé de l'environnement pour la mise en oeuvre de certaines de ces politiques. Les directions départementales de l'équipement et le service de la navigation assurent des missions dans le domaine de la prévention des risques naturels et technologiques. L'action 13 du programme 217 de la mission « transport » comporte des crédits destinés directement à la politique du ministère de l'environnement.

La définition de la maquette budgétaire relève de la compétence exclusive du Gouvernement, mais, en choisissant de décalquer le découpage administratif pour définir les actions de chaque programme, il nuit en l'occurrence aux objectifs de lisibilité des enjeux et des choix budgétaires et contrevient au principe de la loi organique de responsabilisation des gestionnaires publics.

En effet la plus grande latitude laissée aux gestionnaires dans l'utilisation des crédits, qui conduit notamment à un niveau relativement « souple » de spécialisation des crédits (au niveau des programmes, et non pas à un niveau beaucoup plus fin et détaillé comme c'était le cas dans le cadre de l'ordonnance organique du 2 janvier 1959), va intrinsèquement de pair avec la nécessité pour lui de « rendre des comptes » sur son respect des objectifs fixés à l'aide des indicateurs de résultat.

L'inscription au sein d'un programme de crédits destinés en réalité à une autre mission et d'autres programmes risque donc in fine de conduire à ce que ces crédits soient mobilisés au profit de la réalisation des seuls objectifs et indicateurs explicitement associés au programme en question. Leur destination « théorique », présentée dans les documents budgétaires, ne trouverait ainsi aucune traduction réelle en exécution.


3. Le compte d'affectation spéciale

« participations financières de l'Etat »


A. - Les comptes d'affectation spéciale constituent, aux termes de l'article 19 de la loi organique relative aux lois de finances, une catégorie de comptes spéciaux.

L'article 20 de la loi organique précise au II que « chacun des comptes spéciaux dotés de crédits constitue une mission au sens des articles 7 et 47. Leurs crédits sont spécialisés par programme ».

Le deuxième alinéa du I de l'article 21 dispose que « Les opérations de nature patrimoniale liées à la gestion des participations financières de l'Etat, à l'exclusion de toute opération de gestion courante, sont, de droit, retracées sur un unique compte d'affectation spéciale. »

Pour répondre à cette exigence, la maquette budgétaire proposée par le Gouvernement à travers la loi de finances a mis en place le compte des participations, qui prend la suite du compte no 902-24 « Compte d'affectation des produits de cessions de titres, parts et droits de sociétés », supprimé en première partie de la loi de finances pour 2006, à l'article 33.

Ce compte retrace l'ensemble des opérations de l'« Etat actionnaire », et notamment l'ensemble des opérations de privatisations ou d'ouverture du capital, conformément à l'article 21 de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF).

L'article 48 de la loi de finances déférée dispose que ce compte retrace :

En recettes :

- tout produit des cessions par l'Etat de titres ou parts de sociétés détenues directement ;

- le produit des cessions de titres détenus indirectement ;

- les reversements de dotations en capital, ou les liquidations ;

- les remboursements d'avances d'actionnaires ;

- les remboursements de créances liées à d'autres interventions financières patrimoniales ;

- des versements du budget général ;

En dépenses :

- les dotations à la Caisse de la dette publique et celles contribuant au désendettement des établissements publics de l'Etat ;

- les augmentations de capital, avances d'actionnaires et prêts assimilés, et les autres investissements de nature patrimoniale de l'Etat ;

- les achats et souscriptions de titres, parts ou droits de sociétés ;

- les commissions bancaires, frais juridiques et autres frais directement liés aux opérations de cessions ou achats de titres ;

- les dotations aux fonds de réserve des retraites.

Cette dernière affectation a été introduite à l'Assemblée nationale par amendement du groupe socialiste, accepté par la commission des finances et par le Gouvernement.

La définition des dépenses et recettes retracées par le compte d'affectation spéciale à l'article 48 ne correspond pas à la structuration retenue en programmes pour la mission que constitue ce compte au sein de la maquette budgétaire.

Une telle correspondance n'est pas exigée par la loi organique. En revanche, le fait que la mission ainsi mise en place ne comporte qu'un seul programme est une violation directe de la lettre comme de l'esprit de la loi organique relative aux lois de finances.

B. - La mission que constitue le compte d'affectation spéciale n'est en effet constituée que d'un seul programme no 731 « Participations financières de l'Etat ».

La rédaction de l'article 7 de la loi organique ne laisse place à aucun doute quant à l'impossibilité pour la loi de finances de prévoir des missions ne comportant qu'un seul programme. Le second alinéa de cet article dispose en effet qu'« Une mission comprend un ensemble de programmes concourant à une politique publique définie ».

Contraire à la lettre de la loi organique, la mise en place de missions monoprogramme est également opposée à son esprit, notamment en matière de renforcement du droit d'amendement pour les parlementaires. La mise en place de missions « monoprogramme » interdit en effet aux parlementaires toute réorientation des crédits au sein d'une même mission. Ce faisant, elle prive de tout droit d'amendement les parlementaires.

Le choix effectué par la loi organique relative aux lois de finances d'une structuration en missions et programmes répond en effet à la volonté d'articuler l'application de l'article 40 de la Constitution avec le respect et la volonté manifeste de renforcement du droit d'amendement pour les parlementaires.

L'article 47 de la loi organique définit de plus la notion de charge publique au niveau de la mission, en prévoyant que l'application de l'article 40 de la Constitution rend irrecevable tout amendement d'origine parlementaire qui accroîtrait la charge publique que représente une mission. Ainsi, des amendements de redéploiement des crédits entre les différents programmes constituant une mission seront, à supposer qu'ils se « compensent » et que le solde des amendements ne conduise pas à une hausse du total des crédits retracés par la mission, jugés recevables.

Vous avez validé cette formulation en considérant que « le dix-huitième alinéa de l'article 34 et le premier alinéa de l'article 47 de la Constitution habilitent la loi organique, pour le vote des lois de finances, à assimiler la "mission à la "charge mentionnée à l'article 40 de la Constitution » (considérant 97 de la décision no 2001-448 DC du 25 juillet 2001).

Dès lors, et a contrario, en ne prévoyant et en n'acceptant aucune subdivision de la mission en programmes distincts, la loi de finances pour 2006 restreint de manière disproportionnée le droit d'amendement des parlementaires.

Le rapporteur spécial de la commission des finances de l'Assemblée nationale sur les crédits de la mission « Participations financières de l'Etat », Michel Diefenbacher, constatait ainsi que les parlementaires se trouvent privés totalement de leur droit d'amendement. Il note (p. 8 du rapport) que « Le fait qu'une mission ne comporte qu'un seul programme ne paraît pas conforme à la lettre de l'article 7 de la LOLF, même s'agissant de missions hors budget général. Cette configuration réduit à néant le droit d'amendement en matière de transferts de crédits ».

En effet, la répartition des crédits du programme entre les différentes actions n'est qu'indicative, et ne peut faire l'objet d'amendement.

Ce choix ne peut être accepté notamment en matière d'affectation des recettes de privatisation, car les parlementaires doivent avoir la possibilité d'arbitrer entre le désendettement de l'Etat, la mise en réserve de fonds pour faire face aux engagements sociaux de long terme, et sa politique d'actionnariat propre, notamment les dotations en capital au profit des entreprises publiques.

Il est d'autant plus regrettable qu'il n'a pas permis, durant la discussion du projet de loi de finances, aux parlementaires de tirer la conséquence de l'amendement « de nomenclature » adopté à l'initiative du groupe socialiste à l'article 48, qui ouvrait pourtant une nouvelle possibilité d'affectation au sein des dépenses du compte d'affectation, à destination du Fonds de réserve des retraites.

Ce refus du Gouvernement est d'autant plus critiquable que rien ne s'oppose à l'identification, à travers des programmes différenciés, de ces affectations très différentes des crédits.

Il est évident que, s'agissant de crédits évaluatifs, la création de programmes distincts aura pour effet principal d'indiquer au Gouvernement, en gestion, la proportion relative de crédits effectivement disponibles sur le compte d'affectation spéciale qui devront aller aux différents programmes, et non le montant précis devant leur être alloué en exécution.

Il n'en reste pas moins qu'il doit revenir au Parlement de se prononcer sur cette répartition, et non pas de se contenter d'une présentation en actions qui n'a d'autre valeur qu'indicative.

C. - Enfin, il apparaît que l'inclusion par l'article 48, au sein des dépenses, des « commissions bancaires, frais juridiques et autres frais qui sont directement liés aux opérations mentionnées au a du 1°, ainsi qu'aux b et c du 2° » constitue une nouvelle violation de la loi organique relative aux lois de finances.

L'identification, pour un total de 150 millions d'euros, des « prestations de services » correspondant notamment aux commissions bancaires liées aux opérations de privatisations n'est en effet pas conforme à l'article 21 de la loi organique relative aux lois de finances. Le choix du Gouvernement d'inclure dans l'action no 5 du programme « Prestations de services » ces frais juridiques doit être remis en cause.

On peut se référer à cet égard, comme l'a d'ailleurs fait le député Jean-Pierre Balligand lors de l'examen en séance du compte d'affectation spéciale, en indiquant que vous seriez appelé à trancher cette question en dernier ressort, à l'analyse de l'article 21 réalisée notamment par les services ayant participé à la rédaction de la loi organique relative aux lois de finances :

« Le compte de gestion des participations financières ne devra retracer que des opérations de nature patrimoniale, à l'exclusion de toute opération courante. Au contraire, le compte no 902-24 finance des dépenses courantes afférentes aux ventes de titres, parts ou droits de société : commission aux établissements financiers chargés de la vente et du placement des titres, frais de communication, rémunération des prestations des banques conseil, frais juridiques, etc. En 2000, ces dépenses se sont élevées à 85,9 millions d'euros. Ce dispositif n'est guère transparent et a été maintes fois critiqué par la Cour des comptes. Il est vraisemblable que le législateur organique a été sensible aux observations répétées de la cour. Quelles qu'aient été ses motivations profondes, il ressort de ses travaux que les frais de gestion courante seront désormais entièrement imputés sur le budget général, une fois tenu compte de l'effet des conventions de partage de frais (...). »

Ainsi, il conviendrait que ces dépenses courantes soient prises en charge directement par le budget général.

Le respect des dispositions de la loi organique relative aux lois de finances conduit à censurer toute disposition contraire à l'article 7 de cette loi qui viserait à la mise en place d'une mission comptant moins de deux programmes, et, en ce qui concerne plus spécifiquement le compte des participations financières de l'Etat, l'inclusion de dépenses courantes en son sein.


4. Le transfert de recettes fiscales à la sécurité sociale


L'article 56 de la loi déférée vise à modifier la manière dont est compensée aux régimes de sécurité sociale la charge de financer la politique d'allégements généraux de cotisations sociales pesant sur les salaires.

En réalité, comme le souligne sans ambiguïté le rapporteur général du Sénat, le Gouvernement s'est par ce biais accordé une « commodité budgétaire » que le rapport décrit de façon très claire :

« Votre rapporteur général tient à souligner que, avant de répondre à une logique de clarification des relations financières entre l'Etat et la sécurité sociale, la mesure prévue par le présent article constitue un expédient permettant le respect apparent de la norme de stabilité des dépenses de l'Etat en volume. En effet, elle aboutit à exclure une dépense très dynamique, puisqu'elle doit évoluer spontanément de 17,1 milliards d'euros en 2005 à 18,9 milliards d'euros. »

Ce faisant, le Gouvernement, qui a fait de la norme d'évolution de la dépense publique un des critères fondamentaux d'appréciation de la politique budgétaire, cherche manifestement à déformer la réalité de l'information donnée aux parlementaires.

Ce choix est d'autant plus contestable qu'il conduit à dégrader très sensiblement la qualité de l'information disponible pour juger de l'efficacité d'une politique publique d'une ampleur très importante.

Le Parlement, auquel l'inscription au sein de la mission « travail et emploi » des crédits correspondant à la dotation budgétaire de 18,9 milliards d'euros au titre de la compensation des allégements aurait permis de juger, en fonction des objectifs et indicateurs que le Gouvernement devrait produire à cet effet, de l'efficacité d'une dépense massive et très dynamique, se trouve ainsi privé de cette possibilité.

Aucun objectif, aucun indicateur de résultat ne sera plus en effet disponible dans le cadre des futurs projets de loi de finances pour juger de l'efficacité de la dépense.

Pourtant, les dépenses en question se rattachent de façon directe à une politique économique de l'Etat, en l'occurrence sa politique de l'emploi, et non aux missions de la sécurité sociale. C'est pourtant ce lien entre missions fondamentales de la sécurité sociale et nature des dépenses transférées qui a notamment permis jusqu'ici au Conseil constitutionnel de juger non contraire à la Constitution des opérations précédentes de débudgétisation.

Qui plus est, le niveau de cette compensation est contestable. En effet, si le respect de règles de valeur législative ne s'impose par définition pas au législateur financier, c'est en revanche le cas pour les règles de nature organique. La portée de l'article L. 131-7 du code de la sécurité sociale s'en trouve sensiblement réduite, puisque le fait qu'une loi prévoit que tout transfert de charges opéré entre l'Etat et les régimes et organismes de sécurité sociale donne lieu à compensation intégrale aux régimes concernés pendant toute la durée de son application ne s'oppose en rien à ce qu'une autre loi déroge à ce principe.

C'est le cas ici puisque le dispositif voté ne prévoit pas une compensation intégrale, notamment pas dès la deuxième année, mais seulement une obligation d'information du Parlement sur l'existence d'un écart éventuel. La « clause de revoyure » prévue aux IV et V de l'article L. 131-8 du code de la sécurité sociale introduit par cet article n'impose en effet pour l'avenir que la production de rapports en 2008 et 2009 analysant les éventuels écarts entre recettes affectées et perte de recettes résultant des allégements de charges. Un écart supérieur à 2 % conduirait à l'intervention d'une commission indépendante devant statuer sur d'éventuelles mesures d'ajustement.

Le Gouvernement a volontairement écarté des amendements déposés lors de l'examen du texte à l'Assemblée nationale visant à assurer une compensation intégrale. De même, l'introduction d'une référence à un écart de 2 % signale clairement sa volonté qu'il ne soit pas procédé à un quelconque ajustement pour un écart qu'il juge « minime ».

Le 5° du III de l'article L. 111-4 du code de la sécurité sociale introduit par la loi organique relative aux lois de financement de la sécurité sociale dispose notamment que doivent être énumérées en annexe à la loi de financement « l'ensemble des mesures de réduction ou d'exonération de cotisations ou de contributions de sécurité sociale affectées aux régimes obligatoires de base ou aux organismes concourant à leur financement et de réduction de l'assiette ou d'abattement sur l'assiette de ces cotisations et contributions, présentant les mesures nouvelles introduites au cours de l'année précédente et de l'année en cours ainsi que celles envisagées pour l'année à venir et évaluant l'impact financier de l'ensemble de ces mesures, en précisant les modalités et le montant de la compensation financière à laquelle elles donnent lieu, les moyens permettant d'assurer la neutralité de cette compensation pour la trésorerie desdits régimes et organismes ainsi que l'état des créances. Ces mesures sont ventilées par nature, par branche et par régime ou organisme ».

Le Conseil constitutionnel a considéré que cette disposition, « combinée avec le c du 2° du C du I de l'article LO 111-3, prévoit que la loi de financement de la sécurité sociale approuve, dans sa partie relative aux recettes et à l'équilibre général pour l'année à venir, le montant total des compensations allouées aux organismes de sécurité sociale au titre des réductions et exonérations de cotisations sociales et de recettes affectées ; que cette disposition est destinée à renforcer la transparence des relations financières entre l'Etat et la sécurité sociale en établissant un lien entre la loi de finances, dans le cadre de laquelle la compensation devient effective, et la loi de financement de la sécurité sociale ; que, toutefois, sa portée doit être interprétée au regard des dispositions du IV de l'article LO 111-3, qui réservent aux lois de financement la possibilité de mettre en oeuvre de telles mesures sans compensation ».

Il apparaît dès lors que le dispositif particulier introduit par les IV et V de l'article déféré contrevient tant aux principes organiques ainsi introduits qu'à l'interprétation qui en est faite par le Conseil constitutionnel.

En rendant « optionnel » le mécanisme de compensation compte tenu de l'écart constaté, et en renvoyant à une commission indépendante sa détermination et d'éventuelles mesures de compensation, l'article contrevient à ces dispositions.

Il faut également noter que les modalités de compensation pour le moins « hétéroclites » introduites par l'article déféré sont en contradiction avec la volonté, soulignée par le Conseil constitutionnel dans son considérant cité ci-dessus « de renforcer la transparence des relations financières entre l'Etat et la sécurité sociale ».

Pour l'ensemble de ces raisons, cet article ne pourra qu'être censuré.


5. Les indicateurs de performance


De façon générale, le nombre d'indicateurs de performance non renseignés dans les documents budgétaires transmis au Parlement et détaillant les crédits de chacune des missions est inacceptable et remet en cause la qualité même de l'autorisation parlementaire.

Cette défaillance est en contradiction directe avec l'esprit même de la loi organique relative aux lois de finances.

Le Gouvernement, qui à de nombreuses reprises a appelé les parlementaires à ne pas se focaliser uniquement sur la progression - souvent négative - des crédits d'une année sur l'autre pour se consacrer à l'étude de la performance et des résultats, prive ainsi le Parlement de la capacité d'exercer son contrôle sur l'efficacité des politiques menées et la réalisation, par les responsables de programmes, de leurs objectifs.

Comment juger en effet la performance quand les indicateurs qui permettent de l'évaluer ne sont pas construits ou pas renseignés ?

Cette absence de renseignement des indicateurs met à mal l'autorisation parlementaire et aura des conséquences dommageables également lors de la discussion du projet de loi de règlement pour l'année 2006.

La responsabilisation des gestionnaires publics voulue par la loi organique doit trouver une contrepartie constante dans la nécessité pour eux de s'engager sur des objectifs précis accompagnés des indicateurs permettant d'en mesurer l'achèvement.

A défaut, la qualité du contrôle parlementaire sortirait amoindrie et non renforcée de la réforme. En effet, le relèvement sensible du niveau de spécialisation des crédits dans le cadre de la nouvelle loi organique ouvre aux gestionnaires publics des latitudes nouvelles lors de l'exécution.

Sous peine d'interdire tout contrôle du Parlement sur l'exécution, il est indispensable que les moyens permettant de juger cette exécution lui soient fournis. Ce n'est pas le cas dès lors que des indicateurs ne sont pas définis ou pas renseignés.

Cette situation, évoquée lors de la discussion de plusieurs missions, qu'il s'agisse de la mission « sécurité » ou de la mission « développement et régulation économiques », n'a malheureusement pas conduit le Gouvernement à produire des documents budgétaires complétés en cours d'examen de la loi de finances. Au total, le Parlement n'a pas pu se prononcer en toute connaissance de cause.

Sur le respect de l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et du principe d'égalité devant les charges publiques


1. Le plafonnement des impôts directs


A. - L'article 74 de la loi de finances pour 2006 prévoit un dispositif de plafonnement des impôts directs. Le I de cet article crée un droit selon lequel les impôts directs payés par un contribuable ne peuvent être supérieurs à 60 % de ses revenus. Le législateur a souhaité faire de ce plafonnement un principe de portée générale qui s'applique à la totalité de notre droit fiscal en le faisant figurer à l'article 1er du code général des impôts. Cette volonté ressort très clairement des travaux parlementaires.

Le II de l'article critiqué crée un article 1649-0 A du code général des impôts qui prévoit les impôts directs concernés, le revenu à prendre en compte, le mécanisme de restitution au contribuable en cas de dépassement du plafond aux différents collecteurs concernés, notamment l'Etat et les collectivités territoriales.

Au-delà de la portée symbolique de la place du plafonnement à l'article 1er du code général des impôts, l'ensemble du droit fiscal se trouve ainsi totalement bouleversé. Tous les articles du code général des impôts qui définissent l'assiette, le taux et les modalités de recouvrement des impositions de toute nature en application de l'article 34 de la Constitution, et en particulier les articles relatifs aux impôts directs, se trouvent désormais sous la dépendance directe de ce principe de plafonnement.

En vertu de l'article 34 de la Constitution, il appartient au législateur de déterminer dans le respect des principes constitutionnels et compte tenu des caractéristiques de chaque impôt les règles d'appréciation des facultés contributives, une telle appréciation ne devant pas entraîner de rupture caractérisée du principe d'égalité devant les charges publiques.

En l'occurrence, il ne s'agit pas avec cet article d'apprécier pour un impôt donné les facultés contributives. Il ne s'agit pas non plus de créer un simple avantage fiscal relatif à un impôt donné. Il s'agit de considérer par principe que la contribution directe prise dans son ensemble de chaque citoyen au bon fonctionnement des administrations et des services publics ne peut pas dépasser un certain niveau.

En prévoyant qu'un contribuable ne peut pas payer plus d'un certain pourcentage de ses propres revenus au titre des impôts directs, le législateur méconnaît en réalité l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et ainsi le principe d'égalité devant les charges publiques. Cette méconnaissance est renforcée par le fait que le principe du plafonnement devient la pierre angulaire du code général des impôts.

B. - L'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 prévoit que la contribution commune, indispensable au financement des dépenses d'administration et au fonctionnement des services publics, « doit être répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ». Le plafonnement prévu à l'article 1er du code général des impôts, tel qu'il résulte de l'article critiqué, conduit donc à ce qu'un contribuable bénéficie d'une réduction de son imposition directe dès lors que la somme des contributions dues à ce titre dépasserait 60 % de ses revenus.

Un contribuable dont la somme des impôts directs atteindrait 20 %, voire même 59 %, de ses revenus paierait effectivement cette somme, alors qu'un contribuable dont la somme des impôts directs atteindrait 70 % ou 80 % de ses revenus ne paierait plus qu'une somme égale à 60 % de ses revenus. Dans le premier cas, le montant des impôts directs dépend effectivement des revenus servant ainsi à mesurer les facultés contributives. Dans le deuxième cas, le plafonnement vient finalement réduire de façon fictive les revenus, donc les capacités contributives, et ainsi la contribution directe dans son ensemble.

En conséquence, ce contribuable ne participe plus au financement des administrations et des services publics en fonction de ses véritables facultés mais en fonction de facultés réduites et limitées par la loi. Cette diminution de la contribution concerne aussi bien le financement des services de l'Etat que celui des services des collectivités territoriales.

La loi crée ainsi une différence de traitement entre des contribuables, qui revient à limiter pour certains contribuables leur participation au financement de tous les services publics. Certains contribueraient effectivement sur la base de leurs revenus, d'autres sur des revenus limités, et ce sans aucune justification en rapport avec l'objet et la finalité de la contribution publique.

C. - Par ailleurs, dans la mesure où le plafonnement des impôts directs est calculé en référence aux seuls revenus des contribuables, ceci implique que chaque impôt direct visé au II de l'article critiqué voit son montant plafonné en fonction d'une assiette qui n'est pas nécessairement celle sur laquelle il est calculé. Tel est le cas notamment de l'impôt de solidarité sur la fortune, des taxes foncières et de la taxe d'habitation.

Les facultés contributives ne sont pas limitées aux seuls revenus. Le patrimoine en constitue un élément au même titre que les revenus. En plafonnant les impôts directs en fonction des seuls revenus, le législateur donne une définition pour le moins limitée des capacités contributives.

Le plafonnement, fixé à l'article 1er du code général des impôts, peut à tout moment être adapté par une augmentation ou une diminution du pourcentage de revenus. Une forme d'instabilité de la notion de capacités contributives est ainsi instituée. En fixant avec précision un pourcentage de revenus correspondant à la limite supérieure de la somme des impôts directs que peut payer chaque contribuable, le législateur confère à la répartition nécessairement équitable entre les contribuables du financement des administrations et des services publics un caractère pour le moins aléatoire.

Il va ainsi bien au-delà de ses compétences fixées par la Constitution. Il ne se contente pas de fixer l'assiette, le taux et les modalités de recouvrement des impositions de toute nature. En effet, il donne une définition limitée et restrictive de la notion de capacités contributives et soumet le financement des charges publiques à un principe de portée générale dont l'application effective peut varier régulièrement.

D. - Il ne s'agit pas avec ce plafonnement de créer une déduction du revenu imposable ou une réduction d'impôt afin d'accorder aux contribuables un avantage lié à un objet précis, mais uniquement d'affirmer, et ce dès l'article 1er du code général des impôts, que la contribution publique doit être limitée en fonction des revenus.

Vous avez régulièrement reconnu que le principe d'égalité ne fait pas obstacle à ce que le législateur édicte des mesures d'incitation par l'octroi d'avantages fiscaux pour des motifs d'intérêt général. Vos décisions récentes en la matière ont concerné séparément des avantages au titre de l'impôt sur le revenu ou encore au titre l'impôt de solidarité sur la fortune.

Dans tous les cas, vous avez reconnu que ces avantages avaient pour objet d'inciter les contribuables à adopter des comportements conformes à des objectifs d'intérêt général, à condition que les règles fixées soient justifiées au regard des objectifs en question (décision no 2003-477 DC du 31 juillet 2003 sur la loi relative à l'initiative économique, décision no 2002-464 DC du 27 décembre 2002 sur la loi de finances pour 2003).

Le plafonnement proposé par l'article critiqué ne saurait être considéré comme un tel avantage fiscal. Il ne s'agit en aucune façon d'un dispositif pour inciter les contribuables à adopter tel ou tel comportement dans un but d'intérêt général. Il s'agit au contraire d'accorder une réduction de contribution relative à plusieurs impôts directs dans le seul but de réduire l'imposition globale.

On cherche en vain le comportement d'intérêt général que le législateur veut voir adopté par les contribuables en leur octroyant un tel avantage fiscal.

Pour toutes ces raisons, l'article 74, et notamment le I qui instaure le principe de plafonnement, ne peut qu'être censuré.


2. Le plafonnement de certains avantages fiscaux

au titre de l'impôt sur le revenu


A. - L'article 78 de la loi de finances pour 2006 introduit un plafonnement de certains avantages fiscaux au titre de l'impôt sur le revenu, par la rédaction d'un article 200-00 A du code général des impôts.

Cet article dispose que le total des avantages fiscaux soumis au plafonnement ne peut procurer une réduction du montant de l'impôt dû supérieur à 8 000 euros, ou 13 000 euros pour les foyers dont l'un des membres au moins est titulaire de la carte d'invalidité. Ce montant est majoré de 1 000 euros par enfant à charge ou par personne âgée de plus de 65 ans membre du foyer. Ce plafonnement s'appliquera à compter de l'imposition des revenus de 2006.

Cet article énumère ensuite les dispositifs fiscaux soumis à ce plafond.

Le projet de loi initial prévoyait également un article 200-0 A définissant parallèlement un plafond spécifique pour les dispositifs fiscaux dérogatoires applicables aux investissements outre-mer. Ce dispositif a été supprimé, et remplacé à l'initiative de l'Assemblée nationale par un article sans véritable portée juridique prévoyant que « les conditions dans lesquelles (ces) investissements (...) pourront être pris en compte dans le plafonnement (...) seront fixées après la transmission par le Gouvernement à l'Assemblée nationale d'un rapport d'évaluation » de la loi de programme pour l'outre-mer.

Le dispositif proposé par l'article 200-00 A du code général des impôts ne respecte pas le principe d'égalité des citoyens devant les charges publiques, car il traite de façon différenciée des contribuables se trouvant dans des situations objectivement identiques, sans lien avec un motif d'intérêt général ou l'objet de la loi.

Ceci résulte directement du critère retenu pour le choix des dispositifs soumis ou non au plafonnement, et de son caractère vague et imprécis. Ni le dispositif voté, ni l'exposé des motifs ne donnent à cet égard de définition permettant cette distinction.

B. - Seul le dossier de présentation du projet de loi de finances indique que ne seraient soumis au plafonnement que les dispositifs instituant « des avantages fiscaux à caractère économique afférents à un investissement du contribuable, et ceux ayant pour contrepartie une prestation dont bénéficie le contribuable ».

A l'inverse, ne seraient pas soumis au plafonnement :

« - les dispositifs d'investissement clos » ;

« - les dispositifs compensant des astreintes particulières » ;

« - les avantages visant à éliminer une double imposition » ;

« - les avantages correspondant à une activité professionnelle » ;

« - les dispositifs visant à encourager des versements sans contrepartie » ;

« - les avantages correspondant à des situations subies par le contribuable » ;

« - les revenus exonérés ou charges déductibles liés à la situation du contribuable ».

La simple lecture de cette énumération suffit à démontrer le peu de portée juridique des critères retenus. La référence à des astreintes particulières, à des situations de double imposition, à des dispositifs « clos » peut être recevable. Parallèlement, la référence aux versements « sans contrepartie » définit un motif d'intérêt général pouvant justifier un traitement différent.

On peut également admettre que des contribuables bénéficiant d'avantages liés à une activité professionnelle se trouvent dans une situation objectivement différente de celle de contribuables bénéficiant d'avantages correspondant à une dépense de caractère personnel.

Mais, au regard de l'objet de la loi qui est ici, aux termes de l'exposé des motifs, de limiter le bénéfice cumulé dont peuvent bénéficier certains contribuables en multipliant les dispositifs auxquels ils ont recours, la référence à « des situations subies par les contribuables » et plus encore à la simple « situation du contribuable » ne peuvent constituer des différences suffisamment objectives pour justifier un traitement différent.

Le critère de soumission au plafond a été résumé notamment par le rapporteur général du Sénat (p. 130 du rapport). Il s'agirait ainsi de soumettre au plafonnement uniquement les « avantages fiscaux qui sont la conséquence d'une situation choisie par le contribuable ».

Pourtant, cette distinction entre des situations subies, d'une part, et des situations choisies, d'autre part, ne présente aucun caractère de clarté. De plus, son application en l'espèce est largement faussée dès l'origine du dispositif général de plafonnement.

Il apparaît clairement que des dispositifs fiscaux dérogatoires qui correspondent très directement à des « situations choisies par le contribuable » n'ont pas été retenus pour être soumis au mécanisme de plafonnement. Ces dispositifs ont ainsi été considérés comme des avantages correspondant à des situations subies, ou comme des revenus exonérés et des charges déductibles liés à la situation du contribuable.

C. - S'agissant d'un dispositif appelé, semble-t-il, à être applicable à tout nouveau mécanisme fiscal dérogatoire qui pourrait être mis en place, un tel flou n'est pas acceptable, puisqu'il revient à assimiler des situations manifestement choisies par le contribuable à des situations subies pouvant ainsi être exclues du dispositif de plafonnement.

Il vous appartient de préciser dès aujourd'hui l'application qui doit être faite du principe d'égalité devant les charges publiques à ce dispositif de plafonnement. A défaut de l'édiction d'une jurisprudence précise, cette question ne manquerait pas en effet d'alimenter pour l'avenir un doute quant à la constitutionnalité de toute intégration ou non dans le dispositif de plafonnement d'un nouvel avantage fiscal.

L'atteinte au principe d'égalité est en effet manifeste dès lors que l'on prend en considération les dispositifs précisément exclus du plafonnement en vertu de la catégorie relevant de la « situation subie » du contribuable.

Ainsi, sont exclus au titre des « situations subies du contribuable » aussi bien les « indemnités de départ à la retraite », ou les pensions de « retraite mutualiste du combattant », que les « rémunérations de jobs d'été des étudiants » ou surtout « les cotisations ou primes versées au plan d'épargne retraite populaire ».

Le choix pour un étudiant membre du foyer fiscal d'un contribuable d'exercer un « job d'été » est totalement libre et volontaire, et ne peut être présenté comme une situation donnée ou « subie » par un contribuable.

C'est surtout le cas pour les cotisations ou primes versées par un contribuable au titre de la retraite par capitalisation.

Les plans d'épargne retraite populaire (PERP) sont des instruments d'épargne privée qui n'ont aucun caractère obligatoire pour le contribuable. L'affirmation contraire reposerait sur l'idée que les contribuables n'ont plus d'autre choix que de recourir à l'assurance privée pour compenser la dégradation du taux de remplacement servi par le régime de retraite par répartition dans les années à venir.

L'article 163 quatervicies du code général des impôts dispose que sont déductibles du revenu net global, les cotisations ou primes versées par chaque membre du foyer fiscal aux PERP. Cette déduction est limitée à la différence entre une fraction égale à 10 % des revenus d'activités professionnelles - dans la limite de 8 fois ou 10 % du montant annuel du plafond de la sécurité sociale mentionné à l'article L. 241-3 du code de la sécurité sociale - et le montant cumulé des cotisations et primes perçues dans le cadre de mécanismes professionnels collectifs.

Cette définition du plafond applicable à l'avantage fiscal attaché à l'épargne retraite individuelle souligne notamment le caractère subsidiaire de ce choix de placement individuel, non seulement au regard du régime général des retraites par répartition, mais également au regard de mécanismes « collectifs » organisés au sein des entreprises.

Le caractère « obligatoire » des cotisations est pourtant l'interprétation que semblait vouloir proposer le rapporteur général du budget de l'Assemblée nationale en affirmant qu'« il faut bien considérer que le fait de vieillir est une sujétion à laquelle nul n'échappe... et cela justifie que l'on épargne l'épargne retraite ! » (3e séance du 18 novembre 2005.)

En réalité, un contribuable bénéficiant d'un avantage fiscal au titre de placements dans des fonds d'investissement se trouve dans une situation rigoureusement identique à celle d'un autre choisissant d'investir ses liquidités dans un plan d'épargne retraite. Il n'y a donc aucune raison de considérer qu'il devrait dans un cas voir plafonné l'avantage fiscal attaché à son investissement, et dans un autre non.

Enfin, le choix, opéré à l'Assemblée nationale, de supprimer toute référence opérante aux avantages fiscaux accordés aux investissements outre-mer annihile toute portée d'ensemble au critère permettant de déterminer si un avantage est plafonné ou non. Dès lors, la rupture d'égalité est manifeste entre les contribuables.

Le respect du principe constitutionnel d'égalité devant les charges publiques commande donc d'annuler les restrictions infondées au principe du plafonnement des avantages fiscaux non liées à une différence objective de situation des contribuables ou à un motif d'intérêt général en rapport avec l'objet de la loi.

D. - Enfin, le principe d'une majoration de 1 000 euros du plafond de 8 000 euros (ou 13 000 euros) en fonction du nombre d'enfants à charge ou de personnes membres du foyer âgés de plus de soixante-cinq ans doit également être censuré.

En effet, conformément à votre jurisprudence, la mise en oeuvre de plafonds tenant compte de la situation familiale ne serait justifiée que si l'objet de la loi était de prendre en compte la situation des familles. Tel n'est pas le cas. L'objet de la loi est en effet la limitation des avantages fiscaux pouvant être attribués à un foyer fiscal.

Il est à noter que les effets du quotient familial, qui vise à prendre en compte, au nom d'un principe d'égalité horizontale, les charges particulières découlant du nombre de personnes composant le foyer du contribuable, ne sont en aucun cas remis en cause par l'existence du mécanisme de plafonnement.

Ainsi, l'existence de telles majorations pour enfant à charge porte atteinte au principe d'égalité devant les charges publiques. Cette violation a sans doute été pressentie par le rapporteur général au Sénat, puisque celui-ci indique (p. 163 de son rapport) que « la familialisation du plafond ne s'impose pas : dans l'impôt sur le revenu, la prise en compte de personnes à charges se fait normalement au travers du quotient familial, et rien ne justifierait de démultiplier à l'excès ce mécanisme au moyen d'un plafonnement à géométrie variable ». Il ajoute que l'augmentation de 250 euros, votée par l'Assemblée nationale, de la majoration de 750 euros proposée initialement par le Gouvernement « n'appelle pas de commentaire particulier au vu de sa relative modicité ; on comprendrait mal pourquoi le fait d'avoir des personnes à charge devrait renforcer significativement le potentiel de défiscalisation ».

3. L'exonération au titre de l'impôt de solidarité sur la fortune des parts ou actions détenues dans le cadre d'un engagement collectif de conservation

L'article 26 de la loi déférée modifie dans son II l'article 885-I bis du code général des impôts en disposant que l'exonération au titre de l'impôt de solidarité sur la fortune dont bénéficient dans certaines conditions les parts ou actions d'une société détenues dans le cadre d'un engagement collectif de conservation serait portée de la moitié à 75 % de la valeur totale de ces titres.

Ce relèvement du taux à 75 % conduit à une égalisation progressive des conditions faites à deux catégories de contribuables pourtant placés dans des situations totalement différentes au regard de l'impôt.

En effet, on s'approche ainsi d'une exonération totale d'impôt de solidarité sur la fortune, qui n'est ouverte qu'au bénéfice des biens professionnels.

Sont en effet totalement exonérées, aux termes de l'article 885 O bis, les parts et actions de sociétés soumises à l'impôt sur les sociétés à la condition que leur propriétaire soit directement en charge de l'exécutif de la société, par exemple en tant que président, directeur général ou président des organes d'administration, et qu'il détienne en parallèle au moins 25 % des titres de la société.

C'est d'ailleurs ce qu'avait exposé le ministre des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l'artisanat et des professions libérales, Renaud Dutreil, précisément à l'occasion d'une proposition identique de modification de l'article 885-I du code général des impôts, pour expliquer le refus du relèvement du taux d'exonération de 50 % à 75 % proposé ici.

« Le sujet de l'ISF a été abordé dans la loi pour l'initiative économique. Nous avons alors expérimenté un nouveau dispositif : le pacte d'actionnaires, destiné aux actionnaires minoritaires et les faisant bénéficier d'un abattement de 50 %. A l'époque, le Gouvernement avait déjà envisagé un abattement de 75 %, mais une analyse de la jurisprudence du Conseil constitutionnel nous avait conduits à abandonner cette idée. Le conseil en effet, pour appliquer le principe d'égalité devant l'impôt, compare les différents dispositifs fiscaux et les motifs qui les ont inspirés. En matière d'ISF, des exonérations proches de 100 % sont consenties à ceux qui ont la responsabilité de l'entreprise : les dirigeants, exposés de plein fouet aux risques économiques. Le taux de 75 % était trop voisin alors que la situation du bénéficiaire d'un pacte d'actionnaires est très différente de celle du dirigeant de l'entreprise : un actionnaire minoritaire ne gère pas le risque économique ! Proposer des avantages fiscaux comparables pouvait donc comporter un risque. Or, à l'époque, notre souci était que ce dispositif franchisse toutes les étapes, y compris l'examen par le Conseil constitutionnel, et c'est pourquoi nous avons retenu le taux de 50 %. » (3e séance du mercredi 6 juillet 2005.)

C'est donc en toute connaissance de cause que le Gouvernement et la majorité ont adopté une disposition dont ils jugent la constitutionnalité dans le meilleur des cas douteuse.

En effet, dans votre décision no 2003-477 DC du 31 juillet 2003, vous jugiez, au considérant 13, que le taux de 50 % de l'exonération consentie était une condition de la conformité du dispositif proposé à la Constitution :

« Considérant, en premier lieu, qu'il résulte des travaux parlementaires que le législateur a entendu garantir la stabilité du capital des entreprises, notamment familiales, et, partant, leur pérennité ; que l'avantage fiscal accordé tend à inciter les actionnaires minoritaires, qui ne bénéficient pas de l'exonération des biens professionnels prévue par l'article 885 O bis du code général des impôts, à conserver les parts et actions qu'ils détiennent ; qu'eu égard aux conditions posées quant à la stabilité du capital et à la direction de l'entreprise et à son montant limité à la moitié de la valeur des parts et actions, contrairement à ce que prévoit l'article 885 O bis pour les biens professionnels, cet avantage ne peut être regardé comme entraînant une rupture caractérisée du principe d'égalité devant les charges publiques ; »

Le II de cet article n'étant aujourd'hui modifié qu'au regard de ce taux d'exonération, sans nouveau motif d'intérêt général susceptible de justifier une rupture du principe d'égalité, il ne pourra donc être que censuré.

La censure s'étendra également au I de l'article 26 qui introduit un dispositif totalement distinct du précédent, prévoyant une exonération à hauteur de 75 % de leur valeur, des parts ou actions d'une société ayant une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale, lorsque leur propriétaire exerce son activité principale dans cette société comme salarié ou mandataire social, ou y exerce son activité principale lorsque la société est une société de personnes soumise à l'impôt sur le revenu visée aux articles 8 à 8 ter.

En réalité, cet article conduit à procurer un avantage fiscal exorbitant - parfois équivalent à plusieurs centaines de milliers d'euros, à des personnes placées dans une situation qui ne diffère en rien de celle des autres redevables de l'impôt de solidarité sur la fortune. En effet, l'avantage est ouvert en dehors de toute considération de la nature de « bien professionnel » des titres concernés. Les justifications par analogie qui avaient pu être données à l'introduction des dispositifs visant à l'article 885-I bis les « pactes d'actionnaires » ne sont pas recevables en l'espèce.

Par ailleurs, il visera des mandataires sociaux comme des salariés qui n'exerceraient plus aucune fonction dans les entreprises visées, et qui se trouvent donc dans la situation de tout investisseur possédant des titres de ladite société et qui accepteraient, toutes choses égales par ailleurs, de s'engager à conserver les titres pendant une durée minimale de six ans comme le suppose le dispositif voté.

Ceci conduit notamment à ce qu'un contribuable puisse bénéficier de l'exonération proposée à raison de titres de plusieurs entreprises dans lesquelles il aurait exercé au cours de sa carrière son activité principale.


Sur le respect des articles 72 et 72-2 de la Constitution

Le plafonnement de la taxe professionnelle

en fonction de la valeur ajoutée


L'article 85 de la loi de finances pour 2006 prévoit un plafonnement de taxe professionnelle en fonction de la valeur ajoutée. Le I de cet article complète notamment l'article 1647 B sexies du code général des impôts pour instituer un seuil de plafonnement unique et généralisé à toutes les entreprises fixé à 3,5 % de la valeur ajoutée. Le II de cet article définit les modalités de prise en charge par l'Etat au profit des collectivités territoriales et des établissements de coopération intercommunale dotés d'une fiscalité propre du dégrèvement accordé aux entreprises en application du plafonnement.

Ainsi, le dégrèvement est pris en charge par l'Etat à concurrence de la différence entre, d'une part, la base servant au calcul de la cotisation de taxe professionnelle au titre de l'année d'imposition au profit de chaque collectivité territoriale ou établissement public de coopération intercommunale multiplié par le taux de référence de chaque collectivité ou établissement public et, d'autre part, le montant du plafonnement déterminé en application du pourcentage de la valeur ajoutée de 3,5 %.

Le taux de référence de chaque collectivité ou établissement public s'entend du taux le plus faible entre le taux de 2004 majoré d'un certain pourcentage selon la catégorie de collectivité concernée, ou le taux de l'année d'imposition considérée. Le taux de 2004 sera ainsi majoré pour les communes et les établissements publics de coopération intercommunale de 5,5 %, celui pour les départements de 7,3 %, celui pour les régions de 5,1 %.

L'introduction d'un taux de référence théorique constitué par le taux de l'année 2004 majoré résulte des débats à l'Assemblée nationale, puis au Sénat, dans le cadre de la commission mixte paritaire, et lors de l'examen en séance des conclusions de la commission mixte paritaire, en réponse aux nombreuses interrogations des parlementaires sur le degré d'autonomie fiscale qui résultait de la proposition initiale du Gouvernement d'un taux de référence constitué du taux de 2004 ou du taux de l'année d'imposition s'il était inférieur.

L'objet recherché par cet article est légitime puisqu'il s'agit de limiter le poids d'un impôt qui pèse directement sur l'investissement des entreprises. Il porte cependant atteinte de façon induite au principe d'égalité devant l'impôt entre les contribuables locaux.

En effet en plafonnant le montant de la taxe professionnelle due par l'entreprise à 3,5 % de la valeur ajoutée et en fixant un taux de référence qui aboutit à ce que toute mesure nouvelle de hausse du taux prise après 2004 (ou après 2005 dans certaines conditions) ne porte que sur les entreprises non plafonnées, l'article 85 aboutit à créer une inégalité de traitement entre les entreprises, en pesant notamment sur les petites entreprises qui ne disposent pas de marges aussi fortes que les grandes entreprises en matière d'optimisation fiscale.

Cette inégalité résulte de ce que le mécanisme de plafonnement est indépendant de l'assiette de l'impôt, les bases d'imposition de la taxe professionnelle étant constituées par les immobilisations des établissements de l'entreprise sur le territoire de chaque collectivité concernée et non sur l'ensemble de la valeur ajoutée de l'entreprise.

Il en résulte que, compte tenu de leur mode de production, des choix opérés quant à la gestion du personnel (les salaires étant retenus pour le calcul de la valeur ajoutée et donc le plafonnement, mais exclus de la base pour la taxe professionnelle depuis 2003), des entreprises ayant une valeur ajoutée identique peuvent, en fonction de la nature et du volume de leurs immobilisations, être taxées de manière différente (de la même façon que des entreprises ayant des immobilisations identiques peuvent être ou non soumises au plafonnement).

Si ces situations résultent pour partie de l'évolution du plafonnement de la taxe professionnelle au fil des années, l'article 85 modifie sensiblement l'économie du régime applicable puisque chaque hausse de taux fera entrer de nouvelles entreprises dans le champ des entreprises plafonnées, réduisant d'autant l'assiette de la taxe, en faisant porter une charge de plus en plus lourde sur les entreprises disposant d'une forte valeur ajoutée.

Cette situation sera renforcée par le fait que l'on observe aujourd'hui de grandes disparités quant aux effets territoriaux du plafonnement. Selon les indications évoquées lors des travaux au Sénat en première lecture, on observe que le « pourcentage de bases plafonnées se situe entre 3 % et 99 % selon les communes, entre 30 % et 72 % selon les départements et entre 38 % et 71 % selon les régions. »

Cette inégalité de traitement des entreprises devant l'impôt se doublera d'une inégalité pesant sur les ménages, puisque, du fait de la liaison des taux d'imposition en matière de fiscalité directe locale et du caractère d'impôt de répartition des taxes foncières et de la taxe d'habitation, la hausse des impositions sur les ménages devra être proportionnelle à celle appliquée à la taxe professionnelle.

Au-delà de cette atteinte au principe d'égalité devant l'impôt, les modalités de prise en charge du dégrèvement au profit des collectivités territoriales et des établissements publics de coopération intercommunale, méconnaissent les principes de libre administration des collectivités territoriales et d'autonomie financière fixés par les articles 72 et 72-2 de la Constitution.

La volonté du Gouvernement, telle qu'exprimée dans l'exposé des motifs de l'article , d'éviter la prise en charge par l'Etat des hausses de taux lorsqu'elles s'appliquent à des entreprises plafonnées, a conduit à mettre en place un mécanisme qui dès l'année prochaine prive les collectivités territoriales de ressources supplémentaires de taxe professionnelle et rend fictive la faculté de voter le taux de taxe professionnelle.

Les troisième et cinquième alinéas de l'article 72 énoncent le principe de libre administration des collectivités territoriales. Il résulte de ces deux alinéas, d'une part, que, dans des conditions prévues par la loi, les collectivités s'administrent librement par des conseils élus et que, d'autre part, aucune collectivité ne peut exercer de tutelle sur une autre.

Les premier, deuxième et troisième alinéas de l'article 72-2 de la Constitution énoncent les principes d'autonomie financière des collectivités locales. Il résulte de la combinaison de ces trois alinéas, d'une part, que les recettes fiscales font partie des ressources propres dont les collectivités peuvent disposer librement dans des conditions fixées par la loi et que les recettes fiscales s'entendent du produit des impositions de toute nature dont la loi autorise les collectivités à en fixer l'assiette, le taux ou le tarif et, d'autre part, que les ressources propres représentent pour chaque catégorie de collectivités une part déterminante de l'ensemble de leurs ressources.


1. L'atteinte au principe de libre administration


L'article critiqué est donc présenté comme un moyen de réduire l'imposition locale pesant sur les entreprises. Une des questions posées au législateur est celle de savoir à qui revient la prise en charge de la différence entre la cotisation de taxe professionnelle et le plafond en fonction de la valeur ajoutée. Pour la première année d'application du dispositif, comme pour les années suivantes, la réponse est sans ambiguïté.

Le coût que représente la réforme est pris en charge, d'une part, par l'Etat et, d'autre part, par les collectivités territoriales et les établissements publics de coopération intercommunale. Le Gouvernement a ainsi mis en avant la notion de « ticket modérateur » des collectivités territoriales pour justifier un tel mécanisme de prise en charge. Ainsi, le mécanisme de détermination du dégrèvement ne tient pas compte des taux effectivement et réellement votés par les différentes collectivités en 2005.

A. - Vous avez régulièrement précisé les conditions permettant d'éviter une atteinte au principe de libre administration des collectivités territoriales dans l'hypothèse où l'Etat décidait du dégrèvement d'un impôt local.

Votre jurisprudence en la matière concilie les dispositions de l'article 72 de la Constitution selon lequel les collectivités territoriales s'administrent librement par des conseils élus dans des conditions déterminées par la loi et les dispositions de l'article 34 de la Constitution selon lesquelles, d'une part, la loi détermine les principes fondamentaux de cette libre administration, des compétences et des ressources de collectivités territoriales et que, d'autre part, elle fixe les règles concernant l'assiette, le taux et les modalités de recouvrement des impositions de toute nature.

Votre décision no 2000-432 DC du 12 juillet 2000 sur la loi de finances rectificative pour 2000 portait notamment sur cette conciliation à propos de la suppression de la part régionale de la taxe d'habitation. De même, votre décision no 98-405 DC du 29 décembre 1998 sur la loi de finances pour 1999 exposait les moyens de cette conciliation entre le principe de libre administration et l'article 34 de la Constitution à propos de la suppression progressive de la part de la taxe professionnelle reposant sur la masse salariale des entreprises.

Dans les deux cas, vous avez considéré que les réductions d'impôt local proposées n'avaient pas pour effet de restreindre les ressources globales des collectivités ou de réduire la part de leurs recettes fiscales au point d'entraver leur libre administration notamment car le montant de la compensation prévue correspondait la première année d'application à la perte de recettes pour chaque collectivité locale et que par la suite cette compensation suivait des règles d'évolution favorables aux collectivités.

Cette stricte égalité, la première année d'application du dégrèvement d'impôt local, n'est possible que si, pour chaque collectivité, la compensation est calculée à partir du taux de l'impôt local en question voté l'année précédant l'application du dispositif de dégrèvement. C'est ce que prévoyaient les dispositions relatives à la suppression de la part régionale de la taxe d'habitation comme celles relatives à la suppression de la part salaires de la taxe professionnelle.

Tel n'est pas le cas pour la compensation prévue par l'article critiqué. De plus, le mode d'évolution retenu pour la compensation au-delà de la première année d'application du dégrèvement est peu dynamique. Cette évolution est uniquement liée à l'évolution des bases de taxe professionnelle, alors que pour les deux mesures que vous avez eu à juger en 1998 et en 2000 la compensation était indexée sur l'évolution de la dotation globale de fonctionnement.

B. - Le choix fait pour déterminer la compensation versée par l'Etat aux collectivités territoriales revient en effet à ne pas tenir compte des votes des taux de taxe professionnelle que les collectivités ont effectués l'an dernier. Au contraire, le Gouvernement a explicitement fait le choix d'une référence fondée sur les taux votés en 2004 pour pénaliser les collectivités qui ont augmenté leur taux de taxe professionnelle en 2005.

Cette motivation a constamment été rappelée par le Gouvernement et le rapporteur général lors des débats à l'Assemblée nationale en première lecture comme lors de l'examen des travaux de la commission mixte paritaire entre l'Assemblée nationale et le Sénat. Il s'agit avec une référence excluant explicitement les taux votés en 2005 de ne pas prendre en compte des « comportements excessifs », voire « irresponsables ».

Cette stigmatisation des choix faits en 2005 par des assemblées élues porte directement atteinte au principe de libre administration des collectivités territoriales. Le manque à gagner pour les collectivités locales dès l'an prochain est d'au moins 215 millions d'euros.

Le mécanisme retenu prenant en compte le taux de 2004 majoré d'un pourcentage d'évolution correspondant à l'augmentation moyenne passée des taux de taxe professionnelle par catégorie de collectivité institue des inégalités entre les collectivités selon qu'elles ont augmenté leur taux de taxe professionnelle d'un niveau inférieur ou supérieur au taux moyen de leur catégorie.

Il pénalise les collectivités qui ont augmenté leur taux de taxe professionnelle en 2005 et ont ainsi augmenté la cotisation de taxe professionnelle des entreprises situées sur leur territoire au-delà du plafond de 3,5 % de la valeur ajoutée. N'est pris en compte pour le calcul de la compensation du dégrèvement que le manque à gagner résultant des effets de 2004 majoré d'un taux moyen, pas le manque à gagner effectif de l'année 2005.

Il pénalise les collectivités en ne tenant pas compte du vote de taux qu'elles ont effectué au cours de l'année 2005. Pourtant, elles ne pouvaient pas avoir connaissance des modalités de prise en charge d'une mesure de plafonnement décidée quelques mois après, ni du fait que le taux voté en 2005 ne serait pas pris en compte pour le calcul de la compensation de l'Etat.

De plus, le choix des modalités de calcul de la compensation est contraire à la pratique selon laquelle une décision de dégrèvement d'un impôt local par l'Etat est sans effet pour les collectivités la première année d'application.

La ponction qui est ainsi faite pénalise les collectivités en fonction du choix qu'elles ont fait d'augmenter leur taux de taxe professionnelle en 2005. Elles n'auraient subi aucune perte si la compensation était calculée sur la base des taux de 2005. De ce point de vue, le principe de libre administration des collectivités territoriales est directement mis en cause.

Le Gouvernement a fourni pendant le débat parlementaire des éléments chiffrés qui permettent d'éclairer les effets du plafonnement et des modalités de prise en charge du dégrèvement.

Un exemple permet d'illustrer ces effets. Une commune qui dispose de 60 % de bases de taxe professionnelle faisant déjà en 2006 l'objet du plafonnement en fonction de la valeur ajoutée, dispose donc par voix de conséquence de 40 % de bases de taxe professionnelle qui ne font pas l'objet de ce plafonnement.

Si cette commune augmente son taux de taxe professionnelle en 2006, le produit fiscal supplémentaire qu'elle pourra obtenir représentera 40 % de l'augmentation totale. En effet, l'augmentation du taux sera sans effet sur les bases déjà plafonnées. La liberté de voter les taux de taxe professionnelle devient fictive et ainsi le principe de libre administration.

Mais plus grave, la compensation sera calculée à partir du taux le plus faible entre le taux de 2005 et le taux de 2004 majoré par un pourcentage fixé par catégorie de collectivité. Le plafonnement de la taxe professionnelle va entraîner une réduction relative des ressources résultant de cette taxe et répartir la charge du dégrèvement entre l'Etat et les collectivités territoriales. L'article critiqué revient en pratique à déterminer une règle de répartition du poids des dégrèvements entre l'Etat et les collectivités territoriales qui modifie les ressources propres des collectivités sur la base d'un dispositif de caractère rétroactif.

Vous avez régulièrement considéré que si le principe de non-rétroactivité des lois n'a valeur constitutionnelle, en vertu de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen qu'en matière répressive, il est toujours possible pour le législateur d'adopter des dispositions nouvelles permettant de ne pas faire application des prescriptions précédemment édictées à condition de ne pas priver de garanties légales des exigences constitutionnelles (décision no 95-369 DC du 28 décembre 1995).

La mesure de plafonnement adoptée et surtout les modalités de calcul de la prise en charge par l'Etat et les collectivités territoriales du dégrèvement n'apportent pas les garanties suffisantes en la matière. Son impact financier est en effet estimé dès la première année d'application à au moins 215 millions d'euros.

Quelle que soit l'évolution du coût de la réforme pour les collectivités au cours des années ultérieures, elle conduit la première année d'application, en raison de son caractère rétroactif, à priver les collectivités d'une part importante de ressources propres, d'autant plus importantes que cette part dépend de décisions prises sur les taux de taxe professionnelle dans la méconnaissance des modalités de prise en charge d'une mesure de plafonnement décidée ultérieurement.

C. - L'article critiqué organise également une forme de tutelle des collectivités locales les unes sur les autres. En effet, les effets du plafonnement sont répartis entre les différentes collectivités territoriales, indépendamment de leurs propres choix fiscaux.

Il a pour effet de faire entrer dans le champ du plafonnement de la taxe professionnelle des entreprises du fait de la décision d'une seule collectivité territoriale qui, par la fixation de son nouveau taux d'imposition, pourrait faire franchir à l'entreprise le seuil du plafonnement et enclencherait le mécanisme de répartition du dégrèvement. L'augmentation du taux communal de taxe professionnelle peut conduire au plafonnement de l'entreprise sans que le département ou la région concernée n'ait fait varier son propre taux.

Compte tenu du mode de calcul du taux de référence prévu au B du II, une collectivité qui ne mobiliserait pas en totalité la marge de manoeuvre prévue par le législateur pourrait donc être malgré tout concernée par les effets du plafonnement, dès lors que les autres collectivités auraient porté leur taux d'imposition à un niveau tel que le plafonnement serait mis en oeuvre.

En organisant ainsi un effet induit de la décision d'une collectivité territoriale sur la capacité de décision des autres collectivités territoriales en ce qui concerne leurs ressources fiscales, cette mesure est donc également contraire aux dispositions de l'article 72 de la Constitution qui dispose qu'« aucune collectivité territoriale ne peut exercer une tutelle sur une autre ».


2. L'atteinte au principe d'autonomie financière


A. - La loi organique relative à l'autonomie financière des collectivités territoriales a défini, en application du troisième alinéa de la Constitution, la notion de part déterminante. Ainsi pour chaque catégorie de collectivités, la part de ressources propres ne peut être inférieure au niveau constaté au titre de l'année 2003. Cette définition résulte directement de votre décision no 2004-500 DC du 29 juillet 2004. Autrement dit, les ressources propres, au premier rang desquelles se trouvent les recettes fiscales, représentent une part déterminante, pour chaque collectivité, de l'ensemble des ressources, à condition que cette part ne soit pas inférieure à celle constatée en 2003.

Votre décision no 2004-500 DC du 29 juillet 2004 est venue apporter une garantie importante aux collectivités territoriales. Vous avez en effet censuré une disposition qui prévoyait que la part des ressources propres par catégorie de collectivité était déterminante au sens de l'article 72-2 de la Constitution lorsqu'elle garantissait la libre administration des collectivités, du fait de sa portée normative incertaine.

Cette décision résulte directement de la nécessité faite par le troisième alinéa de l'article 72-2 de la Constitution de définir précisément une part minimale de ressources propres pour chaque catégorie de collectivité territoriale.

Elle donne au principe d'autonomie financière une valeur constitutionnelle qui ne peut se résumer à une simple tautologie. Au contraire, il s'agit de protéger les collectivités territoriales en fixant un seuil minimal de ressources propres et donc de leur garantir une certaine autonomie sur le plan financier.

On peut considérer que la part de ressources propres est déterminante si elle permet à la collectivité territoriale d'assurer la continuité des services publics locaux et de faire face en toutes circonstances à des besoins nouveaux et imprévus. Il s'agit donc d'une notion de réalité et non d'un simple principe théorique, d'où la nécessité faite par la loi organique relative à l'autonomie financière des collectivités territoriales d'une définition précise d'un seuil minimal en dessous duquel la part de ressources propres ne serait plus déterminante au sens de l'article 72-2 de la Constitution.

B. - La prise en charge par l'Etat du plafonnement proposé de taxe professionnelle n'apporte pas cette garantie. Elle ne protège pas, loin s'en faut, la marge de manoeuvre financière des collectivités territoriales.

L'article LO 1114-2 a défini précisément les ressources propres, en citant explicitement le produit des impositions de toute nature dont la loi autorise les collectivités à fixer l'assiette, le taux ou le tarif, ou dont la collectivité fixe le taux ou une part d'assiette locale, en citant également le produit des redevances pour services rendus, les produits du domaine, les participations d'urbanisme, les produits financiers, les dons et les legs.

En application du premier alinéa de l'article LO 1114-3, pour chaque catégorie de collectivités, la part de ressources propres est le résultat du rapport entre le montant des ressources propres et le montant de la totalité des ressources, à l'exclusion des emprunts, des ressources correspondants au financement des compétences transférées à titre expérimental, ou mises en oeuvre par délégation et des transferts financiers entre collectivités d'une même catégorie.

Le ratio d'autonomie est ainsi défini par le rapport entre, d'une part, les ressources propres et, d'autre part, la totalité des ressources, c'est-à-dire principalement la somme des ressources propres et les dotations. C'est ce rapport qui ne peut donc être inférieur au niveau constaté au titre de l'année 2003, en application de la loi organique relative à l'autonomie financière des collectivités territoriales.

Vous avez reconnu que le législateur organique avait entendu en adoptant une définition suffisamment large des ressources propres, éviter que la part de ressources propres soit condamnée à perdre son caractère déterminant, conscient en cela des évolutions potentielles du ratio d'autonomie. En adoptant une définition plus restreinte, par exemple limitée aux impôts dont les collectivités locales fixent l'assiette et/ou le taux, vous estimiez que le risque d'une contradiction à très court terme entre le principe de subsidiarité et le principe de compensation était très fort.

Vous avez considéré qu'il était nécessaire de lever cette contradiction, qui résulte du fait que la décentralisation se traduit par un transfert de compétences assorti d'un transfert de dotations d'Etat et, à titre souvent subsidiaire, d'impôts affectés. En conséquence, le transfert de compétences conduit en effet à accroître de façon continue le dénominateur du ratio d'autonomie.

Les ressources propres ne suivent pas la même évolution. Au contraire, leur croissance est généralement plus faible que celle de l'ensemble des ressources et, au total, le ratio d'autonomie tend à diminuer au fil du temps en fonction des transferts de compétences et de ressources associées, qui ne sont pas des ressources propres.

Dans ces conditions, il convient donc au législateur de veiller en toutes circonstances à ce que le ratio d'autonomie ne diminue à un point tel qu'il pourrait perdre son caractère déterminant, à savoir devenir inférieur à celui de 2003.

C. - Le plafonnement de taxe professionnelle proposé met pourtant en place un dispositif implacable qui finalement conduira progressivement à faire passer, pour de nombreuses collectivités locales ou établissements publics de coopération intercommunale, ce rapport en dessous du niveau de 2003, en contradiction avec la volonté de protéger les collectivités locales, et ainsi méconnaître le principe d'autonomie financière strictement encadré par votre jurisprudence récente.

Il accélère ainsi la dégradation continue du ratio d'autonomie par catégorie de collectivité, sauf à considérer que viendraient se substituer au produit de taxe professionnelle, que ne recevraient plus les collectivités en raison du plafonnement, de nouveaux impôts locaux, afin de compenser la faiblesse relative du numérateur du ratio d'autonomie.

Aucune proposition en ce sens n'est formulée par le projet de loi de finances. En tout état de cause une telle conséquence serait par ailleurs en contradiction avec l'objet de la loi, à savoir la limitation de l'impôt local.

La réforme proposée pénalise toutes les collectivités territoriales et tous les établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre. La peine infligée est d'autant plus massive et son échéance proche que la collectivité concernée, ou l'établissement public de coopération intercommunale, dispose de bases de taxe professionnelle faisant déjà l'objet de la mesure de plafonnement.

Il y a autant de situations particulières qu'il y a de collectivités et d'établissements publics de coopération. Ces situations dépendent du nombre d'entreprises situées sur le territoire de la collectivité ou de l'établissement public, de la structure de ces entreprises, de leur secteur d'activité et de leur valeur ajoutée, et bien entendu des taux de taxe professionnelle auxquels elles ont été imposées.

Les simulations fournies par le Gouvernement de manière tardive et parcellaire montrent ainsi une diversité de situations. Certaines collectivités ou certains établissements publics de coopération intercommunale disposent aujourd'hui d'un pourcentage de bases de taxe professionnelle plafonnées pouvant aller jusqu'à 80 %, voire plus. Au fur et à mesure des décisions de hausse des taux de l'imposition locale, le pourcentage de bases plafonnées est appelé à augmenter, limitant, voire supprimant, toute marge de manoeuvre. En revanche, compte tenu des modalités de prise en charge par l'Etat du plafonnement, la compensation versée aux collectivités est figée.

De fait, pour une commune dont 40 % des bases de taxe professionnelle sont plafonnées une augmentation du taux de taxe professionnelle de 1 point conduit à un produit fiscal en augmentation de 0,6 point seulement. D'année en année, le pourcentage de bases plafonnées augmentant avec les éventuelles augmentations de taux de taxe professionnelle, le produit fiscal supplémentaire que l'on peut attendre d'une augmentation de 1 point du taux de taxe professionnelle est de plus en plus faible. Dans certains cas, au bout de quelques années, il peut même s'avérer être nul.

Au total, la dégradation continue du ratio d'autonomie par catégorie de collectivité est véritablement accélérée.

D. - Le pouvoir de fixer librement les taux des impôts locaux se trouve très fortement contraint. Les collectivités ne disposent progressivement que d'une liberté fictive. Mais surtout, le numérateur du ratio d'autonomie augmentera beaucoup moins vite avec un tel dispositif de plafonnement de taxe professionnelle que sans.

En effet, parmi les ressources propres, la loi organique relative à l'autonomie financière des collectivités territoriales a fait figurer le produit des impositions de toute nature dont elles fixent le taux. La loi organique fait donc explicitement référence au produit. La description du mécanisme de plafonnement en fonction de la valeur ajoutée indique que ce produit augmente en proportion du pourcentage des bases non plafonnées et non en pourcentage de l'augmentation des taux. Dans certains cas, le produit fiscal de taxe professionnelle pourrait très bien ne plus augmenter.

En revanche, ce mécanisme de plafonnement ne vient pas limiter de la même façon l'évolution du dénominateur du ratio d'autonomie. En application du principe de subsidiarité et de compensation des compétences transférées, le dénominateur peut connaître une évolution rapide et importante et ainsi entraîner une diminution du ratio d'autonomie par catégorie de collectivité à un niveau tel que l'on ne puisse plus parler de part déterminante pour les ressources propres au sens de la loi organique relative à l'autonomie financière des collectivités territoriales.

Bien entendu, le raisonnement ainsi présenté ne peut être généralisé à toutes les situations que peuvent connaître les collectivités territoriales ou les établissements publics de coopération intercommunale. D'autres cas peuvent se présenter. Ainsi, de nouvelles entreprises, dont la cotisation de taxe professionnelle est inférieure au plafond de valeur ajoutée, peuvent s'implanter sur le territoire de telle ou telle collectivité, lui permettant de retrouver une autonomie plus grande sur le plan financier et lui redonnant une plus grande liberté dans la fixation du taux de taxe professionnelle en adéquation avec le produit qu'elle est en droit d'attendre.

De même une collectivité a toujours la possibilité de réduire le taux de taxe professionnelle avec pour conséquence de réduire le pourcentage de bases de taxe professionnelle plafonnées situées sur son territoire. De même des fermetures d'entreprises ont une influence sur le niveau des ressources propres.

Quoi qu'il en soit, vous avez indiqué dans votre décision sur la loi organique relative à l'autonomie financière des collectivités territoriales que, dans tous les cas, le législateur devait protéger les collectivités de l'évolution inévitablement défavorable du ratio d'autonomie.

Il apparaît cependant clairement, compte tenu des simulations fournies par le Gouvernement au Parlement, que dans de très nombreux cas, et très rapidement, le plafonnement de taxe professionnelle en fonction de la valeur ajoutée va accélérer la diminution du ratio d'autonomie. En l'occurrence, le législateur n'a pas pris les garanties suffisantes pour que la part de ressources propres reste déterminante au sens de l'article 72-2 de la Constitution, telle que vous l'avez précisé en statuant sur la loi organique relative à l'autonomie des collectivités territoriales.

En conclusion, il convient de signaler que les simulations sur les effets de la réforme, fournies par le Gouvernement pendant le débat parlementaire, n'ont manifestement pas permis au Parlement de se prononcer en toute connaissance de cause. En effet, dans un premier temps, la commission des finances de l'Assemblée nationale a reçu des simulations anonymes pour les communes, les départements et les régions. Dans un second temps, ces simulations sont devenues identifiables seulement pour les départements et les régions, mais les parlementaires ont pu noter des différences de chiffres entre les deux séries de simulations.

Quant aux communes et établissements publics de coopération intercommunale, le ministre a refusé jusqu'à la dernière extrémité que des simulations non anonymes soient fournies au Parlement, arguant du nécessaire respect du « secret fiscal » qui, en l'état, ne pouvait en aucun cas être opposé de façon légitime aux parlementaires.

Ces simulations ont finalement été distribuées de façon très tardive et partielle aux parlementaires. Leur exactitude reste jusqu'à ce jour sujette à caution, puisqu'il apparaît que des chiffres discordants ont été fournis, en parallèle, aux représentants des associations de collectivités territoriales. Par ailleurs, faute d'une information sur le niveau des bases plafonnées, les communes et les établissements de coopération intercommunale sont dans l'impossibilité d'établir leur budget pour l'année 2006 dans des conditions normales.

Pour ces raisons, l'article 85 ne peut être que censuré.


Sur le non-respect de la liberté contractuelle

L'imposition des intérêts perçus

sur les plans d'épargne logement


L'article 7 de la loi déférée met en place une imposition des intérêts perçus sur les plans d'épargne logement de plus de 10 ans à compter du 1er janvier 2006.

Les plans d'épargne logement font explicitement l'objet d'un contrat entre la personne physique épargnante et l'établissement de crédit, constaté par un acte écrit. Les stipulations de ce contrat doivent respecter un certain nombre de règles tenant notamment au montant initial de versement, fixé par arrêté à 225 euros, de versements annuels d'un montant minimal de 540 euros qui peuvent être fixés à des niveaux supérieurs par le contrat.

La durée du contrat ne peut être inférieure à 4 ans pour les contrats conclus après le 31 mars 1992, et ne peut être supérieure à 10 ans. Le retrait de fonds ne peut être partiel : il entraîne de plein droit la résiliation du contrat. Le montant maximal du prêt est de 92 000 euros.

Les sommes ainsi épargnées portent intérêt à un taux fixé par arrêté actuellement à 2,5 % par an pour toute la durée de vie du plan. Les intérêts perçus ne sont pas soumis à l'impôt sur le revenu en application du 9° bis de l'article 157 du code général des impôts.

Adopté à l'initiative du Sénat, avec avis favorable du Gouvernement, l'article déféré soumet les intérêts perçus sur un PEL, conclu après le 1er janvier 1992, et de plus de 12 ans, à l'impôt sur le revenu à compter du 1er janvier 2006. En réalité, cette fiscalisation s'appliquerait donc à des contrats ayant fait l'objet, contractuellement, d'une prorogation décidée de concert entre l'épargnant et l'établissement de crédit.

Cette prorogation contractuelle reposait jusqu'à ce jour de façon évidente sur l'existence de l'avantage fiscal accordé au titre de l'article 157 du code général des impôts.

En effet, un PEL ainsi prorogé ne peut plus faire l'objet de nouveaux versements et la rémunération est limitée aux intérêts servis par les établissements de crédits. Le montant des droits à prêts liés au PEL, ainsi que celui de la prime d'épargne logement servie par l'Etat (celle-ci étant conditionnée, pour les PEL souscrits à compter du 12 décembre 2002, à la souscription d'un prêt immobilier) peuvent ainsi être conservés dans la perspective d'un projet immobilier ou pour être transmis à un ou plusieurs ayants droit.

Il est bien sûr loisible au législateur, comme vous le rappelez régulièrement, d'adopter des dispositions nouvelles permettant dans certaines conditions de ne pas faire application des prescriptions qu'il avait antérieurement édictées dès lors qu'il ne prive pas de garanties légales des exigences constitutionnelles.

Ce principe général s'applique notamment en matière fiscale. Vous avez ainsi considéré qu'aucun principe ou règle de valeur constitutionnelle n'interdit à la loi de revenir sur une exonération fiscale acquise sous l'empire d'une loi antérieure ou d'en réduire la durée.

Toutefois, la modification du droit fiscal aurait en l'espèce un impact direct sur l'économie du contrat conclu entre l'épargnant et l'établissement de crédit.

Dès lors, conformément à votre jurisprudence, rappelée notamment dans la décision no 98-401 DC du 10 juin 1998, le législateur ne saurait porter atteinte à l'économie des contrats légalement conclus, une atteinte contraire aux exigences constitutionnelles découlant de l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, sauf à ce que cette atteinte soit justifiée par un motif d'intérêt général suffisant.

En l'espèce, aussi bien le rapporteur général du Sénat que le Gouvernement n'ont pas évoqué de tel motif d'intérêt général. Le rapport de la commission des finances du Sénat se contente en effet de noter que la non-fiscalisation actuellement accordée représenterait « une anomalie coûteuse pour les finances de l'Etat : les intérêts défiscalisés, perçus au-delà de 10 ans, n'ont aucune incidence sur les droits à prêt, et donc sur l'investissement dans le logement des épargnants. Le PEL devient alors une réserve d'épargne défiscalisée, sans risques et sans projet. Il paraît donc souhaitable d'imposer à l'impôt sur le revenu les intérêts qui seront perçus, à compter du 1er janvier 2006, sur les PEL de plus de 10 ans » (rapport général, no 99, tome II, fascicule II, volume 1, page 45).

Devant l'absence de motif d'intérêt général pouvant justifier qu'il soit porté atteinte à l'économie des contrats conclus entre épargnants et établissements publics, qui reposait notamment sur l'existence d'une incitation fiscale continue au placement dans des PEL, le Conseil constitutionnel ne pourra que censurer cette disposition.

(Liste des signataires : voir décision no 2005-530 DC.)