J.O. 212 du 11 septembre 2005       J.O. disponibles       Alerte par mail       Lois,décrets       codes       AdmiNet
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Décision n° 2005-0281 du 28 juillet 2005 portant sur la définition du marché des offres de gros d'accès large bande livrées au niveau national, sur la désignation d'un opérateur exerçant une influence significative sur ce marché et sur les obligations qui lui sont imposées


NOR : ARTT0500077S



L'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes,

Vu la directive 2002/21 /CE du Parlement européen et du Conseil du 7 mars 2002 relative à un cadre réglementaire commun pour les réseaux et services de communications électroniques (directive « cadre ») ;

Vu la directive 2002/19 /CE du Parlement européen et du Conseil du 7 mars 2002 relative à l'accès aux réseaux de communications électroniques et aux ressources associées, ainsi qu'à leur interconnexion (directive « accès ») ;

Vu les lignes directrices 2002/C 165/03 de la Commission des Communautés européennes du 11 juillet 2002 sur l'analyse du marché et l'évaluation de la puissance sur le marché en application du cadre réglementaire communautaire pour les réseaux et les services de communications électroniques (« lignes directrices ») ;

Vu la recommandation C(2003)497 de la Commission des Communautés européennes du 11 février 2003 concernant les marchés pertinents de produits et de services dans le secteur des communications électroniques susceptibles d'être soumis à une réglementation ex ante conformément à la directive « cadre » (recommandation « marchés pertinents ») ;

Vu la recommandation C(2003)2647 de la Commission des Communautés européennes du 23 juillet 2003 concernant les notifications, délais et consultations prévus par l'article 7 de la directive « cadre » (recommandation « notification ») ;

Vu le document (03) 30 de position commune du Groupe des régulateurs européens du 1er avril 2004 sur les obligations dans le nouveau cadre réglementaire ;

Vu la loi no 2004-669 du 9 juillet 2004 relative aux communications électroniques et aux services de communication audiovisuelle ;

Vu le code des postes et des communications électroniques, et notamment ses articles L. 32-1, L. 36-7, L. 37-1, L. 38, D. 301 à D. 312 ;

Vu l'arrêté du 12 mars 1998 modifié autorisant la société France Télécom à établir et exploiter un réseau de télécommunications ouvert au public et à fournir le service téléphonique au public, société anonyme, immatriculée au registre du commerce et des sociétés de Paris sous le numéro 380 129 866, et dont le siège social est situé 6, place d'Alleray, 75505 Paris Cedex 15, ci-après dénommée « France Télécom » ;

Vu la consultation publique de l'Autorité relative à l'analyse des offres d'accès large bande livrées au niveau national, lancée le 23 juin 2004 et clôturée le 9 août 2004 ;

Vu les réponses à cette consultation publique ;

Vu la consultation publique additionnelle de l'Autorité relative à l'analyse du marché des offres de gros d'accès large bande livrées au niveau national, lancée le 5 octobre 2004 et clôturée le 15 octobre 2004 ;

Vu les réponses à cette consultation publique additionnelle ;

Vu la synthèse des réponses à ces consultations publiques portant sur la définition du marché des offres de gros d'accès large bande livrées au niveau national et la désignation de l'opérateur exerçant une influence significative sur ce marché, réalisée par l'Autorité et publiée le 5 novembre 2004 ;

Vu la demande d'avis au Conseil de la concurrence en date du 5 novembre 2004 ;

Vu l'avis no 05-A-03 du Conseil de la concurrence en date du 31 janvier 2005 ;

Vu la consultation publique de l'Autorité sur le projet de décision relatif aux obligations imposées à France Télécom en tant qu'opérateur exerçant une influence significative sur le marché de gros des offres d'accès large bande livrées au niveau national, lancée le 13 avril 2005 et clôturée le 13 mai 2005 ;

Vu les réponses à cette consultation publique ;

Vu la synthèse des réponses aux trois consultations publiques précitées portant sur les obligations imposées à France Télécom en tant qu'opérateur exerçant une influence significative sur le marché de gros des offres d'accès large bande livrées au niveau national, réalisée par l'Autorité et publiée le 27 juin 2005 ;

Vu la consultation publique de l'Autorité relative à l'analyse du marché de gros des offres d'accès large bande livrées au niveau national, lancée le 27 juin 2005 et clôturée le 27 juillet 2005 ;

Vu les réponses à cette consultation publique ;

Vu la notification relative à l'analyse du marché des offres de gros d'accès large bande livrées au niveau national à la Commission européenne et aux autorités réglementaires nationales de la Communauté européenne en date du 27 juin 2005 ;

Vu les observations de la Commission européenne en date du 26 juillet 2005, reçues à l'Autorité le 27 juillet 2005 ;

Après en avoir délibéré le 28 juillet 2005,



I. - INTRODUCTION


L'objet de la présente décision est de définir le cadre de régulation ex ante des offres d'accès large bande livrées au niveau national. Il s'agit notamment des offres de France Télécom de plus haut niveau sur les marchés de gros du haut débit. Elles sont utilisées par les opérateurs et fournisseurs d'accès à Internet alternatifs, en complément du dégroupage et des offres d'accès large bande livrées au niveau régional, afin de fournir une prestation d'accès haut débit sur le marché de détail. Le cadre défini par la présente décision pourra être révisé, conformément au code des postes et des communications électroniques, si les conditions de marché le justifient.

Dans un premier temps, l'objet de la présente décision est la délimitation du périmètre du marché des offres de gros d'accès large bande livrées au niveau national, en termes de services et en termes géographiques. Dans un deuxième temps, elle vise également à analyser l'état de la concurrence et son évolution prévisible sur le marché afin de désigner, le cas échéant, le ou les opérateurs y exerçant une influence significative. Enfin, elle porte sur la détermination des obligations imposées à France Télécom, en tant qu'opérateur exerçant une influence significative sur le marché pertinent des offres de gros d'accès large bande livrées au niveau national.


I-A. - Contexte et objectifs de la régulation sectorielle


Les objectifs de la régulation sectorielle du secteur des communications électroniques découlent des objectifs fixés par le Conseil européen de Lisbonne en mars 2000, des orientations de la loi pour la confiance dans l'économie numérique, et plus particulièrement des objectifs de régulation imposés par l'article L. 32-1 II du code des postes et des communications électroniques.

D'une manière générale, la régulation du haut débit vise à la poursuite du développement de la société de l'information, notamment à travers l'augmentation du taux de pénétration du haut débit, en ce qu'il procure un accès aux savoirs et aux contenus mis en ligne et qu'il renforce les capacités de communication des individus et des entreprises.

Le moyen privilégié pour atteindre cet objectif est le développement d'une concurrence effective et loyale, fondée sur les réseaux et l'innovation technologique, permettant à la fois une diversification des services proposés aux clients finals et une baisse progressive des tarifs de détail. Le principal vecteur de cette concurrence, qui doit être privilégié à court et moyen terme, est le dégroupage, qui permet aux opérateurs alternatifs de déployer leur réseau de fibre et d'accéder à la boucle locale cuivre de l'opérateur historique.

Le dégroupage concerne à mi-2005 environ la moitié des lignes principales des ménages et des entreprises, localisées sur moins d'une dizaine de pourcents du territoire. L'extension de cette couverture est un enjeu prioritaire et urgent. Le rythme de croissance du marché du haut débit tendra à se ralentir progressivement, et les déploiements réalisés à court terme seront donc structurellement plus faciles à rentabiliser que ceux effectués dans plusieurs années.

Les exemples français et européens de fonctionnement des marchés du haut débit sur ADSL ont montré que le développement de la concurrence et le déploiement de réseaux alternatifs à ceux de l'opérateur historique reposaient sur deux piliers distincts :

- d'une part, la régulation de l'accès, c'est-à-dire la capacité des opérateurs alternatifs à accéder à la paire de cuivre dégroupée en zone dense et à des offres de gros large bande livrées au niveau régional et infrarégional en zones moins denses dans des conditions efficaces, transparentes et non discriminatoires ;

- d'autre part, l'absence de pratiques anticoncurrentielles de l'opérateur historique, qui dispose des ressources techniques et financières pour évincer ses concurrents ou à tout le moins limiter la rentabilité de leurs investissements dans les réseaux et donc limiter leurs déploiements.

Durant les cinq dernières années (cf. parties II-D-2 et VI ci-dessous), d'éventuelles pratiques anticoncurrentielles de l'opérateur historique ont été découragées ou, le cas échéant, détectées et corrigées, par le fait que Wanadoo avait été filialisée et par un mécanisme d'homologation tarifaire de l'offre « IP/ADSL » de France Télécom, dite « option 5 », que France Télécom vendait à sa filiale et aux autres fournisseurs d'accès à Internet.

La réintégration de Wanadoo a conduit à une perte de visibilité du régulateur sectoriel mais également des autorités de concurrence sur les conditions et niveaux tarifaires des cessions internes à France Télécom. Il ne saurait ainsi être exclu à ce stade que ces cessions internes soient effectuées à des conditions non réplicables par les opérateurs alternatifs. De fait, depuis un an, les parts de marché de Wanadoo augmentent tendanciellement, et plusieurs acteurs alternatifs majeurs ont choisi de limiter leurs offres aux seuls zones denses.

Dans ce contexte, l'Autorité conduit la présente analyse du marché de gros des offres d'accès large bande livrées au niveau national et conclut :

- que le marché est pertinent au sens de la régulation sectorielle, analyse qui a par ailleurs été validée par le Conseil de la concurrence dans son avis no 05-A-03 en date du 31 janvier 2005 ;

- que France Télécom y exerce une influence significative, due notamment aux effets d'échelle dont il bénéficie et à son intégration verticale lui permettant de faire jouer des effets leviers entre les différents marchés de détail et de gros ;

- que l'obligation d'homologation tarifaire en vigueur dans l'ancien cadre peut être levée pour passer à une logique de contrôle a posteriori des tarifs de l'opérateur historique ;

- qu'il est nécessaire en revanche que France Télécom formalise ses conditions de cessions internes entre la branche réseau et la branche services sous forme d'un protocole ; qu'elle transmette ce protocole à l'Autorité et le tienne, le cas échéant, à disposition des autorités de concurrence.

Ce dispositif vise à alléger significativement le cadre réglementaire précédemment en vigueur, France Télécom retrouvant notamment sa liberté tarifaire sans contrôle a priori ou homologation. Il permet de maintenir un mécanisme transitoire de transparence, visant à décourager d'éventuels comportement anticoncurrentiels de l'opérateur historique, et, le cas échéant, à les détecter.

La présente analyse de marché est adoptée pour une durée d'un an, mais pourra être revue avant terme si les conditions de marché venaient à évoluer significativement sur la période.


I-B. - Processus d'analyse des marchés


Conformément à l'article L. 37-1 du code des postes et des communications électroniques, l'Autorité est en charge de la détermination des marchés du secteur des communications électroniques pertinents, susceptibles d'être soumis à une régulation ex ante. Elle conduit une analyse concurrentielle de ces marchés, et désigne le ou les opérateurs réputés exercer une influence significative sur ces marchés. Conformément à l'article L. 37-2, l'Autorité fixe ensuite en les motivant la liste des obligations imposées à ce ou ces opérateurs.

Conformément à l'article D. 301 du même code, l'Autorité a publié le 23 juin 2004 un document de consultation intitulé « Consultation publique sur l'analyse des marchés du haut débit ». Dans ce document, après avoir analysé la situation concurrentielle prévalant sur chacun des marchés de détail et de gros du haut débit, l'Autorité a proposé une délimitation des marchés pertinents. Elle a ainsi proposé une définition du marché du dégroupage de la boucle locale, ainsi que des marchés de gros des offres d'accès large bande livrées aux niveaux régional et national. Sur chacun de ces marchés, l'Autorité a mené une analyse conduisant à la détermination de l'entreprise exerçant une influence significative sur le marché, et a soumis à consultation une liste d'obligations qu'elle estimait proportionné et justifié d'imposer à cette entreprise.

Le 5 octobre 2004, l'Autorité a lancé une consultation additionnelle relative au marché des offres de gros d'accès large bande livrées au niveau national.

Le 5 novembre 2004, après avoir pris en compte l'ensemble des contributions adressées par les acteurs à l'occasion des deux consultations précitées, elle a transmis pour avis au Conseil de la concurrence, dans le respect des dispositions de l'article L. 37-1 du code des postes et des communications électroniques, les documents d'analyse correspondant au marché de gros des offres d'accès large bande livrées au niveau national.

Le 13 avril 2005, l'Autorité a soumis à une nouvelle consultation publique un projet de décision relatif aux obligations pouvant être imposées à France Télécom, en tant qu'opérateur exerçant une influence significative sur le marché pertinent des offres de gros d'accès large bande livrées au niveau national. Après avoir pris en compte l'ensemble des contributions reçues, l'Autorité a établi un projet de décision en vue de sa notification à la Commission européenne le 27 juin 2005, ainsi qu'aux autorités réglementaires compétentes des autres Etats membres de l'Union européenne. Ce projet a également été soumis en parallèle à consultation publique du 27 juin au 27 juillet 2005.

Les régulateurs des autres Etats membres n'ont pas émis de commentaires sur cette notification. La Commission a adressé à l'Autorité une lettre formulant des observations décrites en partie V. Elles ont conduit l'Autorité à préciser son analyse sur certains points et à en modifier la durée de validité.

Enfin, l'Autorité a reçu des contributions en réponse à la consultation publique menée en parallèle de cette notification. Ces contributions n'ont pas mis en évidence de faits nouveaux par rapport aux éléments transmis par les acteurs à l'occasion des précédentes consultations publiques, et n'ont ainsi pas mené l'Autorité à faire évoluer sensiblement son analyse.


I-C. - Durée d'application de la décision


Conformément aux prescriptions de l'article D. 301 du code des postes et des communications électroniques, l'inscription d'un marché sur la liste de l'ensemble des marchés pertinents « est prononcée pour une durée maximale de trois ans ». L'Autorité doit réviser cette liste, de sa propre initiative « lorsque l'évolution de ce marché le justifie », ou encore « dès que possible après la modification de la recommandation de la Commission européenne » C(2003)497 du 11 février 2003 susvisée.

En outre, en vertu des articles D. 302 et D. 303 du même code, les décisions déterminant l'existence d'une influence significative et imposant les obligations sont réexaminées dans les mêmes conditions.

La présente décision s'applique pour une durée d'un an à compter du jour de sa notification à France Télécom après publication au Journal officiel de la République française.

La Commission souligne, au point 63 des lignes directrices 2002/C 165/03 du 11 juillet 2002 susvisées, que « dans un secteur caractérisé par l'innovation constante et une convergence technologique rapide, toute définition d'un marché actuellement en vigueur risque de devenir inexacte ou désuète dans un proche avenir ».

Il en résulte que, si les évolutions des caractéristiques du marché le justifiaient, l'Autorité réexaminerait pendant cette période le marché de gros des offres d'accès large bande livrées au niveau national et pourrait, le cas échéant, être amenée à prendre une nouvelle décision.


I-D. - Cadre d'analyse et définition des termes employés

I-D-1. Sur les marchés de détail


On entend par « offres d'accès large bande » ou « offres d'accès haut débit » les offres d'accès dont le débit nominal est supérieur ou égal à 128 kbit/s, quels que soient le ou les services proposés à partir de cet accès.

Ces offres se distinguent des offres d'accès bas débit, en ce qu'elles proposent une bande passante supérieure et permettent l'usage simultané du service téléphonique classique.

Plusieurs technologies d'accès large bande sont disponibles en France. La plus répandue est le DSL avec 7,2 millions d'abonnés au 31 mars 2005 (1), suivie par le câble qui comptait environ 450 000 abonnés (2) au 1er janvier 2005. D'autres supports peuvent également être utilisés, comme les réseaux hertziens utilisant des technologies de type RLAN (WiFi), la boucle locale radio, les réseaux de satellites ou encore le réseau de distribution électrique (courants porteurs en ligne) ; le nombre d'accès large bande fondés sur ces technologies reste à ce jour limité à quelques milliers d'accès selon le dernier observatoire du marché de l'Internet publié par l'Autorité (3).

Les offres de détail d'accès large bande peuvent se limiter au seul accès à Internet ou donner accès à une palette de services multimédias comprenant, outre l'accès à Internet, des services diversifiés tels que la téléphonie, la visiophonie, l'accès télévisuel, la vidéo à la demande, dans le cadre de bouquets multiservices.

Les opérateurs et fournisseurs de services proposent aujourd'hui des offres d'accès large bande avec des déclinaisons adaptées à la clientèle résidentielle et à la clientèle professionnelle. Des services spécifiques sont commercialisés en faveur de cette dernière, notamment en termes de débits (débits élevés et garantis, connexions symétriques), de niveau de qualité de service (temps d'intervention et de rétablissement garanti), de protocoles (IP, ATM, Ethernet).


(1) Source : France Télécom, communiqué de presse du 28 avril 2005. (2) Source : ARCEP, observatoire du marché de l'Internet, 3e trimestre 2004. (3) Source : ARCEP, observatoire du marché de l'Internet, 3e trimestre 2004.

I-D-2. Sur le marché de gros


Les offres de gros d'accès large bande sont les offres destinées à des opérateurs, qui leur permettent de proposer sur le marché de détail des offres d'accès large bande telles que définies ci-avant.


I-D-2-a. Description de la chaîne de valeur du haut débit


L'ensemble des accès large bande DSL produits par les opérateurs est destiné à être commercialisé in fine sur le marché de détail, résidentiel et professionnel.

Quel que soit l'opérateur, la chaîne de valeur du haut débit est constituée de la boucle locale, équipée pour le DSL, à laquelle s'ajoutent plusieurs composantes :

- une prestation de collecte depuis le DSLAM jusqu'à un niveau régional ;

- une prestation de collecte depuis un niveau régional jusqu'à un point national ;

- dans le cas où la prestation fournie est l'accès à Internet, une prestation de connectivité Internet.

Un accès large bande DSL produit par un opérateur donné, à savoir l'opérateur qui possède la boucle locale ou un opérateur ayant recours au dégroupage, peut être :

- vendu sur le marché de détail par ce même opérateur, qui contrôle alors le produit de bout en bout ; ou bien

- cédé à un autre opérateur ou fournisseur d'accès à Internet à un niveau intermédiaire de la chaîne de valeur. Ce niveau intermédiaire peut être régional ou bien national.


I-D-2-b. Les offres d'accès large bande

livrées au niveau national


On entend par « point de livraison national » un point dont la zone arrière est l'ensemble du territoire national et au niveau duquel un fournisseur d'accès à Internet peut se faire livrer la totalité des flux de ses clients, de métropole ou des départements d'outre-mer.

L'Autorité constate que plusieurs types d'offres de gros d'accès large bande actuellement proposées en France correspondent à cette définition et doivent donc être considérés comme des offres d'accès large bande livrées au niveau national, à savoir les offres permettant de prendre livraison des flux haut débit à un niveau national en mode IP d'une part et en mode ATM d'autre part. L'offre de gros d'accès large bande livrée au niveau national de France Télécom la plus répandue est livrée en mode IP. Il s'agit de l'offre IP/ADSL national. Elle est utilisée par plusieurs dizaines de clients opérateurs. L'offre de gros d'accès large bande livrée au niveau national en ATM de France Télécom est de type Turbo DSL national. Nettement moins d'opérateurs sont clients de cette offre.

Plusieurs opérateurs alternatifs construisent des offres similaires, concurrentes de celles de France Télécom, à partir du dégroupage ou des offres de gros d'accès large bande livrées au niveau régional.


I-D-2-c. Lien avec la recommandation


Le marché du dégroupage de la boucle locale correspond au onzième marché listé par la Commission dans sa recommandation « marchés pertinents ».

Les accès cédés au niveau régional sont inclus dans le marché des offres de gros d'accès large bande livrées au niveau régional qui correspond au douzième marché listé par la Commission.

En revanche, le marché des offres d'accès large bande livrées au niveau national ne correspond à aucun des marchés listés par la Commission.

Par conséquent, l'analyse qui suit proposera d'examiner, après l'étape de la délimitation du périmètre du marché des offres de gros d'accès large bande livrées au niveau national, la pertinence d'une régulation ex ante de ce marché, au moyen des trois critères définis par la Commission dans sa recommandation sur les marchés pertinents susvisée.


II. - ANALYSE DE L'AUTORITÉ

QUANT À LA DÉLIMITATION DU MARCHÉ PERTINENT

II-A. - Délimitation du marché en termes de produits et services

II-A-1. Principes


La délimitation des marchés du point de vue des services repose sur l'analyse de :

- la substituabilité du côté de la demande : deux produits appartiennent à un même marché s'ils sont suffisamment « interchangeables » (4) pour leurs utilisateurs, notamment du point de vue de l'usage qui est fait des produits et services, de leurs caractéristiques, de leur tarification, de leurs conditions de distribution, des coûts de « migration » d'un produit vers l'autre. Afin d'apprécier cette notion d'interchangeabilité, l'analyse doit entre autres prouver que la substitution entre les deux produits est rapide (5) et doit prendre en compte les « coûts d'adaptation » (6) qui en découlent ;

- la substituabilité du côté de l'offre : la substituabilité du côté de l'offre est caractérisée lorsqu'un opérateur qui n'est pas actuellement présent sur un marché donné est susceptible d'y entrer rapidement en réponse à une augmentation du prix des produits qui y sont vendus.

Pour établir l'existence d'une éventuelle substituabilité du côté de la demande ou de l'offre, l'analyse peut impliquer la mise en oeuvre de la méthode dite du « test du monopoleur hypothétique », ainsi que le suggèrent les lignes directrices de la Commission (7). Ce test consiste à étudier les effets qu'aurait sur la demande une augmentation légère mais durable des prix d'un service (5 à 10 % par exemple), de manière à déterminer s'il existe des services considérés comme substituables par les demandeurs vers lesquels ils sont susceptibles de s'orienter. Ce test doit être appliqué jusqu'à ce qu'il puisse être établi qu'une augmentation des prix relatifs à l'intérieur des marchés géographiques et de produits définis ne conduira pas les consommateurs à opter pour des substituts directement disponibles ou à s'adresser à des fournisseurs établis sur d'autres territoires. Ainsi que le mentionnent les lignes directrices, l'utilité essentielle de cet outil réside dans son caractère conceptuel ; sa mise en oeuvre n'implique pas une étude économétrique systématique poussée.

Conformément au point 5 des lignes directrices, l'Autorité se référera aux « principes et [aux] méthodes du droit de la concurrence pour définir les marchés qui devront être soumis à une réglementation ex ante ».


(4) Point 51 des lignes directrices. (5) Point 49 des lignes directrices. (6) Point 50 des lignes directrices. (7) Point 40 de ces lignes directrices.

II-A-2. Analyse de substituabilité


Afin de délimiter le contour du marché, l'Autorité étudiera le degré de substituabilité entre :

- les offres de gros d'accès large bande DSL et les offres de gros d'accès large bande fondées sur les technologies alternatives ;

- les offres de gros d'accès large bande DSL livrées au niveau national et les offres d'accès large bande livrées au niveau régional ;

- les offres de gros d'accès large bande livrées au niveau national destinées in fine à la clientèle résidentielle et celles destinées in fine à la clientèle professionnelle ;

- les différentes offres de gros d'accès large bande livrées au niveau national, selon l'interface de livraison utilisée.


II-A-2-a. Substituabilité avec les offres de gros d'accès

large bande fondées sur les technologies alternatives

II-A-2-a (i) Le câble


Du côté de l'offre, les câblo-opérateurs, qui ne sont aujourd'hui pas présents sur le marché de gros des offres d'accès large bande livrées au niveau national, devraient pour y entrer en réponse à une augmentation faible mais durable des prix des offres similaires fondées sur la technologie DSL consentir des investissements importants qui ne sont pas réalisables à l'horizon de cette analyse.

Les câblo-opérateurs n'ont d'ailleurs pas proposé d'offres de gros d'accès large bande par le passé, alors même qu'entre 1999 et 2002 France Télécom commercialisait ses accès large bande sur le marché de gros à un niveau tarifaire sensiblement supérieur aux niveaux actuels.

Ainsi, l'Autorité considère qu'une variation de quelques points de pourcentage des tarifs des offres de gros d'accès large bande n'est pas de nature à susciter l'apparition, à moyen terme, d'offres de gros proposées sur les réseaux câblés.

Par ailleurs, les réseaux câblés, morcelés, couvrent potentiellement 25 % (8) de la population en haut débit, alors que l'infrastructure DSL couvre, selon France Télécom (9), 90 % de la population à la fin de l'année 2004.

Du côté de la demande, la substitution d'un produit de gros d'accès large bande DSL par un produit de gros d'accès large bande par câble est difficile, en particulier en raison de la différence sensible en termes de couverture géographique.

Dans sa recommandation susvisée, la Commission recommande aux autorités réglementaires nationales d'inclure dans le marché de gros de l'accès large bande des technologies alternatives au DSL sur paire de cuivre « si et quand elles offrent des ressources équivalentes » (10). En l'espèce, du point de vue du marché de gros, le câble n'offre pas de ressources équivalentes au DSL.

L'Autorité estime ainsi que les offres d'accès large bande par câble ne sont pas et ne seront pas substituables aux offres d'accès large bande DSL à l'horizon de l'analyse. Il convient, en conséquence, de les exclure du périmètre du marché.


(8) Source AFORM, communiqué du 4 mai 2004 : 6,3 millions de prises Internet commercialisables rapportées à 25 millions de foyers. (9) Communiqué de presse du 13 septembre 2004 de France Télécom. (10) Annexe de la recommandation de la Commission susvisée.


II-A-2-a (ii) Les autres technologies d'accès


Des offres d'accès large bande peuvent être proposées par l'intermédiaire du satellite, des technologies hertziennes (boucle locale radio ou WiFi) ou encore des courants porteurs en ligne sur les réseaux électriques.

Sans préjuger de la substituabilité technique entre des offres de gros élaborées à partir de ces technologies d'accès et celles élaborées via la technologie DSL, l'Autorité relève que le nombre d'accès commercialisés à partir de ces technologies sur les marchés de détail représente moins de 1 % des accès haut débit commercialisés en France (11). L'Autorité en conclut que ces technologies n'offrent pas des ressources équivalentes au réseau d'accès cuivre.

Les offres d'accès large bande proposées par le satellite, le WiFi, la boucle locale radio et les courants porteurs en ligne ne sont pas et ne seront pas substituables aux offres d'accès large bande DSL à l'horizon de cette analyse. Une telle substituabilité nécessiterait des investissements élevés, qui par ailleurs ne pourraient être réalisés et avoir un impact significatif sur le marché avant plusieurs années. Ces technologies d'accès doivent en conséquence être exclues du périmètre du marché.

La présente décision portera donc sur les seules offres d'accès large bande DSL.


(11) Source : ARCEP, observatoire du marché de l'internet, 3e trimestre 2004.

II-A-2-b. Substituabilité avec les offres de gros

d'accès large bande livrées au niveau régional


Si elle constate actuellement une certaine substituabilité du côté de la demande, entre les offres livrées au niveau national et les offres livrées au niveau régional, l'Autorité considère que cette substituabilité est très partielle. D'une part, la problématique n'est pertinente que pour des opérateurs de réseaux et, d'autre part, seule la substituabilité d'une offre d'accès livrée au niveau national par une offre d'accès livrée au niveau régional est pertinente. Ainsi la substituabilité du côté de la demande des acteurs sur le marché de gros revêt un caractère à la fois partiel et asymétrique.

En effet, si, en Ile-de-France, l'identité des points de collecte entre offres livrées au niveau régional et offres livrées au niveau national conduit les opérateurs à effectuer un simple arbitrage tarifaire entre les deux types d'offres, il convient, pour le reste du territoire national, de distinguer la situation des opérateurs ayant déployé un réseau à l'échelle nationale de celle des fournisseurs d'accès à internet ne disposant pas de réseau.


II-A-2-b (i) Situation des fournisseurs d'accès à internet


Pour ces acteurs, les coûts de migration d'une offre livrée au niveau national vers une offre livrée au niveau régional correspondent aux investissements que doit consentir un opérateur pour déployer un réseau à l'échelle nationale (reliant a minima une vingtaine de points).

Ce déploiement se traduit essentiellement par du génie civil ou de la location de fibre. L'Autorité estime que le montant des investissements correspondants est compris entre 150 et 300 millions d'euros.

L'Autorité en déduit qu'une augmentation faible mais durable du prix des offres de gros livrées au niveau national ne serait pas suffisamment dissuasive pour modifier la stratégie d'un fournisseur d'accès à Internet qui n'aurait jusqu'alors pas déployé son propre réseau. De ce point de vue, les deux offres ne sont donc pas substituables.


II-A-2-b (ii) Situation des opérateurs disposant d'un réseau

suffisamment capillaire : une substituabilité asymétrique


Pour ces acteurs, qui ont déjà déployé un réseau de dimension nationale, les coûts de substitution d'une offre livrée au niveau national par une offre livrée au niveau régional sont peu élevés et le choix entre ces deux offres peut résulter principalement d'un arbitrage tarifaire. Ainsi, depuis le début de l'année 2004, le nombre de substitutions d'une offre livrée au niveau national par une offre livrée au niveau régional croît de manière significative : plusieurs centaines de milliers d'accès qui étaient livrés au niveau national en début d'année ont été concernés.

Cette tendance résulte de la récente amélioration des conditions techniques, tarifaires et opérationnelles de l'offre ADSL Connect ATM de France Télécom et de l'introduction en février 2004 de l'offre IP/ADSL régionale de France Télécom.

Dans la mesure où des offres suffisamment attractives existent sur le marché de gros des offres d'accès large bande livrées au niveau régional, l'Autorité estime que les opérateurs sont fortement incités à avoir recours à ce type d'offres. D'une part, les offres collectées au niveau régional par les opérateurs leur permettent d'utiliser les infrastructures qu'ils détiennent en propre et de rentabiliser ainsi leurs investissements. D'autre part, la collecte au niveau régional est de nature à éviter une concentration du trafic en un unique point national.

A l'inverse, aucun opérateur ne procède à la substitution d'une offre livrée au niveau régional par une offre livrée au niveau national et une telle substitution est peu probable à l'horizon de cette analyse. En effet, un opérateur qui désirerait ne pas utiliser son réseau propre une fois celui-ci déployé et raccordé aux points régionaux de France Télécom supporterait un coût d'opportunité élevé à ne pas l'utiliser et à se fournir à travers l'offre, plus chère, livrée au niveau national d'un autre opérateur, dans la mesure où le coût marginal du mégabit collecté sur un réseau déjà déployé est faible.

L'Autorité relève ainsi que, pour les opérateurs disposant d'un réseau suffisamment capillaire, la substituabilité entre offres livrées au niveau régional et offres livrées au niveau national est asymétrique.

En outre, il convient de souligner que les offres livrées au niveau régional permettent aux opérateurs alternatifs de proposer des offres différenciées, notamment de voix, sur le marché de détail, contrairement aux offres livrées au niveau national, destinées à être revendues par un fournisseur d'accès à Internet.

Ainsi, la substitution observée actuellement entre offres livrées au niveau national et offres livrées au niveau régional est limitée intrinsèquement à une partie des acheteurs de l'offre livrée au niveau national d'une part, et, d'autre part, cette substitution est asymétrique, de l'offre livrée au niveau national vers l'offre livrée au niveau régional. Enfin, les deux types d'offres, livrées aux niveaux national et régional, ne présentent pas les mêmes fonctionnalités pour les opérateurs. L'offre livrée au niveau régional est plus attractive dans la mesure où elle confère aux opérateurs y ayant recours une marge de manoeuvre supérieure dans la formulation d'offres différenciées sur le marché de détail.

L'Autorité en conclut que ces deux types d'offres ne présentent pas un degré de substituabilité suffisant pour être intégrés dans le même marché.


II-A-2-c. Clientèle résidentielle et clientèle professionnelle


Les offres de gros d'accès large bande livrées au niveau national permettant à un fournisseur d'accès à internet de desservir sur le marché de détail la clientèle résidentielle et celles permettant de desservir la clientèle professionnelle sont très proches sur les plans technique et structurel. Les réseaux et les équipements techniques impliqués sont principalement les mêmes, la différenciation s'effectuant au moyen de paramétrages techniques propres aux besoins des clients professionnels : accès symétrique, débit garanti, qualité de service accrue, garantie de temps de rétablissement. S'ils ont un impact à la hausse sur les coûts d'exploitation des accès, ces paramétrages techniques n'induisent pas de fortes dépenses d'investissement de la part de l'opérateur.

La commercialisation d'offres de gros destinées in fine au marché professionnel peut se faire à coût marginal dès lors qu'une offre à destination du marché résidentiel est disponible, et réciproquement. Ces deux prestations bénéficient donc l'une et l'autre d'économies d'envergure substantielles.

Ainsi, du côté de l'offre, il existe une forte substituabilité entre les offres destinées aux clientèles résidentielle et professionnelle.

Du point de vue de la demande sur le marché de détail, il s'établit un continuum de la demande résidentielle vers la demande professionnelle. Les besoins des petites entreprises sont généralement plus proches de ceux des résidentiels que de ceux des très grandes entreprises. Ainsi, les clients résidentiels vont utiliser des offres à débit non garanti de 128 kbit/s à quelques mégabits par seconde avec une garantie de temps de rétablissement (ou GTR) standard de 48 heures, les petites entreprises peuvent se satisfaire de débits similaires mais souhaiter une GTR plus brève, de 4 heures par exemple, alors que les plus grandes entreprises souhaiteront des débits garantis et une GTR de 4 heures. Du point de vue de la demande sur le marché de gros, les opérateurs répercutent ces spécificités auprès de leur fournisseur. Il en résulte donc un même continuum, en termes de débit et en termes de qualité de service, directement dérivé de celui observé sur le marché de détail.

En outre, la collecte par les opérateurs alternatifs des trafics issus des offres professionnelles et résidentielles s'opère à partir des mêmes points de raccordement et sur le même réseau.

Les offres de gros d'accès large bande livrées au niveau national destinées à la clientèle professionnelle et celles destinées à la clientèle résidentielle présentent ainsi un degré de substituabilité élevé du côté de l'offre et un degré de substituabilité significatif du côté de la demande.

L'Autorité considère donc que ces deux offres appartiennent au même marché.


II-A-2-d. Interfaces de livraison


L'Autorité constate qu'il existe à ce jour deux interfaces principalement utilisées pour la livraison d'accès large bande au niveau national. Il s'agit d'une part de la livraison en ATM, qui a initialement été mise en place pour permettre l'élaboration d'offres sur le marché professionnel, et, d'autre part, de la livraison en IP, que ses caractéristiques techniques rendent plutôt adaptée à l'élaboration d'offres sur le marché résidentiel.

Le respect du principe de neutralité technologique est défini comme un objectif de régulation en vertu de l'article L. 32-1-II(13°) du code des postes et des communications électroniques. Les choix technologiques font partie intégrante de l'efficacité des opérateurs, donc de leur capacité à conquérir de nouveaux clients.

Afin de respecter ce principe, il convient d'inclure dans le même marché l'ensemble des offres de gros d'accès large bande livrées au niveau national, quelles que soient les interfaces de livraison mises en oeuvre et, en particulier, les interfaces les plus couramment utilisées à ce jour, à savoir IP et ATM.


II-B. - Délimitation géographique du marché

II-B-1. Principes


Il est rappelé au point 56 des lignes directrices susvisées que, « selon une jurisprudence constante, le marché géographique pertinent peut être défini comme le territoire sur lequel les entreprises concernées sont engagées dans la fourniture ou la demande des produits ou services pertinents, où elles sont exposées à des conditions de concurrence similaires ou suffisamment homogènes et qui se distingue des territoires voisins sur lesquels les conditions de concurrence sont sensiblement différentes ».

La Commission précise au point 59 des lignes directrices susvisées que, dans le secteur des communications électroniques, la portée géographique du marché pertinent est traditionnellement déterminée par référence à deux critères principaux qui permettent de procéder à la délimitation géographique des marchés de communications électroniques : le territoire couvert par les réseaux, d'une part, et l'existence d'instruments de nature juridique conduisant à distinguer telle ou telle zone géographique ou, au contraire, à considérer que le marché est de dimension nationale, d'autre part.

Par ailleurs, cette analyse doit être menée dans une approche prospective. S'agissant des marchés de gros sous-jacents aux services de communications électroniques fixes, le critère de substituabilité du côté de la demande est peu pertinent pour déterminer l'étendue géographique d'un marché : un opérateur cherchant à acheter un produit de gros pour desservir un client donné situé dans une zone géographique donnée ne peut acheter un produit de gros dont l'accès est situé sur une zone géographique distincte. Il choisira plutôt d'acheter une offre de gros à un niveau supérieur, en l'espèce une offre livrée au niveau national si sa demande n'est pas satisfaite pour une livraison au niveau régional dans une zone donnée.

Ainsi, c'est le critère de substituabilité du côté de l'offre qui primera dans l'analyse. Plus précisément, en se référant aux lignes directrices de la Commission, il conviendra de déterminer si des opérateurs qui ne sont pas encore présents sur une zone géographique donnée mais le sont sur une autre zone géographique feront le choix d'y entrer à court terme en cas d'augmentation des prix relatifs. Dans ce cas, la définition du marché doit être étendue à la zone sur laquelle sont présents ces opérateurs.


II-B-2. Cas particulier de Saint-Pierre-et-Miquelon


L'Autorité constate que France Télécom possède et opère un réseau d'accès cuivre en situation de quasi-monopole, détenant plus de 99 % des paires de cuivre en France, et couvrant l'intégralité des territoires de la métropole, des départements d'outre-mer et de Mayotte, à l'exception de Saint-Pierre-et-Miquelon. Ainsi, les conditions de concurrence apparaissent homogènes sur ce marché à l'échelle nationale, à l'exception de Saint-Pierre-et-Miquelon.

Saint-Pierre-et-Miquelon est une collectivité territoriale d'outre-mer de la République française. La réglementation communautaire n'y est pas applicable, mais elle entre dans le périmètre couvert par le code des postes et des communications électroniques.

L'Autorité note que sur le territoire de Saint-Pierre-et-Miquelon, la boucle locale est possédée par SPM Télécom, filiale du groupe France Télécom.

Tenant compte de la jurisprudence communautaire qui se réfère notamment au territoire couvert par un réseau pour délimiter la dimension géographique des marchés pertinents, l'Autorité distingue deux zones géographiques : d'une part, le territoire composé de la Métropole, des départements d'outre-mer et de Mayotte, et, d'autre part, Saint-Pierre-et-Miquelon.

La présente décision traite par défaut de la zone géographique correspondant au territoire métropolitain, aux départements d'outre-mer et à Mayotte. Le cas de Saint-Pierre-et-Miquelon sera traité dans une décision ultérieure de l'Autorité.


II-B-3. Le déploiement et l'extension des réseaux


Si l'on considère le marché des offres de gros d'accès large bande livrées au niveau national, trois ensembles géographiques peuvent être mis en évidence :

- une zone où plusieurs opérateurs sont en mesure de proposer des offres, qui correspond aux zones dégroupées ;

- une zone où seule France Télécom est en mesure de proposer des offres ;

- une zone où aucun opérateur ne propose d'offres DSL.

Chacune de ces zones est très morcelée sur le territoire : une « zone » n'est pas une surface connexe, mais l'union de multiples poches. Pour prendre l'exemple du dégroupage, elle correspond actuellement à environ 130 agglomérations (12).

Dans une approche dynamique, les frontières de ces zones ne sont pas fixes. Pour une agglomération donnée, le déploiement du DSL s'effectue progressivement depuis le centre-ville vers la proche banlieue. De même, de nouvelles agglomérations sont au fur et à mesure ouvertes au DSL, correspondant à de nouvelles zones disjointes des premières.

De manière générale, France Télécom ainsi que les opérateurs alternatifs ayant recours au dégroupage poursuivent une stratégie d'expansion tendant à une couverture maximale du territoire national, même si leurs investissements dans le DSL ne peuvent être que progressifs.

Si on résume les zones respectives de couverture DSL de France Télécom et du dégroupage au pourcentage de la population auquel elles correspondent, leur périmètre sur les quatre dernières années a été le suivant :

Source : communiqués de France Télécom (couverture des offres de gros DSL de France Télécom), estimations ARCEP sur la base d'éléments transmis par les opérateurs alternatifs (couverture du dégroupage).





Vous pouvez consulter le tableau dans le JO

n° 212 du 11/09/2005 texte numéro 37



L'évolution de ces zones dans les mois et les années à venir est encore incertaine.

Concernant tout d'abord la couverture ADSL de France Télécom, cette dernière a annoncé être en mesure de couvrir 90 % de la population fin 2004, 96 % de la population fin 2005 et souhaite équiper en DSL l'ensemble de ses répartiteurs dans le courant de l'année 2006.

Concernant par ailleurs le déploiement du dégroupage, aucune annonce officielle n'a été à ce jour effectuée par les opérateurs.

On peut anticiper que le dégroupage restera limité à une zone moins étendue que le réseau DSL de France Télécom, à horizon de l'analyse. En effet, le dégroupage présente plusieurs années de retard sur le déploiement DSL de France Télécom. En outre, pour étendre le dégroupage, les opérateurs doivent consentir des investissements lourds et nécessairement très progressifs. Enfin, sur les plus petits sites, les effets d'échelle sont trop réduits pour un opérateur alternatif pour assurer la rentabilité des investissements correspondants.

Au-delà de ce constat, la définition d'une frontière précise et pérenne aux zones dégroupées, valable à l'horizon de l'analyse, n'est pas réalisable.

En effet, le dégroupage s'étend progressivement, répartiteur par répartiteur. Le choix que font les opérateurs d'étendre leur couverture à un répartiteur supplémentaire se fonde sur trois principaux facteurs :

- la clientèle potentielle attachée à ce répartiteur, et donc sa taille, en nombre de lignes ;

- le coût de raccordement de ce répartiteur, et donc sa distance au réseau de l'opérateur ;

- le coût d'équipement de ce répartiteur, et donc notamment le niveau des tarifs de l'offre de France Télécom pour les prestations liées au dégroupage.

En parallèle, l'intervention des collectivités territoriales dans le paysage du haut débit pourrait contribuer à moyen terme à soutenir l'expansion du dégroupage, en particulier dans des zones moins denses que celles qui sont naturellement servies dans un premier temps par les opérateurs. Ainsi, le déploiement du dégroupage pourrait donc aussi se faire sur la période d'analyse selon de nouveaux critères, tout un département, par exemple, pouvant être couvert en dégroupage, suite à l'intervention des collectivités locales, et ce sans considération de taille ou de distance des répartiteurs aux réseaux des opérateurs.

Au regard de la multiplicité des facteurs entrant en ligne de compte, le degré de détail de l'analyse géographique menée par chaque opérateur dans sa politique d'extension, la nouveauté représentée par l'intervention des collectivités territoriales, et le caractère morcelé des zones de dégroupage, il n'apparaît pas réaliste d'anticiper d'ores et déjà une frontière du dégroupage, valable et pertinente sur toute la période d'analyse.

Ainsi, le critère de développement des réseaux, du fait de son évolutivité rapide et de la nécessaire approche prospective que doit revêtir la délimitation du marché, ne permet pas de déterminer à ce stade une éventuelle partition du territoire national en deux ou plusieurs sous-marchés distincts, valide à l'horizon de l'analyse pour la régulation ex ante.

L'Autorité estime donc que le périmètre géographique du marché de gros des offres d'accès large bande livrées au niveau national correspond au territoire métropolitain, aux départements d'outre-mer et à Mayotte.


(12) Source : tableau de bord du dégroupage, ARCEP, 15 janvier 2005.

II-C. - Conclusion sur le périmètre du marché


Au vu de l'analyse qui précède, l'Autorité exclut du périmètre du marché les offres suivantes :

- les offres d'accès large bande proposées par le câble ou les technologies d'accès alternatives au DSL ;

- les offres de gros d'accès large bande livrées au niveau régional.

Par ailleurs, l'Autorité considère qu'appartiennent au même marché les offres de gros d'accès large bande livrées au niveau national destinées à fournir des services pour les clients résidentiels et les offres de gros d'accès large bande livrées au niveau national destinées à fournir des services pour les professionnels, sans que soit précisé a priori leur interface de livraison. Notamment, les offres livrées en ATM et en IP sont incluses dans ce marché.

Enfin, l'Autorité considère que le périmètre géographique du marché correspond au territoire métropolitain, aux départements d'outre-mer et à Mayotte.

L'Autorité estime donc pertinent de définir le marché des offres de gros d'accès large bande par DSL livrées au niveau national, indépendamment du type de clientèle visée et de l'interface de livraison utilisée. Le périmètre géographique du marché correspond au territoire métropolitain, aux départements d'outre-mer et à Mayotte.

Le marché ainsi délimité n'étant pas listé en annexe de la recommandation de la Commission européenne sur les marchés pertinents susvisée, l'Autorité doit déterminer la pertinence d'une régulation ex ante de ce marché, au moyen de trois critères définis dans cette même recommandation.


II-D. - Analyse de la pertinence du marché de gros

des offres d'accès large bande livrées au niveau national


La Commission prévoit que les autorités réglementaires nationales peuvent identifier des marchés pertinents non listés en annexe de la recommandation susvisée. Pour cela, conformément au point 9 de la recommandation, elles doivent s'assurer que les trois critères cumulatifs suivants sont remplis :

- existence de « barrières élevées et non provisoires à l'entrée, qu'elles soient de nature structurelle, légale ou réglementaire » ;

- prise en compte des seuls « marchés dont la structure ne présage pas d'évolution vers une situation de concurrence effective » ; et

- « incapacité du droit de la concurrence à remédier à lui seul à la ou aux défaillances concernées du marché ».


II-D-1. Premier critère :

la persistance de barrières à l'entrée élevées


Dans la recommandation sur les marchés pertinents précitée, la Commission européenne indique que deux catégories de barrières à l'entrée sont à considérer : les barrières structurelles d'une part, et les barrières légales ou réglementaires d'autre part.

Il n'existe pas en France de dispositions contraignantes ou de mesures administratives qui pourraient avoir un effet significatif sur les conditions d'entrée ou sur la position des opérateurs sur le marché des offres d'accès large bande livrées au niveau national. L'analyse ci-après se limite donc aux barrières de nature structurelle.

Selon la Commission, il y a barrières à l'entrée sur un marché « lorsque, compte tenu du niveau de la demande, l'état de la technologie ainsi que la structure de coûts qui en découle créent des conditions asymétriques entre les opérateurs en place et les nouveaux arrivants, freinant ou empêchant l'entrée sur le marché de ces derniers » (13).

En effet, pour élaborer une offre de gros d'accès large bande livrée au niveau national, un opérateur qui ne détient pas en propre la boucle locale cuivre peut soit acheter des offres de gros d'accès large bande livrées au niveau régional soit acheter l'offre de gros d'accès à la boucle locale et à la sous-boucle locale cuivre. S'il achète des offres livrées au niveau régional, il devra déployer ou louer un réseau jusqu'aux noeuds régionaux de livraison du trafic, c'est-à-dire entre une vingtaine et une centaine de sites en fonction de la nature du trafic collecté et de son tarif. S'il opte pour l'offre d'accès à la boucle locale, il devra déployer ou louer un réseau jusqu'aux répartiteurs de France Télécom. La couverture de plusieurs centaines de répartiteurs est nécessaire pour obtenir une couverture homogène des plus grandes agglomérations françaises.

L'examen des stratégies des fournisseurs d'accès à Internet et des opérateurs alternatifs, ainsi que les évolutions du marché entre 2000 et le début de l'année 2005 amènent à conclure que :

- le seul achat d'offres de gros d'accès large bande livrées au niveau régional ne permet pas à un opérateur alternatif de répliquer dans des conditions concurrentielles viables les offres de gros livrées au niveau national par France Télécom.

En effet, l'espace économique entre les offres de gros livrées aux niveaux régional et national est structurellement trop faible pour permettre aux opérateurs alternatifs d'amortir leurs coûts fixes, notamment de système d'information et de service après vente, tout en proposant sur le marché national des conditions tarifaires attractives par rapport à celles proposées par France Télécom aux fournisseurs d'accès à Internet.

Les opérateurs alternatifs concurrents de France Télécom au niveau national doivent ainsi nécessairement dégrouper des répartiteurs, afin d'accroître leur maîtrise de la chaîne de valeur et trouver des marges techniques et tarifaires de différenciation.

Les opérateurs alternatifs ayant mis en oeuvre cette stratégie dégroupent ou estiment nécessaire de dégrouper de l'ordre de 500 sites au minimum ;

- la location d'un réseau, c'est-à-dire l'achat de prestations de collecte, sous forme de liaisons louées par exemple, ne constitue pas en pratique une option économiquement viable.

Seule la construction ou le quasi-achat, sous forme d'IRU, d'un réseau de fibre permet de disposer d'une structure de coûts compatible avec les conditions de concurrence du marché français.

En effet, la location de bande passante augmente significativement les coûts récurrents variables, qui constitue de fait un plancher pour les tarifs de cessions externes ou internes aux opérateurs. Les opérateurs vendant significativement en deçà de leurs coûts récurrents variables de production ne peuvent, en pratique, pas lever les capitaux nécessaires à leur développement. Seuls les opérateurs ayant investi dans leur réseau semblent en mesure de proposer des tarifs compétitifs et supérieurs à leurs coûts variables. Pour ces opérateurs, le fait d'étendre ou de repousser le retour sur les investissements initiaux en infrastructure ne semble pas pénalisant vis-à-vis des marchés financiers. De fait, les principaux opérateurs alternatifs du haut débit ont déployé, ou s'apprêtent à le faire, leur propre réseau pour effectuer du dégroupage, parfois dans une stratégie de co-investissement.

Au vu de ce qui précède, l'Autorité considère que, pour entrer sur le marché français des offres de gros d'accès large bande livrées au niveau national, un opérateur alternatif doit constituer en propre un réseau lui permettant de raccorder les plaques régionales et plusieurs centaines de répartiteurs dégroupés.

L'Autorité estime, suite aux travaux menés dans le cadre du groupe de travail animé par l'Autorité sur l'élaboration d'un modèle de réseau de collecte, que la longueur caractéristique d'un tel réseau national est de l'ordre de 10 000 kilomètres et le coût, dans les conditions actuelles de marché, supérieur à 200 millions d'euros. Cette somme est à mettre en regard de la taille du marché de l'accès haut débit résidentiel (environ 1,5 milliard d'euros par an en 2004), du nombre d'acteurs présents sur ce marché et des perspectives de retour sur investissement qu'il génère. Un tel réseau ne peut être rentabilisé que si un nombre important de clients finals est raccordé, de l'ordre d'environ 15 % du parc total des accès du marché français. Les politiques commerciales et les mouvements de concentration en cours sur le marché français semblent confirmer cet ordre de grandeur.

Si l'on se place du point de vue d'un fournisseur d'accès hypothétique nouvel entrant qui désirerait entrer sur le marché pour lancer une nouvelle offre - le seul point de vue selon lequel on doit se placer, comme le rappelle la communication de la Commission - la nécessaire prise en compte de la dimension progressive d'un déploiement mêlant, impérativement, dégroupage et recours à l'offre livrée au niveau régional, alors même qu'il requiert ab initio la prévision d'investissements considérables de l'ordre de 200 millions d'euros, est un élément déterminant de l'analyse qui a conduit l'Autorité à reconnaître l'existence d'un marché des offres de gros d'accès large bande livrées au niveau national devant faire l'objet d'une régulation ex ante.

Le temps nécessaire à ce déploiement complexe, combinant deux offres et parfois plusieurs fournisseurs, crée en effet à lui seul une barrière à l'entrée parce qu'il augmente de manière importante encore le risque d'échec de toute stratégie d'entrée. Or, si le risque d'échec est élevé, cela signifie que l'ensemble des investissements effectués notamment dans le dégroupage, comme dans le développement d'une marque par ce fournisseur d'accès à Internet hypothétique, seront des « coûts irrécouvrables ». C'est l'importance et la probabilité que ses investissements soient des « coûts irrécouvrables » qui vont alors, en retour, déterminer directement la décision de cet acteur hypothétique d'entrer sur le marché (14). En cas d'erreur de jugement, il anticipe qu'une large partie de la somme qu'il aura consacrée à son entrée risque d'être perdue. Tout fournisseur d'accès à Internet nouvel entrant devra nécessairement chercher à diminuer ce risque, sauf pour lui à renoncer.

La diminution significative de ce risque requiert qu'il dispose, au premier jour de son entrée, de la possibilité de développer sa marque et sa notoriété, ce qui lui impose d'être présent de manière nationale. En effet, l'expérience de l'Autorité en matière de régulation de l'offre IP/ADSL, notamment en avril 2002, lorsque fut permise la constitution par les fournisseurs d'accès à internet de volumes minimaux de clientèle, a enclenché la sortie de la situation de blocage constatée jusqu'à cette date.

Ainsi, la disponibilité d'une offre livrée au niveau national, simple, sans combinaison des offres de plusieurs opérateurs, permettant à un fournisseur d'accès nouvel entrant hypothétique d'être immédiatement et en tous points du territoire disponible est un aspect déterminant de sa décision d'entrée. Cette disponibilité d'une offre livrée au niveau national unique et « sans coutures » est enfin la seule alternative qui lui assure l'espérance de revenus, mêmes faibles, et la possibilité de se constituer un volume d'abonnés.

Ce volume d'abonnés constituera la base de sa clientèle pour remplir « son réseau », une fois celui-ci en place (par migration), et un actif qui, en cas d'échec, diminuera l'importance de ces coûts irrécouvrables puisqu'il sera transférable. A l'inverse, les investissements dans des réseaux constituent réellement des coûts irrécouvrables et ne permettent pas de constituer un actif transférable, sauf à être compris dans un fonds de commerce.

Il résulte de cette analyse qu'une offre d'accès livrée au niveau national « clés en main », provenant d'un unique fournisseur qui couvre l'ensemble du territoire, est une offre non substituable, du point de vue d'un fournisseur d'accès à internet nouvel entrant hypothétique, pour sa période de démarrage. Elle ne peut être remplacée par la combinaison d'offres de dégroupage et d'offres régionales car celles-ci comportent des coûts de transaction importants.

Plus fondamentalement encore, l'existence même de cette offre est déterminante pour l'abaissement de la barrière à l'entrée. Son absence, en raison de l'importance des coûts irrécouvrables pour pénétrer les marchés de détail, aurait un effet dissuasif absolu qui pourrait bloquer toute velléité d'entrée sur le marché.

Enfin, la barrière à l'entrée qui résulte de l'inévitable progressivité du déploiement d'un réseau associant le dégroupage et les offres régionales n'est pas en outre une contrainte provisoire, même si le recours à cette offre par un nouvel entrant peut, elle, être temporaire. La disparition de cette offre, ou même seulement la modification de ses conditions, par exemple, de manière discriminatoire constituerait pour tout nouvel entrant un obstacle, dont l'effet serait de protéger tous les acteurs en place de la possibilité d'un renouvellement de la concurrence.

Ainsi, il ne fait guère de doute, pour l'Autorité, qu'il existe un marché de gros des offres d'accès large bande au niveau national qui doit être distingué des autres marchés parce que la combinaison des offres de dégroupage et des offres régionales ne peut être substituée, dans le laps de temps nécessaire à une entrée, à une offre d'accès large bande livrée au niveau national, en raison tant des particularités de ces deux autres offres en termes de coûts que de leurs conditions de déploiement effectif.

Enfin, l'Autorité considère que cette conclusion restera valable à l'horizon temporel de l'analyse. Il est en effet relativement peu probable que les tarifs de détail et de gros augmentent sensiblement au cours de cette période. En outre, les mouvements d'intégration verticale observés dans le secteur du haut débit conduiront vraisemblablement les acteurs qui contrôlent les infrastructures à privilégier leurs propres services, induisant de fait une barrière à l'entrée de nouveaux fournisseurs d'accès à Internet sur le marché français ; le mouvement de concentration verticale et horizontale, en induisant une augmentation des parts de marché des acteurs, améliore leur structure de coûts, rendant ainsi plus difficile l'entrée d'un nouvel acteur.

Ainsi, si l'action de l'Autorité sur les marchés du dégroupage et des offres de gros d'accès large bande livrées au niveau régional favorise le déploiement des réseaux des opérateurs alternatifs, il n'en demeure pas moins que les effets de cette régulation ne porteront leurs fruits qu'à moyen terme et par conséquent, à l'horizon de la présente analyse, le marché des offres de gros d'accès large bande livrées au niveau national comportera toujours des barrières à l'entrée importantes.

L'Autorité conclut ainsi à l'existence de barrières élevées et non provisoires à l'entrée d'un opérateur alternatif sur le marché des offres de gros d'accès large bande livrées au niveau national.


(13) Page 10 de l'exposé des motifs de la recommandation de la Commission susvisée. (14) « Les Barrières à l'entrée en économie industrielle », Philippe Antomarchi, L'Harmattan 1998, voir notamment page 55 et suivantes.

II-D-2. Deuxième critère : l'évolution du marché

vers une situation de concurrence effective

II-D-2-a (i) Les effets de la régulation de l'ancien cadre


La progression de la concurrence constatée depuis un an sur le marché des offres de gros d'accès large bande livrées au niveau national résulte en grande partie du dispositif de régulation précédemment en vigueur sur ce marché. France Télécom était alors tenue de soumettre ses propositions tarifaires à la procédure d'homologation. Les ministres chargés des télécommunications et de l'économie, après avis public de l'Autorité, pouvaient refuser ou accepter les tarifs de ses offres d'accès large bande livrées au niveau national.

Dans ces conditions, la part de marché des opérateurs alternatifs a triplé en un an, atteignant début 2005 environ 60 % (hors cessions internes).

Au cours des trois dernières années, les ministres ont été amenés à quatre reprises à refuser d'homologuer les tarifs de l'offre IP/ADSL. Les tarifs en question n'ont pas été homologués, au motif qu'ils ne permettaient pas de laisser un espace économique suffisant entre l'offre de dégroupage et les offres de gros d'accès large bande livrées au niveau régional, d'une part, et les offres de gros d'accès large bande livrées au niveau national, d'autre part.

Ainsi, le 30 avril 2002, l'Autorité, qui rendait un avis défavorable (n° 02-346) sur la décision tarifaire no 2002033 relative à l'évolution de l'offre de collecte IP/ADSL et sur les propositions tarifaires relatives aux offres IP/ADSL annoncées par France Télécom, indiquait que « les conditions tarifaires consenties, d'une part, aux fournisseurs d'accès à Internet et, d'autre part, aux opérateurs ont pour effet d'empêcher l'entrée sur le marché d'opérateurs concurrents ». Elle relevait également que « cette absence de concurrence [laissait] dans une large mesure France Télécom à même de développer une politique tarifaire maintenant cette situation de dominance ».

Par ailleurs, le 20 juillet 2004, l'Autorité, qui rendait un avis défavorable (n° 04-615) sur les décisions tarifaires de France Télécom no 2004098 et no 2004099 relatives à l'évolution de la tarification des offres d'accès et de collecte IP/ADSL, notait que « les propositions tarifaires de France Télécom [avaient] pour effet de modifier significativement l'économie relative des différentes offres de gros utilisées par les fournisseurs d'accès à Internet et opérateurs alternatifs, [qu'elles] conduiraient à une déstabilisation des plans d'affaires des opérateurs dégroupeurs et limiteraient durablement l'extension géographique du dégroupage ».

Ainsi, comme elle a pu le rappeler à plusieurs reprises, notamment dans ce même avis no 04-615 en date du 20 juillet 2004, l'Autorité s'est attachée depuis 2001 au maintien d'un espace économique suffisant entre les coûts des accès produits par les opérateurs dégroupeurs et les tarifs d'accès des offres de gros IP/ADSL et ADSL Connect ATM. Elle a également cherché à ce que les tarifs de l'ensemble des autres gammes d'accès soient supérieurs aux coûts de production des accès haut débit fondés sur le dégroupage.

L'Autorité considère que l'action qu'elle a menée au cours des dernières années sur ce marché, notamment à travers ses avis tarifaires, a permis d'éviter à plusieurs reprises que France Télécom ne pratique des tarifs d'éviction. Il en résulte que l'ouverture à la concurrence du marché des offres d'accès large bande livrées au niveau national caractérisée au début de l'année 2005 n'aurait pu être observée en l'absence de mesure de régulation ex ante.

Ceci est confirmé par le Conseil de la concurrence dans son avis no 05-A-03 précité, où il souligne que « les prix relatifs des différentes offres de France Télécom jouent un rôle essentiel dans la dynamique de la concurrence sur les marchés de gros de l'accès large bande DSL. Ils déterminent à la fois les conditions d'entrée des concurrents sur le marché en aval et la rentabilité des investissements consentis par les opérateurs dans un réseau propre. Le stade actuel atteint par le déploiement des réseaux des opérateurs tiers et leur capacité à proposer des offres concurrentes de France Télécom s'est inscrit dans un cadre dans lequel des obligations spécifiques ont été imposées à l'opérateur historique depuis l'apparition de la technologie DSL, à la fin de l'année 1999 ».


II-D-2-a (ii) Evolution vers une situation de concurrence effective

rendue difficile en l'absence de régulation ex ante


La Commission précise à cet égard que « le deuxième critère consiste à déterminer si les caractéristiques du marché présagent une évolution vers une situation de concurrence effective sans qu'il y ait besoin d'une réglementation ex ante » (15).

La Commission souligne également que « [l]e but de l'approche "Green field est effectivement d'éviter la circularité de l'analyse de marché en évitant qu'un marché soit considéré comme effectivement concurrentiel sur la base de la réglementation existante, ce qui pourrait aboutir à la suppression de celle-ci, le marché pouvant ainsi revenir à un état où la concurrence n'est pas effective. En d'autres termes, toute approche "Green field doit faire en sorte que l'absence de PSM n'est observée et donc la réglementation supprimée que lorsque les marchés sont devenus durablement concurrentiels, et non pas lorsque l'absence de PSM est précisément le résultat de la réglementation en vigueur. Cela implique que la réglementation qui perdurera, tout au long de la période de référence de l'évaluation prospective, indépendamment de l'identification d'une PSM sur le marché concerné, doit être prise en compte » (16).

Enfin, elle indique dans son XXIVe rapport sur la concurrence qu'elle « ne saurait restreindre son analyse à l'examen des parts de marché. Elle doit aussi examiner, entre autres aspects, les barrières à l'entrée, en d'autres termes déterminer si les producteurs extérieurs au marché de produits ou de service seraient en mesure de pénétrer en temps utile et de manière significative sur le marché afin de constituer un contrepoids réel aux acteurs déjà en place ».

En conséquence, pour évaluer la dynamique du marché des offres de gros d'accès large bande livrées au niveau national ; il convient toujours de s'interroger du point de vue d'un fournisseur d'accès à Internet hypothétique en projetant son entrée éventuelle, non immédiatement, mais dans quelques mois ou années.

En raison de cette dimension prospective, les parts de marché mesurées actuellement au niveau national sur ce type d'offres ne sont pas, du point de vue de l'Autorité, un indicateur pertinent du fonctionnement du marché. Elles ne révèlent pas un rapport de force concurrentiel, mais sont seulement l'expression d'un mouvement général de réintégration verticale des fournisseurs d'accès à Internet actuels qui tentent d'internaliser leur production à la suite des changements que le marché a subis entre 2000 et 2004. Ainsi, plusieurs fournisseurs d'accès à Internet indépendants, dont Club-Internet ou AOL, ont-ils annoncé vouloir se lancer dans le dégroupage et construire leur propre réseau : ils vont donc progressivement cesser de s'approvisionner auprès de Neuf Télécom et Cegetel. Ils ne continuent de se servir des offres proposées par les opérateurs de réseaux à titre transitoire que le temps d'avoir conquis leur autonomie.

A l'issue de ce mouvement, il est probable que les opérateurs qui ont pu temporairement fournir des accès dégroupés en dehors de leurs groupes ne resteront pas des acteurs significatifs sur le marché des offres de gros d'accès large bande livrées au niveau national lorsqu'on exclura leur production interne. Seul France Télécom, parce qu'il contrôle l'infrastructure essentielle qui commande l'efficacité économique de ce type d'offres de gros d'accès large bande livrées au niveau national, sera en mesure de continuer à proposer à un nouvel entrant hypothétique une offre de gros d'accès large bande livrées au niveau national.

A l'inverse, France Télécom déciderait-il du retrait de cette offre qu'il disposerait, pour les raisons exposées ci-dessus, de la possibilité de dissuader l'entrée de tout nouveau fournisseur d'accès à Internet.

L'évolution « naturelle » du marché des offres de gros d'accès large bande livrées au niveau national n'est pas ainsi tournée vers une concurrence effective, en dépit du fait que, de manière ponctuelle, les concurrents de France Télécom disposent collectivement en volume (mais en aucune manière en valeur) d'une part de marché globale comparable à celle de France Télécom, bien que ce fait brut puisse le laisser croire. Son évolution naturelle est plus sûrement celle de la fermeture progressive de l'accès au marché de l'accès régional et même du dégroupage, faute d'offres de gros d'accès large bande livrées au niveau national permettant à un nouvel entrant de pénétrer immédiatement sur le marché.

L'absence de régulation de cette offre, dans la phase précédant sa disparition pure et simple, serait en outre de nature à faire perdre aux autres offres un repère essentiel qui est de nature à générer des tarifs d'éviction, notamment tant que le dégroupage n'a pas atteint son déploiement maximal.

Or, l'incitation de France Télécom à pratiquer des tarifs d'éviction au niveau national perdure et la pratique de tarifs d'éviction est susceptible, sinon de faire disparaître toute concurrence sur le haut débit, du moins d'en limiter significativement l'ampleur et la portée, notamment sur le marché des offres d'accès large bande livrées au niveau national.


(15) Page 11 de l'exposé des motifs de la recommandation susvisée. (16) Décision de veto de la Commission européenne du 17 mai 2005 C (2005) 1442 final concernant l'analyse de la terminaison d'appel sur divers réseaux téléphoniques publics en position déterminée réalisée par le régulateur allemand.

Les incitations à pratiquer des tarifs d'éviction


Comme exposé dans la partie VI ci-dessous, confrontés à la perspective de pertes durables de part de marché globales sur les marchés du haut débit, les opérateurs historiques peuvent économiquement être incités à adopter des comportements anticoncurrentiels.

De fait, en France, les autorités de concurrence nationale et communautaire ont été amenées à intervenir à plusieurs reprises, entre 1999 et 2005, à la suite de saisines par des opérateurs alternatifs ou de leur propre initiative.

France Télécom est en effet structurellement incitée à maximiser la proportion d'accès large bande DSL qu'elle contrôle, en pratiquant des tarifs bas, voire d'éviction sur le marché de détail, à défaut sur le marché des offres de gros d'accès large bande livrées au niveau national, puis dans une moindre mesure sur le marché des offres de gros d'accès large bande livrées au niveau régional. France Télécom n'a en revanche aucune incitation à pratiquer des tarifs bas sur l'offre de gros dégroupage, dont l'utilisation laisse la plus grande partie de la chaîne de valeur à ses concurrents.

Comme l'a relevé le Conseil de la concurrence dans son avis no 05-A-03 précité, « la maîtrise par France Télécom de la boucle locale et son intégration verticale donnent à l'opérateur historique un pouvoir de marché sur l'ensemble des marchés dépendant, en aval, de l'accès à cette infrastructure essentielle. France Télécom a donc la possibilité d'abuser de ce pouvoir de marché [...]. En particulier, un opérateur placé dans cette position peut, par le biais de subventions croisées ou de pratiques de ciseaux tarifaires, tenter d'évincer ses concurrents sur un marché sans consentir de pertes, c'est-à-dire en échappant à la qualification de prix prédateurs » (§ 24).

Au cours des dernières années, cette incitation s'est notamment traduite par des demandes d'homologation de baisses tarifaires pour l'offre d'accès large bande livrée au niveau national IP/ADSL, utilisée par Wanadoo, alors filiale de France Télécom, sans proposition de modification tarifaire homothétique des offres de gros livrées au niveau régional ou du dégroupage (cf. partie II-D-2-a [i]).

Cette incitation s'est encore manifestée à travers les délais de mise en place de l'offre ADSL Connect ATM livrée par France Télécom au niveau régional, résultant d'une injonction du Conseil de la concurrence (décision no 2000-MC-01 en date du 18 février 2000), ou encore du non-respect de l'obligation de modifier l'offre de référence dégroupage.

A l'heure actuelle, le développement des offres de voix acheminées sur large bande, ainsi que le développement anticipé du dégroupage total, menacent de faire perdre à France Télécom le lien commercial à l'abonné final par l'intermédiaire de l'abonnement téléphonique, les revenus de l'abonnement lui-même et une partie de la valeur liée à l'acheminement des appels téléphoniques. Ainsi, afin de limiter le nombre d'accès totalement dégroupés, France Télécom sera fortement incitée à faire évoluer à la baisse les tarifs de son offre d'accès large bande livrée au niveau national.

Outre le fait que l'incitation économique de France Télécom à pratiquer des tarifs d'éviction sur le marché des offres livrées au niveau national perdure, elle pourrait même se renforcer à l'horizon de la présente analyse, dès lors que l'opérateur souhaiterait reconquérir des parts de marché sur le marché national.

Enfin, avant la réintégration de Wanadoo au sein de la société France Télécom, la séparation structurelle entre les deux entités impliquait une formalisation de leurs relations, notamment au travers de la communication financière de Wanadoo, afin de vérifier le respect du principe de non-discrimination.

Depuis la réintégration de Wanadoo, les conditions de transparence sur les cessions internes au groupe France Télécom se sont sensiblement dégradées. En effet, en l'absence de régulation sectorielle ex ante, les acteurs alternatifs et les autorités de concurrence ne disposent pas de moyens fiables et efficients pour déterminer les conditions techniques et tarifaires de ces cessions.

Comme l'a indiqué le Conseil de la concurrence dans son avis no 05-A-03 précité, « la réintégration de Wanadoo au sein de sa maison mère, qui renforce encore l'intégration verticale du groupe France Télécom et les effets de sa présence sur l'ensemble des marchés des communications électroniques, rend plus que jamais impérative l'élaboration par France Télécom d'une comptabilité permettant d'évaluer séparément les coûts et les recettes propres à chaque marché pertinent ».

Ainsi, en l'absence de régulation sectorielle ex ante, les freins structurels et juridiques à la pratique par France Télécom de tarifs d'éviction, qui existaient ces dernières années, disparaîtraient en grande partie à l'horizon de la présente analyse des marchés.

Le Conseil de la concurrence dans son avis no 05-A-03 susvisé a abouti à la même conclusion : « Les opérateurs tiers se sont heurtés dans leurs tentatives d'entrée sur les marchés de gros d'accès large bande DSL à de fortes barrières constituées par les prix relatifs de France Télécom sur ces marchés et sur celui du dégroupage. L'allègement de ces barrières a nécessité, outre la régulation spécifique du dégroupage prévue par la réglementation européenne et nationale, de multiples interventions du régulateur. Les prix relatifs de France Télécom sur les marchés de gros renforcent les barrières constituées par ailleurs par le coût de déploiement d'un réseau puisqu'ils en déterminent à tout moment la rentabilité. »


Les conséquences pour le marché de la mise en oeuvre

de tarifs d'éviction


Une baisse des tarifs de l'offre de gros IP/ADSL de France Télécom, répercutée sur le marché de détail, serait susceptible de limiter durablement l'extension du dégroupage et l'intensité concurrentielle. En effet, tant le déploiement de nouveaux sites de dégroupage que l'acquisition de nouveaux clients supposent des investissements importants, nettement supérieurs à 100 000 euros par nouveau site et à 100 euros par client, selon les estimations de l'Autorité. La poursuite du développement de la concurrence suppose que les opérateurs alternatifs estiment pouvoir disposer d'un retour raisonnable sur leur investissement initial, autrement dit pouvoir rémunérer leurs coûts complets de production avec une rémunération normale du capital investi.

Les différents modèles et évaluations des coûts complets de production rendus publics ou diffusés par l'Autorité laissent penser que les niveaux de tarifs actuels pratiqués par France Télécom sont d'ores et déjà proches, début 2005, du plancher compatible avec une poursuite des investissements dans le dégroupage. La pratique de tarifs d'éviction aurait pour effet de stopper l'investissement des opérateurs alternatifs dans la capillarité de leur réseau. Dans la mesure où le marché du haut débit connaîtra une croissance forte sur les trois prochaines années qui devrait ensuite se stabiliser, l'arrêt du déploiement des opérateurs alternatifs pourrait difficilement être rattrapé ultérieurement.

Le différentiel de tarifs entre les offres livrées au niveau régional, les offres livrées au niveau national et les tarifs pratiqués sur le marché de détail est faible. Si France Télécom baissait de 10 % à 20 % les tarifs de ses offres livrées au niveau national et conséquemment de détail, celles-ci ne seraient plus réplicables par les offres livrées au niveau régional. Les opérateurs alternatifs seraient alors contraints de limiter leurs zones de commercialisation aux seules zones dégroupées.

Ainsi, la pratique de tarifs d'éviction par France Télécom sur le marché des offres d'accès large bande livrées au niveau national, éventuellement répercutée sur le marché de détail, aurait pour premier effet de vider de son sens économique l'offre de gros d'accès large bande livrée au niveau régional.

Une telle limitation, sans même détailler ses conséquences négatives en termes d'aménagement du territoire, amputerait mécaniquement de plus d'un tiers le nombre de clients des fournisseurs d'accès à Internet et opérateurs alternatifs à la moitié des ménages adressables. Les conséquences en termes d'amortissement des coûts fixes (publicité audiovisuelle, système d'information) et de valorisation des sociétés, et donc de leur capacité à lever les capitaux nécessaires à leur développement, seraient importantes.

Il convient en outre de signaler que la régulation sectorielle, même renforcée, des marchés du dégroupage et des offres de gros d'accès large bande livrées au niveau régional est insuffisante pour pallier les effets de tarifs d'éviction au niveau national. En effet, si cette régulation sectorielle aura nécessairement un impact positif sur le marché des offres de gros livrées au niveau national, la suppression à ce stade du développement du marché de toute régulation sur ce dernier marché aurait pour conséquence, comme exposé ci-dessus, de vider de son sens la régulation réalisée sur les marchés amont.

C'est pourquoi, à titre transitoire et en continuité avec la pratique adoptée dans l'ancien cadre d'une régulation harmonisée et cohérente des trois marchés du haut débit (dégroupage, offres d'accès large bande livrées aux niveaux régional et national), il demeure encore nécessaire d'encadrer le marché objet de la présente analyse. Toute levée de la régulation ex ante apparaît prématurée et risquée en termes de développement d'une concurrence loyale et effective.

L'ensemble des éléments ci-avant amène à considérer, si le marché de gros des offres d'accès large bande livrées au niveau national n'était pas régulé pour la période couverte par la présente analyse de marché, que :

- l'incitation économique et structurelle de France Télécom à pratiquer des tarifs d'éviction, notamment au bénéfice de ses propres services, serait forte ;

- la pratique de tarifs d'éviction aurait pour effet de stopper l'extension géographique du dégroupage et de limiter la zone de concurrence effective à environ la moitié des ménages et entreprises ;

- l'arrêt du déploiement du dégroupage ne pourrait, dans un contexte de croissance moindre du marché et de positions commerciales établies, être aisément rattrapé ultérieurement par les acteurs alternatifs ;

- les fournisseurs d'accès à Internet et les opérateurs alternatifs devraient amortir durablement leurs coûts fixes sur une base de clientèle adressable deux fois plus limitée que celle de l'opérateur historique ;

- cette limitation constituerait un handicap majeur de moyen et de long terme, et obérerait les capacités du secteur à évoluer vers une situation de concurrence effective, loyale et pérenne.

L'évolution du marché vers une situation de concurrence effective et pérenne suppose donc le maintien d'une régulation ex ante sur la période couverte par la présente analyse de marché, sans quoi les caractéristiques du marché pourraient faire craindre une dégradation importante et durable de la situation concurrentielle qui commence seulement à se développer.


II-D-3. Troisième critère : l'efficacité relative du droit

de la concurrence et de la régulation ex ante


Le considérant no 9 de la recommandation sur les marchés pertinents susvisée précise que le troisième critère qui doit permettre d'identifier un marché pertinent repose sur le constat de « l'incapacité du droit de la concurrence à remédier à lui seul à la ou aux défaillances concernées du marché ».

Dans les développements qui suivent, il sera ainsi montré que, s'agissant du marché des offres de gros d'accès large bande livrées au niveau national, les risques concurrentiels peuvent être plus efficacement traités par les mécanismes de la régulation ex ante que par l'application du droit commun de la concurrence.

L'objectif de la régulation des marchés de gros du haut débit (dégroupage, offres d'accès large bande livrées aux niveaux régional et national) consiste à assurer le maintien d'un espace économique suffisant entre les tarifs des offres de gros de France Télécom pour permettre le développement du dégroupage et des offres d'accès livrées au niveau régional. Comme développé précédemment, l'Autorité a ainsi eu à rendre des avis tarifaires défavorables afin de préserver cet espace. En outre, les nombreux contentieux examinés par les autorités de concurrence (cf. partie VI ci-dessous) démontrent la fragilité du marché et les tentations fortes pour France Télécom de pratiquer des tarifs d'éviction.

A ce propos, le Conseil de la concurrence note dans l'avis no 05-A-03 susvisé que « le maintien d'un espace économique suffisant entre les différentes offres de gros de France Télécom, tel qu'il a été recherché jusqu'à présent par le régulateur, est toujours essentiel à l'entrée et au maintien des opérateurs tiers sur ces marchés » (17).

Or, en raison de l'influence significative qu'elle exerce sur le marché du dégroupage et le marché des offres d'accès large bande livrées au niveau régional (cf. décisions no 2005-0278 et no 2005-0275 de l'Autorité en date du 19 mai 2005 relatives à la définition et l'examen de l'influence significative des opérateurs présents sur les marchés de gros des offres d'accès à la boucle locale cuivre et sous boucle locale cuivre et des offres d'accès large bande livrées au niveau régional), l'Autorité estime que France Télécom est en mesure de réduire cet espace économique et d'évincer par voie de conséquence ses concurrents sur le marché des offres de gros d'accès large bande livrées au niveau national, dans la mesure où ces offres sont construites à partir du dégroupage et des offres livrées au niveau régional.

Cette approche est partagée par le Conseil de la concurrence qui relève, dans l'avis no 05-A-03 précité, que « les parts de marché encore détenues par France Télécom, tant sur la collecte nationale (95 %) que sur l'accès livré en un point national (44 %), ainsi que sa position quasiment monopolistique sur les marchés avals du dégroupage et de l'accès régional, lui donnent la capacité de réduire ces espaces » (18).

Ainsi, en raison de la détention par France Télécom d'une infrastructure essentielle et de sa forte position sur les marchés du dégroupage et des offres d'accès large bande livrées au niveau régional ainsi que sur les marchés de détail, la seule intervention du droit de la concurrence, à travers l'interdiction de toute pratique anticoncurrentielle, n'est pas suffisante pour remédier aux défaillances du marché et favoriser le développement de la concurrence.

Au contraire, les techniques de la régulation ex ante qui font notamment appel aux mécanismes de la séparation comptable, de la publication d'une offre de référence ou encore de reflet des coûts pour les tarifs d'accès sont mieux adaptées pour pallier les défaillances du marché considéré.

L'intervention de l'autorité de concurrence peut en effet, pour des raisons liées aux modalités mêmes de sa mise en oeuvre, s'avérer moins adaptée que l'action entreprise par l'autorité sectorielle.

Ainsi, si le Conseil de la concurrence dispose de la faculté d'adopter dans des délais assez courts des mesures conservatoires consistant par exemple en la suspension de pratiques commerciales litigieuses sur les marchés de détail (19), ces mesures sont soumises à de strictes conditions.

Surtout elles sont insuffisantes pour définir et garantir à elles seules, sur les marchés de gros, les conditions permettant aux opérateurs concurrents d'agir sur les marchés de détail selon des modalités permettant le développement d'une concurrence effective et loyale.

A l'inverse, la définition de telles conditions relève plus certainement de la compétence du régulateur sectoriel et requiert à cette fin l'intervention de l'Autorité. Le Conseil de la concurrence signale dans l'avis no 05-A-03 susmentionné que « la régulation ex ante des différentes offres de gros permettra comme elle l'a fait par le passé de maintenir entre elles les espaces économiques nécessaires au développement d'une concurrence effective » (20).

La pertinence de la régulation sectorielle est à nouveau mise en avant dans l'avis du Conseil lorsqu'il souligne que « la régulation ex ante peut permettre de poursuivre des objectifs plus larges que ceux recherchés par le droit de la concurrence, notamment quant à l'horizon temporel pris en compte » (21).

En outre, comme il a été évoqué, l'hypothèse d'une disparition des offres de gros d'accès large bande livrées au niveau national ne peut être écartée à court terme en l'absence de régulation, ce qui découragerait toute nouvelle entrée. Le marché se trouverait alors replacé dans une situation proche de celle qu'il a connue entre 1999 et 2004 où, en l'absence d'offre de gros, aucune entrée n'a été possible. Le 18 février 2000, le Conseil de la concurrence avait pourtant tenté de pallier cette situation, en imposant, à titre de mesure conservatoire, une offre de gros livrée au niveau régional, laquelle ne fut cependant effective d'un point de vue concurrentiel que quatre années après.

La jurisprudence française en matière d'octroi de mesures conservatoires s'est en outre récemment resserrée à la suite d'un arrêt de la cour d'appel de Paris en date du 29 juin 2004, qui semble rendre plus difficile une intervention du Conseil de la concurrence. L'Autorité relève à cet égard que, dans la même affaire, l'éventualité de l'imposition d'une offre de gros permettant aux fournisseurs d'accès à Internet de proposer de la télévision sur ADSL a été écartée par le conseil.

En outre, en mai 2004 (décision AOL), le Conseil de la concurrence a également refusé de suspendre, au stade des mesures conservatoires, des offres de France Télécom suspectées de générer des effets de ciseaux tarifaires.

Ainsi, il résulte de ce qui précède que, au regard des conditions actuelles imparfaites de fonctionnement du marché des offres de gros d'accès large bande livrées au niveau national, l'intervention de l'Autorité est pleinement justifiée.

Au total, l'intervention ex ante du régulateur sectoriel permet de remédier aux défaillances identifiées du marché en veillant à la réalisation des conditions nécessaires au développement d'une concurrence effective, en complément de la capacité d'action du Conseil de la concurrence sur les marchés de détail correspondants.


(17) Paragraphe no 95. (18) Ibidem. (19) Décision no 98-MC-03 du 19 mai 1998 relative à une demande de mesures conservatoires présentée par l'Association française des opérateurs privés de télécommunications, décision no 99-MC-06 du 23 juin 1999 relative à une demande de mesures conservatoires présentées par la société Grolier Interactive Europe, décision no 02-MC-03 du 27 février 2002 relative à la saisine et à la demande de mesures conservatoires présentée par la société T-Online France. (20) Paragraphe no 98. (21) Paragraphe no 100.

II-D-4. Conclusion sur l'application des trois critères

définis par la Commission


L'analyse exposée ci-avant conduit l'Autorité à considérer que les trois critères définis par la Commission sont remplis en ce qui concerne le marché des offres de gros d'accès large bande livrées au niveau national.

Dans ce cadre, et par référence aux dispositions du considérant no 16 de la recommandation de la Commission sur les marchés pertinents, le marché de gros des offres d'accès large bande livrées au niveau national doit donc être considéré comme pertinent au titre de la régulation sectorielle des communications électroniques.

III. - ANALYSE DE L'AUTORITÉ QUANT À LA DÉSIGNATION D'UN OPÉRATEUR EXERÇANT UNE INFLUENCE SIGNIFICATIVE


III-A. - Principes généraux relatifs à la détermination des conditions caractérisant une situation

d'influence significative sur le marché de gros des offres d'accès large bande livrées au niveau national


L'article 14 de la directive cadre susvisée précise la notion d'entreprises puissantes sur un marché et dispose que : « Une entreprise est considérée comme disposant d'une puissance significative sur le marché si, individuellement ou conjointement avec d'autres, elle se trouve dans une position équivalant à une position dominante, c'est-à-dire qu'elle est en mesure de se comporter, dans une mesure appréciable, de manière indépendante de ses concurrents, de ses clients et, en fin de compte, des consommateurs.

En particulier, lorsque les autorités réglementaires nationales procèdent à une évaluation visant à déterminer si deux entreprises, ou plus, occupent conjointement une position dominante sur un marché, elles se conforment aux dispositions du droit communautaire et tiennent le plus grand compte des « Lignes directrices sur l'analyse du marché et l'évaluation de la puissance sur le marché » publiées par la Commission [...].

Lorsqu'une entreprise est puissante sur un marché particulier, elle peut également être considérée comme puissante sur un marché étroitement lié, lorsque les liens entre les deux marchés sont tels qu'ils permettent d'utiliser sur un des deux marchés, par effet de levier, la puissance détenue sur l'autre marché, ce qui renforce la puissance de l'entreprise sur le marché. »

Il est en outre précisé au point 5 des lignes directrices que la Commission et les autorités réglementaires nationales doivent « se fonder sur les principes et les méthodes du droit de la concurrence pour définir les marchés qui devront être soumis à une réglementation ex ante et apprécier le puissance des entreprises sur ces marchés ».

Ainsi, il résulte de l'article 14 de la directive « cadre » et du point 5 des lignes directrices publiées par la Commission que les autorités réglementaires nationales ne doivent intervenir pour imposer des obligations aux entreprises que dans la mesure où elles considèrent que les marchés envisagés ne sont pas en situation de concurrence réelle, essentiellement en raison du fait que ces entreprises ont acquis « une position équivalente à une position dominante » au sens de l'article 82 du traité CE.

En droit interne, l'article L. 37-1 du code des postes et des communications électroniques dispose : « Est réputé exercer une influence significative sur un marché du secteur des communications électroniques tout opérateur qui, pris individuellement ou conjointement avec d'autres, se trouve dans une position équivalente à une position dominante lui permettant de se comporter de manière indépendante vis-à-vis de ses concurrents, de ses clients et des consommateurs. »

Pour évaluer l'existence d'une influence significative, l'Autorité doit, conformément aux dispositions de l'article D. 302 du code des postes et des communications électroniques, tenir le plus grand compte des lignes directrices adoptées par la Commission.

L'observation des parts de marché des acteurs constitue la première étape. La Commission propose trois chiffres-clés dans le déroulement de cet exercice :

- au-delà de 40 % de part de marché, il est peu probable qu'une entreprise ne soit pas en situation de puissance significative ;

- une présence supérieure à 50 % du marché « suffit, sauf circonstances exceptionnelles, à établir l'existence d'une position dominante » (22) ;

- une entreprise ayant au contraire moins de 25 % de part de marché est peu susceptible de se révéler puissante, même si cela n'est pas totalement exclu.

L'analyse des parts de marché, bien que prospective, ne suffit donc pas à démontrer l'éventuelle influence significative des acteurs présents sur un marché. Pour une analyse complète du développement de la concurrence sur les marchés pertinents, les lignes directrices recommandent en effet de « procéder à une analyse approfondie et exhaustive des caractéristiques économiques du marché pertinent avant de conclure à l'existence d'une puissance sur le marché ». A cet égard, la Commission recommande d'utiliser notamment les critères suivants :

- la taille de l'entreprise ;

- le contrôle d'une infrastructure qu'il n'est pas facile de dupliquer ;

- les avancées ou la supériorité technologiques ;

- l'absence ou la faible présence de contre-pouvoir des acheteurs ;

- la diversification des produits ou des services ;

- l'intégration verticale de l'entreprise ;

- la présence d'économies de gamme ou d'échelle ;

- l'absence de concurrence potentielle ;

- l'accès privilégié aux marchés des capitaux.

L'analyse qui suit démontre l'influence significative que détient France Télécom sur le marché de gros des accès large bande livrés au niveau national. Deux types d'indicateurs, quantitatifs et qualitatifs, permettent de caractériser l'état de la concurrence et d'évaluer l'influence exercée par les différents acteurs positionnés sur le marché analysé.


(22) Point 75 des lignes directrices de la Commission.

III-B. - Indicateurs quantitatifs


Dans le cadre de la présente décision, l'Autorité relève que chaque opérateur, historique ou alternatif, peut produire deux types d'accès large bande DSL :

- des accès DSL cédés au niveau national à un fournisseur d'accès à Internet tiers, qui complétera l'accès national avec ses propres prestations complémentaires de connectivité Internet pour proposer des offres intégrées sur les marchés avals (marchés de détail) ;

- des accès DSL qui ne donneront lieu à aucune transaction marchande au niveau national et qui constituent sa production interne.


III-B-1. Parts de marché


Conformément à l'avis no 05-A-03 du Conseil de la concurrence susvisé, s'appuyant sur une jurisprudence constante, il convient dans un premier temps de ne pas retenir la production interne d'une entreprise dans l'évaluation de sa part de marché. Par conséquent, il convient tout d'abord de calculer stricto sensu les parts de marché des entreprises.

La mesure des parts de marché en nombre d'accès ne dépeint pas nécessairement de manière réaliste la puissance économique des acteurs. En effet, au regard des écarts de tarifs significatifs qui existent sur ce marché entre le tarif pratiqué par France Télécom et celui pratiqué par ses concurrents (le tarif de France Télécom est plus de deux fois plus élevé que celui de ses concurrents qui fondent leur offre livrée au niveau national sur le dégroupage) (23), la mesure de l'influence significative doit se fonder sur la mesure de la part de marché en valeur. Cette approche est conforme avec l'article 14-II de la directive « cadre ». Elle est en outre préconisée par le groupe des régulateurs européens dans son document de mai 2003 intitulé : « ERG Working Paper on the SMP Concept for the New Regulatory Framework ».

Au regard de ces éléments, la part de marché en valeur de France Télécom est de l'ordre de 60 %, celle des concurrents est donc de l'ordre de 40 %. Cette part de marché en valeur ne prend toutefois pas en compte les reversements à France Télécom. Ce calcul fait l'objet du paragraphe III-B-3 de la présente analyse.

Par ailleurs, au 31 mars 2005, l'Autorité estime que France Télécom détient environ 40 % de part de marché en nombre de lignes. En janvier 2004, France Télécom détenait 91 % de part de marché contre 9 % pour les opérateurs alternatifs (24).

En outre, les lignes directrices susvisées de la Commission européenne soulignent la nécessité d'adopter une démarche prospective pour évaluer la puissance de marché d'un opérateur.

Dans une approche prospective, l'Autorité a, dans un premier temps, procédé à une évaluation de la situation concurrentielle à court terme en estimant que le marché du haut débit allait conserver au cours du premier semestre 2005 le même rythme de croissance que durant l'année 2004. Dans cette hypothèse, France Télécom détiendrait une part de marché en valeur nettement supérieure à 50 %.

Au-delà de cette date, les estimations chiffrées à moyen terme de l'évolution du marché du haut débit sont plus délicates à mener. En effet, la croissance très soutenue du haut débit observée depuis près de deux ans ne pourra probablement pas continuer de progresser à ce rythme dans les années à venir.

Il n'est toutefois pas impossible que France Télécom détienne, à la fin de l'année 2007, une part de marché nettement supérieure à 50 % en valeur, bien qu'il faille entourer ces résultats de toutes les précautions qui s'imposent. En nombre de lignes, sa part de marché pourrait toutefois être inférieure à 30 %.

Ces estimations sont globales en ce qui concerne les opérateurs alternatifs. Seuls trois acteurs sont aujourd'hui présents sur ce marché (France Télécom, Cegetel et Neuf). Plusieurs autres opérateurs, qui se fournissent en interne, ont développé une activité sur le marché de détail, sans toutefois développer d'activité sur le marché de gros ou même faire d'annonce dans ce sens. Ce constat conduit l'Autorité à estimer que le coût des barrières à franchir pour intervenir sur le marché de gros est structurellement élevé. Ce coût est notamment généré par l'adaptation du système d'information qui doit permettre de commercialiser les prestations à des acteurs tiers par l'adaptation des processus de commercialisation et par l'adaptation des processus de services après-vente.

En outre, les estimations intègrent les conséquences d'une éventuelle fusion entre les opérateurs Neuf Telecom et Cegetel, telle qu'annoncée dans la presse en mai 2005.

En effet, même si une éventuelle entité fusionnée entre Cegetel et Neuf Telecom dispose d'une part de marché supérieure à France Télécom en nombre de lignes (60 % contre 40 % à l'heure actuelle), elle ne saurait pas être considérée comme exerçant une influence significative sur le marché. En effet, France Télécom détiendrait toujours 60 % de part de marché en valeur et l'entité fusionnée Neuf-Cegetel, 40 % de part de marché en valeur, en tant que seul autre acteur sur ce marché de gros. Par ailleurs, la situation de France Télécom et de l'entité fusionnée serait très asymétrique s'agissant des infrastructures servant à produire les accès fournis sur ces marchés. Neuf-Cegetel ne contrôlerait pas, contrairement à France Télécom, l'infrastructure sous-jacente à sa production : au contraire, elle serait dépendante de son concurrent France Télécom pour l'accès à cette infrastructure. Enfin, l'entité fusionnée ne dispose pas des mêmes effets de levier que France Télécom sur les marchés connexes de détail en aval et du dégroupage ou des offres régionales en amont.

Enfin, dans la perspective d'une régulation allégée sur le marché national, il n'est pas exclu que la part de marché de France Télécom sur le marché national soit amenée à remonter. Dans ce contexte, l'Autorité estime que la part de marché de France Télécom sur le marché national, objet de la présente analyse, pourrait dépasser 50 % en nombre de lignes et en valeur à l'horizon début 2008. Ce chiffre dépend toutefois fortement de la stratégie suivie par France Télécom à l'égard des fournisseurs d'accès à Internet.

Par ailleurs, la détention par la nouvelle entité Neuf-Cegetel d'une part de marché en valeur de 40 % ne peut démontrer au cas d'espèce, contrairement à ce que souligne France Télécom en réponse à la consultation publique de juillet 2005, la possibilité d'une influence significative conjointe exercée par cette entité avec France Télécom.

L'article D. 302 II du CPCE précise « qu'une influence significative conjointe au sens de l'article L. 37-1 peut être exercée par plusieurs opérateurs dès lors que le marché présente une structure considérée comme propice à produire des effets coordonnés, même s'il n'existe aucun lien structurel ou autre entre ces opérateurs. Une telle situation peut se produire sur un marché présentant plusieurs caractéristiques appropriées, notamment en termes de concentration et de transparence, ainsi que d'autres caractéristiques », dont la maturité du marché, des structures de coûts analogues, des mécanismes de rétorsion.

Dans son arrêt Airtours du 6 juin 2002, le TPICE précise qu'une position dominante collective peut notamment correspondre à une situation de collusion tacite dans laquelle « prenant conscience des intérêts communs, chaque membre de l'oligopole dominant considérerait possible, économiquement rationnel et donc préférable d'adopter durablement une même ligne d'action sur le marché dans le but de vendre au-dessus des prix concurrentiels, sans devoir procéder à la conclusion d'un accord ou recourir à une pratique concertée (...), et ce sans que les concurrents actuels ou potentiels, ou encore les clients et les consommateurs, puissent réagir de manière effective. »

Selon cette jurisprudence, une ligne d'action commune correspondant à une collusion tacite n'est soutenable que dans la mesure où elle a lieu sur un marché :

- permettant une transparence de détection d'une éventuelle déviation de la ligne d'action commune de la part d'un concurrent ;

- présentant des facteurs dissuadant toute entreprise de commettre un tel écart ;

- protégeant les entreprises de l'entrée de concurrents pouvant contester la ligne d'action commune ainsi que de l'exercice d'un contrepouvoir d'acheteur.

Toutefois, au cas d'espèce et eu égard à l'évolution de ce marché, il ne peut être démontré qu'une ligne d'action commune existe ou pourrait exister entre les opérateurs France Télécom, Cegetel et Neuf Telecom. En effet, ce marché démontre davantage le développement d'une concurrence entre ces trois opérateurs, et donc a priori entre France Télécom et la nouvelle entité, que l'adoption d'une position commune. En outre, le marché ne peut être considéré comme transparent à l'horizon de la présente analyse. Ceci est renforcé par la suppression de toute obligation de transparence à l'encontre de France Télécom.

Sous l'hypothèse, peu vraisemblable, soutenue par France Télécom de l'existence d'une influence significative conjointe des opérateurs agissant sur le marché, France Télécom pourrait, en réponse à une déviation de la ligne d'action commune hypothétique, adopter une stratégie commerciale qui annihilerait le bénéfice d'une telle déviation et donc dissuaderait Neuf Telecom, Cegetel, ou l'entité résultant de la fusion de dévier. Toutefois, l'assertion réciproque paraît particulièrement invraisemblable compte tenu de la dissymétrie en terme de puissance économique et financière entre Neuf Telecom, Cegetel ou l'entité résultant de la fusion d'une part et le groupe France Télécom d'autre part.

Au vu des éléments précédents et des économies d'échelle et de gamme dont dispose France Télécom (cf. point suivant), qui sont sans comparaison avec celles dont peuvent bénéficier les opérateurs alternatifs, compte tenu notamment de sa position sur les marchés amont et aval, et de sa différence de taille, il n'est pas fondé d'envisager que Cegetel et Neuf Télécom, ou la future entité fusionnée, puissent exercer, avec France Telecom, une influence significative sur ce marché.


(23) Ce processus est rappelé dans les lignes directrices de la Commission sur l'analyse des marchés et l'évaluation de la puissance sur le marché en date du 11 juillet 2002 : « CE (11.7.2002 C165/15)(85). L'une des catégories de barrières à l'entrée les plus importantes est constituée par les coûts irrécupérables. Les coûts irrécupérables sont particulièrement déterminants dans le secteur des communications électroniques, sachant que des investissements importants sont nécessaires pour créer, par exemple, un réseau efficace en vue de la fourniture de service d'accès et qu'un nouveau venu décidant d'abandonner le marché ne pourra probablement récupérer qu'une faible part de ces investissements. Les barrières à l'entrée sont renforcées à mesure qu'augmentent les économies de gamme et de densité qui caractérisent généralement ces réseaux. Ainsi un réseau vaste induira toujours moins de coûts qu'un réseau plus petit, ce qui implique que, pour acquérir une part importante du marché et devenir concurrentiel, un nouvel arrivant devra fixer ses prix en-dessous de ceux de l'opérateur en place, hypothéquant ainsi ses chances de récupérer ses coûts. » (24) Source : données fournies par les opérateurs dans le cadre de l'analyse des marchés.

III-B-2. Proportion des accès contrôlés


Toutefois, comme indiqué précédemment, les parts de marché ne sont pas l'unique moyen d'évaluer l'influence significative d'un opérateur sur un marché donné. En l'espèce, dans son avis no 05-A-03, le Conseil de la concurrence indique que « l'opérateur historique est en quasi-monopole sur la boucle locale de cuivre. [...] sur le marché de gros de l'accès large bande DSL livré en un point national, l'ART estime la part de marché de France Télécom, en prenant en compte l'autoconsommation, à plus de 60 % en octobre 2004, contre 80 % en juillet 2004. Toutefois, elle précise que cette progression ne devrait pas se poursuivre (cf. 94 ci-dessus) et avance des éléments qualitatifs qui fondent la puissance de France Télécom sur les marchés de gros du haut débit. Le conseil partage cette position, même en ramenant la part de marché de France Télécom sur marché de gros régional à moins de 50 % du fait de la non-prise en compte de l'autoconsommation. La taille de France Télécom, son intégration verticale, sa présence sur l'ensemble des marchés des communications électroniques et surtout sa maîtrise de la boucle locale cuivre sont autant d'éléments qui la mettent en mesure, sur ces marchés, de se comporter, dans une mesure appréciable, de manière indépendante de ses concurrents, de ses clients et, en fin de compte, des consommateurs » (25).

Afin de mieux appréhender l'influence significative réelle que détient France Télécom sur le marché de gros des offres d'accès large bande livrées au niveau national, l'Autorité retient le critère supplémentaire de la part des accès contrôlés.

Afin de mesurer cette part des accès contrôlés, l'Autorité inclut la production interne (ou ventes captives) du fait des économies d'échelle et de gamme que France Télécom est susceptible d'en retirer, comme indiqué en partie III-C ci-dessous.


(25) Paragraphes no 101 et 102.

III-B-2-a. Accès seuls


La mesure de la part des accès contrôlés par France Télécom ne prend en compte aucune prestation de collecte (nationale ou régionale). Pour déterminer la part contrôlée par France Télécom, sont soustraits de l'ensemble des accès DSL les accès DSL dégroupés, pour lesquels France Télécom perd le contrôle de l'accès au profit des opérateurs alternatifs.

Sous ces hypothèses, France Télécom contrôle 72 % des accès au 1er avril 2005.

Une analyse prospective montre que France Télécom détiendrait encore environ 60 % des accès à l'horizon début 2008, au regard des perspectives de développement du dégroupage.


III-B-2-b. Accès et collecte nationale


Si on considère les accès contrôlés au niveau national, en incluant la production interne, le calcul indique que la part de marché de France Télécom reste sensiblement supérieure à 50 %, à environ 55 % au 1er avril 2005.

Dans ce calcul est pris en compte l'ensemble des accès DSL vendus sur le marché de détail, production interne comprise, soit 7,2 millions d'accès au 1er avril 2005.

Afin d'estimer la part des accès contrôlés, les accès que France Télécom vend sur le marché de détail sont considérés comme de la production interne au niveau national. En effet, la part des accès formellement livrée au tarif régional est donc complétée par une prestation de collecte et le trafic remonté au niveau national.

A ces accès produits en interne au niveau national sont ajoutés les accès que France Télécom vend sur le marché de gros des offres d'accès large bande livrées au niveau national aux opérateurs et fournisseurs d'accès à Internet alternatifs qui utilisent l'offre IP ADSL nationale.

Par ailleurs, une analyse prospective montre que France Télécom contrôlerait encore plus de 50 % des accès à l'horizon début 2008, sous l'hypothèse d'un maintien de sa part de marché sur le marché de détail et compte tenu de l'évolution des parts de marché de l'offre IP ADSL nationale de France Télécom, qui peut sensiblement augmenter, sous l'hypothèse d'une régulation allégée de cette offre.


III-B-3. Proportion de la valeur contrôlée


Au-delà de la mesure de la part des accès contrôlés, il est nécessaire d'estimer la part de la valeur que maîtrise France Télécom sur l'ensemble des marchés du haut débit. Cette estimation permet de prendre en considération, dans la détermination de l'influence significative sur le marché national, les effets de gamme et d'échelle dont France Télécom est susceptible de bénéficier, en tant qu'opérateur verticalement intégré présent sur plusieurs marchés du haut débit, amont et aval, par rapport au marché national. Ce calcul reflète également les effets de levier dont France Télécom profite sur le marché national au regard de sa position sur les marchés connexes amont du dégroupage et des offres de gros livrées au niveau régional et aval de détail.

Pour les besoins de cette partie, on définit « valeur » comme le produit du prix d'une prestation sur un marché (de gros ou de détail) donné par le nombre d'accès vendus sur ce marché.

Une représentation graphique de la valeur ainsi définie pour l'ensemble des marchés de gros et de détail du haut débit est proposée sur le schéma de l'annexe I.

Ce graphique prend en compte l'ensemble des accès DSL fournis sur le marché de détail, soit 7,2 millions d'accès au 1er avril 2005.

Un marché est représenté par une ligne horizontale. Ainsi, la première ligne horizontale représente le marché du dégroupage de la boucle locale ; la seconde ligne horizontale, le marché de gros des offres d'accès large bande livrées au niveau régional ; la troisième, le marché de gros des offres d'accès large bande livrées au niveau national. Enfin, le marché de détail est représenté par le contour du graphique.

La valeur de chacun des segments de marché est représentée verticalement. Pour un accès donné, vendu sur le marché de détail, la boucle locale représente environ 10 euros, l'accès et la collecte régionale environ 10 euros, d'après le modèle de l'accès publié par l'Autorité, la collecte nationale environ 3 euros et le service Internet environ autant.

Sous ces hypothèses, l'aire totale du graphique représente une estimation de la valeur produite sur l'ensemble des marchés du haut débit.

Ainsi, France Télécom détient :

- 100 % de la valeur sur le marché du dégroupage du fait du contrôle de l'infrastructure cuivre ;

- 86 % de la valeur sur le marché des offres livrées au niveau régional ;

- environ 80 % de la valeur sur le marché des offres livrées au niveau national ;

- et environ 77 % de la valeur sur le marché de détail.

Dans une approche prospective, à l'horizon début 2008, et au regard des éléments préalablement exposés, France Télécom détiendrait encore plus de 70 % de la valeur sur le marché national, en tenant compte d'une progression du dégroupage et des offres d'accès large bande livrées au niveau régional sur la période considérée.

En conséquence, France Télécom détient durablement une part significative de la valeur sur l'ensemble des marchés du haut débit.


III-B-4. Synthèse


L'ensemble des résultats présentés ci-dessus permet de dresser le tableau suivant, présentant pour France Télécom la part de marché, la part des accès contrôlés et la part de la valeur contrôlée, au 1er avril 2005 et une estimation au 1er janvier 2008.



Vous pouvez consulter le tableau dans le JO

n° 212 du 11/09/2005 texte numéro 37



Il résulte de cette analyse que France Télécom détient une part de marché importante sur le marché national. En outre, France Télécom détiendrait durablement une part significative des accès contrôlés sur le marché de gros des accès large bande livrés au niveau national et à l'horizon de l'analyse détiendra une part de la valeur contrôlée sur ce marché supérieure à 70 %.


III-C. Indicateurs qualitatifs


Le calcul des parts de marché n'est pas suffisant pour évaluer la situation concurrentielle du marché. Il est en effet utile de compléter cette mesure chiffrée par une analyse approfondie des caractéristiques économiques du marché pertinent, avant de conclure à l'exercice par un opérateur d'une influence significative sur le marché.

Dans l'analyse qui suit, l'Autorité a retenu, parmi les critères qualitatifs évoqués par la Commission européenne dans ses lignes directrices sur l'analyse des marchés, ceux qu'elle estime être les plus pertinents pour la désignation de l'opérateur puissant dans le cas particulier du marché des offres de gros d'accès large bande livrées au niveau national.


III-C-1. La taille de l'entreprise et le contrôle

d'une infrastructure qu'il n'est pas facile de dupliquer


Le marché de gros des offres d'accès large bande livrées au niveau national est caractérisé par des effets de levier importants avec les marchés de gros des offres d'accès large bande livrées au niveau régional du fait du contrôle par France Télécom de l'infrastructure sous-jacente.

L'Autorité rappelle que cette infrastructure, la boucle locale cuivre, a été qualifiée de facilité essentielle par le Conseil de la concurrence à de nombreuses reprises (cf. avis no 04-A-01 du 8 janvier 2004 relatif à une demande d'avis de l'AFORS sur les principes généraux des relations contractuelles entre les utilisateurs et les différents acteurs du dégroupage, ou encore l'avis no 05-A-03 du 31 janvier 2005 susvisé).

Par ailleurs, au 1er janvier 2005, plus de 7 000 répartiteurs ont été équipés de DSLAM par France Télécom (26). L'opérateur historique couvre ainsi potentiellement près de 90 % de la population en ADSL.

L'Autorité examine les conditions dans lesquelles les opérateurs alternatifs sont en mesure de proposer des offres alternatives d'accès large bande livrées au niveau national.

Pour ce faire, les opérateurs alternatifs doivent répliquer une partie de l'infrastructure ADSL de France Télécom en se fondant sur :

- le dégroupage de la boucle locale en zones denses ;

- les offres d'accès large bande livrées au niveau régional dans les autres zones.


(26) Source : communiqué de presse de France Télécom du 10 février 2005.

III-C-1-a. Recours au dégroupage de la boucle locale


Un opérateur alternatif ayant recours au dégroupage doit consentir des investissements correspondant au déploiement d'infrastructures suffisamment capillaires pour atteindre les répartiteurs dégroupés. L'Autorité estime qu'un opérateur alternatif qui souhaite dégrouper 300 répartiteurs doit investir globalement entre 100 et 150 millions d'euros.

Au 1er avril 2005, environ 900 répartiteurs ont été livrés par France Télécom aux opérateurs alternatifs, leur permettant ainsi de couvrir environ 50 % de la population métropolitaine. France Télécom détient donc à ce jour une position unique et incontournable sur le marché du haut débit en raison de l'étendue de sa couverture géographique.

En suivant une approche plus prospective, on peut estimer que France Télécom bénéficie d'une avance de plus de trois ans sur les opérateurs alternatifs dans le déploiement d'un réseau ADSL d'envergure nationale, comme le montre le tableau de la partie II-B-3 de la présente décision.

France Télécom a en outre annoncé être en mesure de couvrir 96 % de la population fin 2005 et aura équipé l'ensemble de ses répartiteurs en DSL dans le courant de l'année 2006. L'évolution des zones dégroupées dans les mois et les années à venir, et à tout le moins à l'horizon de l'analyse, reste quant à elle encore incertaine.

L'extension du dégroupage est en effet longue et coûteuse. Chaque nouveau répartiteur doit être aménagé pour héberger les équipements spécifiques. S'agissant des coûts de collecte, un opérateur alternatif ayant recours au dégroupage doit consentir des investissements correspondant au déploiement d'infrastructures suffisamment capillaires pour atteindre les répartiteurs dégroupés.

Ces coûts fixes sont assez largement indépendants de la taille du répartiteur dégroupé, dans la mesure où le génie civil mis en oeuvre pour étendre le réseau vers un répartiteur, en tant qu'il représente le principal inducteur de coût, ne dépend pas de la taille du répartiteur.

Or l'observation de la taille des répartiteurs montre que l'extension de couverture obtenue par l'ouverture de 300 répartiteurs supplémentaires au dégroupage est de plus en plus réduite. A titre d'illustration, les 900 premiers répartiteurs couvrent près de la moitié de la population, soit autant que les 11 100 répartiteurs suivants.

Dans ces conditions, un opérateur alternatif qui souhaite étendre sa zone de dégroupage est amené à dégrouper des répartiteurs de plus en plus petits, et donc à amortir des coûts fixes sur un nombre de plus en plus réduit de clients. Le coût par abonné du dégroupage croît donc fortement avec l'extension géographique du dégroupage.

Ainsi, l'extension de la couverture d'un opérateur par le dégroupage est de moins en moins rentable. Il existe probablement une limite structurelle à la rentabilité et, par voie de conséquence, à l'extension du dégroupage.

Au vu de ce qui précède, il apparaît que la couverture géographique du réseau DSL de France Télécom rend l'opérateur actuellement incontournable sur près de la moitié du territoire. En outre, cette infrastructure DSL apparaît, à l'horizon de l'analyse, difficilement duplicable par un opérateur alternatif ayant recours au dégroupage.


III-C-1-b. Recours aux offres d'accès large bande

livrées au niveau régional


Pour proposer des offres d'accès large bande livrées au niveau national, un opérateur alternatif ne disposant pas d'infrastructures en propre devra théoriquement déployer a minima un réseau de collecte à l'échelle nationale reliant au moins une vingtaine de points.

Ce déploiement se traduit essentiellement par du génie civil ou de la location de fibre. Le montant des investissements nécessaires à l'établissement d'un réseau national comme vu ci-dessus est supérieur à 200 millions d'euros. A la fin des années 1990, ont déployé un réseau de collecte nationale les opérateurs alternatifs qui disposaient d'un capital suffisant et ceux qui envisageaient de le rentabiliser avec la collecte des flux professionnels et voix. Seuls deux opérateurs ont à ce jour déployé un tel réseau.

Le niveau des investissements, ainsi que l'espace économique laissé entre les offres d'accès large bande livrées au niveau régional et les offres d'accès large bande livrées au niveau national pour la clientèle résidentielle, témoignent de l'existence de barrières structurelles élevées qui rendent improbable le déploiement d'un nouveau réseau alternatif de collecte nationale à l'horizon de l'analyse.

Par ailleurs, les offres d'accès large bande livrées au niveau régional n'ont été mises en place que très progressivement, en particulier pour ce qui concerne l'offre de livraison en mode ATM qui n'a évolué qu'au travers de plusieurs contentieux successifs. Cela explique que les opérateurs alternatifs n'atteignent pas, en dehors des zones dégroupées, un poids notable par rapport à celui du groupe France Télécom.


III-C-1-c. Conclusion


Afin de compléter la couverture DSL de la population obtenue grâce au dégroupage, les opérateurs alternatifs peuvent recourir, dans les zones de plus faible densité, aux offres d'accès large bande livrées au niveau régional pour construire leurs offres d'accès large bande livrées au niveau national.

Les opérateurs alternatifs ne recourent aux offres d'accès large bande livrées au niveau régional qu'en complément du dégroupage de la boucle locale. En effet, à supposer qu'un opérateur alternatif puisse consentir les investissements nécessaires pour déployer un réseau de collecte nationale, l'espace économique existant entre les offres d'accès large bande livrées au niveau régional et les offres d'accès large bande livrées au niveau national pour la clientèle résidentielle permettrait difficilement de les rentabiliser.

Par conséquent, le niveau des investissements nécessaires pour entrer sur le marché et les faibles perspectives de retour sur investissement impliquent qu'un opérateur alternatif désireux de proposer des offres sur le marché des offres de gros d'accès large bande livrées au niveau national soit confronté à des barrières élevées et non transitoires.

L'Autorité déduit de ce qui précède que France Télécom contrôle une infrastructure qu'il n'est pas facile de dupliquer.


III-C-2. L'intégration verticale de France Télécom

et l'existence d'économies d'échelle


France Télécom est présente sur l'ensemble de la chaîne de valeur du haut débit, à savoir les marchés de gros du dégroupage de la boucle locale, des offres d'accès large bande livrées aux niveaux régional et national, mais aussi les marchés de détail. Cette situation a été renforcée par la réintégration récente de la filiale Wanadoo au sein de la maison mère. Au niveau national, une part significative des accès large bande est produite par France Télécom pour être commercialisée par ses propres services ou filiales sur les marchés de détail.

S'il ressort traditionnellement de la jurisprudence des autorités de concurrence en matière de concentration (27) que la production interne ne doit pas être prise en compte dans la définition du marché pertinent, lequel doit être limité aux échanges effectifs sur le marché libre, cette production ne saurait cependant être ignorée lors de l'analyse concurrentielle, en particulier lorsqu'une entreprise offre des prestations à la fois pour répondre à ses propres besoins et pour satisfaire ceux d'entités économiques distinctes.

En effet, dans cette hypothèse, les prestations que l'entreprise se fournit à elle-même peuvent constituer un levier lui permettant d'exercer une pression concurrentielle sur les prix pratiqués sur le marché.

Ainsi, sans conclure à la nécessité de prendre en compte la production interne pour définir le marché et calculer la part de marché pour les biens et les services intermédiaires, la Commission précise dans ses lignes directrices du 13 octobre 2000 relatives aux restrictions verticales (28) que « la production interne, c'est-à-dire la fabrication par une entreprise d'un bien intermédiaire aux fins de sa propre production, peut revêtir une très grande importance dans une analyse de la concurrence en tant que contrainte concurrentielle ou en tant que facteur qui renforce la position d'une entreprise sur le marché ».

En l'espèce, la production d'accès haut débit étant régie par une économie de coûts fixes, le volume global d'accès, destinés au marché intermédiaire et au marché de détail, produits par un même opérateur, est une source d'économies d'échelle substantielles.

Par le biais de ces économies d'échelles, le volume d'accès produits par un opérateur pour être commercialisés en propre sur le marché de détail a un impact direct sur les coûts de production des accès large bande vendus par ce même opérateur sur le marché de gros.

Au regard de l'importance du nombre d'accès cédés en interne par rapport au nombre total d'accès produits sur les marchés du haut débit, cet effet apparaît comme particulièrement structurant sur le marché des offres de gros nationales. Ainsi, sur les accès large bande produits en France au 1er avril 2005, seuls environ 15 % étaient échangés sur le marché des offres de gros nationales, les autres étant commercialisés sur des marchés amonts ou avals.

L'Autorité considère que ces économies d'échelle confèrent aux opérateurs intégrés ayant une forte production interne, un avantage substantiel en termes de coûts par rapport à ceux de leurs concurrents qui ne sont pas intégrés ou dont la production interne est moins importante.

Cet élément caractéristique du positionnement d'un opérateur sur le marché des offres de gros livrées au niveau national n'est pas mesuré par le seul calcul des parts de marché portant sur les échanges constatés.

Etant donné que près de 80 % des accès large bande contrôlés par France Télécom au niveau national au 1er avril 2005 sont des accès qu'elle produit pour elle-même, la production interne liée à l'intégration verticale de France Télécom joue un rôle essentiel en permettant de diminuer les coûts de production des accès large bande vendus par France Télécom sur le marché de gros.

En outre, l'existence de débouchés captifs et à grande échelle permettrait à France Télécom, en l'absence de régulation ex ante, de se comporter dans une certaine mesure de façon indépendante de la demande exprimée par les opérateurs concurrents sur le marché de gros.

Enfin, en raison de son intégration verticale et de sa présence en amont du marché considéré, France Télécom est en mesure d'économiser les coûts de transaction que supportent en revanche les autres opérateurs qui s'appuient sur le dégroupage ou sur les offres d'accès large bande livrées au niveau régional pour produire des offres de gros d'accès large bande livrées au niveau national.

Dans ses observations susvisées, la Commission indique que « si les remèdes amont étaient déjà en vigueur, ces économies peuvent être contraintes dans une large mesure ». En effet, les marchés amont du dégroupage et des offres d'accès large bande livrées au niveau régional, font l'objet d'une régulation ex ante de l'Autorité (cf. décisions no 2005-275, 2005-277, 2005-278 et 2005-280 en date du 19 mai 2005).

S'agissant de l'offre de dégroupage, tout d'abord, il apparaît que l'effet de la régulation est limité pour ce qui est de faire bénéficier les opérateurs d'économies d'échelles similaires à celles de France Télécom. En effet, l'offre de dégroupage a été créée pour que l'opérateur alternatif soit le plus indépendant possible de France Télécom : chaque opérateur présent sur cette offre doit consentir de lourds investissements pour installer ses propres équipements dans les sites de France Télécom, puis utilise son propre réseau de collecte.

Dans ce cas, les investissements qui peuvent être mutualisés avec France Télécom sont par nature réduits à l'utilisation de salles communes pour l'hébergement d'équipements DSL par exemple, les équipements étant, en revanche, spécifiques à chaque opérateur, ou à des développements de systèmes d'information communs pour la gestion des commandes.

L'économie d'un opérateur ayant recours au dégroupage est donc largement déterminée par sa propre taille :

- sur le segment de l'accès, avec la même offre de dégroupage, un opérateur maîtrisant 5 % des accès aura des coûts de production unitaire de 55 % plus élevés (29) qu'un opérateur détenant 15 % du marché, qui aura lui-même un coût de production unitaire 28 % (29) plus élevé qu'un opérateur détenant plus de 70 % des accès, ce qui est le cas de France Télécom ;

- sur le segment de la collecte, les mêmes économies d'échelle se produisent en s'amplifiant, du fait de l'asymétrie existant entre France Télécom et les opérateurs alternatifs sur les marchés du haut débit, mais également de la téléphonie et des liaisons louées. Le coût unitaire de collecte de France Télécom est donc inférieur d'un facteur cinq à dix à celui d'un opérateur alternatif.

Enfin, la régulation du marché des offres régionales vise, sur la zone de dégroupage et de son extension probable, à éviter que n'y soient pratiqués des tarifs d'éviction par rapport au marché du dégroupage. Dans ce cas, les tarifs de l'offre de gros tiennent compte des coûts d'un opérateur alternatif efficace faisant du dégroupage, bénéficiant d'effets d'échelle nécessairement plus réduits que ceux de France Télécom.

En conclusion, l'intégration verticale de France Télécom en amont et en aval du marché objet de la présente analyse ainsi que l'importance de sa production interne renforcent sa capacité à se comporter, en l'absence de régulation, indépendamment de ses clients et de ses concurrents sur le marché de gros.


(27) Décision de la Commission du 28 avril 1992 Accor/Wagons-Lits (affaire IV/M126) ; décision de la Commission du 11 juillet 2001 BASF/Eurodiol/Pantochim (affaire COMP/M.2314). (28) Communication de la Commission ; lignes directrices sur les restrictions verticales en date du 13 octobre 2000 (2000/C 291/01). (29) Selon le modèle de coûts des accès dégroupés publié par l'Autorité sur son site Internet.

III-D. Conclusion


A l'issue de l'analyse qui précède, l'Autorité considère que la société France Télécom exerce une influence significative sur le marché pertinent de gros des offres d'accès large bande livrées au niveau national.


IV. - AVIS DU CONSEIL DE LA CONCURRENCE


Conformément à l'article L. 37-1 du code des postes et des communications électroniques, l'Autorité a sollicité l'avis du Conseil de la concurrence sur la délimitation des marchés pertinents et sur la désignation d'un opérateur exerçant une influence significative.

Le conseil confirme l'analyse de l'Autorité quant au caractère pertinent du marché ainsi défini pour une régulation ex ante ainsi que pour la désignation de France Télécom comme opérateur exerçant une influence significative.


IV-A. - Sur la régulation des marchés de gros


Le conseil confirme qu'une régulation du marché de détail sous jacent ne serait pas pertinente et qu'il existe par ailleurs d'autres outils permettant d'agir sur ce marché en cas de dysfonctionnement. Il considère ainsi que la régulation ex ante est justifiée pour les seuls marchés de gros, dans les termes suivants :

« Une régulation efficace de ces offres de gros, qui s'attache à vérifier non seulement qu'elles respectent, lorsque cela est nécessaire, le principe de l'orientation vers les coûts mais aussi qu'elles permettent efficacement la réplicabilité dans des conditions normales du marché - tant du point de vue technique, opérationnel qu'économique - des offres de détail de France Télécom, paraît plus adaptée » (30).


(30) Paragraphe no 27 de l'avis 05-A-03 susvisé.

IV-B. - Sur la délimitation des marchés de gros


En ce qui concerne la distinction faite entre offres de gros d'accès large bande au niveau régional et offres de gros large bande livrée à un point de collecte national, ainsi que la dimension géographique des marchés d'accès à large bande, le conseil précise « qu'il partage globalement cette analyse » (31).

« S'agissant de la délimitation géographique du marché, le Conseil constate qu'effectivement les frontières des zones dégroupées et des zones non dégroupées évoluent rapidement. Les conditions de concurrence sur ces zones sont directement liées à la progression de la capillarité des réseaux des opérateurs et à leur déploiement sur les répartiteurs ouverts par France Télécom au dégroupage. Si ce déploiement doit à terme rencontrer une limite du fait de perspectives de rentabilité insuffisantes sur les zones restant à couvrir, cette limite n'est pas connue aujourd'hui. [...] Une délimitation géographique des zones non dégroupées pourrait donc artificiellement figer le marché et restreindre sa dynamique. L'absence de distinction a priori s'inscrit bien, au cas d'espèce, dans la démarche prospective imposée par le nouveau cadre réglementaire, particulièrement pertinente sur les marchés du haut débit compte tenu des évolutions très rapides qui peuvent y être constatées. »


(31) Paragraphe no 49.

IV-C. - Sur la pertinence du marché objet

de la présente analyse


S'agissant du respect des trois critères imposés par la Commission européenne lorsqu'une autorité réglementaire nationale entend définir un marché non listé dans la recommandation de la Commission du 11 février 2003 susvisée, le conseil note tout d'abord que « les opérateurs tiers se sont heurtés dans leurs tentatives d'entrée sur les marchés du gros d'accès large bande DSL, à de fortes barrières constituées par les prix relatifs de France Télécom sur ces marchés et sur celui du dégroupage. L'allègement de ces barrières a nécessité, outre la régulation spécifique du dégroupage prévue par la réglementation européenne et nationale, de multiples interventions du régulateur. Les prix relatifs de France Télécom sur ces marchés de gros renforcent les barrières constituées par ailleurs par le coût de déploiement d'un réseau puisqu'ils en déterminent à tout moment la rentabilité » (32).

Le rappel des éléments de contexte du marché vient ainsi souligner l'existence de fortes barrières à l'entrée et, partant, la vérification du premier critère de l'analyse concurrentielle. En outre le conseil indique que, sur le marché objet de la présente analyse, « l'offre et la demande se contractent de près d'un million d'accès entre fin juillet et octobre 2004. Cette différence s'explique par la réintégration de Wanadoo mais aussi, comme l'explique l'ART, par le développement du dégroupage, l'introduction d'une offre de collecte régionale dans la gamme IP/ADSL en février 2004 et le développement de l'offre ADSL Connect ATM, qui ont entraîné le report d'une partie de la demande sur les offres régionales. (...) que sur le marché de gros de l'accès large bande DSL livré au niveau national, en octobre 2004, 44 % des accès étaient commercialisés par France Télécom, contre 56 % par les opérateurs tiers, alors que ces chiffres étaient de 77 % et 23 % en juillet 2004. Toutefois, les chiffres des opérateurs tiers incluent les accès qu'ils se produisent pour leur propre compte lorsqu'ils intègrent l'activité d'opérateur et celle de fournisseur d'accès à Internet comme par exemple les accès des offres Free. Neuf Télécom et Cegetel sont offreurs sur ce marché » (33).

Enfin, il estime que « le risque de préemption de la valeur ajoutée du secteur par l'opérateur qui détient la maîtrise de l'accès à l'abonné justifie que des obligations, qui relèvent de la régulation ex ante, telles que l'orientation vers les coûts des tarifs, soient imposées aux offres sur le marché de gros. (...) la régulation ex ante des différentes offres de gros permettra comme elle l'a fait par le passé de maintenir entre elles les espaces économiques nécessaires au développement d'une concurrence effective. (...) il convient également de rappeler que la régulation ex ante peut permettre de poursuivre des objectifs plus larges que ceux recherchés par le droit de la concurrence, notamment quant à l'horizon temporel pris en compte » (34).

Ainsi, les deux derniers critères relatifs au dynamisme de la concurrence et à l'incapacité du droit de la concurrence de remédier aux défaillances persistantes du marché sont vérifiés.

Dans ces conditions, le Conseil de la concurrence conclut que le marché de l'accès large bande DSL livré en un point national est un marché pertinent.


(32) Paragraphe no 77. (33) Paragraphes n°s 92 et 93. (34) Paragraphes n°s 97, 98 et 100.

IV-D. - Sur l'application dans le temps

de la présente analyse


Le conseil estime que « compte tenu des problèmes de concurrence identifiés sur le marché de gros de l'accès large bande DSL livré en un point national dans l'analyse ci-dessus, la fixation d'un délai de douze mois au terme duquel l'ART se propose de procéder à une nouvelle analyse de ce marché, exercice lourd et exigent, semble de nature à nuire à la cohérence d'ensemble du dispositif de régulation, dont l'horizon prévu est de trois ans ».


IV-E. - Sur la détermination

de la puissance de marché


Le conseil souligne que « selon une jurisprudence constante des autorités de concurrence tant nationales que communautaires, l'autoconsommation n'est pas prise en compte pour mesurer le périmètre du marché dans la mesure où, n'étant pas offerte sur le marché, elle ne vient pas concurrencer les biens ou services fournis par celui-ci. [...] l'analyse qui précède ne préjuge pas de l'appréciation du pouvoir de marché de France Télécom dans la mesure où celui-ci dépend essentiellement de la maîtrise de la boucle locale cuivre marché sur lequel France Télécom est quasiment le seul offreur, et où les accès "disparus des marchés de gros subsistent sur le marché de détail. Les lignes directrices de la Commission sur les restrictions verticales, citées par l'ART dans sa saisine, mettent l'accent sur le fait que les effets de l'intégration verticale sur le pouvoir de marché d'une entreprise peuvent être pris en compte, mais que pour autant, pour définir le marché et calculer la part de marché pour les biens et services intermédiaires, la production interne ne sera pas prise en considération » (35).

Il précise que « l'opérateur historique est en quasi-monopole sur la boucle locale de cuivre. [...] sur le marché de gros de l'accès large bande DSL livré en un point national, l'ART estime la part de marché de France Télécom, en prenant en compte l'autoconsommation, à plus de 60 % en octobre 2004, contre 80 % en juillet 2004. Toutefois, elle précise que cette progression ne devrait pas se poursuivre (cf. 94 ci-dessus) et avance des éléments qualitatifs qui fondent la puissance de France Télécom sur les marchés de gros du haut débit. Le Conseil partage cette position, même en ramenant la part de marché de France Télécom sur marché de gros régional à moins de 50 % du fait de la non-prise en compte de l'autoconsommation. La taille de France Télécom, son intégration verticale, sa présence sur l'ensemble des marchés des communications électroniques et surtout sa maîtrise de la boucle locale cuivre sont autant d'éléments qui la mettent en mesure, sur ces marchés, de se comporter, dans une mesure appréciable, de manière indépendante de ses concurrents, de ses clients et, en fin de compte, des consommateurs » (36).

Le Conseil de la concurrence tire de l'ensemble de ces éléments la conclusion que France Télécom exerce une « puissance significative sur ces marchés ».


(35) Paragraphes n°s 84 et 89. (36) Paragraphes n°s 101 et 102.

V. - COMMENTAIRES DES AUTORITÉS RÉGLEMENTAIRES

NATIONALES ET DE LA COMMISSION EUROPÉENNE


La Commission européenne a formulé les observations suivantes s'agissant de l'analyse du marché de gros des offres d'accès large bande livrées au niveau national présentée par l'Autorité.

En ce qui concerne la définition du marché pertinent, la Commission souligne que ce marché de produits a été considéré par certains régulateurs comme faisant partie du marché 12 de la recommandation. Toutefois, « dans le cas présent, néanmoins, et vu la notification et les informations additionnelles fournies par l'ARCEP, la Commission estime que l'ARCEP a démontré l'existence de circonstances nationales spécifiques (notamment, une substituabilité asymétrique et le test des "trois critères) justifiant que le marché tel que notifié constitue un marché séparé susceptible d'une régulation ex ante ».

Sur l'influence significative de France Télécom, la Commission note « que l'évolution passée des parts de marché observée sur le marché pertinent peut être principalement le résultat de la régulation existante sur les tarifs de l'"option 5 nationale de France Télécom et dès lors les parts de marchés dans le cas présent peuvent ne pas nécessairement refléter des informations fiables sur le niveau concurrentiel de l'offre sur le marché pertinent ».

La Commission souhaite toutefois que l'ARCEP apporte des précisions dans sa décision finale sur deux points. Tout d'abord, la Commission considère que « si les remèdes amont étaient déjà en vigueur », les économies d'échelle dont bénéficie France Télécom pourraient « être contraintes dans une large mesure ». L'ARCEP a pris en compte cette observation et a modifié son analyse (cf. partie III-C-2).

Ensuite, la Commission est d'avis que l'ARCEP doit expliquer avec plus de détails les « obstacles qui peuvent limiter la capacité des entreprises en autoconsommation d'entrer sur le marché ». En outre, elle demande que les changements « structurels imminents, [...] et leurs effets sur les conditions concurrentielles » soient abordés dans l'analyse de l'ARCEP.

Dans la partie III-B-1, l'Autorité a précisé son analyse en ce qui concerne le premier point et a effectivement pris en compte les effets de la fusion annoncée de Neuf et Cegetel.

Sur la durée de validité de l'analyse de marché, la Commission considère que « si prima facie, il ne peut être exclu que ces inquiétudes et leurs effets potentiels sur les opérateurs réseaux et fournisseurs d'accès à Internet se matérialisent à court terme, [...] quand les obligations sur le dégroupage et les produits d'accès large bande livrés au niveau régional seront proprement mis en oeuvre, et en particulier la séparation comptable, la régulation proposée par cette notification ne sera plus nécessaire ». En conséquence, elle ajoute que « vu les incertitudes liées à l'évolution des conditions de marché au-delà des prochains douze mois et l'effet des remèdes amont une fois proprement mis en oeuvre, la Commission invite l'ARCEP (i) à assurer la mise en oeuvre complète et effective des obligations existantes sur le dégroupage et les produits d'accès large bande livrés au niveau régional aussitôt que possible ; (ii) à s'engager à revoir la présente analyse de marché dès que l'entrée en vigueur des remèdes cités ci-dessus en (i) est complètement assurée et ce, au plus tard, dans l'année qui suit l'adoption de la mesure finale résultant de cette notification, et (iii) de limiter en conséquence la validité des obligations proposées dans le présent projet de mesure ».

L'Autorité a pris en compte cette observation : la durée de validité de la présente analyse de marché est ainsi fixée à un an et non plus à trois ans comme initialement proposé.

Par ailleurs, en ce qui concerne les obligations, l'Autorité note que la Commission souligne (37) que « la transparence comptable interne peut en principe être abordée de manière appropriée par les obligations de non-discrimination et de séparation comptable. Cette dernière obligation peut exiger que les charges de transfert (marché libre) et les achats internes (production interne) entre marchés et services soient identifiés en détail suffisant pour démontrer le respect des obligations de non-discrimination. La séparation comptable peut aussi couvrir la divulgation d'informations relatives à des produits "non PSM (par exemple, les services de collecte ou "option 5 minus LLU/bitstream), qui sont liés ou associés aux produits, le marché pertinent desquels n'est pas considéré en concurrence effective ».


(37) Note de bas de page 13, pages 7-8.

VI. - OBLIGATIONS IMPOSÉES À FRANCE TÉLÉCOM


Confrontés à la perspective de pertes durables de parts de marché globales sur les marchés du haut débit, les opérateurs historiques peuvent économiquement être incités à adopter des comportements anticoncurrentiels.

De fait, en France, les autorités de concurrence nationale et communautaire ont été amenées à intervenir à plusieurs reprises, entre 1999 et 2005, à la suite de saisines par des opérateurs alternatifs ou de leur propre initiative.

Sur le marché de détail du haut débit résidentiel, le Conseil de la concurrence a ainsi prononcé à plusieurs reprises des mesures conservatoires enjoignant à France Télécom de suspendre des offres tarifaires, notamment dans ses décisions no 98-MC-03 en date du 19 mai 1998 et no 99-MC-06 en date du 23 juin 1999, ou de suspendre la commercialisation de packs ADSL dans sa décision no 02-MC-03 en date du 27 février 2002. En outre, dans sa décision 04-D-18 en date du 13 mai 2004, le conseil a considéré que France Télécom avait continué à se livrer à des pratiques anticoncurrentielles graves sur le marché de l'accès haut débit à Internet malgré l'injonction à son encontre du 18 février 2000 conduisant à la création de l'offre de gros dite d' « option 3 » et lui a infligé une sanction pécuniaire d'un montant de 20 millions d'euros. La cour d'appel a confirmé cette sanction dans un arrêt du 11 janvier 2005 et l'a doublée en la portant à 40 millions d'euros en considérant que le non-respect d'une injonction formulée en mesures conservatoires constituait en soi « une pratique d'une extrême gravité » qui en l'espèce avait permis à France Télécom de maintenir son quasi-monopole. Elle a tenu compte pour aggraver la sanction du « non-respect délibéré d'une injonction claire, précise et dépourvue d'ambiguïté » et de « la persistance » du comportement anticoncurrentiel de l'opérateur.

Par ailleurs, dans sa décision COMP/38.233, en date du 13 juillet 2003, la Commission européenne a estimé que Wanadoo Interactive s'était livré à des pratiques anticoncurrentielles en pratiquant pour ses services eXtense et Wanadoo ADSL des prix prédateurs ne lui permettant pas de couvrir ses coûts variables jusqu'en août 2001 et ses coûts complets à partir d'août 2001, sur le marché de l'accès Internet haut débit, entre mars 2001 et octobre 2002. La Commission européenne a en conséquence infligé une sanction pécuniaire de 10,35 millions d'euros à Wanadoo Interactive. En outre, elle a enjoint à Wanadoo de lui transmettre, à l'issue de chaque exercice et jusqu'à l'exercice 2006 compris, le compte d'exploitation de ses différents services ADSL, faisant apparaître les revenus comptables, les coûts d'exploitation et les coûts d'acquisition de la clientèle.

L'Autorité constate par ailleurs que l'accès haut débit professionnel n'a pas fait l'objet d'une telle multiplication des procédures contentieuses relatives à des pratiques anticoncurrentielles au cours de la même période.

En outre, la réintégration de Wanadoo au sein de France Télécom amoindrit la capacité du régulateur sectoriel et des autorités de concurrence à détecter de telles pratiques, les flux financiers intra groupe et les conditions techniques de production des prestations internes étant moins transparentes.

Dans ces conditions, les obligations imposées à France Télécom sur le marché des offres large bande livrées au niveau national, défini comme pertinent par la présente décision, visent à prévenir la mise en oeuvre de pratiques anticoncurrentielles par l'opérateur historique. Ces obligations visent également à doter l'Autorité et les autorités de concurrence des moyens leur permettant, le cas échéant, de détecter et de faire cesser de telles pratiques.

VI-A. - Principes généraux relatifs à la détermination des obligations imposées à l'opérateur exerçant une influence significative sur un marché

Conformément à l'article 16 de la directive cadre, lorsqu'une autorité réglementaire nationale a identifié un opérateur exerçant une influence significative sur un marché pertinent, celle-ci est tenue de lui imposer des mesures réglementaires spécifiques visées aux articles 9 à 13 de la directive « accès ».

L'article L. 38-I du code des postes et des communications électroniques prévoit que « les opérateurs réputés exercer une influence significative sur un marché du secteur des communications électroniques peuvent se voir imposer, en matière d'interconnexion et d'accès, une ou plusieurs des obligations [...], proportionnées à la réalisation des objectifs mentionnés à l'article L. 32-1 ».

Il s'agit des obligations suivantes :

- rendre publiques des informations concernant l'interconnexion ou l'accès, notamment publier une offre technique et tarifaire détaillée d'interconnexion ou d'accès lorsqu'ils sont soumis à des obligations de non-discrimination ;

- fournir des prestations d'interconnexion ou d'accès dans des conditions non discriminatoires ;

- faire droit aux demandes raisonnables d'accès à des éléments de réseau ou à des moyens qui y sont associés ;

- ne pas pratiquer de tarifs excessifs ou d'éviction sur le marché en cause et pratiquer des tarifs reflétant les coûts correspondants ;

- isoler sur le plan comptable certaines activités en matière d'interconnexion ou d'accès.

En toute hypothèse et quelles que soient les obligations qui peuvent être imposées, celles-ci doivent être proportionnées aux objectifs généraux fixés à l'article L. 32-1 II du code des postes et des communications électroniques, à savoir :

« 1° [...] la fourniture et [le] financement de l'ensemble des composantes du service public des communications électroniques ;

2° [...] l'exercice au bénéfice des utilisateurs d'une concurrence effective et loyale entre les exploitants de réseau et les fournisseurs de services de communications électroniques ;

3° [le] développement de l'emploi, de l'investissement efficace dans les infrastructures, de l'innovation et de la compétitivité dans le secteur des communications électroniques ;

4° [...] la définition de conditions d'accès aux réseaux ouverts au public et d'interconnexion de ces réseaux qui garantissent la possibilité pour tous les utilisateurs de communiquer librement et l'égalité des conditions de la concurrence ;

5° [le] respect par les opérateurs de communications électroniques du secret des correspondances et du principe de neutralité au regard du contenu des messages transmis, ainsi que de la protection des données à caractère personnel ;

6° [le] respect, par les exploitants de réseau et les fournisseurs de services de communications électroniques de l'ordre public et des obligations de défense et de sécurité publique ;

7° [...] la prise en compte de l'intérêt des territoires et des utilisateurs, notamment handicapés, dans l'accès aux services et aux équipements ;

8° [le] développement de l'utilisation partagée entre opérateurs des installations mentionnées aux articles L. 47 et L. 48 ;

9° [...] l'absence de discrimination, dans des circonstances analogues, dans le traitement des opérateurs ;

10° [...] la mise en place et au développement de réseaux et de services et à l'interopérabilité des services au niveau européen ;

11° [...] l'utilisation et à la gestion efficaces des fréquences radioélectriques et des ressources de numérotation ;

12° [...] un niveau élevé de protection des consommateurs, grâce notamment à la fourniture d'informations claires, notamment par la transparence des tarifs et des conditions d'utilisation des services de communications électroniques accessibles au public ;

13° [le] respect de la plus grande neutralité possible, d'un point de vue technologique, des mesures qu'ils prennent ;

14° [...] l'intégrité et la sécurité des réseaux de communications électroniques ouverts au public. »


VI-B. - Obligations imposées à France Télécom


Compte tenu de la situation concurrentielle observée sur le marché de gros des offres d'accès haut débit livrées au niveau national, l'Autorité est amenée à imposer plusieurs obligations à France Télécom, établies au terme de l'analyse suivante.

Ces obligations sont les suivantes :

- interdiction de pratiquer des tarifs d'éviction, c'est-à-dire interdiction de pratiquer des niveaux de tarifs tels qu'ils ne permettraient pas aux fournisseurs d'accès à Internet et aux opérateurs alternatifs efficaces, en termes de structure de coûts et de clientèle desservie, de se développer et de concurrencer le groupe France Télécom avec une rémunération normale du capital investi ;

- non-discrimination, c'est-à-dire obligation pour France Télécom d'appliquer des conditions équivalentes dans des circonstances équivalentes aux autres opérateurs fournissant des services équivalents, et de fournir aux autres opérateurs des services et informations dans les mêmes conditions et avec la même qualité que ceux qu'il assure pour ses propres services ;

- séparation comptable, c'est-à-dire la mise en place d'un dispositif comptable qui permet d'une part d'assurer la transparence des prix des offres de gros et des prix de cessions internes à l'entreprise verticalement intégrée, et d'autre part de prévenir les subventions croisées abusives ;

- formalisation des conditions techniques et des prix de cession internes, permettant d'une part à l'Autorité de s'assurer de l'absence de discrimination et de tarifs d'éviction, et d'autre part de révéler l'existence d'éventuelles pratiques anticoncurrentielles sur le marché de détail, telles que des tarifs d'éviction ou la pratique de ciseaux tarifaires vis-à-vis des fournisseurs d'accès à Internet et opérateurs alternatifs efficaces.

Les parties V-B-1 à V-B-4 ci-après visent à détailler chacune de ces obligations et à justifier leur caractère proportionné au regard des objectifs du cadre législatif et réglementaire en vigueur.

Ainsi, il n'est prévu d'imposer à France Télécom ni d'obligation d'accès, ni d'obligation de refléter les coûts, ni d'obligation de publication des offres. Le dispositif de régulation ainsi défini allège sensiblement le cadre en vigueur jusqu'à ce jour.

Le dispositif de régulation défini pour la période couverte par la présente analyse de marché vise à laisser France Télécom plus libre que précédemment de ses pratiques techniques et tarifaires et à favoriser ainsi l'innovation et la compétitivité de l'opérateur historique.


VI-B-1. Proscription des tarifs d'éviction


L'article L. 38-I (4°) du code des postes et des communications électroniques prévoit que l'Autorité peut imposer un contrôle tarifaire aux opérateurs exerçant une influence significative.

L'Autorité constate que les investissements que les opérateurs ont consentis pour accroître la capillarité de leurs réseaux et procéder aux raccordements nécessaires à l'utilisation des offres de gros d'accès large bande livrées au niveau régional ou du dégroupage, dépendent essentiellement de l'espace économique qui est laissé :

- d'une part, entre ces offres d'accès large bande livrées au niveau régional et de dégroupage et l'offre commercialisée par France Télécom au niveau national ;

- d'autre part, entre ces mêmes offres d'accès large bande livrées au niveau régional et de dégroupage et les offres commercialisées par le groupe France Télécom sur le marché de détail, dépendant elles-mêmes directement des conditions et tarifs des cessions internes au groupe permettant de réaliser les offres de détail.

Ainsi qu'il a été exposé précédemment, l'Autorité estime que les facteurs ayant conduit France Télécom à pratiquer des tarifs d'éviction à ces deux niveaux n'ont pas disparu, et pourraient même être favorisés par la réintégration de Wanadoo au sein de France Télécom. France Télécom est ainsi en mesure de réduire l'espace économique laissé à ses concurrents, de façon d'une part à renforcer sa position sur le marché des offres de gros livrées au niveau national, afin de contrôler une part plus importante de la chaîne de valeur et d'autre part à évincer ou à réduire l'extension géographique des offres fondées sur le dégroupage, en ce qu'elles constituent une menace stratégique de moyen et de long termes.

Or les opérateurs concurrents de France Télécom ont investi et continuent d'investir de manière importante dans des réseaux concurrents de ceux de l'opérateur historique ; notamment les investissements annuels d'un opérateur dans le dégroupage sont de l'ordre de 100 à 150 millions d'euros (38). Dans le même temps, les tarifs de détail du haut débit sont, début 2005, parmi les moins élevés d'Europe, et les marges sont donc faibles.

La puissance de marché globale de France Télécom, liée notamment à sa maîtrise quasi exclusive des accès bas débit, d'une majorité des accès haut débit et de la quasi intégralité des paires de cuivre lui permettrait, si elle le souhaitait, de pratiquer des tarifs susceptibles d'évincer ses concurrents. De tels comportements ont été constatés dans le passé. Ainsi, le marché du dégroupage a été quasiment fermé par France Télécom entre début 2001 et mi-2002, jusqu'à la modification des tarifs du dégroupage imposée par la décision no 2002-323 de l'Autorité en date du 16 avril 2002, et le marché des offres livrées au niveau régional a été fermé par des comportements d'éviction de France Télécom entre 2001 et début 2004, tel que décrit ci-avant.

Compte tenu du développement du marché et des enjeux liés à la poursuite du développement de la concurrence, et notamment l'extension géographique des réseaux de collecte des opérateurs alternatifs leur permettant d'accéder au dégroupage et au plus bas niveau de livraison des offres livrées au niveau régional, l'Autorité estime justifié d'imposer à France Télécom l'obligation de ne pas pratiquer des tarifs d'éviction sur le marché des offres large bande livrées au niveau national, conformément à l'article L. 38-I (4°) du code des postes et des communications électroniques.

Cette obligation, qui vient alléger le dispositif précédemment en vigueur d'homologation préalable des tarifs, est, en l'absence de mesure moins contraignante ayant le même but, proportionnée aux objectifs fixés à l'article L. 32-1 (II) du code des postes et des communications électroniques, et, en particulier, « à l'exercice au bénéfice des utilisateurs d'une concurrence effective et loyale entre les exploitants de réseau et les fournisseurs de services de communications électroniques », et à « l'égalité des conditions de concurrence ».


(38) Source : annonces des opérateurs, notamment communiqués de presse de Iliad (10 mars et 16 juillet 2004), Cegetel (8 janvier 2004), 9Telecom (3 mai 2004), Club Internet (11 mai 2005).

VI-B-2. Non-discrimination


L'article L. 38-I (2°) du code des postes et des communications électroniques prévoit la possibilité d'imposer une obligation de non-discrimination à un opérateur réputé exercer une influence significative.

Conformément à l'article D. 309 du code des postes et des communications électroniques, l'imposition de l'obligation de non-discrimination implique que l'opérateur qui exerce une influence significative sur le marché applique « des conditions équivalentes dans des circonstances équivalant aux autres opérateurs fournissant des services équivalents » et qu'il fournisse « aux autres des services et informations dans les mêmes conditions et avec la même qualité que ceux qu'ils assurent pour leurs propres services, ou pour ceux de leurs filiales ou partenaires ».

France Télécom est un opérateur verticalement intégré, actif sur les marchés amont et aval du marché de gros des offres régionales et nationales d'accès large bande. Il est présent à travers sa filiale Transpac, notamment, sur le marché de détail de l'accès large bande « entreprises », et à travers les marques France Télécom ou Wanadoo notamment sur le segment « grand public ». La réintégration de Wanadoo au sein de France Télécom en 2004 est venue renforcer ce phénomène d'intégration verticale.

Par ailleurs, France Télécom contrôle l'accès à la ressource non duplicable par les opérateurs alternatifs constituée par la paire de cuivre téléphonique pouvant supporter les accès haut débit ADSL. En tant qu'opérateur verticalement intégré, France Télécom utilise les mêmes ressources de réseau pour produire, d'une part, les offres de gros destinées à ses concurrents, et d'autre part, les prestations destinées à ses propres services et permettant d'élaborer des prestations vendues sur le marché de détail par le groupe.

Dans ces conditions, et en l'absence d'une obligation de non-discrimination, France Télécom n'aurait aucune incitation à offrir à ses concurrents des conditions techniques ou tarifaires aussi avantageuses que celles qu'elle s'accorde à elle-même, à ses filiales ou à ses partenaires.

A contrario, elle serait en mesure de fournir sur le marché de gros amont - dégroupage et offres d'accès large bande livrées au niveau régional ou national - des prestations moins avantageuses ne permettant pas de reproduire ses prestations internes et ses offres de détail. Ainsi, France Télécom pourrait réduire la part de marché de ses concurrents, commercialiser des offres à plus forte valeur ajoutée et renforcer sa position sur les marchés de détail.

Un tel comportement aurait pour effet de limiter artificiellement le développement de la concurrence sur le marché objet de la présente analyse et plus généralement sur les marchés du haut débit. Or, les marchés du haut débit étant marqués par des économies d'échelle importantes, une contraction des parts de marché des opérateurs alternatifs dégraderait durablement leur structure de coûts. La croissance du marché du haut débit étant appelée à se ralentir progressivement, les opérateurs alternatifs pourraient avoir des difficultés durables à enrayer cette perte de part de marché, du fait de coûts plus élevés et d'une croissance globale moins forte.

Il apparaît en conséquence nécessaire, sur le fondement de l'article L. 38-I (2°) précité du code, d'imposer à France Télécom de fournir l'accès sur le marché national dans des conditions non discriminatoires. Cette obligation ne saurait être considérée comme disproportionnée dans la mesure où elle constitue le minimum nécessaire permettant d'atteindre les objectifs visés à l'article L. 32-1-II du code des postes et des communications électroniques, et en particulier ceux visant à garantir « l'exercice au bénéfice des utilisateurs d'une concurrence effective et loyale entre les exploitants de réseau et les fournisseurs de services de communications électroniques », et « l'absence de discrimination, dans des circonstances analogues, dans le traitement des opérateurs ».


VI-B-3. Séparation comptable


L'article L. 38-I (5°) du code des postes et des communications électroniques prévoit que l'Autorité peut imposer aux opérateurs exerçant d'une influence significative l'obligation d'isoler certaines activités sur le plan comptable. Comme le précise l'article 11 de la directive accès susvisée, l'obligation de séparation comptable repose sur la mise en oeuvre d'un système de comptabilisation et consiste en un dispositif comptable qui permet, d'une part, d'assurer la transparence des prix des offres de gros et des prix de transferts internes à l'entreprise verticalement intégrée et de ce fait, de garantir le respect de l'obligation de non-discrimination lorsqu'elle s'applique, et d'autre part, de prévenir les subventions croisées abusives.

La réintégration de Wanadoo au sein de France Télécom a pour conséquence, de renforcer sa structure verticale intégrée et d'accroître l'opacité ainsi que les risques concurrentiels, notamment les effets de leviers horizontaux et verticaux, les risques de pratiques d'éviction ou de subventions croisées. L'avis du Conseil de la concurrence précité indique que ce mouvement d'intégration « pourrait faciliter la mise en oeuvre des pratiques décrites ci-dessus dans la mesure où elle pourrait réduire la transparence des flux financiers entre les différents marchés concernés par les activités de France Télécom ».

Par ailleurs, la caractéristique d'infrastructure essentielle de la boucle locale cuivre de France Télécom donne à l'opérateur un pouvoir de marché sur l'ensemble des marchés avals, dont la situation concurrentielle est conditionnée par l'accès des opérateurs alternatifs à cette infrastructure essentielle. Cette position en amont met France Télécom en mesure d'évincer des marchés avals ses concurrents par le biais de subventions croisées ou de pratiques de ciseau tarifaire, et par voie de conséquence, limiter l'exercice d'une concurrence effective à la fois sur les marchés de gros et sur les marchés de détail.

Ce double aspect de la position concurrentielle de France Télécom sur les marchés des communications électroniques, qui peut se traduire par l'apparition de distorsions discriminatoires sur les marchés de gros et les marchés de détail, justifie l'imposition d'une obligation de séparation comptable.

En effet, comme le mentionne l'avis du Conseil de la concurrence susmentionné, « dans le cadre de l'ouverture à la concurrence de secteurs auparavant dominés par une entreprise en situation de monopole, la séparation comptable des différentes activités de ces entreprises constitue une condition nécessaire pour s'assurer que le jeu concurrentiel n'est pas faussé. [...] Cette séparation comptable n'apparaît pas toujours suffisante. Elle doit parfois être complétée par une véritable séparation fonctionnelle. A cet égard, il appartient au régulateur sectoriel, conformément aux pouvoirs qui lui ont été donnés par le législateur, de déterminer les mesures ou modalités qui pourraient être imposées à un opérateur verticalement intégré, disposant d'un monopole de fait sur la boucle locale, pour assurer ex ante, une égalité des opérateurs notamment dans les conditions d'accès à la boucle locale ou pour prévenir d'éventuels abus, tant sur les marchés en "amont que sur les marchés "aval ».

Ainsi, compte tenu, d'une part, du caractère verticalement intégré de France Télécom et de la réintégration de Wanadoo au sein de sa société mère, d'autre part, du caractère d'infrastructure essentielle de la boucle locale et, enfin, de la dynamique concurrentielle des marchés amont et aval, cette obligation est proportionnée aux objectifs fixés par l'article L. 32-1-II du code des postes et des communications électroniques, et en particulier ceux de « concurrence effective et loyale », « d'égalité des conditions de concurrence » et « d'absence de discrimination, dans des circonstances analogues, dans le traitement des opérateurs ».

Dans un souci de cohérence et d'homogénéité des obligations imposées à la suite des analyses de marché menées dans le nouveau cadre, cette obligation de séparation comptable sera précisée dans une décision ultérieure, conformément à l'article D. 312 du code des postes et des communications électroniques, et après consultation publique et notification à la Commission européenne.

VI-B-4. Obligation de formalisation des conditions techniques et des prix de cession internes pour les offres résidentielles haut débit

L'article 11 de la directive « accès » précité dispose que « l'autorité réglementaire nationale peut, conformément aux dispositions de l'article 8, imposer des obligations de séparation comptable en ce qui concerne certaines activités dans le domaine de l'interconnexion et/ou de l'accès.

Elles peuvent, notamment, obliger une entreprise intégrée verticalement à rendre ses prix de gros et ses prix de transferts internes transparents, entre autres pour garantir le respect de l'obligation de non-discrimination prévue à l'article 10 ou, en cas de nécessité, pour empêcher des subventions croisées abusives. Les autorités réglementaires nationales peuvent spécifier le format et les méthodologies comptables à utiliser ».

Par ailleurs, en droit interne, l'article D. 309 du code des postes et des communications électroniques précise qu'au titre de l'obligation de non-discrimination, « Les modalités techniques et financières des services d'interconnexion et d'accès qu'ils [les opérateurs] offrent à leurs propres services, filiales et partenaires doivent pouvoir être justifiées sur demande de l'Autorité de régulation des télécommunications ».

De même, l'obligation de séparation comptable imposée au titre de l'article L. 38-I (5°) du code prévoit que, lorsque l'obligation de non-discrimination est également imposée, l'opérateur peut être tenu, en vertu de l'article D. 312 du code, de « valoriser aux mêmes prix de cession les installations et équipements de son réseau ou les moyens qui y sont associés, qu'ils soient employés pour fournir des services d'interconnexion et d'accès ou d'autres services. »

Il résulte de l'ensemble de ces dispositions que l'obligation de rendre transparents les conditions techniques et les prix de cessions internes pratiqués entre les différentes entités d'une entreprise verticalement intégrée peut être imposée au titre de l'obligation de séparation comptable, afin de permettre la vérification de l'obligation de non-discrimination.


VI-B-4-a. Description de l'obligation


L'Autorité a constaté ci-avant une spécificité du segment résidentiel au regard du nombre de procédures contentieuses relatives à des comportements anticoncurrentiels. En conséquence, l'Autorité estime que l'obligation de formalisation des conditions techniques et tarifaires de cession internes ne concerne à ce stade que les offres d'accès haut débit résidentielles.

Cette obligation consiste pour l'entreprise verticalement intégrée à formaliser et tenir à jour, sous forme de protocoles, les conditions techniques et tarifaires de prestation de services internes. Ce dispositif permettra au régulateur sectoriel et, le cas échéant, aux autorités de concurrence, de s'assurer respectivement :

- de l'absence de tarifs ou de pratiques d'éviction qui résulteraient de conditions de cessions internes non réplicables par les concurrents de l'entreprise en s'appuyant sur les prestations que celle-ci leur fournit ;

- de l'absence de pratiques d'éviction ou de prédation de la part de l'entreprise verticalement intégrée sur le marché de détail, qui résulteraient de subventions croisées lui permettant de vendre au détail à des tarifs trop faibles, voire inférieurs, aux tarifs de cessions internes.

Les modalités d'application de cette obligation sont précisées en annexe II à la présente décision.

Conformément à l'article D. 309 du code, l'Autorité pourra demander à France Télécom de justifier l'ensemble des éléments associés à ces protocoles, notamment lors de la modification des tarifs de France Télécom sur le marché de détail du haut débit. A ce titre, France Télécom pourra se voir demander les éléments matériels tels que : comptabilité analytique, comptes rendus de réunions, documents internes, permettant d'attester des conditions techniques et tarifaires formalisées. France Télécom devra ainsi être en mesure de montrer l'adéquation de ces conditions aux flux techniques et financiers effectifs entre ses différentes entités.

Enfin, conformément à l'article 5 de la directive cadre susvisée, l'Autorité pourra être amenée à transmettre les informations ainsi obtenues en particulier à la Commission européenne, sur sa demande motivée.


VI-B-4-b. Caractère justifié et proportionné de l'obligation


Il a été démontré en partie I et ci-avant que, au regard de l'ensemble des éléments recueillis dans le cadre des analyses des marchés du haut débit et du comportement passé du groupe France Télécom, un comportement anticoncurrentiel aux conséquences potentiellement graves, rapides et non réversibles était possible. La mise en place des obligations permettant un contrôle effectif et rapide d'éventuelles pratiques anticoncurrentielles de la part du groupe France Télécom sur les marchés du haut débit apparaît donc nécessaire et justifiée.

Si l'Autorité a déjà justifié la nécessité et la proportionnalité d'imposer l'obligation de non-discrimination et de séparation comptable à France Télécom sur le marché objet de la présente analyse, elle estime également nécessaire d'imposer à France Télécom de communiquer à l'Autorité les conditions techniques et tarifaire de cession interne.

En effet, au niveau des offres livrées au niveau national, c'est-à-dire au niveau d'échanges entre les opérateurs de réseaux et les fournisseurs d'accès à Internet, et après la réintégration de Wanadoo, qui a rendu les flux financiers et techniques entre les deux entités préalablement distinctes moins transparents, l'effectivité d'un contrôle des pratiques éventuellement anticoncurrentielles de France Télécom peut être difficilement assurée en appliquant d'une façon cloisonnée les obligations de non-discrimination et de séparation comptable :

- pour le régulateur sectoriel, le contrôle de l'obligation de non-discrimination est difficile voire impossible si les conditions de cessions internes au groupe France Télécom ne sont pas transparentes et formalisées ;

- les obligations de séparation comptable ne permettent en général de disposer de résultats validés qu'après leur audit, c'est-à-dire avec un décalage de l'ordre de un à deux ans, trop long compte tenu du rythme d'évolution du marché ;

- les autorités de concurrence ne peuvent s'assurer de l'absence de pratiques anticoncurrentielles sur le marché de détail dans des délais compatibles avec le rythme d'évolution du marché que si les coûts et modalités d'approvisionnement sont préalablement transparents et formalisés ; dans le cas inverse, la reconstruction de ces coûts à partir des éléments de réseaux d'un grand opérateur peut prendre plusieurs années.

L'Autorité note que le Conseil de la concurrence, dans son avis précité en date du 31 janvier 2005, expose une analyse convergente : « S'agissant de la réintégration de Wanadoo au sein de France Télécom, elle pourrait faciliter la mise en oeuvre des pratiques décrites ci-dessus dans la mesure où elle pourrait réduire la transparence des flux financiers entre les différents marchés concernés par les activités de France Télécom. Or, de cette transparence dépend la capacité des autorités de régulation, tant de l'ART que du Conseil, à vérifier l'application du principe de non-discrimination entre France Télécom lui-même et ses concurrents pour l'accès au réseau et la conformité des prix de détail de France Télécom aux dispositions du droit de la concurrence. » Par ailleurs, le conseil précise : « Cette séparation comptable n'apparaît cependant pas toujours suffisante. Elle doit aussi parfois être complétée par une véritable séparation fonctionnelle. A cet égard, il appartient au régulateur sectoriel, conformément aux pouvoirs qui lui ont été donnés par le législateur, de déterminer les mesures ou modalités qui pourraient être imposées à un opérateur verticalement intégré, disposant d'un monopole de fait sur la boucle locale, pour assurer ex ante, une égalité des opérateurs notamment dans les conditions d'accès à la boucle locale ou pour prévenir d'éventuels abus, tant sur les marchés " amont que sur les marchés " aval . » Enfin, il renvoyait pour traiter ce problème aux dispositions précitées de l'article 11 de la directive accès.

Par ailleurs, le coût direct de formalisation des conditions techniques et tarifaires de prestations de services internes entre la ou les entités opérant les réseaux de communications électroniques nécessaires à la fourniture de services haut débit n'est pas excessif, si ce n'est faible, pour France Télécom.

En effet, l'Autorité constate que la plupart des entreprises de la taille du groupe France Télécom établissent entre leurs diverses branches des protocoles pour les principales prestations de services internes. Par ailleurs, les activités réseaux et services de France Télécom constituent d'ores et déjà deux divisions différentes. Au 3 mars 2005, l'organigramme de France Télécom publié sur son site Internet faisait ainsi apparaître :

- une « division réseaux, opérateurs et système d'information », chargée, « en cohérence avec les évolutions technologiques récentes et à venir, [d]es métiers réseaux et système d'information [...]. Elle regroupe l'actuelle division réseaux et opérateurs et l'actuelle division systèmes d'information. Elle est en charge plus particulièrement du développement et de la gestion des réseaux de France Télécom, toutes technologies confondues, de la vente de services aux opérateurs tiers ainsi que du développement et de la maintenance de l'ensemble des systèmes d'information du Groupe. » ;

- une « division services de communication résidentiels » qui « a en charge le développement de l'ensemble des services de communication à domicile, notamment les services haut débit à travers le fixe en Europe. Elle regroupe les entités actuelles de Wanadoo, d'Uni2 et de l'actuelle Direction marketing grand public de la division FDF. »

Il convient de noter que les données constitutives des futurs protocoles entre ces deux divisions imposée par la présente obligation existent d'ores et déjà : la « division services de communication résidentiels » ne peut en effet ignorer lors de l'élaboration de sa politique tarifaire les coûts sous-jacents à la partie « réseau » du service final.

Ainsi, en l'absence de mesure moins contraignante qui pourrait être imposée à France Télécom dans un but identique, l'obligation proposée apparaît proportionnée tant aux objectifs publics préalablement exposés, en ce qu'elle constitue le minimum nécessaire permettant de les atteindre, qu'aux objectifs fixés à l'article L. 32-1-II du code des postes et des communications électroniques et en particulier « l'exercice au bénéfice des utilisateurs d'une concurrence effective et loyale », « au développement de l'emploi, de l'investissement efficace dans les infrastructures, de l'innovation et de la compétitivité dans le secteur des communications électroniques », « l'égalité des conditions de concurrence » et « l'absence de discrimination, dans des circonstances analogues, dans le traitement des opérateurs ». Par ailleurs, le coût direct supporté par France Télécom pour remplir cette obligation est faible par rapport aux enjeux. Le coût indirect supporté par France Télécom d'être soumis à un contrôle effectif dissuadant ou interdisant d'éventuels comportements anticoncurrentiels ne saurait être considéré comme excessif au regard de la rapidité d'évolution du marché du haut débit et de la puissance de marché du groupe France Télécom.


VI-C. - Suppression de certaines obligations en vigueur


L'article 27 de la directive cadre dispose que les obligations imposées dans l'ancien cadre demeurent en vigueur « jusqu'au moment où une détermination est faite concernant ces obligations par une Autorité réglementaire nationale conformément à l'article 16 de la présente directive ». Cette période de transition est rappelée à l'article 7 de la directive accès susvisée.

Enfin l'article 133 II et IV de la loi du 9 juillet 2004 susvisée dispose également que les obligations imposées dans l'ancien cadre demeure en vigueur jusqu'à la mise en oeuvre par l'Autorité des compétences que lui confèrent les dispositions des articles L. 37-1 et L. 37-2 du code des postes et des communications électroniques issues de cette loi.

A l'issue de la présente analyse, l'Autorité estime justifié de supprimer les deux obligations suivantes.


VI-C-1. Suppression de l'homologation tarifaire préalable


Dans l'ancien cadre, la procédure d'homologation tarifaire de l'offre « IP/ADSL nationale » - correspondant au segment résidentiel du présent marché - avait pour vocation d'éviter que France Télécom ne pratique des tarifs d'éviction.

L'Autorité considère que les obligations imposées à France Télécom sur le marché national et détaillées ci-avant devraient permettre d'atteindre cet objectif de régulation sectorielle, qui demeure pertinent. L'Autorité considère donc comme justifiée la levée de la procédure d'homologation tarifaire sur le marché des offres d'accès large bande livrées au niveau national.


VI-C-2. Suppression de l'obligation de publication


La procédure d'homologation et le principe de non-discrimination imposés dans l'ancien cadre et en vigueur jusqu'à ce jour, amenaient France Télécom à publier l'offre de gros d'accès large bande livrée au niveau national et dénommée IP/ADSL national. Les opérateurs alternatifs concurrents de France Télécom sur le marché de la vente d'accès large bande aux fournisseurs d'accès à Internet avaient donc connaissance des conditions techniques et tarifaires de l'opérateur historique. Cette asymétrie pourrait avoir contribué dans une certaine mesure à l'érosion rapide des parts de marché de France Télécom, en tant qu'opérateur de gros sur le marché des fournisseurs d'accès à Internet, au cours de l'année 2004.

A ce stade, l'Autorité considère que les obligations imposées à France Télécom sur les différents marchés du haut débit devraient permettre de garantir un fonctionnement loyal et équitable de la concurrence sans qu'il soit nécessaire d'imposer à France Télécom de publier les offres d'accès large bande livrées au niveau national qu'elle vendrait à des fournisseurs d'accès à Internet tiers ou qu'elle fournirait à ses propres services,

Décide :


Article 1


Est déclaré pertinent le marché de gros des offres d'accès large bande livrées au niveau national. Ce marché comprend les offres de gros d'accès large bande DSL livrées au niveau national, indépendamment du type de clientèle finale visée et de l'interface de livraison. Le périmètre du marché correspond au territoire métropolitain, aux départements d'outre-mer et à Mayotte.

Article 2


France Télécom exerce une influence significative sur le marché de gros des offres d'accès large bande livrées au niveau national, tel que défini par l'article 1er de la présente décision.

Article 3


France Télécom est soumis à l'obligation de ne pas pratiquer de tarifs d'éviction sur le marché de gros des offres d'accès large bande livrées au niveau national.

Article 4


France Télécom est soumis à une obligation de non-discrimination sur le marché de gros des offres d'accès large bande livrées au niveau national et doit ainsi fournir toute prestation relative aux offres de gros d'accès large bande livrées au niveau national dans des conditions non discriminatoires.

Article 5


France Télécom est soumis à une obligation de séparation comptable et une obligation relative à la comptabilisation des coûts des prestations d'accès concernant les offres de gros d'accès large bande livrées au niveau national. Cette obligation sera précisée dans une décision ultérieure.

Article 6


France Télécom est tenu de formaliser et de tenir à jour, sous forme de protocoles tels que décrits en annexe II à la présente décision, les conditions techniques et tarifaires des prestations de services internes entre la ou les entités opérant les réseaux de communications électroniques nécessaires à la fourniture de services haut débit sur le marché résidentiel et la ou les entités assurant les fonctions traditionnellement assurées par les fournisseurs d'accès à Internet.

A compter de la date d'entrée en vigueur de la présente décision, France Télécom dispose d'un mois afin de mettre en oeuvre la formalisation, sous forme de protocoles, des conditions techniques et tarifaires des prestations de services internes.

Article 7


Les obligations de publication d'information et d'homologation tarifaire préalable imposées à France Télécom dans l'ancien cadre réglementaire sont abrogées à compter de l'entrée en vigueur de la présente décision.

Article 8


La présente décision s'applique pour une durée d'un an à compter de sa notification, sans préjudice d'un éventuel réexamen anticipé dans les conditions fixées par les dispositions de l'article D. 301 du code des postes et des communications électroniques.

Article 9


Le directeur général de l'Autorité notifiera à France Télécom la présente décision ainsi que ses annexes, qui seront publiées au Journal officiel de la République française.


Fait à Paris, le 28 juillet 2005.


Le président,

P. Champsaur



A N N E X E I


Part de la valeur contrôlée par France Télécom au 1er avril 2005.

La valeur contrôlée par France Télécom est représentée en rouge. La valeur contrôlée par les opérateurs et fournisseurs d'accès à Internet alternatifs est représentée en bleu.




Vous pouvez consulter le tableau dans le JO

n° 212 du 11/09/2005 texte numéro 37




A N N E X E I I

OBLIGATION DE FORMALISATION DES CONDITIONS

TECHNIQUES ET DES PRIX DE CESSION INTERNES

POUR LES OFFRES RÉSIDENTIELLES HAUT DÉBIT

Modalités de mise en oeuvre


Comme démontré dans le cadre de la présente décision, l'Autorité estime fondé d'imposer à France Télécom de formaliser et de tenir à jour, sous forme de protocoles, les conditions techniques et tarifaires de l'ensemble des prestations de services internes entre la ou les entités opérant les réseaux haut débit nécessaires à la fourniture de services sur le marché résidentiel (correspondant à la « division réseaux, opérateurs et système d'information », selon l'organigramme de France Télécom publié au 3 mars 2005 sur son site Internet) et la ou les entités assurant les fonctions traditionnellement assurées par les fournisseurs d'accès à Internet (correspondant à la « division services de communication résidentiels », selon l'organigramme de France Télécom publié au 3 mars 2005 sur son site Internet).

Il faut entendre par réseaux haut débit les réseaux constitués des réseaux d'accès, c'est-à-dire de paire de cuivre, des réseaux de collecte locaux, régionaux et nationaux. Le terme « opérer un réseau » désigne l'ensemble des fonctions de déploiement, d'exploitation, de gestion, de pilotage et de maintenance du réseau.

Il faut entendre par « les fonctions traditionnellement assurées par les fournisseurs d'accès Internet » notamment les fonctions de politique commerciale et marketing, la commercialisation ainsi que l'éventuelle subvention des terminaux des clients finals, le service après vente - hors intervention sur le réseau même -, le déploiement et la gestion des équipements dédiés aux services IP : notamment les serveurs de fichiers ou de pages web, l'hébergement, les serveurs de mail.

L'ensemble des protocoles doit être établi sur le modèle des conventions conclues entre France Télécom et les opérateurs tiers en vue de la fourniture d'accès large bande sur les marchés de gros du haut débit.

Les protocoles devront a minima comporter les conditions de mise à disposition des accès (ouverture commerciale des accès, outils d'interrogation sur l'éligibilité des lignes), le niveau des informations préalables transmises en interne (notamment les conditions d'accès aux informations ou moyens techniques ou commerciaux susceptibles d'avoir une incidence sur les politiques des fournisseurs d'accès à Internet), la description des prestations d'exploitation et de maintenance, les spécifications techniques de l'ensemble des services fournis. Ils décriront avec précision notamment les interfaces et les points de livraison, les modes de raccordement, les prestations de collecte et de transport, les protocoles utilisés. Ils préciseront les niveaux et les options de qualité de service, les délais de fourniture par prestation. Enfin, les protocoles préciseront les tarifs pratiqués pour chacune des prestations concernées. Ils reprendront et adapteront le cas échéant, en fonction des offres de gros sous-jacentes sur lesquelles sont construites les offres de détail de France Télécom, les informations contenues dans les contrats entre France Télécom et les opérateurs alternatifs.

Les protocoles établis dans ce cadre devront être complets, sincères et refléter fidèlement la réalité de tous les échanges entre les entités concernées précitées de France Télécom.