J.O. 173 du 27 juillet 2005       J.O. disponibles       Alerte par mail       Lois,décrets       codes       AdmiNet
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Observations du Gouvernement sur les recours dirigés contre la loi de sauvegarde des entreprises


NOR : CSCL0508627X



Le Conseil constitutionnel a été saisi, par plus de soixante députés et plus de soixante sénateurs, de deux recours dirigés contre la loi de sauvegarde des entreprises, adoptée le 13 juillet 2005.

Ces recours, qui critiquent les dispositions des articles 8, 33, 108 et 126 de la loi, appellent, de la part du Gouvernement, les observations suivantes.


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I. - Sur les articles 8, 33 et 108


A. - L'article 8 de la loi déférée, modifiant l'article L. 611-11 du code de commerce, institue, en cas d'ouverture d'une procédure de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire, un privilège pour les apports en trésorerie ou sous forme de fourniture de nouveaux biens ou services, destinés à assurer la poursuite de l'activité de l'entreprise et sa pérennité, qui ont été compris dans un accord homologué au terme d'une procédure de conciliation.

Les articles 33 et 108 de la loi, pour leur part, modifient les articles L. 622-17 et L. 641-13 du code de commerce relatifs au classement des privilèges pour tirer les conséquences de la modification apportée par l'article 8 de la loi à l'article L. 611-11 du code de commerce.

Les parlementaires requérants soutiennent que le nouveau privilège résultant de l'article 8 serait contraire au principe d'égalité et traduirait une erreur manifeste d'appréciation du législateur.

B. - Le Conseil constitutionnel ne pourra faire sienne cette argumentation.

Le législateur, en adoptant les dispositions de la loi déférée et notamment celles de son article 8, a entendu créer les conditions d'un meilleur soutien aux entreprises en difficulté, dans le but d'intérêt général de maintenir l'activité économique et de préserver l'emploi. L'article 8 vise ainsi, dans le cas d'une entreprise en difficulté, à inciter à ce qu'il lui soit apporté de nouvelles ressources en trésorerie ou de nouveaux biens ou services afin d'assurer la poursuite de son activité et sa pérennité.

Le législateur a choisi, à ces fins d'incitation, d'instituer un privilège pour ces nouveaux apports, ainsi appelés à prendre rang après les créances salariales et certains frais de justice mais avant toute autre créance en cas de redressement ou de liquidation judiciaire. Cette garantie constitue le corollaire du risque particulier pris par ces créanciers qui décident d'un nouvel apport pour assurer la poursuite de l'activité alors que l'entreprise fait face à des difficultés. Elle s'inscrit dans le cadre d'une procédure de conciliation, c'est-à-dire alors que l'entreprise est en difficulté et que les créanciers le savent ; elle est limitée dans son objet et encadrée dans ses conditions d'application.

1. Contrairement à ce qui est soutenu, un tel mécanisme ne porte pas atteinte au principe constitutionnel d'égalité.

On peut observer, en premier lieu, que le privilège institué par l'article 8 est susceptible de bénéficier à tous ceux qui apportent un concours nouveau à l'entreprise en difficulté, dans le cadre d'un accord soumis à homologation au terme d'une procédure de conciliation. L'article 8 traite ainsi, de la même façon, toutes les personnes, quel que soit leur statut, qu'ils soient publics ou privés, qui consentent un nouvel apport en trésorerie, y compris les apports en compte courant des actionnaires et des associés, ou qui fournissent un nouveau bien ou un nouveau service destiné à assurer la poursuite de l'activité. Aucune rupture d'égalité ne résulte ainsi de la loi s'agissant de ces différents créanciers placés dans une semblable situation. On peut noter, à ce propos, que si la loi a exclu les apports consentis par les actionnaires et associés dans le cadre d'une augmentation de capital, c'est en raison de la contrepartie que représentent les actions ou les parts émises dans le cadre d'une telle opération. En revanche, tous les autres apports, qui sont dépourvus de contrepartie, donnent lieu au privilège établi par l'article 8 de la loi.

On doit relever, en second lieu, que la situation des créanciers vis-à-vis de l'entreprise, et du risque qui affecte leur créance, diffère selon la nature et la date de leur apport. En particulier, il faut souligner que l'effort consenti à une entreprise en difficulté n'est pas de même nature selon, d'une part, que le créancier apporte de nouvelles ressources de trésorerie ou fournit un nouveau bien ou service destiné à maintenir l'activité ou, d'autre part, qu'il se borne à rééchelonner le remboursement de créances antérieures. L'apport nouveau en trésorerie ou en biens ou services, alors que l'apporteur a nécessairement conscience, du fait de la procédure de conciliation, que l'entreprise est en difficulté, comporte un risque supplémentaire par rapport aux créances antérieurement constituées et traduit un engagement particulier en faveur de la poursuite de l'activité. Les créanciers qui consentent de nouveaux apports dans de telles conditions sont ainsi dans une situation différente des titulaires de créances plus anciennes, quand bien même ces derniers consentiraient à des réaménagements ou même les abandonneraient partiellement. De tels aménagements ou abandons consentis par les créanciers, y compris par les organismes sociaux et fiscaux, n'ont pas le même impact direct sur la situation financière de l'entreprise en difficulté ; ils ne représentent pas non plus une prise de risque supplémentaire.

Le Conseil constitutionnel a déjà jugé, à propos de l'ancien article 40 de la loi relative au redressement et à la liquidation judiciaire des entreprises, que modifier le rang des créances à l'avantage des créanciers qui avaient concouru, après l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire, à la réalisation de l'objectif d'intérêt général de redressement des entreprises en difficulté n'était pas contraire au principe d'égalité, les créanciers étant placés dans une situation différente au regard de l'objectif poursuivi (décision no 84-183 DC du 18 janvier 1985).

De la même façon, l'article 8 de la loi déférée pouvait, sans méconnaître le principe d'égalité, instituer un privilège particulier au bénéfice des créanciers qui, dans le cadre d'un accord homologué au terme d'une procédure de conciliation, font de nouveaux apports dans le but d'assurer la poursuite de l'activité de l'entreprise et sa pérennité.

2. Par ailleurs, le grief tiré de l'erreur manifeste d'appréciation ne pourra qu'être écarté.

On sait que la Constitution ne confère pas au Conseil constitutionnel un pouvoir général d'appréciation et de décision identique à celui du Parlement et qu'il n'appartient en conséquence pas au conseil de substituer sa propre appréciation à celle du législateur. Au cas présent, on ne saurait considérer que la disposition adoptée par le Parlement, dans le but d'intérêt général de maintenir l'activité des entreprises en difficulté et de préserver l'emploi, serait entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.

A ce propos, on doit souligner que le législateur a déterminé les conditions de mise en oeuvre de la garantie qu'il instituait, de telle sorte que sa portée soit précise et son exercice encadré. Ainsi, le privilège ne peut bénéficier qu'aux apports qui ont pour objet la poursuite de l'activité de l'entreprise et sa pérennité. Il n'est conféré qu'à des créanciers qui, étant parties à une procédure de conciliation, ont conscience lorsqu'ils accordent leur concours que leur débiteur connaît des difficultés. Il n'est susceptible d'être invoqué que dans le cadre d'une éventuelle procédure collective de sauvegarde, de redressement ou de liquidation judiciaires subséquente. Il prend rang après le privilège accordé aux salaires et il ne peut être invoqué au titre des concours antérieurs à l'ouverture de la conciliation.

On peut aussi relever que l'homologation de l'accord n'intervient qu'au terme d'un examen juridictionnel. Le tribunal doit, en effet, avoir examiné les termes de l'accord au cours d'un débat contradictoire ; il ne peut l'homologuer que si le débiteur n'est pas en cessation de paiement ou si l'accord y met fin, si l'accord assure la pérennité de l'entreprise et s'il n'est pas porté atteinte aux intérêts des créanciers non signataires. Cette dernière condition suppose que le risque de cessation de paiement soit suffisamment écarté pour que ces derniers créanciers aient toutes chances d'être payés. Ainsi, la protection des intérêts des créanciers qui peuvent se trouver, par la suite, primés par le nouveau privilège fait-elle l'objet d'une décision juridictionnelle susceptible de recours.

Dans ces conditions, le Gouvernement estime que le Conseil constitutionnel devra écarter les griefs articulés par les recours à l'encontre des articles 8, 33 et 108 de la loi déférée.


II. - Sur l'article 126


A. - L'article 126 de la loi déférée a pour objet de préciser, à l'article L. 650-1 du code du commerce, les conditions dans lesquelles la responsabilité des créanciers peut être engagée à raison des préjudices causés par le fait des concours consentis à leurs débiteurs.

Les auteurs des recours font valoir que ces dispositions méconnaîtraient les termes de l'article 4 et de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.

B. - Le Gouvernement considère que de telles critiques ne sont pas fondées.

Sans doute doit-on considérer que le législateur ne saurait exonérer une personne privée déterminée, ou une catégorie déterminée de personnes privées, de toute responsabilité civile pour faute, sauf à méconnaître le principe d'égalité (décision no 82-144 DC du 22 octobre 1982) ou l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen (décision no 99-419 DC du 9 novembre 1999).

Mais, s'il ne peut ainsi soustraire à toute réparation les dommages résultant de fautes civiles imputables à des personnes privées, le législateur peut instituer des régimes spéciaux de responsabilité qui dérogent partiellement au principe exprimé à l'article 1382 du code civil selon lequel tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer (décision no 82-144 DC du 22 octobre 1982 ; décision no 83-162 DC des 19 et 20 juillet 1983).

Or, au cas présent, l'article 126 de la loi déférée n'a pas pour objet ou pour effet d'exonérer les créanciers de toute responsabilité civile à raison des dommages causés par les concours qu'ils ont consentis. L'article 126 définit plus précisément que ne le fait le régime jurisprudentiel actuellement mis en oeuvre les conditions mises à l'engagement de la responsabilité des créanciers, mais il n'exclut pas que cette responsabilité puisse être engagée et il n'interdit pas qu'elle soit recherchée devant les juridictions compétentes.

L'objectif poursuivi par le législateur vise à modifier les comportements observés quant à l'octroi de concours aux entreprises, en clarifiant le cadre juridique de mise en jeu de la responsabilité des créanciers. Pour l'heure, sont mises en oeuvre, par voie jurisprudentielle, des règles de responsabilité fondées sur les articles 1382 et 1383 du code civil, par le biais de la notion de « soutien abusif » qui entend cerner la faute par laquelle un créancier - établissement de crédit ou fournisseur de biens ou de services - apporte à une entreprise, dont la situation est « irrémédiablement compromise », un concours permettant de poursuivre une activité déficitaire et contribuant ainsi à l'aggravation du passif. La jurisprudence de la Cour de cassation apprécie certes ces éléments de façon restrictive. Mais il demeure que la mise en oeuvre de ces critères demeure incertaine et que l'insécurité juridique qui en résulte conduit très souvent les créanciers à limiter ou refuser des concours financiers aux entreprises en difficulté, au détriment du maintien de l'activité économique et de la préservation de l'emploi.

C'est pourquoi le législateur a entendu non interdire que soit recherchée la responsabilité civile des créanciers, mais préciser les conditions d'engagement de cette responsabilité en qualifiant explicitement les éléments constitutifs des fautes susceptibles d'engager leur responsabilité. La loi a ainsi prévu que constituent de telles fautes la fraude du créancier, l'immixtion caractérisée du créancier dans la gestion du débiteur ainsi que la prise de garanties disproportionnées par rapport aux concours consentis. Il faut observer que la loi a prévu, outre la réparation du préjudice causé par la faute, une sanction particulière de nullité des garanties prises en contrepartie des concours lorsque la responsabilité a été reconnue. Les différents cas énoncés par le législateur prennent en considération des éléments objectifs se rapportant aux actes des créanciers ; ils apparaissent ainsi plus adaptés, parce que plus prévisibles et moins subjectifs, que les critères jurisprudentiels actuels qui recherchent si les créanciers avaient connaissance de ce que la situation du débiteur était irrémédiablement compromise à la date où a été accordé le concours financier.

On doit relever que l'article 126 ne comporte aucune interdiction procédurale de saisir les juridictions compétentes, qui conservent un entier pouvoir pour apprécier si les conditions d'engagement de la responsabilité telles que définies par le législateur sont réunies. Un comportement jugé fautif, au vu de ces conditions, conduira à la réparation intégrale du préjudice imputable, sans limite a priori et conformément au droit commun de la responsabilité civile.

Dans ces conditions, il doit être considéré que l'article 126 de la loi déférée, qui n'exclut pas que la responsabilité des créanciers puisse être reconnue par les juridictions compétentes à raison des concours apportés à leurs débiteurs mais aménage les conditions de mise en jeu de cette responsabilité dans le souci de concilier les divers intérêts en présence et de favoriser le maintien de l'activité économique, ne méconnaît ni l'article 4 ni l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.


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Pour ces raisons, le Gouvernement est d'avis qu'aucun des griefs articulés par les parlementaires requérants n'est de nature à conduire à la censure des dispositions de la loi de sauvegarde des entreprises. Aussi estime-t-il que le Conseil constitutionnel devra rejeter les recours dont il est saisi.