J.O. 96 du 24 avril 2005       J.O. disponibles       Alerte par mail       Lois,décrets       codes       AdmiNet
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Saisine du Conseil constitutionnel en date du 29 mars 2005 présentée par plus de soixante députés, en application de l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, et visée dans la décision n° 2005-512 DC


NOR : CSCL0508259X




LOI D'ORIENTATION ET DE PROGRAMME

POUR L'AVENIR DE L'ÉCOLE


Monsieur le président, mesdames et messieurs les membres du Conseil constitutionnel, nous avons l'honneur de vous déférer, en application du deuxième alinéa de l'article 61 de la Constitution, l'ensemble de la loi d'orientation pour l'avenir de l'école dont, notamment, ses articles 9 et 12.


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I. - Sur l'article 9 de la loi


Cet article , qui insère un nouvel article L. 122-1-1 dans le code de l'éducation, tend à définir un socle commun des connaissances et des compétences pour l'ensemble des élèves.

I-1. Quoi qu'il en soit de son contenu à la portée normative incertaine, cet article a été adopté au terme d'une procédure législative irrégulière, en méconnaissance des articles 44 et 45 de la Constitution tels qu'éclairés par votre jurisprudence

Le droit d'amendement et le vote des parlementaires expriment la volonté générale dans le respect de la Constitution. Celle-ci ne saurait être limitée ou remise en cause que dans le cadre des procédures prévues par la Constitution et les règlements des assemblées parlementaires destinés à organiser les débats en séance publique et en commission. Dès lors, un article de projet ou de proposition de loi rejeté à la majorité de l'assemblée saisie du texte en discussion ne peut faire l'objet d'une réintroduction qu'au cours d'une lecture du texte par l'autre assemblée, ou bien qu'au stade de la commission mixte paritaire. A cet égard, l'hypothèse dérogatoire de la seconde délibération sur une même disposition devant la même assemblée ne peut survenir qu'au terme d'une procédure très rigoureuse et strictement encadrée.

On en voudra pour preuve que la Constitution donne au Gouvernement les moyens de rationaliser les débats soit par l'usage du vote bloqué, soit, devant la seule Assemblée nationale, par l'engagement de sa responsabilité au titre de l'article 49, alinéa 3. Au-delà de ces instruments constitutionnels déjà fort contraignants, le Parlement exprime par son vote, positif ou négatif, l'expression de la volonté générale.

I-2. Or, en l'espèce, l'adoption de cet article 9 s'est faite par l'adoption d'un article additionnel après que le même dispositif ait été d'abord préalablement rejeté par le Sénat suite à un amendement modifiant la portée de la version initiale du projet de loi (Sénat, séance du 17 mars 2005)

Après une réunion soudaine de la commission saisie au fond, un article additionnel, presque identique à quelques mots près à l'article rejeté à la majorité, a été présenté puis soumis au vote du Sénat. Cette fois, il a été adopté.

Ce faisant, le Sénat a remis en cause son propre vote sur un même article hors toute procédure constitutionnelle le permettant.

I-3. C'est en vain que l'on arguerait de l'article 43 du règlement du Sénat qui dispose que :

« 1. Avant le vote sur l'ensemble d'un projet ou d'une proposition, le Sénat peut décider, sur la demande d'un de ses membres, que le texte sera renvoyé à la commission pour coordination. Dans le débat ouvert sur cette demande, ont seuls droit à la parole l'auteur de la demande ou son représentant, un orateur d'opinion contraire, chacun pour une durée n'excédant pas cinq minutes, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement. Aucune explication de vote n'est admise.

2. Le renvoi pour coordination est de droit si la commission le demande.

3. Lorsqu'il y a lieu à renvoi pour coordination, la séance est suspendue si la commission le demande ; le travail de la commission est soumis au Sénat dans le plus bref délai possible et la discussion ne peut porter que sur la rédaction.

4. Avant le vote sur l'ensemble d'un texte, tout ou partie de celui-ci peut être renvoyé, sur décision du Sénat, à la commission, pour une seconde délibération à condition que la demande de renvoi ait été formulée ou acceptée par le Gouvernement. Dans le débat ouvert sur cette demande, ont seuls droit à la parole l'auteur de la demande ou son représentant, un orateur d'opinion contraire, chacun pour une durée n'excédant pas cinq minutes, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement. Aucune explication de vote n'est admise.

5. Lorsqu'il y a lieu à seconde délibération, les textes adoptés lors de la première délibération sont renvoyés à la commission, qui doit présenter un nouveau rapport.

6. Dans sa seconde délibération, le Sénat statue seulement sur les nouvelles propositions du Gouvernement ou de la commission, présentées sous forme d'amendements et sur les sous-amendements s'appliquant à ces amendements.

7. Avant que le vote sur l'ensemble ne soit intervenu, aucun vote acquis ne peut être remis en question sans renvoi préalable à la commission soit pour coordination, soit pour seconde délibération. »

La procédure inédite suivie pour rétablir l'article rejeté par le Sénat ne peut se revendiquer du respect de l'article 43 précité.

D'une part, à aucun moment, il n'a été question de coordination.

D'autre part, si seconde délibération il devait y avoir, c'était sur l'article concerné et ne pouvait aboutir à la présentation d'un quelconque article additionnel rendu artificiellement différent de l'article rejeté par le Sénat par son premier vote.

Enfin, si, pour les seuls besoins du raisonnement, on devait considérer que l'article additionnel entrait dans les prévisions de l'article 43 du règlement du Sénat, encore fallait-il en respecter toutes les prescriptions. Ce qui n'a pas été le cas : il n'y a eu ni débat organisé avant la réunion de la commission préalable à la seconde délibération ni remise de son rapport en vue de celle-ci. Le compte rendu de la séance du 17 mars 2005 en porte témoignage. Ces règles de droit parlementaire qui valent mise en oeuvre de prescriptions constitutionnelles n'ont donc pas été suivies. A cela deux explications : soit il ne s'agissait pas d'une mise en oeuvre de l'article 43 précité et l'article 9 a été adopté suite à une procédure sans fondement, soit l'article 43 a été méconnu quant à plusieurs de ses éléments procéduraux de nature substantielle. Dans les deux cas, la violation de la procédure législative est certaine.

Accepter ce type de flibuste parlementaire à rebours conduirait à ôter toute rationalité au débat parlementaire et rendrait vaine l'idée de navette entre les deux assemblées puisqu'il suffirait d'introduire à tout moment des articles additionnels reprenant, à quelques modifications de forme près, la rédaction d'un article ou d'un amendement préalablement rejeté. De même, la commission mixte paritaire risquerait d'être vidée de sa substance et de sa logique propre.

Le fait, à cet égard, que l'urgence soit déclarée sur un texte ne saurait évidemment justifier une telle liberté prise avec les règles constitutionnelles.

De ces chefs, la censure de l'article 9 est encourue au motif de la procédure législative irrégulière ainsi relevée.


II. - Sur l'article 12 de la loi


Cet article consiste à approuver le rapport annexé à la présente loi, c'est-à-dire fait référence à un texte de portée politique mélangeant les souhaits, les pétitions de principe et des objectifs relevant tantôt du domaine réglementaire (décision no 2005-200 L du 24 mars 2005), tantôt du domaine de la loi.

Cet article dépourvu de portée normative ne peut qu'encourir la censure.

Vous avez, en effet, jugé « qu'aux termes de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : "La loi est l'expression de la volonté générale ; qu'il résulte de cet article comme de l'ensemble des autres normes de valeur constitutionnelle relatives à l'objet de la loi que, sous réserve de dispositions particulières prévues par la Constitution, la loi a pour vocation d'énoncer des règles et doit par suite être revêtue d'une portée normative ; considérant, de plus, qu'il incombe au législateur d'exercer pleinement la compétence que lui confie la Constitution et, en particulier, son article 34 ; qu'à cet égard, le principe de clarté de la loi, qui découle du même article de la Constitution, et l'objectif de valeur constitutionnelle d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi, qui découle des articles 4, 5, 6 et 16 de la Déclaration de 1789, lui imposent d'adopter des dispositions suffisamment précises et des formules non équivoques afin de prémunir les sujets de droit contre une interprétation contraire à la Constitution ou contre le risque d'arbitraire, sans reporter sur des autorités administratives ou juridictionnelles le soin de fixer des règles dont la détermination n'a été confiée par la Constitution qu'à la loi » (décision no 2004-500 DC du 29 juillet 2004, cons. 12 et 13).

Jusqu'à présent vous vous êtes abstenus de censurer de telles dispositions, préférant souligner au passage leur absence d'effets juridiques (voir, par exemple, décision no 82-142 DC du 27 juillet 1982, cons. 5 et 6, et sur le rapport annexé à la loi sur la sécurité intérieure : no 2002-460 DC du 22 août 2002, cons. 21).

Néanmoins, l'article 12 de la loi critiquée constitue, à cet égard, un bel exemple de bavardage législatif qui ajoute à l'insécurité juridique une certaine confusion des missions et des obligations des citoyens et des pouvoirs publics.

Que s'agissant de la mise en oeuvre du treizième alinéa du préambule de la Constitution de 1946 aux termes duquel « La Nation garantit l'égal accès de l'enfant et de l'adulte à l'instruction, à la formation professionnelle et à la culture. L'organisation de l'enseignement public gratuit et laïque à tous les degrés est un devoir de l'Etat », laquelle relève pour partie de l'article 34 de la Constitution prescrivant que la loi détermine les principes fondamentaux de l'enseignement, un tel désordre normatif et de telles incertitudes juridiques, préjudiciables à l'intérêt des élèves, ne peuvent qu'encourir la censure.

Au cas présent, une invalidation de l'article 12 aurait pour conséquence de remettre de l'ordre dans l'édifice normatif et de la clarté dans la vie publique.

De tous ces chefs, la censure est encourue.


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Par ces motifs, et tous autres à déduire, ajouter ou suppléer, même d'office, plaise au Conseil constitutionnel de prononcer l'invalidation de l'ensemble des dispositions contraires à la Constitution.

En effet, la loi déférée comporte, outre l'article 12, de nombreuses dispositions sans aucune portée législative ou normative en contradiction avec les articles 34 et 37 de la Constitution.

Nous vous prions de croire, monsieur le président, mesdames et messieurs les membres du Conseil constitutionnel, à l'expression de notre haute considération.

(Liste des signataires : voir la décision no 2005-512 DC.)