J.O. 171 du 25 juillet 2004       J.O. disponibles       Alerte par mail       Lois,décrets       codes       AdmiNet
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Décision n° 2004-520 du 15 juin 2004 se prononçant sur une demande de mesures conservatoires déposée par la société Mobius dans le cadre du différend l'opposant à France Télécom


NOR : ARTT0400030S



L'Autorité de régulation des télécommunications,

Vu la directive 97/33 /CE du Parlement européen et du Conseil du 30 juin 1997 relative à l'interconnexion dans le secteur des télécommunications en vue d'assurer un service universel et l'interopérabilité par l'application des principes de fourniture d'un réseau ouvert (ONP) ;

Vu la directive 98/10 /CE du Parlement européen et du Conseil du 26 février 1998 concernant l'application de la fourniture d'un réseau ouvert (ONP) à la téléphonie vocale et l'établissement d'un service universel des télécommunications dans un environnement concurrentiel ;

Vu la directive 2002/21 /CE du Parlement européen et du Conseil du 7 mars 2002 relative à un cadre réglementaire commun pour les réseaux et services de communications électroniques (directive « cadre ») ;

Vu la directive 2002/19 /CE du Parlement européen et du Conseil du 7 mars 2002 relative à l'accès aux réseaux de communications électroniques et aux ressources associées, ainsi qu'à leur interconnexion (directive « accès ») ;

Vu le code des postes et télécommunications, notamment ses articles L. 34-8, L. 36-8 et R. 11-1 ;

Vu la décision no 99-528 de l'Autorité de régulation des télécommunications en date du 18 juin 1999 portant règlement intérieur ;

Vu la décision no 2003-1083 de l'Autorité de régulation des télécommunications en date du 2 octobre 2003 portant modification de la décision susvisée ;

Vu l'arrêté du 12 mars 1998 modifié autorisant la société France Télécom à établir et exploiter un réseau de télécommunications ouvert au public et à fournir le service téléphonique au public ;

Vu la déclaration de la société Mobius enregistrée sous le numéro 03/44 le 13 août 2003 l'autorisant à établir et exploiter un réseau de télécommunications ouvert au public ;

Vu la décision no 2002-593 de l'Autorité de régulation des télécommunications en date du 18 juillet 2002 établissant pour 2003 les listes des opérateurs exerçant une influence significative sur le marché du service téléphonique au public entre points fixes et sur le marché des liaisons louées ;

Vu la décision no 2002-1191 du 19 décembre 2002 complétant la décision susvisée ;

Vu la décision no 2003-907 de l'Autorité de régulation des télécommunications en date du 24 juillet 2003 établissant pour 2004 les listes des opérateurs exerçant une influence significative sur le marché des télécommunications ;

Vu la demande de règlement d'un différend, enregistrée le 23 avril 2004, présentée par la société Mobius, RCS de Saint-Denis-de-la-Réunion no B 432 891 786, dont le siège social est situé 1, rue Théodore-Drouhet, ZAC 2000, BP 386, 97829 Le Port Cedex, représentée par Me Olivier Fréget, cabinet Bird & Bird, centre d'affaires Edouard VII, 6, rue Caumartin, 75009 Paris ;

La société Mobius, dans sa saisine au fond en date du 23 avril 2004, demande à l'Autorité de trancher un litige, conformément à l'article L. 36-8 du code des postes et télécommunications, relatif, d'une part, à la possibilité pour Mobius d'obtenir le dégroupage de paires de cuivre aux fins de lui permettre de raccorder ses points de concentration aux différentes URA de France Télécom à la Réunion en continuité métallique avec les accès dégroupés de ses clients, selon un tarif calculé par application de deux fois le tarif d'une paire de cuivre entièrement dégroupée, au nombre de paires de cuivre effectivement utilisées.

D'autre part, la société Mobius demande que soit appliquée à son parc de liaisons louées analogiques en continuité métallique la même prestation d'accès à la boucle locale aux mêmes conditions tarifaires, sans frais d'accès au service, ni de résiliation ou de migration.

Enfin, cette même société demande que l'Autorité ordonne à France Télécom de fournir une prestation de fourniture, d'installation, de maintenance d'un câble de localisation distante complet entre les locaux de Mobius et les NRAs de France Télécom.

Vu la demande de mesures conservatoires, enregistrée le 7 mai 2004, formée accessoirement à la demande principale présentée par la société Mobius, RCS de Saint-Denis-de-la-Réunion no B 432 891 786, dont le siège social est situé 1, rue Théodore-Drouhet, ZAC 2000, BP 386, 97829 Le Port Cedex, représentée par Me Olivier Fréget, cabinet Bird & Bird, centre d'affaires Edouard VII, 6, rue Caumartin, 75009 Paris ;

La société Mobius demande à l'Autorité au titre des mesures conservatoires :

- d'ordonner à France Télécom de reprendre immédiatement et sans délai la livraison à Mobius des liaisons louées en continuité métallique et de procéder aussitôt à leur mise en service effective ;

- de dire que le montant des sommes qui seraient dues par Mobius à France Télécom au titre de chaque nouvelle liaison louée par cette dernière à Mobius sera versé sur un compte séquestre à constituer sur le compte de M. le bâtonnier de l'ordre des avocats de Paris ;

- de dire que lesdites mesures resteront en vigueur jusqu'à la date de la décision de l'Autorité à intervenir sur la saisine au fond de Mobius du 23 avril 2004 et jusqu'à ce qu'il soit autrement statué par l'Autorité.



I. - Contexte et rappel des faits

1. Situation entre Mobius et France Télécom


Mobius indique qu'elle est fournisseur de services d'accès à Internet haut débit aux entreprises de la Réunion et qu'elle a développé son activité depuis 2000 en achetant à France Télécom des prestations de liaisons louées analogiques (LLA) en continuité métallique au tarif fixé dans le catalogue général des prix de France Télécom.

Mobius rappelle que le 6 août 2002 elle a demandé à France Télécom l'application d'un tarif plus adapté au travers d'une offre sur mesure que France Télécom lui a refusée, au motif que Mobius devait disposer de la qualité d'opérateur, prévue à l'article L. 33-1 du code des postes et télécommunications, pour bénéficier de ces tarifs.

Mobius indique qu'elle a obtenu le 25 juillet 2003 cette qualité d'opérateur, requise pour entamer des négociations avec France Télécom pour la location des paires de cuivre en continuité métallique au tarif défini par l'Autorité dans le cadre du dégroupage.

Mobius indique qu'elle a décidé de consigner sur le compte CARPA de son avocat réunionnais le montant contesté des factures des LLA, comme ultime recours face à l'intransigeance opposée par France Télécom à compter du 17 novembre 2003.

Par ailleurs, France Télécom a décidé, le 9 janvier 2004, de suspendre toute nouvelle livraison de liaison en continuité métallique, subordonnant la reprise des livraisons à la fourniture par Mobius d'une caution bancaire, ce que Mobius a accepté, faute de solution alternative. France Télécom a en outre souhaité que Mobius signe un protocole l'autorisant à exiger de nouvelles garanties financières et renonce au tarif de livraison applicable au titre de son nouveau statut par l'acceptation de convention type au titre de l'accès à la boucle locale et de l'interconnexion.

Face à cette situation, Mobius précise qu'elle a saisi le juge des référés du tribunal de commerce de Paris aux fins de voir ordonner à France Télécom :

- de reprendre les livraisons de liaisons en continuité métallique suspendues, avec la consignation des montants contestés ;

- et ce jusqu'à l'issue de la procédure de règlement de différend que Mobius s'engageait à déposer devant l'Autorité.

Par une ordonnance du 27 avril 2004, le juge des référés du tribunal de commerce de Paris a rejeté la demande de Mobius tendant à la consignation des sommes litigieuses pour toute commande de nouvelles liaisons en continuité métallique et la demande reconventionnelle de France Télécom en paiement des sommes consignées pour les lignes déjà en exploitation.


2. L'échec des démarches entreprises par Mobius


Mobius a proposé à France Télécom le 29 avril 2004 de verser à cette dernière, à titre provisionnel, le montant de l'abonnement des frais d'accès au service pour chaque nouvelle liaison commandée et de lui verser également par avance quatre mois d'abonnement par liaison à titre de garantie, cette période correspondant à la durée maximale de la procédure au fond devant l'Autorité. Mobius mettait également en demeure France Télécom dans ce même courrier de lui confirmer par retour et au plus tard avant le 3 mai 2004 l'acceptation de toutes les commandes bloquées.

Mobius indique que le 30 avril 2004 France Télécom était prête à reprendre les livraisons des LLA dans les meilleurs délais, tout en conditionnant cette reprise au paiement des sommes dues pour ces seules commandes, ce à quoi Mobius s'était engagée. Toutefois, Mobius a indiqué le 3 mai 2004 qu'elle ne pouvait se satisfaire du renvoi aux interlocuteurs commerciaux, s'agissant des dates de livraison, et que tout retard supplémentaire dans la livraison de ces liaisons était de nature à la mettre en péril. Elle demandait à nouveau la confirmation des dates de livraison des liaisons commandées pour le même jour à 17 heures.

Ce même 3 mai, France Télécom a indiqué que la reprise de la fourniture des liaisons louées restait toujours subordonnée au paiement intégral et préalable des sommes séquestrées chez l'avocat de Mobius.

Mobius indique que, le 4 mai, elle a proposé de transférer les sommes détenues par son avocat sur le compte CARPA de l'avocat de France Télécom avec mission de les conserver jusqu'à la date de la décision de l'Autorité sur la saisine au fond. Mobius précise que ce même jour France Télécom a refusé cette proposition et a indiqué ne pouvoir communiquer qu'un calendrier prévisionnel dans un délai de huit jours, les livraisons éventuelles étant subordonnées à la libération des sommes consignées.


II. - La nécessité de mesures conservatoires

1. La recevabilité de la demande de mesures conservatoires


Constatant le refus opposé par France Télécom de négocier les modalités de l'application des tarifs prévus dans le cadre du dégroupage aux liaisons en continuité métallique, Mobius a saisi l'Autorité le 23 avril d'une demande de règlement de différend sur le fondement de l'article L. 36-8 du code des postes et télécommunications, afin que celle-ci tranche les éléments du litige suscités.


Si Mobius a accepté d'envisager des solutions raisonnables pour la reprise de livraisons, elle refuse de fournir les garanties supplémentaires exigées par France Télécom.

Mobius souligne qu'il ressort des derniers courriers de France Télécom que celle-ci ne livrera pas les liaisons en continuité métallique suspendues tant que Mobius n'aura pas libéré les sommes séquestrées. Mobius estime que cette position est en contradiction avec les termes de l'ordonnance du 27 avril 2004 précitée.


L'atteinte grave et immédiate aux règles

régissant le secteur des télécommunications


En premier lieu, Mobius considère qu'en suspendant les commandes de liaisons en continuité métallique, France Télécom empêche Mobius de fournir l'accès à Internet réclamé par ses clients et les prive de l'accès à un réseau de télécommunications.

Mobius estime que le refus d'accès à son réseau opposé par un opérateur puissant constitue une atteinte grave et immédiate aux règles régissant le secteur des télécommunications, et en particulier aux articles L. 36-7 (6°) et L. 34-8-IV du code des postes et télécommunications.

En second lieu, Mobius souligne que le comportement de France Télécom au début du mois de mai doit être assimilé à un refus implicite d'accès à son réseau, constitutif d'une atteinte grave et immédiate aux règles régissant le secteur des télécommunications.

Enfin, Mobius indique que la suspension des livraisons des prestations depuis quatre mois a placé les utilisateurs finaux, clients de Mobius, dans une situation grave car ils ne disposent pas des solutions d'accès Internet sécurisées pourtant souscrites auprès de Mobius.

Mobius souligne ainsi que les mesures conservatoires demandées permettraient de rétablir la continuité du fonctionnement des réseaux à la Réunion en fournissant les prestations d'accès à Internet nécessaires à la clientèle professionnelle de l'île, sans les contraindre à changer de fournisseur.


L'urgence


Mobius estime qu'il est impératif que les liaisons suspendues depuis quatre mois soient livrées sans délai et qu'en raison du refus de livraison de France Télécom, elle ne peut répondre aux demandes de sa clientèle. Mobius déclare que son activité et sa situation financière ont de ce fait marqué une contraction considérable lors des quatre derniers mois. Mobius considère en outre que cette situation porte atteinte à son image, ses clients étant las d'attendre.

Mobius estime qu'en raison de la perte de clientèle actuelle et potentielle au profit de concurrents agissant en tant que revendeurs des services de France Télécom, elle se trouve confrontée à un péril grave et imminent qui empire chaque jour.

Mobius indique que, pour ne pas perdre ses clients, elle doit recourir à des solutions ponctuelles de substitution, qu'elle juge non satisfaisantes, passant notamment par des liaisons RNIS pour lesquelles France Télécom requiert la souscription de nouvelles conditions.

Vu la lettre du chef du service juridique de l'Autorité en date du 10 mai 2004 communiquant aux parties le calendrier prévisionnel de dépôt des mémoires ;

Vu les observations en défense enregistrées le 19 mai 2004, présentées par la société France Télécom, RCS Paris no 380 129 866 Paris, dont le siège social est situé 6, place d'Alleray, 75505 Paris Cedex 15, représentée par M. Jacques Champeaux, directeur exécutif chargé des affaires réglementaires ;


I. - Rappel du contexte


A titre liminaire, France Télécom indique tout d'abord que, dès le mois d'août 2002, Mobius a remis en cause les tarifs applicables aux liaisons louées analogiques prétendant qu'elle devait bénéficier des tarifs préférentiels du service réglementé du dégroupage alors qu'elle n'était pas opérateur, et que si, en août 2003, Mobius venait d'acquérir le statut d'opérateur et a réitéré ses demandes, elle a toutefois refusé de souscrire les conventions d'interconnexion et de dégroupage.

Ensuite, France Télécom souligne qu'à compter de novembre 2003 Mobius a décidé de ne régler qu'une partie des sommes dues au titre des prestations de LLA en indiquant qu'elle consignait la différence sur le compte CARPA de son avocat, Me Poitrasson, tout en refusant d'attester de cette consignation et des modalités de sa mise en oeuvre. France Télécom note qu'elle n'a produit aucun relevé de compte CARPA justifiant de la date et du montant des sommes retenues. France Télécom devrait ainsi fournir des prestations sans disposer de la garantie d'être payé par Mobius.

En outre, France Télécom rappelle que l'article 8-2 des conditions générales de fourniture des liaisons louées, évoqué par Mobius, prévoit qu'en cas de réclamation l'obligation de paiement de la somme en litige est suspendue, mais qu'en cas de rejet de la réclamation par France Télécom le paiement de la somme litigieuse est immédiatement exigible, ce qui est le cas en l'espèce.

France Télécom indique qu'en raison de cette violation du contrat elle a pu envisager de mettre en oeuvre l'article 4-1 de cette même convention et par conséquent de suspendre la livraison des nouvelles commandes de liaisons louées analogiques.

Par ailleurs, France Télécom souligne qu'à la suite de l'ordonnance du tribunal de commerce elle a souhaité trouver une solution amiable avec Mobius en proposant la reprise de la fourniture des prestations moyennant le paiement intégral [...].

Enfin, France Télécom estime que la demande de mesures conservatoires déposée par Mobius est identique à celle sollicitée en référé devant le tribunal de commerce de Paris sur le fondement des articles 872 et 873 du nouveau code de procédure civile. Or, France Télécom rappelle que le tribunal de commerce a rejeté l'ensemble des demandes de Mobius, et n'a donc pas constaté d'urgence, de trouble manifestement illicite et de dommage imminent.

France Télécom considère que Mobius ne peut à la fois prétendre que le juge commercial était compétent pour mettre fin à une situation de fait et soutenir qu'elle relève de la compétence de l'Autorité définie par l'article L. 36-8 du code des postes et télécommunications. France Télécom note que la saisine déposée par Mobius concerne l'exécution d'un contrat commercial qui n'entre pas dans le champ de compétences de l'Autorité. Elle souligne que le juge de commerce s'est déclaré compétent pour traiter ce litige mais a considéré qu'il relevait de la procédure au fond.

France Télécom considère que Mobius ne peut donc s'adresser à l'Autorité pour obtenir que le montant des sommes dues soit versé sur « un compte séquestre » alors que l'article 1961 du code civil dispose que seule une juridiction de l'ordre judiciaire peut ordonner la mise en oeuvre d'un tel séquestre.


II. - Sur l'irrecevabilité de la demande au fond


France Télécom considère que la demande de mesures conservatoires est fondée au principal sur une demande au fond irrecevable : la saisine ne remplit pas les conditions de recevabilité de l'article L. 36-8 du code des postes et télécommunications car elle ne concerne ni l'interconnexion ni l'accès.

France Télécom indique que le contrat, objet du litige, est un contrat commercial basé sur son offre de détail qui fait l'objet d'une procédure d'homologation. L'Autorité n'est donc pas compétente pour traiter un tel litige.


III. - Sur la condition relative à l'atteinte grave et immédiate

aux règles régissant le secteur des télécommunications


France Télécom considère qu'il est difficile de caractériser une atteinte grave aux dispositions de l'article L. 34-8-IV du code des postes et télécommunications dès lors qu'aucune demande d'accès émanant des clients de Mobius ne lui a été adressée.

France Télécom constate en outre que Mobius n'apporte aucun élément sérieux établissant une causalité directe et immédiate des mesures conservatoires demandées avec les règles encadrant le droit à l'accès à un réseau de télécommunications des utilisateurs finaux. France Télécom note donc que l'urgence n'est pas établie, ce qui a été confirmé selon elle par le juge des référés.

France Télécom souligne que Mobius n'est donc pas fondé à soutenir qu'il y a une atteinte grave et immédiate au droit des utilisateurs finaux à l'accès à un réseau de télécommunications.


IV. - Sur la condition relative à l'atteinte

à la conformité du fonctionnement du réseau


France Télécom rappelle que le législateur a limité l'usage des mesures conservatoires aux atteintes d'une gravité comparable à celle qui résulterait d'une mise en péril de l'intégralité des réseaux ou des services qu'ils portent.

France Télécom estime que Mobius ne peut prétendre que la continuité du fonctionnement du réseau est atteinte dès lors que France Télécom a limité la suspension aux nouvelles liaisons, les liaisons existantes n'étant donc pas impactées.


V. - Sur la condition relative au caractère accessoire

de la demande de mesures conservatoires


France Télécom souligne que la demande de mesures conservatoires déposée par Mobius ne peut être considérée comme accessoire à la demande au fond dès lors que l'Autorité, si elle y faisait droit, se prononcerait sur la recevabilité de la demande au fond.

France Télécom précise que, si l'Autorité devait faire droit à la demande de mesures conservatoires déposée par Mobius, elle serait amenée à préjuger de la solution au fond et porterait atteinte au principe d'impartialité énoncé à l'article 6-1 de la CEDH et confirmé par un arrêt du 9 octobre 2001 de la Cour de cassation, qui a appliqué ce principe aux mesures conservatoires décidées par le Conseil de la concurrence et a cassé l'arrêt de la cour d'appel de Paris.

Par conséquent et pour l'ensemble de ces raisons, France Télécom demande à l'Autorité de rejeter la demande de mesures conservatoires de Mobius.

Vu la lettre du chef du service juridique en date du 24 mai 2004 adressant un questionnaire aux parties et fixant au 28 mai 2004 la date de clôture de remise des réponses ;

Vu les réponses des parties au questionnaire du rapporteur enregistrées le 28 mai 2004 ;

Vu la lettre du chef du service juridique en date du 1er juin 2004 convoquant les parties à une audience devant le collège le 10 juin 2004 ;

Vu le courrier de la société Mobius enregistré le 4 juin 2004 relatif aux réponses de France Télécom au questionnaire du rapporteur ;

Vu la lettre du chef du service juridique en date du 7 juin 2004 décidant de la réouverture de l'instruction, de l'annulation de l'audience du 10 juin 2004 et convoquant les parties à une audience devant le collège le 15 juin 2004 ;

Vu le courrier de la société France Télécom en date du 8 juin 2004 transmettant des observations ;

Vu le courrier de la société France Télécom enregistré le 10 juin 2004 souhaitant que l'audience devant le collège ne soit pas publique ;

Vu le courrier de la société Mobius le 14 juin 2004 souhaitant que l'audience devant le collège ne soit pas publique ;

Après avoir entendu le 15 juin 2004, lors de l'audience devant le collège :

- le rapport de M. Bertrand Vandeputte, rapporteur représentant les conclusions et les moyens des parties ;

- les observations de M. Yann de Prince, pour la société Mobius, et de Me Olivier Fréget, pour le cabinet Bird & Bird ;

- les observations de MM. Jean-Daniel Lallemand et Eric Debroeck, pour la société France Télécom ;

En présence de :

MM. Jean-Daniel Lallemand, Eric Debroeck, Martial Houlle et de Mme Aurélia David, pour la société France Télécom ;

M. Yann de Prince, pour la société Mobius, de Mes Olivier Fréget et Christophe Fichet, cabinet Bird & Bird ;

MM. Philippe Distler, directeur général, Laurent Laganier, Bertrand Vandeputte, Franck Bertrand et de Mmes Elisabeth Rolin, Cécile Gaubert, Aurélie Doutriaux, Christine Galliard, agents de l'Autorité ;

Le collège en ayant délibéré le 15 juin 2004, hors la présence du rapporteur, du rapporteur adjoint et des agents de l'Autorité,

Adopte la présente décision fondée sur les faits et les moyens exposés ci-après :


I. - Sur le cadre juridique applicable

aux demandes de mesures conservatoires


En vertu de l'article L. 36-8 I du code des postes et télécommunications, l'Autorité peut être saisie d'un différend entre deux parties « en cas de refus d'interconnexion, d'échec des négociations commerciales ou de désaccord sur la conclusion ou l'exécution d'une convention d'interconnexion ou d'accès à un réseau de télécommunication », cet article ajoutant : « en cas d'atteinte grave et immédiate aux règles régissant le secteur des télécommunications, l'Autorité peut, après avoir entendu les parties en cause, ordonner des mesures conservatoires en vue notamment d'assurer la continuité du fonctionnement des réseaux ».

L'article R. 11-1, alinéa 4, du code précise qu'« une demande de mesures conservatoires ne peut être formée qu'accessoirement à une saisine au fond de l'Autorité de régulation des télécommunications. Elle peut être présentée à tout moment de la procédure et doit être motivée ».

Il résulte, en premier lieu, de ces dispositions que l'Autorité ne peut ordonner une demande de mesures conservatoires qu'autant qu'elle est saisie d'une demande de règlement de différend qui réponde aux conditions de recevabilité fixées à l'article L. 36-8 précité et que cette demande de mesures conservatoires est suffisamment motivée.

En second lieu, des mesures conservatoires ne peuvent être décidées que, d'une part, lorsque les faits soumis à l'Autorité sont suffisamment caractérisés pour être tenus comme la cause directe et certaine de l'atteinte relevée aux règles régissant le secteur des télécommunications, et que l'atteinte précitée présente un caractère de gravité, notamment au regard de l'importance de la règle concernée ou des conséquences préjudiciables que sa violation entraîne pour les opérateurs concernés, pour l'accès de leurs clients à des services de télécommunication d'autres opérateurs ou pour leur possibilité de communiquer librement avec d'autres utilisateurs. Il faut, d'autre part, que ladite atteinte revête un certain dégré d'immédiateté, et donc d'urgence.

Enfin, les mesures adoptées à titre conservatoire doivent être strictement limitées à ce qui est nécessaire pour faire face à l'urgence et à la préservation des intérêts de la partie demanderesse, sans affecter de manière excessive les prérogatives de la partie en cause.


II. - Sur les demandes de mesures conservatoires de Mobius


Au titre des mesures conservatoires, Mobius a demandé à l'Autorité dans sa saisine enregistrée le 7 mai 2004 de constater l'échec des négociations, d'ordonner à France Télécom de reprendre immédiatement et sans délai la livraison à Mobius des liaisons louées en continuité métallique et de procéder aussitôt à leur mise en service effective, de dire que le montant des sommes qui seraient dues par Mobius à France Télécom au titre de chaque nouvelle liaison louée livrée par cette dernière à Mobius sera versé sur un compte séquestre à constituer sur le compte de M. le bâtonnier de l'ordre des avocats de Paris et, enfin, de dire que lesdites mesures resteront en vigueur jusqu'à la date de la décision de l'Autorité à intervenir sur la saisine au fond de Mobius du 23 avril 2004 et jusqu'à ce qu'il soit autrement statué par l'Autorité.

Mobius considère que sa demande de mesures conservatoires est justifiée dans la mesure où l'arrêt de la livraison de liaisons en continuité métallique par France Télécom est constitutif d'une atteinte grave et immédiate aux règles régissant le secteur des télécommunications en ce que, d'une part, il empêche Mobius de fournir l'accès haut débit réclamé par ses clients et les prive de l'accès à un réseau de télécommunications et, d'autre part, il doit être assimilé à un refus implicite d'accès au réseau de France Télécom.

Mobius estime par ailleurs que l'interruption de la livraison de liaisons en continuité métallique aurait des conséquences préjudiciables pour elle. Le demandeur estime à cet égard que l'urgence est caractérisée par la contraction considérable de son activité et sa situation financière lors des quatre derniers mois, du fait de l'interruption de la livraison de liaisons en continuité métallique.

Or, il résulte des pièces du dossier, d'une part, que le refus de France Télécom, invoqué par la société Mobius, de livrer les nouvelles liaisons analogiques en continuité métallique s'analyse comme une suspension de toute nouvelle livraison à la suite du non-paiement par Mobius d'une partie des sommes dues jusqu'alors.

L'Autorité constate que France Télécom n'a pas interrompu sa prestation de liaisons louées en continuité métallique livrées avant le 9 janvier 2004, ce qui permet à Mobius de conserver son parc de liaisons existantes et de garantir à la clientèle correspondante la continuité des services auxquels elle a souscrit.

D'autre part, France Télécom n'a suspendu la livraison de ces nouvelles liaisons louées analogiques qu'après avoir enjoint la société Mobius de lui régler la totalité des sommes dues au titre de la fourniture des liaisons précitées et en lui rappelant les conséquences contractuelles auxquelles elle s'exposait dans le cas contraire, en particulier la suspension de la livraison des liaisons louées analogiques.

Il apparaît par ailleurs que la société France Télécom a proposé à la société Mobius des solutions temporaires permettant, le temps du règlement du litige au fond, la poursuite de son activité dans des conditions acceptables.

[...]


En second lieu, il n'est pas contesté par Mobius que France Télécom lui a proposé des solutions techniques de substitution, dans l'attente du règlement du litige au fond, permettant aux clients de Mobius d'accéder à son réseau.

Par suite, il y a lieu de constater que Mobius n'apporte pas d'élément suffisant de nature à démontrer l'existence d'une atteinte grave à une règle régissant le secteur des télécommunications.

Dès lors qu'une des conditions cumulatives nécessaires à l'octroi de mesures conservatoires n'est pas satisfaite, et sans qu'il soit besoin d'examiner l'ensemble des fins de non-recevoir tirées de l'irrecevabilité, il résulte de tout ce qui précède qu'il y a lieu pour l'Autorité de rejeter les demandes formulées par Mobius au titre des mesures conservatoires.

Au demeurant, eu égard au calendrier prévisionnel fixant les dates de production des observations, accepté par les parties lors de la réunion du 10 mai 2004, l'Autorité souligne que le différend devrait être en état d'être réglé au fond par l'Autorité mi-juillet.

Enfin, l'Autorité constate, au vue des discussions qui ont eu lieu entre les parties à la suite de l'ordonnance de référé du président du tribunal de commerce de Paris du 27 avril 2004, des réponses apportées au questionnaire et des échanges qui ont suivi, que les conditions d'un accord entre les parties, quant à la reprise de la fourniture de liaisons louées analogiques, pourraient être proches, et les invite à réexaminer leur position respective pendant le délai de traitement du litige au fond.

L'Autorité note en particulier que, d'une part, sur le montant de [...] réclamé à ce jour par France Télécom, Mobius a consigné de manière effective sur le compte CARPA de son avocat la somme de [...] et déclare s'être acquitté de la somme de [...]. Sous réserve de la constatation par France Télécom du paiement de ces [...] susmentionnés, il ne semble pas exclu que les deux sociétés puissent s'accorder sur les modalités de séquestre ou de consignation des sommes, dans l'attente de la décision au fond. D'autre part, le différentiel résiduel est lié selon Mobius à des contestations de facturation qui semblent être de nature différente. Le montant de ces sommes résiduelles était de [...], à la date de clôture de l'instruction d'après les pièces du dossier, et ne saurait raisonnablement constituer un motif de blocage à la reprise immédiate de la livraison des liaisons louées à la société Mobius, dès lors que les parties ont engagé une démarche d'explication des divergences,

Décide :


Article 1


Les demandes de mesures conservatoires susvisées présentées par la société Mobius sont rejetées.

Article 2


Le chef du service juridique ou son adjoint est chargé de notifier aux sociétés Mobius et France Télécom la présente décision, qui sera rendue publique sous réserve des secrets protégés par la loi.


Fait à Paris, le 15 juin 2004.


Le membre du collège présidant la séance,

M. Feneyrol


[...] passages relevant des secrets protégés par la loi.