J.O. 105 du 5 mai 2004       J.O. disponibles       Alerte par mail       Lois,décrets       codes       AdmiNet

Texte paru au JORF/LD page 08001

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Observations du Gouvernement sur le recours dirigé contre la loi relative à la formation professionnelle tout au long de la vie et au dialogue social


NOR : CSCL0407278X



Le Conseil constitutionnel a été saisi, par plus de soixante députés, d'un recours dirigé contre la loi relative à la formation professionnelle tout au long de la vie et au dialogue social, adoptée le 7 avril 2004.

Les requérants articulent à l'encontre des articles 41, 42 et 43 de la loi différents griefs qui appellent, de la part du Gouvernement, les observations suivantes.


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Ces articles 41, 42 et 43 font partie du titre de la loi déférée consacré au dialogue social, qui procède à une refonte des règles de la négociation collective. Cette réforme, qui s'inscrit dans le prolongement d'une « position commune » adoptée en juillet 2001 par la plupart des partenaires sociaux, est articulée autour de trois idées principales. Le législateur a voulu, en premier lieu, subordonner la validité des accords collectifs à un principe majoritaire, qui se décline de façon différente selon les niveaux de négociation ; la loi a entendu, en deuxième lieu, accroître le champ de responsabilité des partenaires sociaux en leur ouvrant la faculté, sous certaines conditions, de signer des accords dérogatoires par rapport à des conventions supérieures ; la loi a visé, enfin, à étendre le champ de la négociation d'entreprise par rapport à la négociation de branche.

Dans ce cadre, l'article 41 de la loi déférée modifie l'article L. 132-13 du code du travail qui détermine l'articulation des accords interprofessionnels et des accords de branche en fonction du champ couvert. En vertu de la loi déférée, les dispositions des accords interprofessionnels ne s'imposeront désormais aux accords de niveaux inférieurs que si leurs signataires l'ont expressément prévu. Pour sa part, l'article 42 modifie l'article L. 132-23 du code du travail relatif à l'articulation des accords interprofessionnels, professionnels ou de branche et des accords d'entreprise. La modification apportée par la loi déférée vise à ouvrir de nouvelles marges d'autonomie aux accords d'entreprise par rapport aux accords de branche, en permettant aux accords d'entreprise, sous les conditions prévues par la loi, de déroger aux accords de niveau supérieur. En conséquence de ces modifications apportées aux règles d'articulation des conventions et accords, le champ de la négociation d'entreprise est étendu par l'article 43 de la loi déférée, qui énumère les dispositions du code du travail dont l'application est désormais susceptible d'être négociée au niveau de la branche ou au niveau de l'entreprise.

Les députés requérants font valoir que ces dispositions de la loi déférée seraient entachées d'incompétence négative et soutiennent, en particulier, qu'elles porteraient atteinte au principe dit « de faveur ». Ils considèrent également que les dispositions critiquées seraient contraires à l'objectif de valeur constitutionnelle de clarté et d'intelligibilité de la loi. Ils estiment, enfin, que ces dispositions priveraient de garanties légales les exigences constitutionnelles résultant du onzième alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946.

Ces différents griefs appellent, de la part du Gouvernement, les observations suivantes.


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I. - En ce qui concerne le grief tiré

de l'incompétence négative


Contrairement à ce qui est soutenu par la saisine, le législateur n'est pas demeuré en deçà de sa compétence en adoptant les dispositions critiquées des articles 41, 42 et 43 de la loi.

1. Il convient de rappeler, à cet égard, qu'en vertu du huitième alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 « tout travailleur participe, par l'intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu'à la gestion des entreprises » et que, selon l'article 34 de la Constitution, la détermination des principes fondamentaux du droit du travail relève de la compétence du législateur.

Il résulte de ces dispositions constitutionnelles que, s'il appartient au législateur de définir les droits et obligations touchant aux conditions de travail ou aux relations du travail, il lui est loisible de laisser aux employeurs et aux salariés, ou à leurs organisations représentatives, le soin de préciser après une concertation appropriée les modalités concrètes de mise en oeuvre des normes qu'il édicte (décision no 89-257 DC du 25 juillet 1989).

Il faut, aussi, souligner que le principe dit « de faveur », invoqué par la saisine, ne présente pas le caractère d'un principe à valeur constitutionnelle. Par la décision no 2002-465 DC du 13 janvier 2003, le Conseil constitutionnel a, en effet, jugé que ne constitue pas un principe fondamental reconnu par les lois de la République le principe selon lequel le législateur ne pourrait permettre aux accords collectifs de travail de déroger aux lois et règlements ou aux conventions de portée plus large que dans un sens plus favorable aux salariés (V. aussi la décision no 97-388 DC du 20 mars 1997).

Ainsi, conformément à ce qu'avait déjà établi la jurisprudence antérieure, un tel principe présente non le caractère d'un principe constitutionnel s'imposant au législateur mais celui d'un principe fondamental du droit du travail au sens que donne à cette notion l'article 34 de la Constitution, c'est-à-dire un principe qui fonde la compétence du législateur (décision no 67-46 L du 12 juillet 1967 ; décision no 89-257 DC du 25 juillet 1989). Une telle qualification est, d'ailleurs, également celle qui a été retenue par le Conseil d'Etat dans les avis de ses formations administratives (avis d'assemblée générale du 22 mars 1973) ou dans ses décisions contentieuses (CE Ass. 8 juillet 1994, Confédération générale du travail, Recueil, p. 356).

Cette qualification implique que seul le législateur a compétence pour définir le contenu du principe, pour aménager ou limiter sa portée, comme il l'a fait à plusieurs reprises au cours des années récentes, notamment en matière de durée du travail. Ce principe fonde ainsi la compétence du législateur, mais il ne limite aucunement les choix auxquels ce dernier peut procéder dans l'exercice de cette compétence.

2. Au cas présent, le législateur a fixé de nouvelles règles pour la négociation collective et déterminé de nouveaux modes d'articulation des différents niveaux d'accords collectifs. Il a, ce faisant, pleinement exercé sa compétence.

Il importe, à ce propos, de mesurer précisément la portée des modifications qui ont été apportées aux dispositions du code du travail.

Les dispositions critiquées des articles 41, 42 et 43 de la loi déférée n'ont ni pour objet ni pour effet de modifier les rapports entre les dispositions législatives et réglementaires d'ordre public et les normes conventionnelles. Elles n'étendent, en effet, pas le champ des règles conventionnelles par rapport aux dispositions du code du travail. Ainsi qu'il a été, à plusieurs reprises, rappelé par le Gouvernement au cours des débats parlementaires, la loi déférée ne confère pas aux accords, quel que soit leur niveau, la faculté de déroger, au détriment des salariés, à des dispositions législatives ou réglementaires impératives. De fait, l'article L. 132-4 du code du travail n'a pas été abrogé et il dispose toujours que les accords collectifs ne peuvent déroger aux dispositions d'ordre public des lois et règlements. On doit souligner, par ailleurs, que la loi déférée est également sans portée s'agissant des rapports entre accords collectifs et contrats de travail.

La réforme instituée par la loi ne vise que le champ conventionnel. A cet égard, elle modifie, d'une part, les règles d'articulation des différents niveaux de négociation - c'est l'objet des articles 41 et 42 - et étend, d'autre part, le champ des accords d'entreprise par rapport aux accords de branche - c'est l'objet de l'article 43.

S'agissant des articles 41 et 42 relatifs à l'articulation entre les différents niveaux de négociations que sont le niveau interprofessionnel, le niveau de la branche et celui de l'entreprise, la loi a précisément régi les nouveaux rapports entre les normes conventionnelles en donnant aux accords la faculté de déroger à une règle conventionnelle du niveau supérieur. Cette faculté affecte certes la portée du principe, de valeur législative, dit « de faveur », mais elle est encadrée par l'énoncé de limites ou de conditions.

En premier lieu, l'accord doit refléter une majorité d'organisations syndicales ou de salariés selon des modalités définies par la loi et qui diffèrent selon le niveau de négociation. En la matière, la loi a eu le souci d'ouvrir différentes options aux partenaires sociaux, en distinguant notamment des cas de majorité d'adhésion ou d'absence d'opposition majoritaire ; il a pris soin d'encadrer chaque option de telle sorte qu'elle traduise l'expression d'une réelle majorité.

En second lieu, on doit relever que l'article 42 a exclu certaines matières du champ des dérogations possibles. Dans ces matières, pour lesquelles le législateur a considéré qu'elles impliquaient une régulation à un niveau dépassant le cadre de l'entreprise, les accords d'entreprise ne pourront contenir des stipulations dérogatoires par rapport aux accords interprofessionnels ou de branches. Il s'agit des salaires minima, des classifications et des garanties collectives quant à la mutualisation de certains risques et à la formation professionnelle. En outre, la faculté de dérogation n'est pas générale et peut toujours être interdite par l'accord supérieur. En effet, conformément aux dispositions des articles 41 et 42 de la loi déférée, il appartient aux partenaires sociaux d'indiquer explicitement dans les accords interprofessionnels et dans les accords de branches les stipulations conventionnelles qui seront revêtues d'un caractère impératif pour les accords de niveau inférieur. Il est vrai que la dérogation sera possible dans le silence de l'accord, mais le législateur a veillé à ce que ce silence traduise la volonté effective des partenaires sociaux. On doit souligner, à cet égard, la portée des dispositions de l'article 45 de la loi déférée qui déterminent l'entrée en vigueur effective des nouvelles dispositions : en précisant que la loi n'a pas pour effet de remettre en cause la valeur hiérarchique accordée par leurs signataires aux accords conclus avant l'entrée en vigueur de la loi, l'article 45 a pour effet d'interdire d'interpréter le silence des accords conclus avant l'entrée en vigueur de la loi comme autorisant les accords de niveau inférieur à y déroger.

S'agissant de l'article 43 de la loi, celui-ci étend les possibilités de renvoi aux accords d'entreprise dans certains cas où les dispositions antérieures du code du travail renvoyaient à des accords de branche. Cet article ne modifie pas la ligne de partage résultant du droit en vigueur entre ce qui relève de la compétence du législateur et ce qui relève de la négociation collective. Il ne crée pas davantage de possibilité pour l'accord d'entreprise de déroger à la loi.

Il faut aussi souligner que le renvoi à l'accord d'entreprise effectué par l'article 43 n'est pas général. L'article énumère limitativement les cas où le renvoi est possible et exclut, ce faisant, certaines matières pour lesquelles le législateur a estimé que l'intérêt général imposait le maintien du seul renvoi à l'accord de branche ou un contrôle des pouvoirs publics sous la forme d'un décret. Il en va ainsi, par exemple, de la définition du travailleur de nuit (art. L. 213-2 du code du travail), des dérogations à la durée maximale hebdomadaire (art. L. 212-7) ou de l'instauration d'une durée équivalente (art. L. 213-4).

En définissant de la sorte les nouvelles règles d'articulation des différents niveaux d'accords collectifs de travail, le législateur a exercé la compétence qu'il tient de l'article 34 de la Constitution et procédé, dans le cadre de son pouvoir d'appréciation, aux aménagements qui lui paraissaient devoir être portés au principe, de valeur législative, dit « de faveur ».


II. - En ce qui concerne le grief tiré

du défaut de clarté et d'intelligibilité de la loi


En adoptant les dispositions contestées de la loi déférée, le législateur a entendu ouvrir aux partenaires sociaux différentes options sur la déclinaison du principe majoritaire et étendre le champ de la négociation collective en ouvrant la faculté de conclure des accords dérogeant aux accords supérieurs. Pour mettre en oeuvre à cet égard la compétence qu'il tient de l'article 34 de la Constitution, et éviter aussi toute ambiguïté sur l'interprétation des règles nouvelles, il a veillé à définir de façon précise les règles de validité des accords, les rapports entre les différents niveaux de négociation et les cas de renvois possibles à tel ou tel niveau d'accord. Témoigne, en particulier, de ce souci de précision la rédaction de l'article 43 qui a pris soin d'énumérer les cas nouveaux de renvoi à des accords d'entreprise, sans se borner, comme le prévoyait la rédaction initiale, à un renvoi général et indéterminé.

Pour complexes que puissent apparaître certaines dispositions de la loi déférée, cette dernière, qui procède à une réforme d'envergure du droit de la négociation collective impliquant la modification de nombreuses dispositions du code du travail, ne manque pas à l'objectif de valeur constitutionnelle d'intelligibilité de la loi. Les dispositions critiquées, même complexes, sont énoncées de façon claire et précise, de telle sorte que la critique formulée au titre de la clarté et de l'intelligibilité de la loi ne pourra qu'être écartée (décision no 2001-453 DC du 18 décembre 2001).


III. - En ce qui concerne le grief tiré du onzième alinéa

du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946


Ainsi qu'il a été précédemment exposé, la loi déférée n'a nullement pour objet de permettre aux accords collectifs de déroger aux dispositions impératives résultant de la loi ou du règlement. En aucun cas, les accords collectifs ne pourront déroger, par des stipulations moins protectrices, aux règles impératives en matière de santé et de sécurité au travail résultant des règlements communautaires et des prescriptions législatives et réglementaires du droit du travail. La loi déférée ne modifie pas l'état du droit à cet égard ; les seules dérogations susceptibles d'être apportées par voie d'accord sont celles qui, dans l'intérêt des salariés, vont au-delà des prescriptions impératives en assurant un degré de protection supérieur.

Dans ces conditions, le grief tiré du onzième alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 garantissant la protection de la santé ne pourra qu'être écarté comme manquant en fait.


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Pour ces raisons, le Gouvernement considère que les critiques adressées par les auteurs du recours ne sont pas de nature à justifier la censure de la loi déférée. C'est pourquoi il estime que le Conseil constitutionnel devra rejeter le recours dont il est saisi.