J.O. 76 du 30 mars 2004       J.O. disponibles       Alerte par mail       Lois,décrets       codes       AdmiNet
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Avis de la Commission de régulation de l'énergie sur le projet d'arrêté relatif aux prix de vente de l'électricité


NOR : INDI0402386V



La Commission de régulation de l'énergie (CRE) a été saisie le 9 janvier 2004 par le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie et la ministre déléguée à l'industrie d'un projet d'arrêté relatif au prix de l'électricité, prévoyant d'abaisser de 1,2 EUR/MWh les tarifs de vente, hors taxe, de l'électricité aux clients non éligibles.

Le Gouvernement, dans sa saisine, justifie cette baisse par la hausse de la contribution au service public de l'électricité (CSPE) de 1,2 EUR/MWh par rapport à la contribution de 2003, car le Gouvernement souhaite que cette hausse « n'ait pas de conséquences significatives pour les ménages ».


Aspect réglementaire


Comme l'indique la lettre de la saisine, le décret du 26 juillet 2001 relatif aux tarifs de vente de l'électricité aux clients non éligibles n'étant toujours pas entré en vigueur, ce mouvement tarifaire est fondé sur le décret no 88-850 du 29 juillet 1988 et sur les dispositions de l'article 4 de la loi du 10 février 2000. Le décret du 29 juillet 1988 dispose que l'évolution des tarifs de vente aux clients non éligibles « traduit la variation du coût de revient de l'électricité qui est constitué des charges d'investissement et des charges d'exploitation du parc de production et du réseau de transport et de distribution ainsi que des charges de combustibles ». La loi prévoit que ces tarifs « sont définis en fonction des caractéristiques intrinsèques des fournitures, en fonction des coûts liés à ces fournitures » et que, « matérialisant le principe de gestion du service public aux meilleures conditions de coûts et de prix, [ils] couvrent l'ensemble des coûts supportés à ce titre par EDF ».

Etant donné que, dans le nouveau contexte de la loi du 10 février 2000, les tarifs d'utilisation des réseaux publics de transport et de distribution, dont la gestion constitue une activité comptablement séparée des activités de production et de commercialisation d'EDF, sont fixés par le décret du 19 juillet 2002 et que la CSPE est recouvrée, conformément à la loi du 3 janvier 2003, par un prélèvement additionnel aux tarifs de vente, la baisse des tarifs de vente proposée ne peut en aucun cas résulter de la hausse de la CSPE, mais uniquement de l'évolution des coûts de production et de commercialisation d'EDF.

La CRE note, d'ailleurs, que le Gouvernement ne justifie pas la baisse proposée au regard des dispositions du décret du 29 juillet 1988 ou de la loi du 10 février 2000.


Evolution des coûts de production et de commercialisation


Pour pouvoir juger de façon pertinente de l'évolution des coûts de production et de commercialisation d'EDF au cours de l'année 2003, il convient de disposer de la comptabilité séparée de l'entreprise, certifiée par ses commissaires aux comptes, mais celle-ci ne sera disponible qu'à la fin du premier trimestre 2004.

En l'absence de cette comptabilité, sur l'analyse de laquelle ses avis doivent être fondés en vertu de l'article 4 (III) de la loi du 10 février 2000, la CRE a néanmoins essayé d'identifier les raisons qui pourraient justifier une évolution des charges d'EDF.

Du côté des baisses, elle note qu'EDF a allongé la durée d'amortissement de ses centrales nucléaires de 10 ans et est passé à un amortissement linéaire, ce qui représente une baisse de charges de l'ordre de 300 MEUR par an. En outre, la suppression des taxes hydrauliques représente une diminution de charges de l'ordre de 130 MEUR par an.

Du côté des hausses, l'augmentation de la taxe sur les installations nucléaires de base correspond à 226 MEUR supplémentaires par an. De plus, la hausse du prix du charbon constatée au cours de l'année 2003 entraîne une hausse des charges de l'ordre de 100 MEUR par an.

Au total, et avec toutes les réserves qui s'imposent compte tenu du peu de données fiables dont elle dispose, la CRE considère qu'il n'apparaît pas clairement que les coûts de production et de commercialisation d'EDF connaissent une évolution susceptible d'entraîner une baisse des tarifs de 1,2 EUR/MWh (soit de l'ordre de 370 MEUR de diminution de recettes pour EDF en année pleine).


Conséquences pour le marché de l'électricité


La baisse des tarifs de vente proposée créera des inégalités entre consommateurs, non fondées objectivement, en ne faisant porter la hausse de la CSPE que sur les clients éligibles ayant exercé leur éligibilité et qui ne bénéficient pas du plafonnement de la CSPE à 500 000 EUR par site de consommation. En effet, la facture globale d'électricité (fourniture, acheminement et CSPE) de ces clients augmentera, du fait de la hausse de la CSPE, alors que les clients éligibles qui n'ont pas exercé leur éligibilité auront une facture globale stable, la hausse de la CSPE étant compensée par la baisse des tarifs de vente proposée. En outre, les clients éligibles qui n'ont pas exercé leur éligibilité et dont la CSPE est plafonnée bénéficieront d'une baisse de leur tarif pour compenser une hausse de la CSPE qu'ils ne supportent pas.

La baisse proposée créera par ailleurs une entrave au développement de la concurrence lors de l'ouverture du marché aux professionnels le 1er juillet 2004. En premier lieu, baisser les tarifs de vente sans relation avec les évolutions des coûts peut gêner le développement d'offres alternatives par les concurrents d'EDF. En second lieu, cette baisse risque fortement de dissuader les clients éligibles de changer de fournisseur, alors que les prix de l'électricité ont augmenté ces derniers mois. En effet, ces clients pourraient penser que toute hausse de la CSPE sera automatiquement compensée par un mouvement en sens contraire des tarifs réglementés, ce dont ils ne bénéficieraient pas en faisant jouer leur éligibilité, et que, en dehors même de toute considération relative à la CSPE, le Gouvernement aura tendance à fixer des tarifs réglementés artificiellement bas.

Concernant les ménages, la baisse des tarifs de vente proposée n'aura pas de conséquence sur le fonctionnement de la concurrence pour ce segment de marché, puisque les clients résidentiels ne seront éligibles que le 1er juillet 2007.


Conséquences pour les distributeurs

non nationalisés (DNN)


La baisse des tarifs de vente proposée diminuera les recettes des DNN qui se fournissent auprès d'EDF en vue de l'approvisionnement de leurs clients non éligibles. Cette perte de recettes devra être compensée par une baisse équivalente de leurs coûts d'achat, et donc des tarifs de vente appliqués par EDF, les tarifs de cession prévus par l'article 4 de la loi du 10 février 2000 n'étant pas encore parus. Pour la même raison, ces derniers devront intégrer la baisse proposée.


Conclusion


La CRE considère que baisser artificiellement les tarifs de vente pour compenser la hausse de la CSPE n'est pas conforme à l'objectif du législateur, qui a distingué la CSPE des tarifs de vente pour séparer leurs évolutions respectives. La diminution des coûts de production et de commercialisation d'EDF ne peut pas être clairement établie dans les délais impartis et la baisse des tarifs de vente constitue une entrave au développement de la concurrence, puisqu'elle permettrait à EDF de pratiquer des prix anormalement bas que les autres fournisseurs ne seraient pas en mesure d'offrir.

La CRE constate donc que les conditions législatives et réglementaires ne sont pas réunies pour justifier la baisse proposée et émet, en conséquence, un avis défavorable au projet d'arrêté.

Toutefois, la CRE, dans l'esprit de la préoccupation, exprimée par le Gouvernement, relative aux charges des ménages, estime que, si cette baisse est opérée, elle doit se limiter aux seuls tarifs bleus domestiques, qui s'appliquent aux ménages. Dans cette hypothèse, une telle baisse, qui devrait être rattrapée dès le prochain mouvement tarifaire, n'aurait pas d'effet néfaste pour la concurrence sur le marché français de l'électricité, qui sera ouvert à tous les clients professionnels le 1er juillet 2004.

Fait à Paris, le 22 janvier 2004.



Pour la Commission de régulation de l'énergie :

Le président,

J. Syrota