J.O. Numéro 19 du 23 Janvier 2002       J.O. disponibles       Alerte par mail       Lois,décrets       codes       AdmiNet
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Observations du Gouvernement sur les recours dirigés contre la loi relative à la Corse


NOR : CSCL0205315X



La loi relative à la Corse, adoptée le 18 décembre dernier, a été déférée au Conseil constitutionnel par plus de 60 députés et par plus de 60 sénateurs. Les requérants adressent à la loi plusieurs séries de critiques qui appellent, de la part du Gouvernement, les observations suivantes :

I. - Sur la procédure suivie
lors de la réunion de la commission mixte paritaire

A. - Les sénateurs, auteurs du second recours, estiment que la procédure d'élaboration du texte n'aurait pas respecté les dispositions de l'article 45 de la Constitution. Ils font valoir en effet qu'après le refus opposé par la commission mixte paritaire à deux projets de rédaction de l'article 1er, le président de celle-ci aurait dû considérer qu'elle proposait de supprimer cet article , et poursuivre la discussion sur les autres dispositions restant en discussion. En s'en abstenant et en constatant l'échec de la commission, le président aurait fait obstacle à la mise en oeuvre de la procédure de conciliation prévue par la Constitution et méconnu l'article 45.
B. - Ce moyen ne saurait être retenu.
Aux termes du cinquième alinéa de l'article 40 du règlement de l'Assemblée nationale, applicable à la commission mixte paritaire en vertu du troisième alinéa de l'article 112 du même texte, « sous réserve des règles fixées par la Constitution, les lois organiques et le présent règlement, chaque commission est maîtresse de ses travaux ».
Le compte rendu établi par les rapporteurs des deux assemblées (no 3389 pour l'Assemblée nationale, no 76 pour le Sénat) atteste que la commission mixte paritaire, réunie le 15 novembre à l'Assemblée nationale, n'est pas parvenue à proposer un texte sur les dispositions restant en discussion. Après le rejet de deux propositions de rédaction pour l'article 1er, qualifié par les parlementaires qui se sont exprimés lors de la séance comme celui présentant les plus grandes difficultés, mais aussi la plus grande importance, le président de la commission a légitimement constaté que celle-ci ne parvenait pas à établir un texte pour cet article . Dès lors, il lui appartenait, au titre de ses pouvoirs dans la conduite des travaux de la commission, d'apprécier si ceux-ci pouvaient être utilement poursuivis ou s'il lui revenait de constater l'échec de la conciliation.
Il ressort clairement des rapports précités que le président de la commission mixte paritaire a valablement constaté qu'un texte ne pouvait être élaboré par la commission pour l'article 1er. (La suite des travaux parlementaires a, du reste, démontré qu'aucun accord n'a pu, sur ces dispositions, être trouvé entre l'Assemblée nationale et le Sénat.)
La procédure de conciliation confiée par l'article 45 de la Constitution à la commission mixte paritaire a donc été régulièrement mise en oeuvre.

II. - Sur l'article 1er

A. - L'article 1er du projet de loi insère, dans le code général des collectivités territoriales, de nouvelles dispositions relatives aux attributions de l'Assemblée de Corse.
Il modifie d'abord la rédaction de l'article L. 4424-1 de ce code pour préciser la compétence de l'assemblée qui « règle par ses délibérations les affaires de la Corse ».
Par ailleurs, les modifications apportées à l'article L. 4424-2 introduisent de nouvelles règles de procédure.
Le I de cet article encadre les conditions dans lesquelles l'Assemblée de Corse pourra proposer des modifications aux dispositions réglementaires concernant les collectivités de Corse ainsi que celles relatives au développement économique, social et culturel.
Le II du même article L. 4424-2 précise que la collectivité territoriale de Corse dispose d'un pouvoir réglementaire nécessaire à l'exercice de ses compétences et qu'elle peut demander à être habilitée par le législateur à fixer des règles spécifiques d'application des dispositions réglementaires propres à la Corse.
Le III, reprenant des dispositions en vigueur, précise les conditions dans lesquelles l'Assemblée de Corse peut demander des modifications de la législation en vigueur portant sur le même champ que le I.
Le IV offre à l'Assemblée de Corse la possibilité de demander au Gouvernement que le législateur l'autorise à expérimenter des dispositions spécifiques, adaptées à la Corse, dans les conditions que le Parlement fixera et sous son contrôle permanent. Les mesures ainsi adoptées auront un caractère provisoire, puisqu'elles cesseront de produire leur effet si, au terme du délai fixé, le Parlement n'a pas procédé à leur adoption.
Le V et le VI apportent des précisions de procédure sur les avis et demandes adoptés en application du présent article .
Enfin, l'article 1er de la loi insère dans la même section un nouvel article L. 4424-2-1 permettant d'assurer la publicité des demandes et avis de l'Assemblée de Corse par leur insertion au Journal officiel.
Selon les auteurs des recours, l'article 1er méconnaîtrait plusieurs dispositions ou principes constitutionnels : le principe de libre administration des collectivités locales posé par l'article 72, la compétence réglementaire dévolue au Premier ministre par l'article 21, le principe de la souveraineté nationale posé par l'article 3, la compétence du législateur fixée par les articles 34 et 37, le principe d'indivisibilité de la République posé par l'article 1er, le pouvoir d'initiative des lois prévu par l'article 39, les conditions de création de commissions parlementaires mentionnées par l'article 43 ainsi que le principe de clarté et d'intelligibilité des lois dégagé par la jurisprudence.
B. - Aucun de ces griefs n'est de nature à fonder une annulation de l'article 1er de la présente loi.
1. S'agissant de la compétence dévolue à l'Assemblée de Corse pour régler par ses délibérations les affaires de la Corse, il convient de rappeler que l'article L. 4421-1 du code général des collectivités territoriales, dans sa rédaction issue de l'article 2 de la loi no 91-428 du 13 mai 1991 portant statut de la collectivité territoriale de Corse, dispose que « la Corse constitue une collectivité territoriale de la République au sens de l'article 72 de la Constitution ».
Cet article a été reconnu conforme à la Constitution par la décision no 91-290 DC du 9 mai 1991. La disposition critiquée se borne, dès lors, à préciser, dans le strict respect des dispositions de l'article 72 de la Constitution qui prévoient que les collectivités locales s'administrent librement par des conseils élus, que l'Assemblée de Corse constitue l'organe collégial compétent pour gérer les affaires de cette collectivité territoriale que constitue la Corse.
Contrairement à ce que soutiennent les sénateurs requérants, cette disposition ne saurait être interprétée comme portant atteinte à la libre administration des autres collectivités territoriales de l'île.
2. S'agissant du pouvoir réglementaire dévolu à l'Assemblée de Corse par le II de l'article L. 4424-2, c'est à tort que les députés et sénateurs requérants font grief à cette disposition, d'une part, de reconnaître à cette assemblée un pouvoir réglementaire propre de portée générale, d'autre part, de méconnaître celui du Premier ministre. En effet, cette argumentation se méprend sur la portée de cette disposition, comme sur celle des règles et principes constitutionnels sur lesquels elle s'appuie.
a) Il importe, au préalable, de préciser la portée de cet article .
Son premier alinéa, aux termes duquel « le pouvoir réglementaire de la collectivité territoriale de Corse s'exerce dans le cadre des compétences qui lui sont dévolues par la loi », se borne, en réalité, à rappeler que la collectivité peut disposer d'un pouvoir réglementaire pour mettre en oeuvre les compétences que la loi lui reconnaît, et seulement celles-ci. Il ne fait donc qu'expliciter la portée du principe de libre administration des collectivités locales, qui implique que celles-ci disposent des compétences et des moyens d'en assurer la mise en oeuvre effective, dans les conditions prévues par la loi.
Ce premier alinéa, contrairement aux affirmations des auteurs de la saisine, n'a donc aucunement pour objet de confier à la collectivité territoriale de Corse un pouvoir réglementaire de portée générale dont elle ne définirait pas précisément le champ d'application. Le pouvoir réglementaire confié à la collectivité territoriale de Corse ne l'est pas, in abstracto, sur le fondement de cette disposition : c'est au cas par cas, dans cette loi, comme, le cas échéant, dans des lois ultérieures, que des dispositions précises attribuent ou attribueront à la collectivité un pouvoir réglementaire pour l'exercice de ses compétences.
Quant aux deuxième et troisième alinéas du même II de l'article L. 4424-2, ils fixent simplement la procédure selon laquelle la collectivité territoriale de Corse pourra demander à être habilitée par le législateur à fixer des règles adaptées aux spécificités de l'île, en précisant, conformément à la jurisprudence du Conseil constitutionnel, que la fixation de telles règles est exclue dans l'hypothèse où serait en cause l'exercice d'une liberté individuelle ou d'un droit fondamental. Contrairement, là encore, à ce que soutiennent les auteurs de la saisine, il ne peut être reproché à la loi de ne pas définir précisément le champ d'application du pouvoir ainsi conféré à la collectivité, puisqu'elle n'a pas cet objet. Il reviendra, en effet, ultérieurement au législateur, sous le contrôle du Conseil constitutionnel, de donner suite, s'il l'estime nécessaire, aux demandes formulées par la collectivité.
b) A ce stade, la procédure instituée par le II de l'article L. 4424-2 ne peut être considérée, en elle-même, comme méconnaissant un principe de valeur constitutionnelle, sauf à considérer qu'elle ne peut nécessairement déboucher que sur une habilitation contraire à la Constitution. En d'autres termes, pour faire droit à l'argumentaire des parlementaires requérants sur ce point, il serait nécessaire de juger que le législateur ne peut habiliter la collectivité territoriale de Corse à fixer des règles adaptées à la spécificité de l'île.
Telle est, il est vrai, la thèse que défend le recours des sénateurs, à propos d'un certain nombre d'articles du projet de loi qui ont bien un tel objet. Cette argumentation doit cependant être écartée, dans chacune de ses deux branches.
Il est à peine besoin de rappeler, en premier lieu, que les collectivités locales peuvent exercer un pouvoir réglementaire afin de mettre en oeuvre les compétences qui leur sont attribuées par la loi.
En certaines hypothèses, la loi peut être mise en oeuvre directement par celles-ci, notamment lorsqu'il s'agit de dispositions concernant leurs organes internes ou l'administration de leur personnel, sans que l'intervention du pouvoir réglementaire général soit au préalable requise (CE, 13 février 1985, Syndicat communautaire d'aménagement de l'agglomération de Cergy-Pontoise ; CE Ass., 2 décembre 1994, préfet de la région Nord - Pas-de-Calais, préfet du Nord). Il est des cas où la libre administration des collectivités locales, lorsqu'elle est assimilée à la capacité à régler de manière individuelle les affaires de chaque collectivité, est même considérée comme faisant obstacle à ce que des dispositions réglementaires soient prises par le Premier ministre. Ainsi, la décision no 92-316 DC du 20 janvier 1993 a-t-elle dénié au pouvoir réglementaire national la capacité de fixer, par des règles de portée générale, la durée normale d'amortissement des investissements pouvant faire l'objet d'une délégation de service public, laissant le soin à chaque collectivité, sous le contrôle du juge, de procéder à une telle évaluation.
Le plus souvent, des décrets sont pris pour préciser les conditions d'application d'une loi, et c'est dans le cadre ainsi défini, constitué par la loi et ses décrets d'application, que les collectivités locales fixent les normes assurant la mise en oeuvre de la loi dans leur ressort territorial. Pour autant, ainsi que l'illustre parfaitement le droit de l'urbanisme, la part respective d'intervention laissée, pour l'application d'une disposition donnée, au pouvoir réglementaire national et à la réglementation locale peut varier significativement selon la nature de la disposition en cause, et il n'existe pas d'obstacle de principe à ce que le législateur, dans certains cas, donne à la collectivité locale, pour la mise en oeuvre d'une compétence décentralisée, une habilitation excluant l'intervention préalable du pouvoir réglementaire national. Il importe, simplement, de prendre en considération, au cas par cas, les exigences constitutionnelles qui peuvent rendre nécessaire, dans une certaine mesure, cette intervention. Ces exigences ont été dégagées par la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Elles sont, pour l'essentiel, de deux sortes.
D'une part, le principe de libre administration « ne saurait conduire à ce que les conditions essentielles d'application d'une loi organisant l'exercice d'une liberté publique dépendent de décisions de collectivités territoriales et ainsi puissent ne pas être les mêmes sur l'ensemble du territoire » (cf., par exemple, la décision no 84-185 DC du 18 janvier 1985). La rédaction du deuxième alinéa du II rappelle cette exigence.
D'autre part, le principe d'égalité impose, en certains cas, que le législateur prévienne le risque de survenance de ruptures caractérisées d'égalité en donnant compétence au pouvoir réglementaire national pour prendre par décret des dispositions assurant une égalité de traitement sur l'ensemble du territoire (cf. décision no 96-287 DC du 21 janvier 1997, à propos de la « prestation dépendance »).
A l'inverse, l'extension du pouvoir réglementaire des collectivités locales répond parfaitement aux exigences du principe d'égalité lorsque l'objectif poursuivi par le législateur est tel que la réglementation la mieux adaptée sera celle qui sera capable de prendre en compte la diversité des situations locales, en se fondant sur une « appréciation concrète » de ces réalités : c'est ce que met clairement en évidence la décision no 85-189 DC du 17 juillet 1989.
Le respect de ces exigences s'apprécie donc au cas par cas. Mais on ne saurait donc soutenir qu'il existerait quelque obstacle de principe à ce que le législateur habilite une collectivité locale à prendre les mesures réglementaires requises pour l'application, dans son ressort territorial, de telle ou telle disposition, sans intervention préalable du pouvoir réglementaire national.
En second lieu, la problématique de la dévolution d'un pouvoir réglementaire aux collectivités locales ne doit pas être envisagée au regard des dispositions de l'article 21 de la Constitution et de la jurisprudence du Conseil constitutionnel dont se prévalent à ce propos les requérants.
En effet, cette jurisprudence concerne essentiellement les conditions dans lesquelles un pouvoir réglementaire, en quelque sorte concurrent, peut être reconnu à des autorités administratives indépendantes pour édicter des règles applicables sur l'ensemble du territoire national.
Rien de tel n'est en cause avec le II de l'article L. 4424-2, qui ne concerne, comme il a été souligné plus haut, que les conditions d'exercice, par l'organe délibérant d'une collectivité territoriale, des compétences que la loi peut lui attribuer, sur le fondement de l'article 72 de la Constitution. L'article 21 ne saurait être interprété comme excluant que le législateur confie un tel pouvoir à une collectivité, sous réserve que soient par ailleurs respectées les exigences constitutionnelles précédemment évoquées. Si l'on a néanmoins cru bon de préciser que les demandes présentées par la Corse en vue de l'habilitation de cette collectivité à exercer une compétence réglementaire doivent être exprimées « dans le respect de l'article 21 de la Constitution », cette mention n'a, en réalité, d'autre objet que de rappeler la différence de nature et de portée qui existe entre ces deux formes d'exercice du pouvoir réglementaire : le Premier ministre tient directement sa compétence de la Constitution, et peut l'exercer sans qu'il soit besoin d'une habilitation expresse du législateur ; a contrario, s'agissant d'une collectivité locale, ce pouvoir ne peut être exercé, réserve faite de celui détenu pour l'organisation de ses services, que sur le fondement d'une habilitation donnée, au cas par cas, par le législateur, et respectant les exigences déjà mentionnées. L'objet de la disposition critiquée est bien de définir une procédure permettant à la collectivité de Corse de faire la demande de telles habilitations.
Enfin, il convient de rappeler que la collectivité territoriale de Corse constitue, à elle seule, une catégorie de collectivités. Il est donc loisible au législateur de lui attribuer un statut différent de celui des autres collectivités et, en particulier, de régler différemment, en Corse, le partage des compétences entre l'Etat et les collectivités locales.
Sur le plan des principes, sur lequel se situe la procédure décrite au II de l'article L. 4424-2, comme à travers les différents exemples figurant dans d'autres dispositions la loi, la possibilité donnée à la collectivité territoriale de Corse de prendre des mesures qui, sur le reste du territoire, relèvent du décret, ne méconnaît donc pas de normes de valeur constitutionnelle.
Au demeurant, le droit positif en offre déjà au moins une illustration. L'article L. 4424-20 du code général des collectivités territoriales, issu de la loi du 13 mai 1991, confie en effet à cette collectivité le soin de déterminer le régime des aides directes et indirectes en faveur du développement économique, dans des conditions fixées par un décret en Conseil d'Etat. Or le Conseil d'Etat, saisi en 1992 d'un projet de décret, a estimé que la collectivité territoriale était désormais compétente pour fixer par ses délibérations le régime de ces aides, et que le décret prévu par la loi devait se limiter à préciser les conditions de forme requises pour l'adoption des ces délibérations.
Enfin, le moyen tiré de ce que le législateur n'indiquerait pas lequel des organes de la collectivité aura compétence pour fixer les règles en cause ne peut également qu'être écarté. Joueront en effet les règles de répartition des compétences de droit commun entre les autorités chargées d'assurer l'administration de la collectivité territoriale qui ont été jugées conformes à la Constitution par décision no 91-428 DC précitée du 9 mai 1991 et qui sont désormais reprises aux articles L. 4422-15, L. 4422-24, L. 4422-25 et L. 4422-26 du code général des collectivités territoriales.
3. Le Gouvernement ne partage pas non plus l'analyse des requérants, qui estiment que la capacité offerte à la collectivité territoriale de Corse, par le IV de l'article L. 4424-2, de demander au législateur la possibilité de procéder, sous son contrôle et avec son accord, à des expérimentations dans certains domaines particuliers reviendrait à méconnaître tant les articles 1er et 3 que les articles 34 et 37 de la Constitution.
Là encore, il convient de restituer aux dispositions en cause leur exacte portée.
a) Saisi d'une loi relative aux modalités d'organisation et de fonctionnement des établissements à caractère scientifique, culturel et professionnel, le Conseil constitutionnel a jugé que le législateur, « eu égard à l'objectif d'intérêt général auquel lui paraîtrait correspondre le renforcement de l'autonomie des établissements », disposait de la faculté de donner à ces derniers la possibilité d'un choix entre différentes règles qu'il aurait fixées, et qu'il lui était même loisible, moyennant le respect de certaines conditions, « de prévoir la possibilité d'expériences comportant des dérogations » à ces règles.
Le deuxième alinéa du IV de l'article 1er fixe la procédure selon laquelle la collectivité territoriale de Corse pourrait demander au Parlement de lui aménager la faculté d'expérimentations similaires, en vue de la définition de règles adaptées aux caractères spécifiques de cette collectivité, lorsqu'est en cause l'exercice de compétences décentralisées à son profit.
Les troisième et quatrième alinéas définissent un ensemble de modalités relatives au cadre de ces expérimentations. Elles ne tiennent évidemment pas en échec la compétence du législateur futur et consistent d'ailleurs, s'agissant de celles figurant au troisième alinéa, en un simple rappel des conditions posées par la jurisprudence de votre Haute Assemblée, pour assurer la compatibilité de telles expérimentations avec les exigences constitutionnelles, et, notamment, l'obligation faite au législateur de ne pas rester en-deçà de la compétence qu'il tient de l'article 34.
Pour considérer que ces dispositions sont inconstitutionnelles, il faudrait, comme en matière de pouvoir réglementaire, postuler que, par principe, c'est-à-dire quelles que soient la matière dans laquelle elles interviennent et les modalités de leur encadrement, de telles expérimentations sont exclues et que le législateur ne pouvait donc valablement instituer une procédure permettant d'en demander le bénéfice. Le Gouvernement ne partage pas ce point de vue.
En premier lieu, la possibilité qui serait donnée à la collectivité territoriale de mener des expérimentations comportant, le cas échéant, des dérogations aux règles en vigueur ne saurait être regardée comme l'attribution, à cette collectivité, du pouvoir législatif dans telle ou telle matière. C'est, en effet, le Parlement lui-même qui décidera du principe de ces expérimentations, et qui définira la nature et la portée des dérogations possibles, les dispositions en faisant l'objet étant, exclusivement, celles qui touchent à l'exercice, par la collectivité, des compétences qui lui ont été reconnues par ce même législateur. Le dispositif critiqué n'envisage pas davantage un transfert à la collectivité de Corse d'une partie du pouvoir législatif que ne le faisait, à l'égard de certains établissements publics, le dispositif que le Conseil constitutionnel a validé, dans son principe sinon dans ses modalités, en 1993. Il s'agit, seulement, pour le législateur, de donner la faculté à la collectivité territoriale, d'opter entre plusieurs normes préalablement définies, ou d'adapter, dans une mesure également prédéfinie, une norme en vigueur, avant que le législateur n'intervienne à nouveau pour adopter la règle qui sera définitivement applicable. Confirmant sa décision de 1993, le Conseil constitutionnel a jugé, par une décision du 6 novembre 1996, rendue à propos d'une loi qui donnait à des accords collectifs la faculté de fixer certains seuils sociaux, que le législateur pouvait instituer un tel dispositif « sans méconnaître sa compétence », « dès lors que la latitude ainsi laissée aux acteurs de la négociation collective devrait lui permettre d'adopter par la suite des règles nouvelles appropriées au terme d'une durée réduite d'expérimentation, et d'une évaluation des pratiques qui en sont résultées ».
Sans doute le législateur devra-t-il, s'il entend faire droit à des demandes exprimées par la collectivité de Corse, veiller à ce que l'encadrement de l'expérimentation soit suffisant pour répondre aux conditions posées par la décision de 1993. Il lui faudra, en particulier, s'attacher à indiquer précisément la nature et la portée des dérogations autorisées, faute de quoi, et en l'absence, justement, de tout transfert de la compétence législative, il s'exposerait à une censure pour incompétence négative, comme ce fut le cas pour la loi déférée en 1993. (A cet égard, il convient de souligner que la possibilité d'expérience dérogatoire, ainsi encadrée strictement, ne saurait être confondue avec l'habilitation qui peut être donnée au Gouvernement, sur le fondement de l'article 38 de la Constitution, pour intervenir par ordonnance dans le domaine législatif.)
Quant au principe d'égalité, également invoqué par les requérants, il ne fait pas obstacle, ainsi qu'il a été dit, à la coexistence de règles différentes, dès lors que celle-ci peut être justifiée par la spécificité des situations locales. C'est dans cette mesure que le législateur pourra autoriser la collectivité territoriale de Corse à adopter des dispositions dérogatoires. Quant aux délibérations qui seront prises en application de cette autorisation, elles auront le caractère d'actes réglementaires, seront placées sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, et seront même soumises à un contrôle renforcé, le déféré formé par le représentant de l'Etat pouvant avoir un effet suspensif, en application des dispositions de l'article L. 4423-1 du code général des collectivités territoriales, telles que modifiées par l'article 2 de la loi contestée.
Il convient, enfin, de relever que, si la possibilité de semblables expériences a été reconnue comme répondant à un objectif d'intérêt général, en ce qu'elle permettrait, selon les termes de la décision déjà mentionnée de 1993, de renforcer l' « autonomie » de certains établissements publics, il semblerait paradoxal que ne puisse en bénéficier, a fortiori, une collectivité territoriale qui tient directement de la Constitution un droit de libre administration, dès lors que, ainsi que le précise la disposition contestée, cette possibilité ne serait ouverte que pour la définition des règles qui, touchant à « l'exercice de ses compétences », déterminent le cadre de cette libre administration.
b) Le moyen tiré de ce que la disposition contestée méconnaîtrait l'article 39 de la Constitution manque en fait : la circonstance que la collectivité territoriale de Corse puisse, à l'occasion de la mise en oeuvre de cette procédure, faire connaître son opinion sur l'élaboration d'un texte n'entrave nullement la procédure législative, ni ne remet en cause le pouvoir d'initiative des lois.
Il appartiendra à la collectivité territoriale de Corse de suivre les travaux du Parlement pour faire valoir, selon la procédure définie par l'article 1er, ses demandes.
c) Enfin le moyen tiré de ce que le IV de l'article L. 4424-1 du code général des collectivités territoriales méconnaîtrait l'article 43 de la Constitution, qui limite à six le nombre de commissions permanentes et prévoit expressément leurs missions, ne résiste pas à l'examen.
En effet, la commission prévue par cet article ne se substitue pas aux commissions mentionnées à l'article 43, qui sont compétentes pendant la procédure législative elle-même. La mise en place d'une évaluation ne ressortit pas à la procédure législative telle que définie par l'article 43.

III. - Sur l'article 7

A. - Le I de l'article 7 de la loi déférée introduit, dans le code de l'éducation, un nouvel article L. 312-11-1 qui précise que la langue corse est une matière enseignée dans le cadre de l'horaire normal des élèves des écoles maternelles et élémentaires.
Pour contester cette disposition, les parlementaires requérants font état du caractère obligatoire de l'apprentissage de la langue corse qui résulterait de l'application, dans les faits, de cet article . Le fait que cet enseignement ait lieu pendant le temps scolaire entrave, à leurs yeux, la liberté de choix des parents.
Enfin, ils tentent de tirer parti du fait que le Gouvernement s'est déclaré défavorable à un amendement sénatorial, précisant que l'enseignement de la langue corse ne revêtirait pas un caractère obligatoire pour les élèves et n'aurait pas pour objet de les soustraire aux droits et obligations applicables à l'ensemble des usagers des établissements assurant le service public de l'enseignement, pour en conclure que l'article L. 312-11-1 du code de l'éducation a bien pour objet d'instaurer un enseignement obligatoire de cette langue.
B. - Ce moyen ne peut qu'être écarté.
L'article L. 312-10 du code de l'éducation dispose qu'« un enseignement des langues et cultures régionales peut être dispensé tout au long de la scolarité ». S'appuyant sur cette disposition, la loi relative à la Corse généralise l'offre d'enseignement du corse sur l'île.
Le caractère obligatoire de cet enseignement ne peut, en aucune façon, être déduit de la rédaction de l'article 7. Le Gouvernement a expliqué à plusieurs reprises, dans les débats parlementaires, que seule l'offre d'enseignement du corse dans toutes les écoles, aux heures normales d'enseignement, était généralisée et qu'il n'entendait pas, par cette rédaction, rendre obligatoire l'apprentissage du corse.
Pour éviter toute ambiguïté, la rédaction finalement retenue est conforme à celle adoptée pour l'apprentissage de la langue tahitienne dans la loi organique du 12 avril 1996 relative à la Polynésie française, que le Conseil constitutionnel a jugée conforme à la Constitution dans sa décision no 96-373 DC du 9 avril 1996, tout en soulignant que l'enseignement de cette langue « ne saurait, sans méconnaître le principe d'égalité, revêtir un caractère obligatoire pour les élèves et qu'il ne saurait non plus avoir pour objet de soustraire les élèves scolarisés dans les établissements du territoire aux droits et obligations applicables à l'ensemble des usagers des établissements qui assurent le service public de l'enseignement ou sont associés à celui-ci ».
Quant à la position du Gouvernement sur l'amendement sénatorial précité, ses raisons en ont été parfaitement explicitées par le ministre en séance, celui-ci ayant déclaré : « Le Gouvernement s'est déjà exprimé sur la caractère non obligatoire de l'enseignement du corse et souhaite maintenir la rédaction adoptée par l'Assemblée nationale, qui insiste sur la généralisation de l'offre d'enseignement. La jurisprudence du Conseil constitutionnel vaut par elle-même et s'impose à tous sans qu'il soit besoin de la reprendre dans la loi. »
L'offre d'enseignement de la langue corse, quelques heures par semaine, sans obligation pour l'enfant, ne remet donc pas en cause l'article 2 de la Constitution, qui dispose que « la langue de la République est le français ». Elle ne porte pas non plus atteinte au principe d'égalité, puisque, à l'instar de ce qui existe pour les langues régionales, cet enseignement demeure facultatif et ne soustrait, en aucune façon, les élèves aux droits et obligations de l'enseignement public.
Ceux d'entre eux dont les parents n'auront pas souhaité qu'ils bénéficient de l'enseignement de la langue corse suivront, pendant le temps consacré à cet enseignement, d'autres activités scolaires, conformément aux dispositions organisant le temps scolaire dans le cycle élémentaire, qui prennent d'ores et déjà en compte de telles situations.

IV. - Sur l'article 9

A. - Aux termes de l'article L. 4424-7 du code général des collectivités territoriales, dans sa rédaction issue de l'article 9, « la collectivité territoriale de Corse définit et met en oeuvre la politique culturelle en Corse en concertation avec les départements et les communes, et après consultation du conseil économique, social et culturel de Corse. En concertation avec la collectivité territoriale de Corse, l'Etat peut accompagner des actions, qui, par leur intérêt ou leur dimension, relèvent de la politique nationale en matière culturelle ».
Les sénateurs requérants estiment que ces dispositions sont contraires à la Constitution, au motif qu'en accordant une telle compétence à la collectivité territoriale de Corse le législateur priverait l'Etat de tout moyen de mener une politique propre et interdirait de ce fait même au Parlement d'exercer, selon les modalités prévues aux articles 49 et 50 de la Constitution, son contrôle sur le Gouvernement.
B. - Ce moyen ne peut être accueilli.
Aucune comparaison ne peut être sérieusement établie entre cette disposition et celle qui était en cause dans la décision no 93-323 DC du 3 août 1993 dont se prévalent les sénateurs requérants. L'article incriminé ne prive en aucune manière l'Etat de ses responsabilités, et il ne peut être interprété comme réduisant ses interventions au seul « accompagnement » des décisions de la collectivité territoriale de Corse.
En effet, non seulement l'Etat conserve les responsabilités scientifiques et techniques que le législateur lui confie, mais il demeure naturellement compétent pour mener la politique de la nation en matière culturelle. En revanche, le législateur confie, comme il en a le pouvoir, un bloc de responsabilités pour des actions culturelles locales à la collectivité territoriale de Corse.
La présente loi n'ayant pas vocation à déterminer les compétences de l'Etat, il était inutile d'y préciser celles qu'il détient en matière culturelle. Le législateur s'est donc borné à définir les compétences culturelles accordées à la collectivité territoriale de Corse, tout en précisant que l'Etat peut accompagner les actions de la collectivité, voire charger cette dernière de leur mise en oeuvre. Préciser cette possibilité n'interdit pas à l'Etat d'intervenir pour son propre compte. A supposer que la rédaction retenue laisse subsister un doute, les débats parlementaires montrent clairement dans quel sens il convient d'interpréter les dispositions en cause.
Ainsi, le ministre de l'intérieur a-t-il clairement précisé à l'Assemblée nationale et au Sénat quelle était l'intention du Gouvernement : « Le Gouvernement confirme ainsi que la politique nationale s'applique en Corse en matière culturelle, mais il veut éviter les situations de concurrence pour une plus grande efficacité et pour une meilleure complémentarité (...). L'Etat mène les actions de la politique nationale, cela va de soi, puisque c'est l'application de la Constitution. Il ne peut y avoir de doute, pas plus que sur le fait que, lorsque la collectivité territoriale de Corse prend des initiatives, notamment en concertation avec l'Etat, ce dernier peut accompagner des actions qui, par leur intérêt ou leur dimension, relèvent de la politique nationale en matière culturelle. » (Sénat, séance du 7 novembre 2001.) « L'amendement précise et clarifie, en outre, les relations et l'articulation des missions entre l'Etat et la collectivité territoriale dans la mise en oeuvre de la politique culturelle. Il est ainsi confirmé que la politique nationale s'applique en Corse en matière culturelle, mais il s'agit d'éviter des actions concurrentes, pour garantir une plus grande efficacité et une vraie complémentarité. » (Sénat, séance du 8 novembre 2001.)
Enfin, l'article 72 de la Constitution permet de donner la primauté à une collectivité sur les autres, ce qui ne signifie pas que la première exercerait, ce faisant, un pouvoir de contrôle administratif, au sens du même article 72, qui ne réserve l'exercice au représentant de l'Etat. Des précédents existent d'ailleurs, comme dans le domaine des aides économiques, où les aides des collectivités locales sont subordonnées par les dispositions de l'article L. 1511-2 du CGCT à l'intervention préalable de la région.
Du reste, une grande partie de la politique culturelle s'exerce par le versement de subventions, possibilité qui restera ouverte aux communes et aux départements, à condition que les opérations projetées présentent un intérêt communal ou départemental.

V. - Sur l'article 12

A. - L'article 12 introduit dans le code général des collectivités territoriales des dispositions créant un nouveau plan de développement et d'aménagement durable de Corse, qui se substitue à deux documents existants, d'une part, le schéma d'aménagement de la Corse, d'autre part, le plan de développement de la Corse.
L'article L. 4424-9 fixe les objectifs et le contenu du plan, qui a vocation à définir les grandes orientations du développement économique, social et culturel de l'île.
L'article L. 4424-10 ouvre la possibilité à l'Assemblée de Corse, par délibération motivée, de définir une liste des espaces remarquables du littoral de la Corse, en complément des espaces définis par le premier alinéa de l'article L. 146-6 du code de l'urbanisme. Ce même article ouvre par ailleurs la possibilité de déterminer des espaces dans lesquels des aménagements légers destinés à l'accueil du public pourront être aménagés par dérogation à l'article 146-4 du code de l'urbanisme. Ces deux adaptations devront intervenir dans le cadre du plan d'aménagement et de développement durable, selon des modalités fixées à l'article L. 4424-13.
Les sénateurs, auteurs du second recours, contestent les dispositions du II de l'article L. 4424-10 du code général des collectivités locales, qui ouvrent la possibilité à la collectivité territoriale de Corse de déroger aux dispositions du III de l'article L. 146-4 du code de l'urbanisme relatif à la bande littorale des 100 mètres, en y permettant l'installation - dans certaines conditions - d'aménagements légers et de constructions non permanentes destinés à l'accueil du public.
Ils mettent en avant, tout d'abord, le caractère selon eux imprécis et flou des conditions encadrant le dispositif précité, en particulier les notions citées de « fréquentation touristique des sites » et de « préservation de l'environnement ». Ils contestent, de manière générale, l'intégration dans le code général des collectivités territoriales des dispositions relatives au plan d'aménagement et de développement durable de la Corse, y compris celles qui portent sur des dérogations aux dispositions issues de la loi « littoral » codifiées au code de l'urbanisme ; ils critiquent, de façon corrélative, l'abrogation des dispositions relatives au schéma d'aménagement de la Corse - auquel se substituera le plan précité - qui figurent aux articles L. 144-1 et suivants du code de l'urbanisme.
B. - Ces griefs ne résistent pas à l'examen.
1. En premier lieu, il convient de souligner que les notions de « fréquentation touristique » et de « préservation de l'environnement » sont d'ores et déjà présentes dans un article préexistant du code de l'urbanisme (article L. 146-6-1) qui porte lui aussi sur les aménagements dans la bande précitée des 100 mètres, sans qu'il ait jamais été soutenu que ces expressions aient pu être sources d'incertitude.
2. En deuxième lieu, le dispositif prévu par la loi est très encadré, puisque les dérogations possibles devront être inscrites dans le plan d'aménagement et de développement durable, qui en précisera les conditions de mise en oeuvre, et qu'elles seront subordonnées à une délibération particulière et motivée de l'Assemblée de Corse. Celle-ci devra donc apporter les précisions nécessaires sur les caractéristiques des sites dont la fréquentation touristique justifiera, sous le contrôle du juge, la dérogation prévue par la loi.
Quant à la préservation de l'environnement, la loi - qui impose également le respect des paysages et des caractéristiques propres aux sites concernés - la prend pleinement en compte. Il convient d'ailleurs de souligner qu'en application de l'article L. 4424-9 le plan d'aménagement et de développement durable de la Corse devra, de manière générale, respecter les objectifs et les principes énoncés aux articles L. 110 et L. 121-1 du code de l'urbanisme - parmi lesquels figure notamment la protection des milieux naturels et des paysages - et qu'il devra déterminer les principes de localisation des espaces naturels, des sites et des paysages à préserver.
3. En troisième lieu, c'est en vain que les sénateurs requérants rappellent que la Constitution interdit à une collectivité locale de modifier la loi, et que soutient le dispositif envisagé remet en cause le principe d'égalité devant la loi.
Sur le premier point, il suffit d'indiquer que l'article en cause prévoit lui-même des dérogations aux règles qu'il édicte, et ne permet pas à la collectivité territoriale de Corse d'édicter des normes de niveau législatif, compte tenu du strict encadrement imposé à celle-ci.
Quant au principe d'égalité, il ne peut trouver directement à s'appliquer entre, d'une part, la collectivité territoriale de Corse, qui constitue à elle seule une catégorie de collectivités locales au sens de l'article 72 de la Constitution, et, d'autre part, les régions.
4. S'agissant, enfin, du choix de codification opéré dans le projet de loi, il ne contrevient en rien à l'objectif constitutionnel d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi consacré par la décision no 99-421 DC du 16 décembre 1999.
En effet, la codification dans un code particulier, plutôt que dans un autre, relève de considérations d'opportunité et ne modifie pas la valeur juridique des normes qui y sont intégrées. En l'espèce, le choix du code général des collectivités territoriales procède d'un souci d'homogénéité et de clarté juridiques, qui a conduit à y regrouper l'ensemble des dispositions relatives au plan d'aménagement et de développement durable, y compris celles qui portent dérogation à certaines dispositions issues de la loi « littoral », et codifiées au code de l'urbanisme. Au demeurant, le futur plan se substitue à l'ancien plan de développement - antérieurement codifié à l'article L. 4424-19 du code général des collectivités territoriales - et au schéma d'aménagement de la Corse - évoqué dans l'article précité mais codifié au code de l'urbanisme - et il était donc logique d'intégrer dans un même code, en l'occurrence le code général des collectivités territoriales, l'ensemble des dispositions en cause.
Pour ce qui est des dérogations à la loi « littoral », il apparaît logique de les inclure dans le code porteur des dispositions relatives à la collectivité territoriale de Corse : elles ne concernent que le rivage de la Corse, ce qui les distingue clairement des dispositions de droit commun applicables sur l'ensemble du territoire et qui sont codifiées au code de l'urbanisme.
On peut enfin rappeler que le code général des collectivités territoriales inclut déjà, en ses articles L. 4433-7 et suivants, les dispositions relatives aux schémas d'aménagement régionaux d'outre-mer dont la nature et les effets juridiques en matière d'urbanisme sont très similaires à ceux du futur plan d'aménagement et de développement durable de la Corse.
Ainsi les citoyens auront-il une connaissance claire des normes qui seront applicables à la Corse et qui, s'agissant d'un plan d'aménagement ayant vocation à servir d'instrument de direction au développement de l'ensemble de l'île, ne se limitent pas à une organisation de l'urbanisme en Corse.

VI. - Sur l'article 17

A. - L'article 17 de la loi (adopté en termes identiques par l'Assemblée nationale et par le Sénat) introduit quatre articles relatifs aux interventions économiques de la collectivité territoriale de Corse dans le code général des collectivités territoriales. Le premier modifie, en l'élargissant, une compétence dévolue à la collectivité territoriale de Corse par la loi du 13 mai 1991 en matière d'aides directes et indirectes en faveur du développement économique, les deux suivants précisent les conditions de participation de la collectivité territoriale de Corse à des fonds d'investissement et à des fonds de garantie, tandis que le dernier ouvre à la collectivité territoriale de Corse la possibilité d'accorder des aides à la création ou au développement d'entreprises.
Les sénateurs requérants estiment que ces dispositions portent atteinte au principe d'égalité comme à celui de la liberté du commerce et de l'industrie.
B. - Le Conseil constitutionnel ne saurait faire sienne cette argumentation.
Comme il a été indiqué plus haut, la loi du 13 mai 1991 donnait déjà compétence à la collectivité de Corse en matière d'aides économiques. Elle la chargeait de déterminer, par ses délibérations, le montant et les modalités d'attribution des aides directes et indirectes instituées par les articles L. 1511-2 et L. 1511-3 du code général des collectivités territoriales, c'est-à-dire la prime régionale à la création d'entreprise, la prime régionale à l'emploi, les bonifications d'intérêts et les aides à l'immobilier d'entreprise, dont les montants maximum et les conditions d'attribution sont fixés, pour le reste du territoire, par décret en Conseil d'Etat.
C'est parce que le Conseil d'Etat avait estimé, dans un avis du 18 novembre 1992, que la collectivité territoriale était désormais compétente pour fixer le régime de ces aides et que le décret prévu par la loi ne pouvait que préciser les conditions de forme requises pour l'adoption de ces délibérations, que la modification apportée par l'article 17 de la présente loi à l'article L. 4424-27 supprime toute référence à un décret en Conseil d'Etat dont l'intervention est ainsi apparue inutile.
Cette seule suppression ne saurait conférer à cette disposition législative issue de la loi du no 91-428 du 13 mai 1991 un caractère inconstitutionnel. Compétent pour fixer les principes de la libre administration, le législateur peut décider d'alléger l'encadrement des aides que les collectivités locales peuvent souhaiter accorder aux entreprises. Par ailleurs, le principe de la liberté du commerce et de l'industrie n'interdit pas au législateur de prévoir l'intervention des collectivités publiques pour répondre à un objectif d'intérêt général qui consiste, en l'occurrence, à favoriser le développement économique et la création d'emplois.

VII. - Sur les articles 18 et 19

A. - Les articles 18 et 19 de la loi définissent les compétences de la collectivité territoriale de Corse en matière touristique.
L'article 18 confie à cette collectivité le soin de déterminer et de mettre en oeuvre, dans le cadre du plan d'aménagement et de développement durable, les orientations du développement touristique de l'île et précise, dans ce cadre, les missions de la collectivité. L'article 19 de la loi transfère une compétence spécifique à la collectivité territoriale pour procéder au classement des stations, des équipements et des organismes touristiques.
Les requérants considèrent que la compétence reconnue à la collectivité territoriale de Corse de déterminer les orientations en matière touristique méconnaît les compétences reconnues aux communes et aux départements par l'article 72 de la Constitution et que, s'agissant de l'article 19, il confie de manière irrégulière un pouvoir réglementaire à la collectivité territoriale de Corse.
B. - Ces griefs ne résistent pas à l'examen.
1. En premier lieu, il convient de relever que les dispositions applicables en matière de tourisme, issues de la loi du 23 décembre 1992, prévoient d'ores et déjà une répartition des compétences qui accorde aux régions, en coopération avec les autres collectivités, de larges pouvoirs.
Il convient également d'observer que l'élaboration du plan d'aménagement et de développement durable, qui revient au conseil exécutif, fait l'objet d'une large concertation avec les départements, les communes ou leurs groupements compétents en matière d'urbanisme, les chambres d'agriculture, les chambres de commerce et d'industrie et les chambres de métiers en application de l'article 12 de la loi.
Par ailleurs, la disposition de l'article 18 qui confie à la collectivité territoriale de Corse le recueil, le traitement et la diffusion des données relatives à l'activité touristique ne saurait constituer un empiètement sur les compétences des autres collectivités, puisqu'il ne s'agit que d'une mission d'information.
2. En deuxième lieu, l'article 19 de la loi déférée n'établit aucune tutelle d'une collectivité sur une autre.
Le pouvoir reconnu à la collectivité territoriale de Corse de prononcer le classement des stations, prévu aux articles L. 2231-1 et L. 2231-3 du code général des collectivités territoriales, ne la dispense nullement de satisfaire aux conditions générales du classement telles qu'elles sont précisées par les articles . Cette compétence pour prononcer un classement qui ne peut intervenir qu'« à la demande ou sur avis conforme de la commune » ne porte nullement atteinte à la libre administration des communes concernées.
Les requérants estiment aussi que la compétence donnée à l'Assemblée territoriale de Corse afin de déterminer les règles de procédure relatives à l'instruction des demandes d'agrément ou de classement d'équipements et d'organismes de tourisme méconnaît l'article 21 de la Constitution et le principe d'égalité.
3. En troisième lieu, le II de l'article L. 4424-32 du code général des collectivités territoriales, relatif aux classements et agréments des équipements et des organismes de tourisme, n'a pas pour effet de transférer un pouvoir réglementaire général à la collectivité territoriale de Corse.
En effet, la collectivité ne pourra que fixer les règles de procédure qui encadreront le traitement par elle des dossiers individuels. La définition des normes qui serviront de fondement aux décisions de classements restera de la compétence de l'Etat.
4. S'agissant enfin de modalités d'instruction de demandes individuelles, on ne voit guère en quoi le principe constitutionnel d'égalité, qui ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport avec l'objet de la loi qui l'établit, serait méconnu.
VIII. - Sur l'article 23

A. - Le II de l'article 23 reprend, en les modifiant, les dispositions relatives au conseil des sites de Corse, jusqu'alors évoquées dans des textes disparates, principalement à l'article L. 144-6 du code de l'urbanisme.
Les requérants soutiennent que ces dispositions méconnaissent le principe de libre administration des collectivités locales, notamment en ce que le président du conseil exécutif de Corse nomme la moitié des représentants du conseil.
B. - Ce grief est dépourvu de fondement.
La loi prévoit qu'un décret fixera la composition du conseil des sites dont les membres seront nommés pour moitié par le représentant de l'Etat, pour l'autre moitié par le président du conseil exécutif. C'est donc le Gouvernement qui fixera les catégories de personnes membres de ce conseil. Le choix opéré par le législateur de confier le pouvoir de nomination au président du conseil exécutif, sous le contrôle du juge, découle du constat que la collectivité territoriale de Corse exerce de larges compétences dans les matières dans lesquelles l'avis du conseil des sites est requis.
Quant au principe même de dispositions relatives au conseil des sites et propres à la Corse, il convient de rappeler qu'il trouve son origine dans la loi du 13 mai 1991. On soulignera que le texte même de l'article contesté met en évidence la justification d'une telle disposition, qui permet de tenir compte de la spécificité de l'île en regroupant en une seule instance des attributions qui, ailleurs, sont réparties entre les différents organismes mentionnés au premier alinéa de l'article L. 4421-4.

IX. - Sur les dispositions relatives aux compétences
de la collectivité de Corse en matière d'environnement

A. - Plusieurs articles de la loi déférée, relatifs aux compétences de la collectivité de Corse en matière d'environnement, sont contestés par le recours des sénateurs.
Il s'agit du II de l'article 23 qui reprend, en les modifiant, les dispositions relatives au conseil des sites de Corse, jusqu'alors évoquées dans des textes disparates, principalement à l'article L. 144-6 du code de l'urbanisme. Les requérants soutiennent que ces dispositions méconnaissent le principe de libre administration des collectivités locales, notamment en ce que le président du conseil exécutif de Corse nomme la moitié des représentants du conseil.
De son côté, le XIV de l'article 24 substitue au décret en Conseil d'Etat une délibération de l'Assemblée de Corse pour fixer le régime de protection des cours d'eau. Les sénateurs requérants contestent ce transfert de compétence au double motif qu'il affecte l'exercice d'une liberté fondamentale et constitue une rupture du principe d'égalité.
Cette dernière critique est également adressée à l'article 25, qui transfère à la collectivité territoriale de Corse la responsabilité de déterminer la composition et les règles de fonctionnement du comité de massif de Corse. Les sénateurs requérants estiment que cette disposition méconnaît également le pouvoir réglementaire du Premier ministre et le principe de libre administration.
Les mêmes moyens sont invoqués à l'encontre de l'article 25 qui comporte une mesure analogue à propos de la composition et des règles de fonctionnement du comité de massif de Corse.
C'est aussi sur le terrain du principe d'égalité et de la compétence réglementaire du Premier ministre qu'est critiqué l'article 26, insérant dans le code général des collectivités territoriales un article L. 4424-36. Le I de ce dernier article confie à la collectivité territoriale de Corse la responsabilité de l'élaboration du schéma directeur d'aménagement et de gestion des eaux (SDAGE), dans le respect des principes d'une gestion équilibrée des ressources en eau. Son II précise les conditions de la concertation au sein du comité de bassin. Le III autorise la fixation d'un schéma d'aménagement et de gestion des eaux dans chaque sous-bassin, après concertation au sein d'une commission locale de l'eau. Pour chacune de ces mesures, la loi renvoie à une délibération de l'Assemblée de Corse le soin de préciser les procédures qui permettront de les mettre en oeuvre.
La rupture d'égalité invoquée par les sénateurs requérants viendrait de ce que les conseils généraux de Corse ne seraient pas consultés pour l'élaboration du SDAGE de Corse comme le sont ceux du continent et que la loi reconnaîtrait à la seule collectivité territoriale de Corse une compétence lui permettant de fixer la composition et les règles de fonctionnement de la commission locale de l'eau.
Enfin les même arguments sont soulevés à l'encontre de l'article 28 relatif à l'élimination des déchets et, plus précisément, du nouvel article L. 4424-38 attribuant à la collectivité de Corse la responsabilité de la fixation des procédures d'élaboration, de publication et de révision des plans d'élimination des déchets.
B. - Le Conseil constitutionnel ne saurait faire sienne cette argumentation.
1. S'agissant de l'article 23, la loi prévoit qu'un décret fixera la composition du conseil des sites dont les membres seront nommés pour moitié par le représentant de l'Etat, pour l'autre moitié par le président du conseil exécutif. C'est donc le Gouvernement qui fixera les catégories de personnes membres de ce conseil. Le choix opéré par le législateur de confier le pouvoir de nomination au président du conseil exécutif découle du constat que la collectivité territoriale de Corse exerce de larges compétences dans les matières dans lesquelles l'avis du conseil des sites est requis.
Quant au principe même de dispositions relatives au conseil des sites qui soient propres à la Corse, il convient de rappeler qu'il trouve son origine dans la loi du 13 mai 1991. On soulignera que le texte de l'article contesté met en évidence la justification d'une telle disposition, qui permet de tenir compte de la spécificité de l'île en regroupant en une seule instance des attributions qui, ailleurs, sont réparties entre les différents organismes mentionnés au premier alinéa de l'article L. 4421-4.
2. Les critiques adressées à l'article 24 ne sont pas mieux fondées.
a) Dans sa rédaction issue de la présente loi, l'article L. 436-12 du code de l'environnement fixe les restrictions essentielles apportées au droit de pêche. Ces éléments, liés aux conditions de reproduction ou de protection du poisson, dans certaines sections des cours d'eau, combinés à l'obligation faite d'indemniser des propriétaires riverains durablement privés de ce droit, s'imposent à la collectivité territoriale de Corse lorsque celle-ci mettra en application le régime de limitation de la pêche ainsi défini par le législateur. Il fixe également l'autorité à laquelle est conférée le soin de mettre en oeuvre cette police.
On ne saurait donc valablement soutenir que le législateur est resté en deçà de la compétence qui est la sienne lorsqu'une police spéciale, comme celle de la pêche, met en cause le régime de la propriété (s'agissant de la police de la chasse, voir la décision no 87-149 L du 20 février 1987 et la décision no 2000-434 DC du 20 juillet 2000). Par ailleurs, aucun principe constitutionnel ne fait obstacle à ce que la mise en oeuvre de cette police soit confiée à une collectivité territoriale, plutôt qu'à une autorité de l'Etat.
b) Quant au moyen tiré du principe d'égalité, il est inopérant.
Il est en effet vain de comparer les compétences d'une collectivité territoriale comme la Corse avec celles d'autres collectivités, notamment les départements et les régions. Comme le montre la décision déjà citée du 9 mai 1991, ce qui importe est que la création d'une collectivité à statut particulier, qui se différencie du régime institutionnel de droit commun, soit justifiée par des éléments de particularisme. C'est ce qu'a admis le Conseil constitutionnel pour la Corse.
A partir de là, il est possible au législateur de procéder à des transferts de compétences sans se heurter au principe d'égalité. Ce principe ne peut faire obstacle à de tels transferts que s'ils portent sur des attributions appartenant normalement aux départements : il résulte de la jurisprudence que tous les départements doivent, dès lors qu'ils appartiennent à la même catégorie, disposer en substance des mêmes attributions, sous réserve d'ajustements limités.
Le principe d'égalité ne peut en revanche être utilement invoqué lorsque le transfert envisagé concerne des compétences qui étaient jusque-là exercées par l'Etat. Dans cette dernière hypothèse - la seule dans laquelle s'inscrit la présente loi - la possibilité ouverte au législateur de pousser la décentralisation aussi loin qu'il lui paraît opportun de le faire ne trouve de bornes que si les compétences en cause se rattachent au coeur des attributions régaliennes de l'Etat, dont celui-ci ne saurait se dessaisir.
Rien de tel n'est prévu par l'article 23, non plus que par les autres dispositions contestées.
3. Dans ces conditions, c'est de manière tout aussi vaine que le principe d'égalité est invoqué à l'encontre de l'article 25. En outre, l'habilitation donnée par la loi à la collectivité territoriale de Corse pour déterminer la composition et les règles de fonctionnement du comité de massif de Corse apparaît suffisamment précise et encadrée.
Par ailleurs, les dispositions en cause ne portent pas atteinte à la libre administration des autres collectivités locales concernées par ce comité, dans la mesure où le législateur impose, au dernier alinéa nouveau de l'article 7 de la loi du 9 janvier 1985, des règles de représentation que la collectivité territoriale de Corse sera tenue de respecter.
4. Les griefs adressés à l'article 26 ne sont pas davantage fondés.
Celui relatif à la consultation des conseils généraux manque en fait puisque la loi déférée prévoit expressément qu'ils seront associés à l'élaboration du SDAGE, lequel leur sera ensuite soumis pour avis.
Celui tiré du principe d'égalité est inopérant, pour les raisons déjà exposées. On ajoutera que la compétence de la collectivité territoriale de Corse est assortie d'une procédure précise qui assure à tous les intérêts publics et collectifs la prise en compte de leur spécificité. Il est en outre cohérent de lui permettre de prendre les dispositions permettant de prévoir les modalités de fonctionnement et de composition de la commission locale de l'eau propre à la Corse.
5. Les mêmes observations peuvent être faites à propos de l'article 28, qui confie à la collectivité territoriale de Corse le soin de fixer, dans le cadre de l'exercice de sa compétence en matière d'élaboration du plan d'élimination des déchets, les règles d'élaboration de celui-ci. Ce faisant, il ne méconnaît nullement les compétences que le Gouvernement tire de l'article 21 de la Constitution.

X. - Sur l'article 43

A. - L'article 43 de la loi déférée introduit dans le code général des collectivités territoriales un article L. 4424-40 qui modifie le régime des offices de ces établissements publics, sauf délibération contraire de la collectivité territoriale de Corse. Il règle par ailleurs les conditions de leur suppression postérieure si, avant le 1er janvier 2003, la collectivité territoriale de Corse décidait de les maintenir en l'état. Enfin, les articles 44 à 47 introduisent les mesures de coordination nécessaires avec le principe posé à l'article 43.
Les sénateurs requérants soutiennent que le législateur ayant arrêté le principe de création des offices par la loi, il aurait dû prévoir leur suppression par la même voie et, qu'au surplus, le législateur n'aurait pas épuisé sa compétence.
B. - Ce moyen n'est pas fondé.
Aux termes de la loi déférée, le législateur a entendu confier à la collectivité territoriale la possibilité de se substituer aux offices existants. Il ne s'agit donc pas d'une obligation. La collectivité territoriale peut, si elle l'entend, conserver un ou plusieurs des offices existants ou l'agence du tourisme.
Aucun principe constitutionnel n'interdit au législateur, auquel il revient simplement de fixer lui-même les principes constitutifs régissant une nouvelle catégorie d'établissements publics, de confier à une autre autorité que le Premier ministre le soin de créer ou de supprimer un établissement public se rattachant à une catégorie existante. Laisser à la collectivité intéressée le soin de décider si elle met en oeuvre les possibilités que lui offre la loi qui a créé une catégorie d'établissements ou si elle y renonce, comme c'est déjà le cas, pour les communes, s'agissant de la caisse des écoles, du centre communal d'action sociale, ou d'une régie dotée de la personnalité morale, permet, au contraire, une meilleure mise en oeuvre du principe de libre administration des collectivités territoriales.

XI. - Sur l'article 52

A. - Le I de cet article institue une aide de l'Etat destinée à leur permettre de faire face à une partie des cotisations sociales dues par les employeurs de main-d'oeuvre agricole en Corse. Le II énonce diverses conditions auxquelles est subordonné le bénéfice de cette aide.
Selon les sénateurs, auteurs du second recours, cette disposition n'a pas été adoptée au vu d'éléments objectifs faisant ressortir que les bénéficiaires de cette mesure seraient dans une situation particulière justifiant de telles dispositions spécifiques.
B. - Cette argumentation ne peut être accueillie.
La décision no 2000-441 DC du 28 décembre 2000, dont se prévalent les requérants, avait mis en évidence que les éléments dont il avait été fait état devant le Parlement, lors de l'insertion d'une mesure analogue dans la loi de finances rectificative pour 2000, ne suffisaient pas à justifier la différence de traitement entre les exploitants agricoles installés en Corse et ceux installés sur le continent.
Soucieux de faire adopter une mesure permettant de résoudre les difficultés particulières auxquelles les intéressés sont confrontés, le Gouvernement a exposé, au cours des débats parlementaires, en quoi celle qui a été adoptée est justifiée par une situation propre à la Corse.
Cette situation tient essentiellement à ce que, pour les exploitations corses les plus endettées, les solutions de règlement de droit commun ne sont compatibles, ni avec la pérennité des exploitations, ni avec leur capacité effective de remboursement de la dette. Ce fort endettement est lié au développement agricole tardif en Corse, notamment après la Seconde Guerre mondiale. Pour rattraper ce retard, dans les conditions tant géographiques que climatiques propres à cette île, un très important effort d'investissement s'est révélé nécessaire. Des crises conjoncturelles, liées à la situation particulière de ces exploitants, sont venues rendre le remboursement des dettes extrêmement difficile pour nombre d'entre eux.
La situation spécifique de la Corse se traduit notamment dans la faiblesse du revenu moyen par exploitant, d'où l'existence d'un pourcentage plus important que sur le continent d'exploitations endettées. C'est ainsi qu'en se référant aux déclarations fiscales de 1998 sur la France entière, le revenu professionnel moyen par exploitation est de 80 000 F contre 24 000 F pour la Corse et ce quel que soit le type de culture pratiqué.
Il en résulte mécaniquement un endettement supérieur en Corse. Selon les résultats du réseau d'information comptable agricole (RICA) qui analyse, sur la base d'un échantillon, les informations relatives aux exploitations qui ont une comptabilité, le montant d'endettement était en 1999 de 600 000 F pour 715 000 F de production sur l'exercice pour les exploitations sur l'ensemble de la France alors qu'en Corse, il est de 650 000 F pour 480 000 F de production. De plus, bien que les cotisations sociales des agriculteurs soient désormais assises sur les seuls revenus professionnels déclarés, il existe cependant une assiette minimale qui sert de base pour le calcul des cotisations sociales et qui correspond à 800 fois le SMIC pour l'assurance maladie, soit environ 5 440 Euros. Cette assiette excède de 11 700 F le revenu moyen par exploitation corse en 1998. Les cotisations appelées s'en trouvent majorées d'autant.
En outre, les exploitations corses se distinguent de celles du continent en ce que le nombre des exploitations dont le montant total des dettes est supérieur ou égal à 90 % du total du bilan est trois fois plus important qu'en moyenne nationale. Elles représentent 10,7% des exploitations endettées alors que sur le continent ce pourcentage n'est que de 3,6 %. Ces exploitations cumulent 43 % des dettes totales alors que sur le continent ce pourcentage n'est que de 9 %.
Il existe donc un évident motif d'intérêt général à ce que le législateur prenne les mesures permettant de maintenir le tissu agricole insulaire.
De surcroît, il a été prouvé, notamment par des rapports d'inspection diligentés par l'Etat ainsi que par les travaux parlementaires, que les défaillances de la caisse de mutualité sociale agricole de Corse dans le recouvrement des cotisations, qui ont justifié la mise en place de nouvelles instances dirigeantes à partir de 1998, ont encouragé l'accumulation d'un arriéré de paiement important à l'égard de cet organisme à la charge des exploitants agricoles corses.
Or, une part significative de l'endettement, obérant durablement le développement agricole en Corse, est constituée d'arriérés de paiement de cotisations sociales dues à la mutualité sociale agricole par les exploitants au titre des salariés qu'ils emploient.
Il ne serait cependant ni économiquement pertinent ni opportun en équité de prendre en la matière des dispositions générales. C'est pourquoi l'article 52 institue une aide en vue du développement des exploitations agricoles qui, comme le ministre de l'intérieur l'a expliqué lors des débats du 17 mai 2001 à l'Assemblée nationale, pourra ainsi éteindre en partie ses créances sur les employeurs de main-d'oeuvre.
En l'absence d'une telle disposition, ce sont environ un tiers des exploitations qui pourraient être condamnées à la liquidation judiciaire en raison du passif accumulé pour les raisons évoquées plus haut. Or, il est avéré, par les audits déjà menés, que dégagées d'une partie de l'endettement accumulé la plupart de ces exploitations menacées seront économiquement viables.
Cette aide sera attribuée, après examen individuel de chaque dossier par la commission régionale de conciliation présidée par le trésorier-payeur général regroupant les principaux créanciers (outre la Mutualité sociale agricole, le Crédit agricole et les offices), aux seules exploitations dont il est avéré par un audit qu'après extinction de tout ou partie de leur dette vis-à-vis de la Mutualité sociale agricole leur viabilité économique ouvre des perspectives de développement.
En tout état de cause, le dispositif n'est nullement ciblé sur des filières particulières de production mais vise à aider les exploitations les plus endettées, comme cela est notamment le cas des producteurs de fruits et légumes dont le taux d'endettement est de 95 % en Corse contre 24 % pour la France entière.
Le non-respect de l'ensemble des conditions prévues par la loi entraînant pour les intéressés la caducité du dispositif d'aide, ceux-ci sont très directement incités à régulariser leur situation.
C'est ainsi que la demande de cette aide ne peut être recevable que si, la viabilité économique de l'exploitation du demandeur ayant été préalablement constatée par un audit externe, l'exploitant est à jour de ses cotisations sociales à partir du 1er janvier 1999, date à laquelle la réorganisation de la caisse de Mutualité sociale agricole en Corse a permis une reprise dans des conditions normalisées du recouvrement.
En outre, l'aide ne peut intervenir qu'une fois constaté le paiement d'une part significative de l'arriéré de cotisations à l'égard de la caisse de mutualité sociale agricole (la moitié de la dette) ou le respect pendant au moins huit années de l'échéancier que l'exploitant aura conclu avec la caisse pour régler la moitié de la dette due. Ainsi, le montant de cette aide est bien proportionnel à l'endettement total des exploitants agricoles concernés, et non à leurs revenus, et ne peut donc en aucun cas revêtir un caractère forfaitaire puisqu'il est fixé au cas par cas.
De plus, cette aide est subordonnée au paiement du précompte ouvrier, soit immédiat, soit, à défaut, selon un échéancier de paiement de ce précompte d'une durée maximale de deux ans.
Le dispositif fait donc un lien clair entre la remise de la dette et l'effort incombant à ses bénéficiaires. En ne retenant dans le public éligible que les agriculteurs respectant le paiement de leurs échéances depuis 1999, il constitue une claire incitation pour les agriculteurs à s'acquitter de leurs obligations. Il permettra également de soutenir le mouvement entamé, qui s'est traduit par la forte progression depuis 1999 du recouvrement de l'encours des cotisations sociales.
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En définitive, le Gouvernement considère qu'aucun des moyens soulevés par les auteurs des recours n'est de nature à justifier la censure des dispositions déférées au Conseil constitutionnel.