Faut-il compléter l'expertise technique par l'intervention d'un expert en facteur humain?
Avis de R. Grollier Baron
Avis de J. Aguera
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L'expertise technique - déterminer les enchainements de défaillances matérielles - suffit à déterminer les responsabilités dans la plupart des accidents du travail. Elle devient insuffisante dans le cas de systèmes complexes. L'appréciation des responsabilités - évaluer les défaillances humaines - exige alors, aux côtés du technicien, l'intervention d'un expert en facteur humain pour analyser les réactions des hommes et l'impact de leur environnement.
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Le secret de l'instruction et le retour d'expérience
Un exemple vécu, Michel Turpin
Une opinion de Claude Frantzen
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Après un accident grave, la justice, les administrations chargées du contôle de l'industrie et l'industriel ont besoin d'avoir accès aux mêmes éléments pour des objectifs différents. Le secret de l'instruction, que les juges ont tendance à étendre largement, entrave l'action des services administratifs et le progrès de la prévention. Il rend le retour d'expérience de plus en plus difficile et de plus en plus incertain. Par un réflexe naturel, tous ceux que le juge considèrecomme d'éventuels coupables vont en effet chercher à se protéger, quitte pour cela à déformer l'information ou à la cacher. Il conviendrait de rechercher les moyens d'adapter la procédure pour permettre aux services administratifs de mieux collaborer avec les juges et aux industriels de pouvoir, le plus vite possible, améliorer la sécurité de leurs installations à la lumière des informations fournies par l'accident. Chacun pourrait ainsi mieux participer aux progrès de la sécurité dans les entreprises grâce aux informations irremplaçables que fournissent les accidents.
L'auteur rappelle, dans un premier temps, les logiques et besoins contradictoires des deux principaux protagonistes de l'après-accident, justice et opérateurs. Il propose, dans un second temps, des pistes de réflexion pour tenter de mieux gérer ces contradictions, en temps réel, juste après l'accident, mais aussi bien en amont. Dans le premier cas, il s'agit de mettre à disposition, tant de la justice que des industriels et de leurs experts, le fond commun de données et d'observations recueilli après l'accident. Dans le second, il suggère d'anticiper leur collaboration en développant une série de procédures et de comportements propres à instaurer la confiance et à prévenir les conflits.
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Le secret de l'instruction et le retour d'expérience
Jean Baillet
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Le secret de l'instruction ne saurait souffrir discussion puisqu'il protège et l'enquête et la réputation de la personne mise en cause. La nécessité du retour d'expérience n'est pas plus contestable et des secteurs comme le nucléaire, le transport aérien ou la chimie témoignent assez de sa légitimité. Comment alors résoudre la quadrature du cercle et inscrire le retour d'expérience dans les termes de la loi? Absolu dans son principe, le secret de l'instruction est très relatif dans sa pratique . Déjà battu en brèche dans l'article du code pénal qui l'instaurait en réservant le cas des personnes non tenues au secret, la récente actualité judiciaire manifeste à l'envi son caractère relatif voire résiduel. Le temps semble venu d'une réforme qui, en accord avec les missions répressives et préventives de la justice, conjuguerait un secret rénové, imposé à tous et sanctionné avec certitude, et la création d'une structure d'information interne où le retour d'expérience aurait sa place.
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Dissocier l'indemnisation des ayant-droits de la responsabilité pénale
Opinion de Bernard Chauvet
Compte-rendu de la discussion, Jean-Claude Wanner, Nicole Wanner, Michel Turpin
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Une première évolution de la législation en matière de responsabilité fait émerger deux notions jusqu'alors indistinctes : responsabilité civile et responsabilité pénale. Une seconde et double évolution, interne à la responsabilité civile, pourrait-elle aujourd'hui conduire à leur totale dissociation? Le passage d'une responsabilité subjective, fondée sur la faute prouvée, à une responsabilité objective plus favorable à la victime puisque visant à faciliter son indemnisation témoigne, avec le développement de la responsabilité sans faute, d'une dilution de la notion de faute. L'abandon d'une responsabilité individuelle au profit d'une socialisation des risques va dans le même sens. En multipliant fonds de garantie ou intervention directe de l'Etat, le législateur moderne a d'abord voulu garantir les droits de la victime quand l'auteur du préjudice est insolvable, l'importance des dommages disproportionnée ou en l'absence de responsable défini. Question : faut-il pousser la logique de cette évolution à son terme ou, autrement dit, la voie civile suffit-elle à réparer un dommage? La victime - et la société - peuvent-elles s'en satisfaire?
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Conclusions et suites du colloque :
P. Tripard et Claude Frantzen
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La commission nationale du débat public
Un nouvel âge de la concertation en amont
Hubert Blanc
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Ces dernières décennies ont vu se multiplier les contestations de grands projets d'infrastructure publique, faute d'avoir su prendre en compte cette exigence de l'opinion : faire entendre sa voix avant que la décision ne devienne irréversible. Prenant acte de cette nouvelle donne la loi de juillet 1995 y répond par la création de la Commission nationale du débat public. Sa mission : permettre au public de discuter, très en amont de la prise de décision, des finalités d'un projet, sans confiner le débat aux seules questions environnementales et faire de ce débat un temps fort de la décision d'environnement. Sans se poser en arbitre et encore moins en se substituant à l'autorité légitime, la commission entend jouer le rôle d'une instance de réflexion et de proposition permanente et enrichir ainsi le système français de concertation en amont.
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Les leçons de l'expérience
Des différentes formes de démocratie technique
Michel Callon
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Quelle place pour le simple citoyen dans les débats scientifiques et techniques? L'auteur propose trois modèles de démocratie technique qui combinent dans des proportions diverses, monopole des scientifiques et implication des profanes et qui, chacun, de la physique des particules à la sécurité alimentaire, ont leur domaine d'application. Le premier, celui de l'instruction civique, oppose de manière irréductible, connaissances scientifiques et croyances populaires à éradiquer. Dans cette relation à sens unique l'expert n'a rien à apprendre d'un public ignorant, donc disqualifié. Avec le deuxième, celui du débat public, l'opposition scientifique/ profane fait place à la complémentarité des savoirs universels et des savoirs locaux, les seconds venant enrichir les premiers. Mais, dans les deux cas, il y a bien démarcation, brutale (modèle 1) ou plus douce (modèle 2) : l'un et l'autre excluent le profane de la construction des savoirs scientifiques. Le modèle 3, celui de la co-production des savoirs, tend à surmonter ces limites en associant activement les profanes à l'élaboration des connaissances les concernant. Les deux types de savoirs ne sont plus incompatibles (modèle 1) ni engendrés indépendamment les uns les autres (modèle 2), ils sont les sous_produits conjoints d'un même et unique processus dans lequel spécialistes et non spécialistes se coordonnent étroitement.
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La crise de la vache folle
Epidémiologie : apports et limites
Annick Alperovitch
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Outil essentiel de connaissance, l'épidémiologie a des limites généralement mal comprises et souvent ignorées du public, voire de certains scientifiques. La crise provoquée par l'ESB en fournit un bon exemple. Les apports de l'épidémiologie ce sont les études qui permettent d'alerter les professionnels sur les cas d'ESB chez les bovins et, parallèlement, de détecter très vite une augmentation des cas de la maladie de Creutzfeldt-Jacob accompagnée d'une "mutation" puisque la MJC touchait pour la première fois de jeunes adultes. Viennent alors les hypothèses... Et les limites d'une science qui est d'abord descriptive : si elle autorise des associations significatives, elle ne permet pas d'établir des relations de cause à effet. Il ne faut pas escompter de l'épidémiologie qu'elle réussisse à déterminer la réalité de la transmission interespèces ou à mettre au point des méthodes de diagnostic ou de dépistage; ce que l'on est en droit d'en attendre, c'est une estimation du nombre de cas attendus, et ce sera un élément essentiel dans la définition d'une politique de santé publique.
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L'expertise scientifique : une nouvelle mission pour les chercheurs et les organismes?
Jean-Jacques Duby
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De plus en plus, la société exige du scientifique qu'il prévoit les conséquences du progrès scientifique et technique, qu'il s'implique dans les conséquences de ses découvertes. De plus en plus, les politiques sollicitent l'expertise de scientifiques sous la pression d'une opinion publique inquiète. En le faisant ainsi passer de la recherche fondamentale à l'expertise, ce nouveau rôle social du scientifique implique de profonds changements dans l'exercice de son métier. Un changement de logique d'abord quand l'urgence de l'action vient bousculer l'exigence de certitude scientifique. Une modification, aussi, de ses habitudes de communication qui, du cerle fermé des comités de lecture peut l'entraîner jusqu'aux plateaux de télévision. Une évolution, enfin, de son implication dans les processus de décision politiques susceptible d'entraîner sa responsabilité pénale.
Corollaire de ce nouveau métier pour les chercheurs, le nouveau mode de gestion qui va s'imposer à des organismes de recherches impliqués à double titre , en tant qu'opérateurs de ces missions d'expertises, en tant qu'employeurs des chercheurs impliqués.
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Quand les scientifiques traquent les prions
Pierre-Benoît Joly, Yves Le Pape et Elisabeth Remy
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Mis en place en pleine crise de la vache folle, le comité Dormont sur l'ESB a joué un rôle essentiel dans le dispositif de gestion de la crise. Sans rien cacher des incertitudes qui pèsent sur ces questions il a su gagner la confiance du public. Quelles sont les raisons de ce succès? De façon plus générale, quels enseignements peut-on tirer de cette analyse quant au fonctionnement de l'activité d'expertise et au lien du politique et de ses experts?
La composition du comité - des scientifiques à l'exclusion de tout représentant du secteur économique - a bien évidemment contribué à assoir sa crédibilité. Des scientifiques d'horizons très divers qui, par un ajustement mutuel de leurs disciplines, sont parvenus à concilier leurs différentes conceptions du risque en privilégiant le souci de la précaution. Enfin, le caractère public de l'expertise a joué un rôle déterminant à la fois sur la production des experts et sur leur capacité à établir la confiance. En conclusion, et à partir de cette expérience, les auteurs soulignent la difficulté de la mise en oeuvre des principes de transparence et d'indépendance des comités d'experts et l'ambiguïté de leur relation au pouvoir. Si leur intervention dans l'espace public est gage de leur légitimité le danger est d'accréditer l'image de l'expert qui décide, se substituant ainsi au décisionnaire politique.
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