Les aspects juridiques de l'exportation via Internet

Internet constitue une ouverture incontestable à l'exportation pour des entreprises qui ne désirent pas assumer les risques d'une implantation commerciale à l'étranger. En l'absence actuelle de règles spécifiques applicables au commerce électronique, seules des solutions aptes à préserver la liberté contractuelle et garantir la sécurité juridique doivent être proposées aux entreprises. Il est impossible de prétendre, en quelques pages, couvrir tous les aspects juridiques pertinents de l'exportation via Internet. Cet article n'a pour but que de constituer quelques points de repères et d'attirer l'attention des lecteurs sur les implications juridiques de la vente à l'international via Internet.

La différence spécifique entre le commerce par Internet et les autres moyens de commerce qui recourent à l'électronique ( télématique, télé achat) est la dimension transfrontalière. En effet, chaque proposition commerciale, chaque message publicitaire est accessible par quiconque, où qu'il se trouve dans le monde. Le contrat étant conclu en ligne, l'on se trouve face à une multitude de lois applicables aux contenus très différents : loi du vendeur, loi de l'acheteur ou toute autre loi désignée par les règles de conflit de lois. Le vendeur ne peut connaître à l'avance qui seront ses futurs clients, sauf à ne vendre que dans son pays ou à spécifier la zone géographique dans laquelle il vend. Les choix à opérer par une entreprise sont encadrés par les contraintes liées aux règles de conflit de lois et de juridictions et par le souci d'instaurer un climat de confiance entre partenaires à la transaction envisagée. A défaut de stipulation, les conflits de lois seront régis selon les dispositions spéciales et générales du droit international privé. Il en résulte que les conditions générales de vente doivent constituer le support privilégié d'une détermination de la loi applicable et de la juridiction pour connaître des éventuels litiges entre les cocontractants.

La clause déterminant la loi applicable au contrat de vente est trop souvent négligée lors de la rédaction des contrats de commerce électronique alors que son étude constitue un préalable indispensable à la rédaction des conditions générales de vente devant figurer sur un site Web commercial.

Le choix des parties de ne pas désigner la loi applicable n'est pas dénué de conséquences. Nous envisagerons les 2 cas de figure suivants :

  • Les parties n'ont pas désigné la loi applicable
  • Les parties ont désigné la loi applicable

    1 Les parties n'ont pas désigné la loi applicable

    En l'absence de loi désignée par les parties, les règles de conflits de lois s'appliqueront . La détermination du lieu de l'acceptation de l'offre revêt une importance toute particulière afin de déterminer la loi applicable et la juridiction compétente en cas de litige. Certaines conventions internationales permettent de désigner la loi applicable au contrat :

  • la Convention de La Haye du 15 juin 1955 :

    Champ d'application de cette convention : ventes internationales d'objets mobiliers corporels. Cette convention n'a été ratifiée que par peu d'États : Belgique, Danemark, Finlande, France, Italie, Niger, Norvège, Suède, Suisse. Loi applicable en vertu de cette convention : loi du vendeur à défaut de clause contractuelle Exclusion des prestations de services et ventes d'objets incorporels ( logiciels etc.)

  • la Convention de Rome du 19 juin 1980 :

    Champ d'application : obligations contractuelles Elle constitue le droit international privé des États de l'Union européenne. Elle s'applique quand une règle de conflit de loi conduit à l'application du droit interne d'un des États membres. Exclusion de certaines matières : droit de la famille, droit cambiaire, droit des sociétés, contrats d'assurance Loi applicable en vertu de cette convention : loi du pays avec lequel le contrat entretient les liens les plus étroits, présomption en faveur de la loi du lieu d'établissement de la partie débitrice de la prestation caractéristique - lieu de résidence habituelle ou d'établissement du débiteur de l'obligation de transférer la propriété du bien vendu - ; ou loi du lieu de l'administration centrale de la personne morale. Elle apporte néanmoins quelques réserves à ce principe : -les consommateurs ne peuvent être privés de la loi du pays dans lequel ils ont leur résidence habituelle. - cette convention ne préjuge pas l'application des dispositions du droit communautaire - il pourra être donné effet aux lois de police du pays avec lequel le contrat présente des liens étroits. La France s'est prononcée afin de donner son plein effet au droit de la consommation. Le rapport Lorentz sur le développement du commerce électronique dans le cadre d'Internet réclame l'application de la loi du pays de l'acheteur c'est-à-dire du pays de destination de l'offre.

    L'étude des règles de conflit de lois conduit donc à la nécessité de régler la question de la loi applicable dans les conditions générales de ce type de contrats internationaux. En effet, force est de constater qu'en l'état actuel du droit, la solution la plus sûre, si tant est que solution sûre il y ait, reste la désignation de la loi applicable et de la juridiction compétente.

    2 Les parties ont désigné la loi applicable

    Les clauses désignant la loi applicable doivent tenir compte de la différence de situation entre les consommateurs et les professionnels.

    Remarque préalable : La proposition de directive de la Commission européenne relative à certains aspects juridiques du commerce électronique incite les Etats membres à s'assurer que leur législation prévoit la possibilité d'utiliser les moyens électroniques pour la conclusion de contrats, ce qui n'est pas toujours le cas. Rappelons qu'en France, un projet de loi consacrant à certaines conditions la valeur juridique de la signature électronique a été présenté le 1er septembre dernier.

    Les contrats entre professionnels

    Si le marché visé par l'entreprise française est professionnel, il est possible à l'entreprise française exportatrice de procéder à la désignation anticipée de la loi française ou de la loi de l'acheteur. Toutefois, face à la multitude de lois , il est souvent conseillé de retenir comme loi applicable, celle du pays d'établissement de l'activité du vendeur. En effet, la proposition de directive de la Commission européenne vise la création d'un cadre juridique pour le Marché intérieur basé sur le contrôle dans le pays d'origine.

    Une solution particulière s'offre via la désignation de la Convention des Nations Unies du 11 avril 1980 dite Convention de Vienne, comme loi applicable. Il s'agit d'une convention internationale spécifique à la vente internationale. Cette convention est actuellement ratifiée par une cinquantaine de pays appartenant à des systèmes juridiques très différents : France, États-Unis, Chine, Cuba, Pays de l'Est ... à l'exception du Royaume-Uni qui n'a pas adhéré. Cette convention édicte des règles matérielles et uniformes pour tous les États qui l'ont ratifiée qui peuvent être appliquées et interprétées indépendamment de toute législation nationale. La Convention de Vienne pourra être désignée comme loi applicable si : - Vendeur et acheteur ont leurs établissements dans des États contractants différents ; ou - Les règles de droit international privé conduisent à l'application de la loi d'un État contractant.

    Toutefois, si tant est que la Convention de Vienne ait été désignée comme loi applicable, elle ne pourra gouverner que la formation et les obligations nées du contrat de vente à l'exclusion de ce qui concerne la validité du contrat. Sont notamment exclues de son champ d'application les ventes au consommateur et les prestations de services. D'autre part, elle n'a été ratifiée que par un certain nombre de pays, ce qui est insuffisant pour un réseau mondial comme Internet. En outre certaines exceptions écartent son application : réserve expresse d'un État, règles d'ordre public, volonté des parties.

    La convention de Vienne offre donc une alternative à l'application de la loi d'un des contractants au détriment de celle de l'autre pour les ventes entre professionnels conclues via Internet. En revanche, la convention de Vienne ne régissant pas la validité du contrat, ni le régime de la propriété des marchandises vendues, il sera préférable de désigner explicitement la loi applicable à ces questions essentielles.

    Les contrats entre professionnels et consommateurs

    Si les parties apparaissent libres de choisir de façon explicite ou tacite la loi qui régira leur contrat lorsqu'elles sont toutes deux des professionnels ou des consommateurs, il n'en est plus de même lorsqu'elles n'agissent pas à des fins identiques. Les règles du droit de la consommation applicables aux seuls consommateurs, c'est-à-dire contractant en dehors de leur sphère d'activité économique, s'imposent à la volonté des parties de par leur caractère impératif, y compris dans l'ordre international. Ainsi dans la Convention de Rome (ratifiée par les Etats de l'Union européenne) selon l'article 5 la loi choisie par les parties ne peut faire obstacle à la protection dont le consommateur pourrait bénéficier dans le pays dans lequel il est domicilié. Sont concernés les contrats de fourniture d'objets mobiliers corporels ou de services, ou le financement d'une telle fourniture. Le consommateur est défini comme celui qui contracte pour un usage pouvant être considéré comme étranger à son activité professionnelle.

    En ce qui concerne les États non contractants de la Convention de Rome, il convient de se référer au droit international privé de ces États. Aux Etats-Unis par exemple, l'autonomie des parties quant au choix de la loi applicable connaît 2 types de limites : - le caractère raisonnable de la loi choisie au regard de l'opération considérée : cette exigence exclut pour les contrats de vente sur Internet une clause désignant la loi d'un État tiers moins avancée que les lois respectives des contractants. - les objectifs fondamentaux portés par la loi qui aurait été applicable en l'absence de choix explicite par les parties : les règles relatives au consommateur font partie de ces objectifs fondamentaux.

    Important : dans tous les cas, l'application de la loi choisie trouve sa limite dans les règles d'ordre public : sécurité publique, publicité interdite ou mensongère…

    La détermination de la loi applicable a pour corollaire nécessaire la désignation de la juridiction compétente en cas de litige. Classiquement, en droit international privé, la détermination de la juridiction compétente précède celle de la loi applicable. L'examen de la vente via Internet conduit à inverser cet ordre. Le problème principal est le choix de la loi applicable. Cependant, il serait imprudent de négliger le choix de la juridiction sous peine de priver d'efficacité l'application de la loi désignée. La Commission européenne a adopté une proposition de règlement sur la compétence judiciaire. Dans le cas du commerce électronique, le consommateur pourra saisir le tribunal du pays du défendeur.

    L'analyse des problèmes de droit international conduit à l'opportunité de la désignation, dans les conditions générales de vente, du droit et de la juridiction, la volonté des parties est cependant limitée par l'application des règles d'ordre public du pays de destination et en particulier des dispositions visant la protection du consommateur.

    Le service de commerce électronique devra se conformer aux lois de protection du consommateur en vigueur dans le pays où est visionné le contenu. En effet, il semble difficile de demander à des personnes privées de connaître l'ensemble des législations dans tous les pays du monde. Telle est la position européenne pour les transactions conclues par les consommateurs entre les pays de l'Union européenne et les autres États. Les Etats-Unis, en revanche, défendent une position inverse, considérant que la priorité devrait être de faciliter la tâche des vendeurs et de faciliter les exportations américaines par Internet en raison de l'uniformité de la loi à gérer pour le vendeur. Selon la position américaine, l'acheteur accepte de se soumettre à la diversité des lois applicables en acceptant de contracter sur ce type de réseau.

    En droit communautaire, plusieurs directives ont pour but de protéger le consommateur : la vente à distance, les clauses abusives, la publicité, la responsabilité civile du fait des produits, les données personnelles. Les vendeurs ont tout intérêt à s'y conformer lors de la rédaction de leurs conditions générales de vente. Ces vendeurs ne connaissent pas à l'avance tous les pays de destination de leurs produits. En cas de contentieux, ils pourront ainsi , en cas de litige, apporter la preuve de leur bonne foi et de leur volonté de respecter les droits de leurs clients consommateurs.

    Aux Etats-Unis également, la législation protectrice des consommateurs se développe tant à l'échelon fédéral qu'à l'échelon étatique. Ainsi, la réglementation fédérale impose une information claire quant à la marchandise offerte et aux garanties offertes aux consommateurs. Le Federal Trade Commission Act organise la répression des pratiques déloyales et trompeuses relatives au prix ou aux caractéristiques du produit. A l'échelon étatique, l'Unfair and Deceptive Acts and Practices impose que l'information communiquée par le professionnel n'induise pas le consommateur en erreur. Il convient de noter que le cadre américain du droit de la consommation ne constitue pas un obstacle à l'exportation française dans la mesure où bon nombre de ses dispositions apparaissent plus libérales que celles du droit français.

    Conclusion : Dans l'attente d'une uniformisation souhaitée par l'ensemble des acteurs internationaux, une prise de précautions s'impose au stade de la rédaction des conditions générales de vente que le vendeur français proposera sur son site Web, ces conditions générales apparaissant ainsi comme l'élément central d'une saine stratégie commerciale à l'exportation. Dans ce but, une bonne préparation juridique et une bonne appréhension des risques juridiques avec le concours d'un professionnel (avocat, conseil juridique), constitue un préalable indispensable.

    EIC de l'ACFCI FR289 / Relais de la CCI de Haute-Savoie
    /Mars 2000

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