DEVELOPPER LE CAPITAL INVESTISSEMENT EN EUROPE

Essentiels pour créer des emplois, améliorer la productivité et soutenir la croissance, les marchés de capital-investissement sont au cœur des politiques de développement économique de l'UE. Cependant, leur développement repose sur de profondes réformes structurelles

C'est pourquoi, en avril 1998, la Commission européenne publiait une Communication intitulée "Le Capital-investissement clé de la création d'emplois en Europe". Bien accueilli par le Conseil européen de Cardiff (juin), ce rapport proposait un plan d'action pour lever les principaux obstacles. Six mois plus tard, les quinze exhortaient la Commission à rédiger un rapport sur sa mise en œuvre, ce qui fut fait le 20 octobre dernier dans une Communication, "Le capital-investissement : propositions visant à poursuivre la mise en œuvre du plan d'action" (COM (1999) 493 final).

I - Les principales barrières au développement du capital-investissement

La Commission européenne a identifié 6 catégories d'obstacles au développement du capital-investissement dans l'Union européenne.

1.1 Les contraintes liées aux marchés de capitaux

  • La fragmentation des marchés nationaux

    Malgré la libéralisation des marchés européens de capitaux et l'introduction de l'euro, le cloisonnement des marchés nationaux n'a pas encore été surmonté : on peut encore compter 33 marchés boursiers réglementés et 18 organisations de contrôle, ce qui limite d'autant la liquidité et la capitalisation de chaque marché national. Aux Etats-Unis, un organisme unique contrôle 10 marchés régionaux et nationaux.

    On notera par ailleurs que l'accès aux marchés de capitaux des autres Etats membres est quasiment impossible pour les PME du fait du manque de transparence et d'information, une fiscalité, des règles comptables et une législation différentes.


  • Une multitude de barrières institutionnelles et réglementaires

    Le cadre institutionnel et réglementaire n'est pas propice à la transparence, à la stabilité et à la prévisibilité indispensables à l'expansion du capital-investissement. On notera comme lacunes principales :

  • des restrictions pour les investisseurs institutionnels traditionnels
  • une entrée en vigueur tardive de la directive sur les services d'investissement
  • une faible utilisation des prospectus dans le cadre des transactions transfrontalières
  • des règles comptables différentes qui imposent la présentation de comptes différents pour
  • la recherche de fonds propres à l'étranger

  • De nombreuses barrières fiscales

    L'imposition de ces instruments financiers revêt une importance considérable dans la mesure où elle intéresse à la fois le demandeur (entreprise) et l'offreur (investisseurs particuliers ou institutionnels). Or la situation dans l'UE est très complexe, car elle varie d'un Etat membre à l'autre pour l'imposition relative des capitaux empruntés (intérêts) et des capitaux propres (dividendes, bénéfices non distribués), les impôts sur les plus-values, l'imposition des fonds de capital-risque.


  • 1.2 Les contraintes liées à la création d'entreprises innovantes

  • Une pénurie de PME de haute-technologie

    Les marchés de capital-investissement se développeront si les occasions d'investir existent. Or la création nette d'entreprises est encore à la traîne, notamment pour ce qui est des haute-technologies et malgré d'excellentes capacités de recherche et d'innovation. Les parcs technologiques et les centres d'innovation stimulent la création, mais ces start-ups ont tendance à rester de petite taille (10 employés en moyenne après 10 ans d'expérience). Des efforts doivent être faits pour simplifier l'environnement juridique et réglementaire et ainsi faciliter la création d'entreprises et l'innovation. Une étude de 1996 montrait qu'il faut entre 25 et 30 procédures différentes en Italie et en Grèce, une quinzaine en France et moins de 5 au Danemark. Le temps moyen de création varie de 1 semaine au Danemark à 28 semaines en Espagne.


  • Les ressources humaines

    Le rôle d'expert en capital-risque va au delà du simple apport de financement. Il nécessite une expertise financière, technique et un accès à des réseaux d'experts capables d'évaluer les projets. Le nombre d'experts et d'entrepreneurs qualifiés est encore trop faible. L'EVCA a comptabilisé seulement 3 000 investisseurs en capital-risque équivalent temps-plein en Europe. Et malheureusement les possibilités de formation en la matière sont peu nombreuses


  • Les barrières culturelles

    Enfin, une dernière condition nécessaire d'ordre culturel est loin d'être remplie ; l'esprit d'entreprise, l'approche du risque, la mobilité sont des concepts encore trop peu développés en Europe et qui freinent la création d'entreprises innovantes.


  • II - Un bilan 1998-1999 très mitigé

    2.1 Un développement trop lent et non-optimal

    Malgré l'introduction de l'euro et une conjoncture économique favorable, le capital-investissement se développe à un rythme très variable. Le nombre de business-angels a augmenté, les fonds investis par des sociétés de capital-risque dans des entreprises innovantes, de nouvelles places boursières permettent de faire appel à l'épargne publique. Cependant, les capitaux ne sont pas alloués de façon optimale du fait de la persistance de nombreux obstacles.

    En 1998, 7 milliards d'euros ont été mobilisés par des sociétés de capital-risque contre 12 milliards aux Etats-Unis. 80% des investissements américains concernent les NTIC, les biotechnologies et la santé, alors que ces secteurs ne représentent que 28% en Europe.

    Pour ce qui est des marchés boursiers spécialisés (EURO-NM, EASDAQ et AIM), ils totalisent 8 fois moins d'entreprises cotées et leur capitalisation est 33 fois moins importante que celle du NEASDAQ.


    2.2 Les mesures prises pour éliminer les obstacles

  • Des projets pilotes :

    Depuis avril 1998, un certain nombre de mesures ont été prises pour stimuler le capital-investissement. On notera l'action en faveur des "business-angels", la tenue de table-rondes sur la fragmentation du marché européen, l'établissement d'un tableau de bord de l'innovation pour recueillir les initiatives nationales et européennes en faveur de l'innovation. Enfin, le plan d'action pour les services financiers intègre désormais un volet sur le capital-investissement..

    Par ailleurs, la première évaluation montre que la plupart des Etats membres ont pris des mesures pour le soutien aux premières étapes du financement, la simplification des formalités administratives, l'encouragement à la constitution de réseaux universités - investisseurs - institutions.


  • Des soutiens financiers :

    La Commission européenne a mis sur pied plusieurs programmes financiers pour stimuler la mobilisation de capital en faveur des société innovantes : CREA pour le capital d'amorçage, I-TECH et 5ème PCRDT pour l'innovation, le MET, JEV et le Mécanisme de garantie PME pour la création d'entreprise. Les nouveaux fonds structurels comporteront également des volets pour faciliter l'accès des PME au capital-risque.

    Le FEI - Fonds Européen d'Investissement - et la BEI - Banque Européenne d'Investissement - jouent également un rôle majeur, le premier comme catalyseur dans le financement des fonds de capital-risque, le second comme source de financement.


  • III - Les mesures à prendre en l'an 2000

    3.1 Les mesures réglementaires communautaires

    Les orientations prises en 1998 doivent être encouragées notamment en ce qui concerne des business-angels, la simplification des procédures administratives et le développement de liens durables entre les sources de financement et les sources de technologie.

    La Communication liste un certain nombre d'actions à prendre au niveau européen dans l'année à venir :

  • Adopter des règles prudentielles permettant aux investisseurs institutionnels d'investir dans le capital-risque

  • Améliorer les directives relatives aux prospectus pour faciliter l'accès aux capitaux transfrontaliers

  • Réformer le système de brevets européens

  • 3.2 Les mesures réglementaires nationales

    Une des forces de l'Union européenne est de favoriser le benchmarking et l'échange d'expériences entre les Etats. Certaines expériences intéressantes qui ont été menées au niveau national, pourraient être reprises dans d'autres pays :

  • Imposition des entreprises et des investissements sous forme de capital-risque : en Irlande, l'Etat a mis au point un système de franchise fiscale (BES) ; au Royaume-Uni, les particuliers sont incités à investir des entreprises naissantes (EIS)
  • Réforme de la législation sur l'insolvabilité et la faillite : au Royaume-Uni et en Allemagne, le Gouvernement va assouplir la législation afin de donner une véritable seconde chance aux entrepreneurs
  • Promotion des innovants d'actionnariat des salariés et des stock-options en allégeant la fiscalité et simplification des procédures.

  • Conclusion :

    En établissant un plan d'action en 1998 et en procédant à une première évaluation en 1999, la Commission européenne a marqué sa volonté d'accompagner les Etats membres pour le développement du capital-investissement en Europe. Outre les mesures réglementaires et financières prises au niveau communautaire, la Commission souhaite être un catalyseur pour favoriser les meilleures pratiques là où les réformes structurelles sont nécessaires. Cependant, l'écart continue de se creuser entre le nouveau et le vieux continent en matière de financement des entreprises innovantes.


    Alexandre Colomb EIC Rennes/Avril 2000

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